Revue
Anticipations publiquesConcarneau Cornouaille : vers un territoire low-tech ?
Pendant un an et demi, vingt acteurs publics et privés du territoire de Concarneau Cornouaille ont expérimenté la low-tech à travers cinq thématiques : les économies d’énergie, la mobilité et la logistique, l’éducation populaire, la culture, l’agriculture et les espaces verts. Retour sur cette expérimentation et ses enseignements.
Imaginé en 2022, le projet « Vers un territoire low-tech » a été co-écrit par l’Ademe et le Low-tech Lab implanté à Concarneau depuis l’année 2013. Il a été soutenu financièrement par la région Bretagne et Concarneau Cornouaille Agglomération. Si l’espace d’expérimentation correspond aux limites administratives de l’agglomération, c’est un périmètre d’action intéressant puisqu’il englobe un certain nombre de bassins versants communs.
La low-tech selon le Low-tech Lab
Le Low-tech Lab1 emploie le terme de low-tech pour « qualifier des objets, des systèmes, des techniques, des services, des savoir-faire, des pratiques, des modes de vie et même des courants de pensée qui intègrent la technologie selon trois grands principes : l’utilité, l’accessibilité, la durabilité ». En effet, il répond à des besoins essentiels à l’individu ou au collectif, et doit être appropriable par le plus grand nombre, robuste et réparable ou recyclable.
Les étapes du projet
En avril 2022, un appel à candidatures est lancé ; en juin se déroule le Festival low-tech à Concarneau, le projet « Vers un territoire low-tech » se lance officiellement en juillet 2022. Entre octobre 2022 et décembre 2023, plusieurs étapes se succèdent : d’abord un état des lieux des besoins et usages au sein des structures, puis une sélection des problématiques, s’ensuit une phase d’expérimentation comprenant visites apprenantes, prototypage, mise en place des expérimentations et de leur suivi. Ensuite, des évaluations et bilans individuels et collectifs ont lieu. En parallèle, des ateliers collectifs d’accompagnement, de montée en compétences, de formation des acteurs se déroulent avant la dernière étape, le bilan de l’expérimentation.
Les projets « Vers un territoire low-tech »
Sur le volet alimentation saine et durable, l’expérimentation menée par Kerminy et les services techniques de la commune de Rosporden a permis de nouvelles coopérations territoriales via un cycle d’apprentissage sur le sujet des vergers comprenant des rencontres multi-acteurs, des temps de formation, des ateliers collectifs autour de la plantation, de la taille, de la greffe et de la transformation des fruits. Quant au projet « Alimenterre », il s’est centré sur le recensement et la découverte des réseaux maraîchers locaux.
Imaginé en 2022, le projet « Vers un territoire low-tech » a été co-écrit par l’Ademe et le Low-tech Lab implanté à Concarneau depuis l’année 2013.
Les vingt structures participant à l’expérimentation
Au total trente-deux structures ont répondu à l’appel à candidatures. Vingt structures ont été retenues par le comité de pilotage : sept associations, sept entreprises, quatre collectivités territoriales, deux établissements publics et la Concarneau Cornouaille Agglomération (le service développement culturel et lecture publique ainsi que le service transports et déplacements). On compte :
- le site de Concarneau du Centre hospitalier de Cornouaille ;
- les Vergers de Trévignon (production de cidre et jus de pomme) ;
- la petite ferme de Kercaudan (production de légumes, cidre et jus de pomme bio) ;
- le tiers-lieu Kerbousier (tiers-lieu touristique et apprenant en éco-construction) ;
- l’association Atelier Z (association de ré-appropriation des savoirs en territoire rural) ;
- Kerminy (lieu d’agriculture en arts, d’expérimentations, de recherche et de créations) ;
- le service technique de la mairie de Rosporden ;
- le service espaces verts de la mairie de Concarneau ;
- l’auberge de jeunesse de Concarneau ;
- l’association La maison (association d’accompagnement de projets des jeunes) ;
- l’association d’éducation populaire de l’école Diwan de Trégunc ;
- le Konk Ar Lab (fablab de Concarneau) ;
- la Brasserie de Cornouaille (production de bières) ;
- l’hôtel Les océanides ;
- l’entreprise Ino-Rope (spécialisée dans les cordages et les textiles techniques) ;
- l’entreprise Actemium Marine (spécialisée dans les systèmes électriques pour le domaine naval).
Trois structures initialement inscrites n’ont pas poursuivi le projet : l’Aven Parc (parc de loisirs situé à Pont-Aven), la mairie de Melgven, la Station marine de Concarneau (centre de recherche sur le milieu marin). Parmi les structures choisies, la moitié ne connaissait pas le Low-tech Lab.
En matière culturelle, la mise en place d’une plateforme permettant à tous les acteurs de la saison low-tech de publier leur programmation a pris la forme d’un site web éco-conçu, imprimable depuis une imprimante de bureau pour permettre la diffusion au plus grand nombre dans l’espace public. Plusieurs rendez-vous emblématiques ont marqué la saison culturelle, notamment La tournée de la popote, une cuisine mobile, autonome qui s’est déplacée dans différentes communes de l’agglomération ou encore des vacances apprenantes et divers chantiers participatifs du tiers-lieu apprenant en éco-construction Kerbouzier.
Différents acteurs du territoire, notamment l’hôtel Les océanides, l’entreprise Ino-Rope et Kerbouzier, ont travaillé sur les économies d’énergie et la transition énergétique à travers deux questions majeures : la production d’eau chaude grâce à des panneaux solaires thermiques, l’isolation thermique d’une cuve de récupération des eaux de refroidissement avec des matériaux locaux et écologiques (laine de mouton).
L’hôtel Les océanides a initié une démarche de réduction de ses consommations énergétiques et de remplacement de ses moyens de chauffage depuis 2022. Il s’est associé au groupe de travail constitué avec des associations et entreprises de Concarneau : Ino-Rope, Konk Ar Lab et la Brasserie de Cornouaille. Quand l’hôtel rejoint le projet, il veut savoir s’il est pertinent d’investir dans des panneaux solaires thermiques, si les architectes des Bâtiments de France accepteraient leur installation sur le toit situé près d’un site classé et mieux comprendre les formalités administratives permettant de bénéficier de subventions. À l’issue de la démarche, la propriétaire de l’hôtel est montée en compétences sur le sujet de l’autonomie énergétique et comprend mieux les enjeux associés et solutions possibles.
En matière d’éducation, l’école Diwan de Trégunc avec le Konk Ar Lab a mené une expérimentation consistant à permettre aux plus jeunes de découvrir et de s’approprier la démarche low-tech. Les écoles Diwan sont des écoles associatives, gratuites et laïques sous contrat avec l’État. Depuis sa création en 1981, l’école Diwan de Trégunc est gérée par les parents d’élèves. Pendant l’expérimentation plusieurs ateliers ont lieu, notamment un atelier de fabrication de fournitures scolaires (papier recyclé) et un atelier visant à imaginer l’école low-tech de demain.
Le service culture de Concarneau Cornouaille Agglomération a amorcé une expérimentation par la suite menée par le pôle déchets, environnement et bâtiment. Il s’agit de tester l’usage de toilettes sèches et d’urinoirs secs sur un site de la collectivité, le site du centre technique communautaire, pour mieux appréhender l’installation et la gestion de ce type de systèmes dans de futurs bâtiments publics.
Les enseignements de cette expérimentation
Cette expérimentation permet l’amorce d’une dynamique collective à l’échelle du territoire entre personnes qui ne travaillaient pas ensemble malgré des besoins semblables et des valeurs en commun. Les acteurs sont très hétérogènes, certaines structures connaissent déjà bien la low-tech, d’autres pas du tout. Cette richesse a cependant un inconvénient : la difficulté à converger vers un même objectif.
Présent sur le territoire depuis 2013, le Low-tech Lab a la légitimité pour mobiliser les structures locales. Il a organisé des réunions publiques annoncées via la presse locale, du porte-à-porte, des appels téléphoniques, des réunions pour présenter le projet et l’intérêt d’y participer. Les parties prenantes se sont approprié la démarche à différents degrés, certaines participant uniquement aux ateliers collectifs, d’autres allouant du temps à l’expérimentation et mettant en place des actions concrètes pour embarquer les collaborateurs.
Pour une prochaine expérimentation, prévoir une acculturation à la démarche des futurs candidats pourrait s’avérer utile. Plusieurs personnes ont porté seules au sein de leur structure la démarche. Idéalement il serait intéressant de constituer des binômes afin de répartir la charge de travail et la responsabilité. Ce serait d’autant plus bénéfique si, dans le duo, on comptait une personne décisionnaire ou un référent parvenant à embarquer d’autres collaborateurs. A posteriori, on constate qu’il y a eu peu de diversité sociale dans les différentes expérimentations.
Deux freins majeurs à l’expérimentation
Deux freins majeurs à l’adoption de la low-tech ressortent. Elle nécessite du temps et des moyens financiers. Il s’avère difficile pour les structures de financer ce temps qui ne produit rien de concret et visible immédiatement. Le deuxième frein a trait au rapport à l’expérimentation et au droit à l’erreur. Il suppose d’accepter qu’il s’agît d’une expérimentation qui peut marcher ou non, se réitérer ou être abandonnée. Pour déverrouiller ce frein culturel, on peut notamment proposer des récits d’expériences ailleurs démontrant qu’il est possible de fonctionner par expérimentations.
La participation de vingt structures était un objectif ambitieux. Dans les faits, trois ont quitté l’expérimentation très vite, trois ont été passives, les quatorze autres ont été accompagnées et cela a abouti à une dizaine d’expérimentations suivies. Le Low-tech Lab, le cabinet de conseil et d’ingénierie en développement durable Inddigo, financé par l’Ademe, et l’association Bretagne Transition ont été les trois structures motrices accompagnant les dynamiques portées par les participants. On estime que le temps alloué est un équivalent temps plein pour trois expérimentations. La piste à creuser à l’avenir serait de restreindre le nombre d’expérimentations pour augmenter les moyens alloués.
L’adoption de la Low-tech nécessite du temps et des moyens financiers.
Le projet ne prévoit pas de suivi après l’expérimentation. À l’issue de cette dernière, certains acteurs sont motivés pour continuer, mais l’accompagnement du processus de coopération demeure une donne essentielle. On sait que l’hôtel a validé l’installation de panneaux solaires techniques sur le toit. Les actions entreprises en matière d’alimentation se poursuivent, impliquant différents acteurs du territoire, avec notamment la construction d’un séchoir solaire, des ateliers de taille et de greffe d’arbres fruitiers, de confection de recettes à base de fruits. D’autres expérimentations n’ont pas continué comme celle portée par la cidrerie, en raison de sa cessation d’activité. Quant à la saison low-tech, l’idée d’un site participatif pour réunir la programmation culturelle commune, avec un agenda ouvert partagé, n’a pas été reconduite. Cependant un collectif d’habitants s’est emparé de l’outil et a développé un agenda ouvert, le Kerlandrier.
- Depuis 2013, l’association du Low-tech Lab développe des projets et des actions pour faire connaître et partager la philosophie low-tech (https://lowtechlab.org/fr).