Quand l’intelligence artificielle se met au service de la transition écologique

Le 23 décembre 2024

L’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) a profité de la publication de son troisième atlas, Cartographier l’anthropocène, pour montrer comment l’intelligence artificielle (IA) peut servir d’outil de diagnostic et de simulation pour préparer les territoires à l’adaptation au changement climatique.

« Lorsqu’en 1950 Alan Turing pose la question “Les machines peuvent-elles penser ?”, se doute-t-il que l’IA, dont il sera l’un des pères fondateurs, nous permettra de remonter le temps en retraçant l’évolution de l’occupation des sols ? Imagine-t-il que l’IA permettra de suivre le changement climatique, de modéliser les risques et donc de mieux les anticiper ? L’IA contribue à éclairer les décideurs publics dans la transition écologique et offre de nouvelles perspectives d’exploration et d’innovation » : cette petite introduction, qui figure dans ce nouvel atlas, ouvrant sur l’histoire de l’IA, de ses premiers pas à l’IA générative, résume bien le rôle que peut remplir l’IA en tant qu’outil d’aide à la décision.

Depuis le lancement de sa nouvelle stratégie en novembre 20211, l’IGN est passé de la carte routière à la carte sur l’anthropocène, avec un objectif : évaluer plus finement l’impact du changement climatique sur les territoires et permettre aux décideurs publics de disposer de nouveaux outils d’aide à la décision.

Après un premier atlas en 2022 sur la thématique « Changer d’échelle pour pouvoir agir » et un deuxième atlas en 2023 sur l’occupation des sols, la troisième édition de l’atlas est entièrement consacrée à l’IA.

Il y a « IA-urgence » pour apporter des connaissances nouvelles

La présentation de ce troisième atlas s’est déroulée le 12 septembre 2024 à l’Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France (l’ISC-PIF), situé dans le XIIIe arrondissement de Paris. Créé en 2005, c’est à la fois un laboratoire de recherche, une pépinière à projets, un centre de ressources mutualisées, un centre de conférences et un espace de coworking. Ce qui lui donne un air de « tiers-lieux scientifiques » offrant aux chercheurs un environnement de recherche dynamique et des outils innovants basés sur le big data et le high performance computing. Pour David Chavalarias, le directeur de l’ISC-PIF, les points communs entre son établissement et l’IGN, ce sont à la fois la passion des données ouvertes, la cartographie et l’utilisation de l’IA : « On cartographie les espaces numériques sémantiques, par exemple la représentation des 6 000 à 10 000 publications sur l’anthropocène ou encore la relation entre IA et cartographie », précise-t-il, en soulignant aussi que son institut contribue au développement d’Albert, l’IA générative de l’État français.

« Pourquoi fait-on aujourd’hui de l’IA ? Parce qu’il y a une IA-urgence, une urgence à apporter une connaissance nouvelle dans un environnement complexe […]. Nous pensons fondamentalement que dans cette période complexe de changements climatiques, de la pression sur les ressources et la biodiversité, il nous faut des instruments de pilotage d’un type nouveau. Pour reprendre l’expression du sociologue et philosophe Bruno Latour2, nous rentrons dans un nouveau régime climatique. Ce nouveau régime doit tous nous appeler dans nos positions à repenser la manière dont nous faisons les choses.

Autrefois, le cartographe était le descripteur du territoire. Aujourd’hui, il doit devenir le cartographe de l’anthropocène qui va offrir des outils pour littéralement piloter le territoire et le conduire pour atténuer les effets du changement climatique », confie Sébastien Soriano, le directeur général de l’IGN, à l’occasion de la soirée de lancement de cette troisième édition de l’atlas.

Un déploiement rapide de l’IA pour accélérer le traitement des données

Aujourd’hui, une dizaine de systèmes IA sont déployés par l’IGN et ses partenaires publics et privés améliorant la connaissance et le suivi de l’environnement, l’occupation des sols, la gestion des risques (inondations, feux de forêt, tempêtes, érosion des côtes et des massifs et risques industriels), la préservation des forêts, la surveillance de l’agriculture, de l’urbanisme ou encore de l’énergie : « L’IA nous aide, car elle accélère le traitement des jeux de données pour passer rapidement à la description du territoire à grande échelle », précise Matthieu Porte, coordinateur des activités IA à l’IGN, qui est l’un des opérateurs d’État les plus actifs en matière d’IA : « Nous avons aujourd’hui plus de 30 agents spécialistes en IA dans nos équipes opérationnelles », confie Matthieu Porte.

De grands projets sont actuellement menés par l’IGN, avec ses partenaires publics (Bureau de recherches géologiques et minières [BRGM], Météo France, Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique [Inria], universités, etc.) et privés (particulièrement les start-up du réseau Datalliance). Il y a bien sûr le programme LIDAR HD3, une cartographie 3D de l’intégralité du sol et du sursol de la France en données LiDAR (« light detection and ranging »), qui devrait se terminer en 2026.

Sur le suivi de l’environnement, par exemple, on peut citer le projet GEO-K-PHYTO, lancé en 2020, qui vise à mettre en place un dispositif de surveillance épidémiologique des cancers en lien avec les expositions environnementales aux produits phytopharmaceutiques agricoles. Concrètement, il s’agit de générer des données géographiques exhaustives sur les vignes et vergers de façon régulière sur la France entière. Il y a aussi le programme de cartographie nationale prédictive des habitats naturels CarHab, qui permettra de répondre aux enjeux de protection de la biodiversité. L’objectif est de couvrir, à l’horizon 2026, une couverture de la France entière. Ce CarHab est un outil stratégique pour les politiques de protection de la nature, car, comme les espèces, les habitats naturels sont une des composantes clés de la préservation de la biodiversité. Sur la gestion des risques, plusieurs projets sont en cours de déploiement, comme le groupement d’outils pour la lutte incendie et l’aménagement du territoire (GOLIAT), un prototype d’outils de lutte incendie et d’aménagement du territoire par l’étude de données historiques de départs de feux afin de mieux cartographier et catégoriser les risques.

L’IGN est aussi engagé dans la production d’un référentiel d’occupation des sols à grande échelle (OCS GE) grâce au deep learning. Objectif : mesurer l’artificialisation des sols en vue du zéro artificialisation nette (ZAN) prévu à l’horizon 2050 par la loi dite « Climat et résilience » de 20214.

Le jumeau numérique (JN), le futur de la cartographie des territoires

L’IA tient notamment une place toute particulière dans le projet de Jumeau numérique de la France et de ses territoires. Au printemps 2024, l’IGN, le centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) et l’Inria ont lancé un premier appel à communs pour la conception d’un tel jumeau. Objectif : cartographier le futur du territoire selon différents scénarios d’action publique et d’évolution des conditions climatiques : « À terme, cette réplique du territoire permettra de mieux comprendre les phénomènes qui agitent celui-ci, mais aussi d’imaginer, d’anticiper et de simuler son évolution sur de nombreux plans, allant de la transition énergétique à l’aménagement, en passant par la gestion durable des ressources agricoles et forestières, ou encore par la prévention des risques naturels. L’IA jouera un rôle central : tout d’abord, dans la production des données – dont les millions obtenus dans le cadre du programme LiDAR HD – ; ensuite, dans la simulation de différents scénarios ; enfin, l’IA pourrait être le moteur d’une interface accessible aux utilisateurs non spécialistes, qui leur permettrait d’explorer la richesse des données et de ses potentialités », peut-on lire dans cet atlas.

Ce sont autant de cartographies utiles aux collectivités locales pour préparer les territoires à l’adaptation climatique : « 30 % de collectivités sont déjà engagées sur l’IA avec une majorité de grandes métropoles, et sur une diversité d’usages : aménagement du territoire, mobilité, climat, santé, environnement, énergie », précise Céline Colucci, déléguée générale des Interconnectés, qui vient de lancer une démarche de concertations territoriales de l’IA pour mettre en débat et faire remonter les attentes et points de vigilance sur les usages et les impacts des systèmes IA à l’échelle des territoires.

« La vraie difficulté n’est pas de partager les données, mais de fabriquer un outil commun. Il faut aussi des moyens. La création de communs numériques est un vrai projet », confie-t-elle lors du lancement cet atlas.

Un sommet pour l’action sur l’IA en France en février 2025

La France organisera, les 10 et 11 février 2025, au niveau des chefs d’État et de gouvernement, un sommet pour l’action en matière d’IA qui visera à mobiliser, et à articuler entre elles, les initiatives et enceintes existantes relatives à l’IA. Ce sommet s’inscrira dans le prolongement du sommet de Bletchley Park organisé au Royaume-Uni en novembre 2023. Alors que le « Sommet sur la sécurité de l’IA » de Bletchley Park était focalisé sur les risques extrêmes liés à l’IA, le « Sommet pour l’action sur l’IA » abordera tant l’utilisation de l’IA au service du bien commun (climat, santé, éducation science), que les transformations du monde du travail et des processus d’innovation et de création, ou encore la maîtrise des risques liés à cette nouvelle technologie (désinformation, discrimination, cyberattaques, hypertrucages, etc.) et enfin sa nécessaire gouvernance mondiale.

  1. Nessi J., « L’anthropocène et les géo-communs, les nouveaux horizons de l’IGN », Horizonspublics.fr 7 déc. 2021.
  2. Cordobes S., « Bruno Latour : “Sans institutions fortes et une société civile active, impossible de relever le défi de la crise climatique !” », Horizons publics juill.-août 2018, no 4.
  3. Menu S., « Grâce à Lidar HD, l’IGN redistribue les cartes », Horizons publics nov.-déc. 2021, no 23.
  4. L. no 2021-1104, 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
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