TIE Break : les collectivités françaises veulent reprendre leur destin numérique en main

Lancement de la démarche TIE Break
L'initiative TIE Break, lancée le 9 avril 2025 par France urbaine et les Interconnectés à Station F, est une "Trajectoire d'Indépendance numérique Européenne" des collectivités et des acteurs publics. Son objectif principal est de réduire la dépendance des collectivités territoriales aux entreprises numériques non européennes, principalement américaines, dans les domaines du matériel et des logiciels informatiques. Il s'agit d'un enjeu de souveraineté numérique, d'indépendance financière, de cybersécurité et de développement économique pour les entreprises françaises et européennes.
©DR
Le 9 avril 2025

C'est à Station F, haut lieu des startups et du numérique français situé dans la halle Freyssinet à Paris, qu'a eu lieu le 9 avril 2025 le lancement officiel de la dynamique baptisée TIE Break pour «Trajectoire d’Indépendance numérique Européenne» des collectivités et des acteurs publics.

 

Fruit d'une initiative conjointe d'Interconnectés et de France urbaine, cette démarche vise à réduire la dépendance des collectivités locales aux technologies numériques non européennes, une dépendance estimée à 1,5 milliard d'euros par an. Pour l'instant, ce mouvement compte 11 territoires engagés (Nancy, Rennes, Nantes, Montpellier, Marseille, région Occitanie...). C'est un chantier colossal qui s'inscrit sur le long terme tant la domination américaine est forte.

 

Dans un contexte géopolitique où le numérique est un enjeu de pouvoir majeur et où les entreprises américaines dominent largement le marché - Amazon, Google et Microsoft détiennent par exemple près des deux tiers du marché mondial du cloud -, les élus locaux tirent la sonnette d'alarme.

"Avec 22 métropoles, 101 départements, 18 régions, 1250 Intercos, 35000 communes, nous parlons a minima de 1,5 milliards d’euros dépensés chaque année auprès d’acteurs économiques qui ne sont pas européens", a souligné Francky Trichet, le président des Interconnectés.

Il a insisté sur la nécessité d'une prise de conscience collective et d'une stratégie pour rapatrier ces 1,5 milliard d'euros. Cette dépendance n'est pas seulement financière, mais touche également à la souveraineté numérique et à la cybersécurité. Caroline Zorn, conseillère municipale de Strasbourg et Vice-Présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, a même évoqué un risque de "colonialisme numérique", rappelant que 84% des besoins numériques sont couverts par des entreprises étrangères.

Un outil d'auto-diagnostic de dépendance numérique

Face à ce constat alarmant, une mobilisation rapide des acteurs publics s'est mise en place dans le continuité du manifeste "Faire de l’IA responsable une doctrine politique partagée" dévoilé lors du dernier Forum annuel des Interconnectés de Rennes. TIE Break se veut une réponse concrète à cette urgence, avec la présentation, lors de la conférence de presse à Station F, d'un premier outil d'auto-diagnostic de dépendance numérique. Cet outil a été salué comme une initiative nécessaire par les 40 acteurs réunis, incluant des associations d'élus, des entreprises françaises, des institutions et des représentants de l'État (ANCT, Dinum). 

L’outil permet de dresser une cartographie et d’identifier les grandes catégories de solutions numériques mises en oeuvre dans les systèmes d'information des collectivités (infrastructure, poste de travail et logiciel) et d’évaluer le niveau de dépendance financière et technologique.

Outil d'auto diagnostic sur la dépendance numérique aux technologies non européennes

La ville et métropole de Montpellier a réalisé son auto-diagnostic avec l'outil présenté lors de la conférence de presse sur sa dépendance aux technologies hors européennes évalué à plus de 6 milllions d'euros de dépenses, l'occasion d'une prise de conscience sur cette question.

 

Pour Manu Raynaud, adjoint au Maire, en charge du numérique à la Ville et Métropole de Montpellier, «cet outil permet aux collectivités d'évaluer leur dépendance technologique sur des aspects clés tels que l'open source, la criticité des systèmes, les risques et la remplaçabilité des solutions».

L'objectif est de dresser une cartographie précise des points de dépendance dans les infrastructures, les postes de travail et les logiciels des collectivités. Montpellier a d'ailleurs déjà listé l'intégralité de ses services pour définir une trajectoire numérique moins dépendante de la tech américaine.

Faire du local" et du "small business act"

La démarche TIE Break ne s'arrête pas au diagnostic. Elle ambitionne de repositionner le milliard d'euros dépensé annuellement dans des solutions européennes notamment par la commande publique. L'initiative encourage à "faire du local" et à appliquer le "Small business act" dans les marchés publics pour favoriser l'émergence de jeunes entreprises françaises et européennes. Comme l'a souligné Francky Trichet, «il est crucial de mettre en place une stratégie sur la criticité et l'effet démultiplicateur sur le territoire». À Nantes, par exemple, la métropole soutient une startup qui reconditionne des téléphones portables. Ce soutien illustre l'importance d'avoir une coalition de la commande publique pour soutenir plus fortement ces initiatives locales comme la start up de Nantes.

les 11 territoires engagés dans TIE Break

Les 11 élus et territoires engagés dans la démarche TIE Break « Trajectoire d’Indépendance numérique Européenne »

Un appel solennel a été lancé aux collectivités françaises pour rejoindre cette trajectoire d'indépendance numérique. Un groupe de travail dédié a été crée sur cette thématique avec une première réunion fixée le 22 mai prochain.

L'objectif est d'enrichir l'outil de diagnostic et de proposer une bibliothèque d'alternatives fiables et efficaces pour les collectivités.

Mickaël Audegond, maire de Wailly et conseiller délégué à la Communauté urbaine d’Arras a insisté sur la nécessité d'avoir un outil proche des préoccupations des collectivités, développé en collaboration avec la Direction interministérielle du Numérique (Dinum) et l'incubateur de l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) pour favoriser l'émergence de communs numériques, dans le respect du RGPD. Bertrand Serp, vice-président transition digitale à Toulouse Métropole a rappelé que ce travail d'audit a été initié par les villes de Nantes et Montpellier et que l'application du "small business act" dans la commande publique toulousaine montre que des solutions existent. Dominique Marty, conseiller communautaire au Sicoval a confirmé la demande des petites communes de sortir des réseaux américains et d'avoir des alternatives. Delphine Jamet, adjointe au maire de Bordeaux et conseillère métropolitaine déléguée au Numérique à Bordeaux Métropole, a mis en avant l'importance de la culture et des droits numériques pour atteindre la souveraineté et a annoncé que Bordeaux Métropole et la ville de Bordeaux porteront ces sujets à l'échelle européenne via Eurocities, un réseau de grandes villes européennes. 

La démarche TIE Break culminera lors de l'événement Numérique en Commun(s) (NEC), qui se tiendra les 29 et 30 octobre 2025 à Strasbourg. Ce sera un moment clé pour faire un point sur cette nouvelle dynamique territoriale qui se veut une trajectoire à long terme. L'objectif est de mobiliser un maximum de collectivités pour construire collectivement une indépendance numérique plus souveraine et résiliente.

Dans un post publié sur réseau social LinkedIn, Francky Trichet a résumé la philosophie de cette initiative, illustrant l'ampleur du défi à venir pour les collectivités locales sur la question de la dépendance numérique aux technologies américaines.

Quand certains commentateurs pourraient affirmer que le match est plié avec un score de 2 sets à 0 pour les États-Unis, nous revendiquons avec humilité, engagement et optimisme que la remontée est possible ! L'Europe peut viser le TIE-break pour 2030 : une référence à cet esprit de reconquête d'une autonomie stratégique sur le numérique en 5 ans. Nous vivons un moment de bascule, une opportunité qu'il ne faut pas rater. Chacun dans son rôle mais tous ensemble, nous devons en pleine conscience avancer et les territoires s'engagent sur cette voie.

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