L'IAG, un simple outil bureautique ou un véritable game-changer pour les organisations publiques ?

Jeudi de l'innovation
Format d'une heure pour venir débattre des sujets d'innovation publique, les Jeudi du Lab sont animés par Sarah Busolini, chargée de mission innovation publique, à la direction Recherche et développement, à la Métropole européenne de Lille.
©DR
Le 23 mai 2025

La Métropole européenne de Lille (MEL) a consacré jeudi 22 mai 2025 la cinquième édition de ses Jeudi du Lab sur un thème en vogue : Travailler avec les IAG (Intelligence Artificielle Générative. Pierre Quesson, co-auteur avec Marie-Laure Cahier de l'ouvrage Travailler avec les IA génératives. Outil bureautique ou game-changer ? Enquête dans les métiers du conseil (Ed. Presse des Mines, en partenariat avec la Chaire FIT2 de Mines Paris - PSL) ainsi que des représentants de la région Hauts-de-France, ont discuté des usages et des effets de ces outils dans les pratiques professionnelles et les organisations publiques et privées.

L'IAG au cœur des organisations

Les intelligences artificielles génératives, telles que ChatGPT ou Copilot, s'invitent progressivement dans le quotidien des organisations et des activités professionnelles. L'étude de Pierre Quesson et Marie-Laure Cahier, intitulée « Travailler avec les IA génératives. Outil bureautique ou game-changer ? Enquête dans les métiers du conseil », bien que centrée sur les métiers du conseil, offre des clés de compréhension pertinentes sur la manière dont l'IAG s'est imposée dans le secteur du conseil, pouvant servir de miroir pour anticiper ce qui pourrait se passer dans les collectivités locales. Cet ouvrage analyse spécifiquement les usages et les premiers effets des agents conversationnels sur le travail, se demandant s'ils sont de simples outils bureautiques sophistiqués ou de véritables catalyseurs de transformation. 

L'étude, basée sur une enquête de terrain menée fin 2024 - début 2025, révèle une adoption croissante de ces outils, notamment parmi les "cols blancs" des grandes entreprises. Elle montre aussi que l'adoption individuelle précède largement les usages collectifs (phénomène de "shadow AI"), pour des usages variés : recherche et traitement d'information, production de synthèses, aide à la création de contenu (propositions commerciales, présentations), traduction, mais aussi support à la créativité, au brainstorming et à l'apprentissage en discutant avec l'agent conversationnel.

Travailler avec les IAG

Promesse de productivité, autonomie individuelle et collectif de travail

L'une des tensions mises en lumière par l'étude concerne les promesses de productivité. L'IA générative permet des gains de temps sur certaines tâches, comme la production de premiers jets de documents. Cependant, la question se pose de savoir quoi faire de ces gains de temps.

Un risque identifié est que l'IA ne serve qu'à densifier le travail, permettant de faire plus de tâches identiques plutôt que de repenser l'organisation ou d'améliorer la qualité de vie au travail, a mis en garde Pierre Quesson.

S'approprier ces outils demande également du temps et un effort de vérification, l'IA pouvant "halluciner". De plus, automatiser des tâches considérées à "faible valeur ajoutée" peut paradoxalement supprimer des moments de "souffle" nécessaires dans des métiers intenses.

L'IAG affecte aussi l'autonomie individuelle. Elle peut permettre une production de meilleure qualité plus rapidement, réduisant la nécessité de demander de l'aide à des collègues ou supérieurs. Si cela accroît l'autonomie, cela peut potentiellement nuire au collectif de travail et réduire les opportunités d'apprentissage qui passent souvent par les échanges. Un autre risque est la confusion entre l'augmentation de capacité permise par l'outil et l'acquisition réelle de compétences par l'individu. Il est donc crucial de garantir des temps d'apprentissage et d'organiser des espaces d'échanges collectifs.

Le rôle managérial et l'organisation du travail apparaissent essentiels pour maîtriser ces effets. «Le déploiement des IAG doit être guidé par une intention stratégique claire (performance, qualité de vie, innovation, etc.)», a expliqué le chercheur.  Les organisations doivent fixer des cadres, maîtriser les apprentissages et savoir quand ne pas utiliser l'IA, en s'appuyant sur des cas concrets et la preuve par l'exemple. Malgré les risques, les personnes qui s'approprient et intègrent l'IAG dans leurs pratiques sont globalement satisfaites. Les technologies ne sont pas déterministes ; leurs effets dépendent de l'usage qui en est fait et nécessitent toujours un un travail collectif.

La région Hauts-de-France entre sensibilisation et expérimentation de l'IA

La Région Hauts-de-France a partagé son retour d'expérience lors de l'événement. Un comité de pilotage sur l'IA a été mis en place, donnant lieu à des actions de sensibilisation pour les agents. Un parcours lors du mois de l'innovation publique a attiré un grand nombre de participants, montrant une appétence pour découvrir l'IA. Cette dynamique a mené à l'organisation de Cafés IA, qui ont rencontré un vif succès.

Un enjeu majeur identifié est le "Shadow IA", car les agents utilisent déjà des outils grand public sans cadre précis, se demandant quels usages sont autorisés, notamment concernant les données sensibles. Des exemples de Shadow IA à la Région incluent la rédaction de délibérations ou de notes. « La DRH s'est emparée du sujet pour étudier l'impact de l'IA sur les métiers et dialogue avec les organisations syndicales», a rappelé David Tabary, l'expert data & IA à la région Hauts-de-France. Un plan d'action interne pour 2025 prévoit des expérimentations avec l'IA. David Tabary a notamment présenté une expérimentation visant à utiliser l'IAG pour produire des fiches d'aide simplifiées ("facile à lire à comprendre") pour le guide des aides régionales. L'objectif est de rendre l'information plus accessible au public. La rédaction de fiches d'aide simplifiées, jusqu'à présent chronophage pour les équipes, a pu être relancée grâce à l'IAG. L'expérimentation a montré qu'en deux heures, cinq fiches pouvaient être revues et améliorées, et a stimulé une réflexion sur la qualité de la rédaction des règlements d'intervention. Cette démarche met en lumière la force de l'outil pour stimuler la réflexion intellectuelle, même s'il est nécessaire de garder un esprit critique sur les livrables de l'IAG. 

Au-delà des usages internes, la Région Hauts-de-France, via sa mission transition numérique, accompagne aussi les collectivités territoriales dans l'appropriation de l'IA. Un appel à manifestation d'intérêt (AMI) lancé en décembre 2024 dans le domaine de l’IA pour les services d’intérêt général. a rencontré un succès inattendu, avec plus de 50 réponses.

Les collectivités locales ont besoin de bacs à sable

Les collectivités expriment un besoin d'acculturation et surtout la mise en place de bacs à sable internes.

Conscientes de la sensibilité des données (état civil, dossiers médicaux), elles cherchent des environnements sécurisés et souverains pour permettre aux agents de tester l'IA sans risque, a confié Alexandre Triboulet, responsable de projet fonds européens chez Région Hauts-de-France.

Plusieurs collectivités mettent en place des Large Language Model (LLM) internes sur leurs propres serveurs, offrant un "ChatGPT interne" pour une expérimentation sûre. L'exemple de la ville de Béthune a montré comment l'implémentation de chatbots internes, entraînés sur la documentation métier, peut non seulement faciliter l'accès à l'information mais aussi révéler des problèmes de qualité de la donnée. 

Enfin, l'IA générative n'est que la partie visible de l'iceberg. Les collectivités s'intéressent de plus en plus à l'IA prédictive et à l'aide à la décision pour optimiser leurs politiques publiques, dans des domaines variés comme la gestion des déchets, la voirie, ou même la détection précoce des feux de forêt pour les pompiers.

Ce Jeudi du Lab a montré que l'IA et plus particulièrement l'IAG, nécessite une approche structurée, centrée sur la sensibilisation, la formation, la création d'environnements sécurisés pour l'expérimentation, et surtout une réflexion collective sur l'évolution du travail et l'importance du facteur humain et des échanges dans cette transformation numérique.

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