Comment mobiliser un territoire autour du zero waste

Carte d’un territoire zero waste.
©Crédit : SMICVAL.
Le 12 octobre 2023

Le modèle de gestion des déchets en France est à bout de souffle. Un service public qui se retrouve aujourd’hui face à un triple défi : économique, environnemental et social. Le syndicat intercommunal de collecte et de valorisation des déchets du libournais (SMICVAL) a fait le choix d’engager une transformation profonde et systémique pour aller vers un nouveau service public zero waste et accompagner ses habitant·es au changement de comportement. Récit d’une transformation pionnière.

« Les couches lavables ? Avec les collègues, on est prêts ! On se pose plein de questions, mais la motivation est là » ; « Je me sens à la fois dubitative et curieuse, j’attends de voir » ; « Moi je rêve d’une couche lavable fabriquée localement, avec une entreprise d’insertion », etc. Dans la salle conviviale de l’espace de vie sociale de Saint-André-de-Cubzac (33), le SMICVAL a réuni professionnels de la petite enfance, parents et agents pour imaginer le service public de couches lavables de demain. Une douzaine de personnes ce soir-là qui jouent le jeu de l’intelligence collective à renfort de Post-it et exercices ludiques pour se projeter dans un futur pas si lointain, à horizon 2025. Le syndicat mixte de collecte et traitement des déchets couvre le territoire de Haute-Gironde et du Libournais : 138 communes réparties sur 9 communautés de communes, soit 210 000 habitants. Et ces ateliers de co-construction sont devenus son ADN, un mode opératoire garant de la mobilisation des habitants et acteurs du territoire autour d’un projet : basculer dans une dynamique zero waste (zéro déchet et zéro gaspillage). Retour de la consigne, développement d’une offre de vrac accessible financièrement, soutien à l’émergence d’acteurs du réemploi et de la réparation, projet d’une ressourcerie mobile, formations à l’éco-jardinage dans des jardins partagés partenaires, aides à l’achat de broyeurs, poulaillers et autres kits mulching : « La philosophie de ce projet c’est d’offrir une palette de nouveaux services à nos habitant·es pour leur permettre de faire évoluer leurs habitudes et surtout de leur laisser le choix en fonction de leurs contraintes et de leurs modes de vie », détaille Élise Molinier, directrice générale adjointe du SMICVAL. Pour in fine réduire les déchets à la source !

Une vision positive du changement

Ici, pas d’écologie punitive ou d’injonction, mais une vision positive, ludique et créative du changement, qui va permettre de redonner du pouvoir d’agir aux habitant·es, de faire évoluer les métiers des agents du SMICVAL et de créer des emplois non délocalisables sur le territoire. Le projet politique, voté en 2019 par les élu·es du syndicat, trouve ses racines dans un constat difficile : le modèle de gestion des déchets en France est à bout de souffle. Avec l’explosion des coûts de traitement, la hausse vertigineuse de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), « nous sommes face à un mur économique, environnemental et social, résume le président du SMICVAL, Sylvain Guinaudie. Le métier de ripeur est l’un des plus accidentogènes. C’est une réalité du métier qu’on ne peut plus cacher ». Poussé par la réglementation, le monde des déchets n’a pas d’autre choix que de se réinventer et refermer le chapitre de plus d’un siècle d’hygiénisme, au cours desquels les déchets ont été progressivement invisibilisés de nos vies. Au point de nous déresponsabiliser collectivement.

« La philosophie de ce projet c’est d’offrir une palette de nouveaux services à nos habitant·es pour leur permettre de faire évoluer leurs habitudes et surtout de leur laisser le choix en fonction de leurs contraintes et de leurs modes de vie », détaille Élise Molinier, directrice générale adjointe du SMICVAL.

« Cette photo que vous voyez là, ce n’est pas le tiers-monde, c’est sur notre territoire », poursuit Sylvain Guinaudie. Sur l’écran, une montagne de déchets prise sur le site d’enfouissement de Lapouyade, géré par l’entreprise Véolia sur le territoire du SMICVAL. Une zone qui fait la superficie de 77 terrains de foot, sur 20 mètres de profondeur, remplie d’ordures ménagères, de plastiques non recyclables, de restes de chantiers, etc. Des millions de mètres cubes enfouis, laissés en héritage aux générations futures.

Une déchetterie pensée comme un nudge comportemental

« Dès 2015, on se dit que le système ne fonctionne plus, raconte Nicolas Sénéchau, directeur général des services du syndicat. On calcule le temps moyen passé par un ambassadeur du tri chez chaque habitant. Avec dix ambassadeurs pour 90 000 foyers, cela fait environ trente minutes par foyer tous les cinq ans. Autant dire du bricolage. Si on veut faire évoluer les comportements avec cette approche, on y sera encore dans vingt ans. » À la même époque, le SMICVAL doit rénover une de ses déchetteries devenue vétuste et engage une réflexion en interne sur le modèle de demain avec un groupe pluridisciplinaire. Le fil rouge de ce travail : comment responsabiliser les usager·ères pour réduire leurs déchets en favorisant le réemploi. La réflexion aboutit à la création du premier SMICVAL Market, un « supermarché inversé », qui reprend les codes de la consommation classique ancrés dans les pratiques des habitant·es pour proposer un espace dans lequel ils peuvent venir déposer des objets et des matériaux, ainsi qu’en reprendre gratuitement : « Le SMICVAL Market prend le contrepied d’une déchetterie classique en proposant un site propre et à l’esthétique travaillée, détaille Charlotte Bousquié, cheffe de projet du SMICVAL Market du libournais, designer de formation. L’agencement des lieux a ainsi été pensé comme un nudge comportemental : il est organisé pour que, par défaut, les usager·ères déposent leurs objets et matériaux en suivant un parcours qui montre le champ des possibles en termes de réemploi puis de recyclage. En dernier recours, il y a l’ultime, le non-valorisable à travers le déchet qui part à l’enfouissement. » Dès son ouverture en 2017, le SMICVAL Market connaît un franc succès avec une baisse significative des tonnages enfouis (-60 %) et un site plus apaisé avec des usager·ères qui prennent le temps et viennent parfois en famille.

Carte d’un territoire zero waste.

En parallèle, de ces prémisses de l’approche comportementale au SMICVAL, les élu·es participent à une série de voyages apprenants dans des villes zero waste d’Europe, parmi lesquelles Ljublana, en Slovénie, première capitale zero waste d’Europe, Cappanori en Italie et Roubaix : « Avec les élu·es, on comprend qu’il y a un mouvement citoyen mondial autour du zero waste et nous nous posons la question de son adaptation à une politique publique française, raconte Nicolas Sénéchau. Finalement, notre plus grande difficulté, c’est que notre territoire n’a pas connu de crise. » La formule peut faire sourire, mais elle est une clé de compréhension des enjeux de mobilisation. Les meilleurs exemples de transformation en matière de gestion des déchets dans le monde se sont construits sur des crises. Le succès de Cappanori est né d’une lutte citoyenne contre la construction d’un nouvel incinérateur, autour d’un instituteur devenu célèbre, Rossano Ercolini. C’est aussi le cas de Parme ou de Besançon qui avait un four obsolète dans son incinérateur. Au lieu d’engager de lourds investissements pour le rénover, les élu·es décident d’engager une politique volontariste de réduction des déchets. Ces rencontres avec les acteurs du zero waste au niveau mondial sont complétées par une série de 7 ateliers thématiques avec les élu·es, qui coïncident avec la publication de plusieurs rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) : « Les élu·es ont progressivement dessiné une trajectoire politique vers le zero waste et votent en 2019 la stratégie IMPACT qui prévoit la mise en place d’une tarification incitative, l’accompagnement au changement de comportement des habitants et la création de nouveaux services », poursuit Nicolas Sénéchau.

De nouvelles méthodes de travail

La stratégie IMPACT donne le cap politique, l’administration se charge ensuite de sa traduction opérationnelle en faisant appel à de nouvelles méthodes de travail. Le SMICVAL recrute des experts, engage une transformation managériale pour laisser plus d’autonomie à ses agents, s’ouvre à d’autres disciplines, au design, déjà présent en interne, mais aussi aux sciences sociales et comportementales. Objectif : sortir d’une vision purement technique des déchets pour aller vers une approche comportementale. « De nombreuses politiques publiques se sont contentées de sensibiliser, expliquer, éduquer à des comportements vertueux, détaille Stéphanie Couvreur, influenceuse zero waste au SMICVAL, en charge de définir en 2019 une stratégie de mobilisation du territoire. Ces discours descendants ont montré leurs limites, les injonctions ne fonctionnent pas. Ces modes d’action proposent souvent des “solutions” ou modalités d’intervention sans réellement s’être posées les questions des usages dont découlent les comportements des individus. »

L’approche comportementale permet ainsi de poser quelques grands principes qui guident aujourd’hui l’action des services du SMICVAL. Comprendre pourquoi il faut changer ne suffit pas à enclencher le processus de changement de comportement. Ce dernier est bien plus complexe. Le changement est d’abord progressif et chaque petit pas doit être soutenu pour en déclencher de plus grands. Il s’inscrit aussi dans un contexte sociétal et faire évoluer la norme sociale est un puissant levier (« j’agis sous l’influence de mon entourage proche »). Enfin, ai-je les moyens matériels de changer ? Existe-t-il une solution de vrac près de chez moi ? Ma crèche accepte-t-elle les couches lavables ? Ai-je les moyens financiers pour acheter un broyeur de végétaux ?

Agir sur l’environnement direct des habitants et créer les conditions favorables au changement sont des ingrédients indispensables. Le SMICVAL développe alors une méthode de travail de recherche-action. Quatre flux de déchets prioritaires sont identifiés par les élu·es : la matière organique, le plastique à usage unique, les textiles sanitaires (couches bébés et adultes, protections périodiques, mouchoirs, essuie-tout, etc.) et le tout-venant (déchets enfouis issus des déchetteries) en lien avec le développement du réemploi et de la réparation. Pour chacun des flux, des enquêtes de terrain sont menées auprès des habitant·es avec l’aide de chercheurs en sciences comportementales pour comprendre les freins et les leviers aux changements d’habitudes. Des informations précieuses qui permettent ensuite d’identifier, dans le cadre d’ateliers de co-construction, des actions prioritaires à mettre en œuvre. Au fil de ces ateliers, la coopération avec les supermarchés du territoire, les commerçants, les recycleries, les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS), les associations et les professionnels de la petite enfance ou encore les autres collectivités est un impératif. Le syndicat seul ne peut pas embarquer tout un territoire dans la démarche zero waste. La mobilisation de tous les acteurs est nécessaire pour réussir.

Des ressources à essaimer

Le SMICVAL réalise tout un travail de documentation et de valorisation de ses travaux et expérimentations qui ont reçu ces dernières années des financements de l’Agence de la transition écologique (ADEME), de la région Nouvelle-Aquitaine et de France relance dans le cadre d’un appel à défis porté par direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Le service de la fabrique zero waste se tient au service d’autres collectivités pour partager ces ressources.

Pour compléter cette approche, le SMICVAL lance en 2021 une expérimentation avec l’association Démocratie ouverte pour travailler avec un panel citoyen sur la question de la mobilisation du territoire. Plusieurs équipes citoyennes sont ainsi constituées et passent à l’action avec l’organisation de Plastic attacks dans des supermarchés pour sensibiliser à la surconsommation de plastique et de « fêtes de la gratuité » pour favoriser le don et le réemploi. Des expériences positives, valorisantes, fédératrices qui tracent les lignes du récit collectif d’un territoire en mouvement… vers le zero waste.

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