Revue

Dossier

Encourager l’initiative redirectionniste à travers les ancrages de l’économie sociale et solidaire

Le 8 septembre 2021

Il est question de mettre en jeu une économie de la fonctionnalité basée sur l’humain, ce par une redirection privilégiant le service à l’objet.

Innovation, invention et viabilité sur les territoires

La neutralité des dispositifs techniques place la technique hors de la culture. Or, comme le défendait Gilbert Simondon1 avec obstination, l’opérationnalité technique n’est pas neutre, elle est significative et met en jeu des valeurs par la manière dont elle s’inscrit dans des conditions toujours particulières qui sont celles d’un territoire. C’est la conséquence des œuvres et mises en œuvre techniques dans les milieux associés qui sont aujourd’hui rendues manifestes. Nous sommes témoins – et pouvons l’être davantage encore – des bouleversements physiques et biologiques des territoires où s’exercent nos activités. Nous en sommes de fait responsables par le fait que nous y soyons engagés – le plus souvent malgré nous. À l’heure où des stabilités géographiques et sociales sont visiblement remises en cause, la première démarche est de favoriser la dynamique économique à mesure des besoins émergents. Il est question de mettre en jeu une économie de la fonctionnalité basée sur l’humain, et ce, par une redirection privilégiant le service sur l’objet.

Inciter à l’ancrage dans la redirection

Il s’agit par conséquent, ici en tant qu’institution de l’économie sociale et solidaire en Nouvelle-Aquitaine, de se placer en appui à l’initiative qui viendra des acteurs eux-mêmes. Nous concevons un répertoire de fiches thématiques génériques (« Agriculture et alimentation », « Bâtiment et industrie », « Mobilité et transports », « Faire ensemble », « Ressources et communs », « Autonomie et solidarité », « Financements stratégies ») et transversales (« Énergie et numérique ») permettant de situer les enjeux des communs, de sensibiliser aux points critiques qui découlent des développements de l’économie conventionnelle. Nous établissons en complément une recension d’outils d’analyse et de réflexion aidant au diagnostic et à l’anticipation. Ceux-ci sont à plus fortes raisons destinés à favoriser de nouveaux possibles dans la prise en charge des parts d’existence laissées béantes à l’échelle des territoires humains et non humains par la prévalence d’activités de l’économie classique. Ces activités sont généralement guidées par l’ambition de créer du besoin et de favoriser l’addiction aux produits mis sur le marché. Au contraire, il s’agit de permettre l’appréciation de la part invisible de ces activités ordinaires à l’échelle « glocale » : locale tout autant que globale. C’est également dans ce cadre de prise de conscience individuelle, partagée et au mieux partageable que nous proposons la documentation des Domaines d’activités stratégiques qui permettent d’anticiper les conséquences positives et négatives des stratégies choisies dans la définition et le développement des offres.

S’affranchir des évidences de la doctrine économique, la viabilité territoriale en premier cap

L’activité visée par un porteur de projet, et concrètement soutenue par une organisation engagée dans l’échange suit un tronc commun héritant de la discipline économique. Une inscription juste dans l’économie circulaire suppose de penser d’une façon différente les notions de rentabilité et de viabilité. Viabilité économique au sens conventionnel, et viabilité territoriale peuvent aisément s’opposer. C’est ainsi que deux autres séries de fiches viendront épauler une meilleure compréhension des projets et activités en exercice, l’une présentant des outils de diagnostic et d’anticipation, l’autre étant appliquée au domaines d’activités spécifiques permettant d’orienter de manières diverses une même proposition. La première orientation tient à favoriser le service au détriment de l’objet.

L’imagination des humains n’est pas laissée en reste. C’est bien d’une mise en capacité de tout un chacun à cerner à l’échelle de son territoire les dimensions d’aide, de réparation ou de soin qui sont à l’ordre du jour. L’« encapacitation » est le maître mot de ces nouvelles dispositions de réorientation.

À titre d’exemple concret, j’esquisserai les contenus des fiches « Agriculture et alimentation ». Il s’agit ici de suivre la méthode des sept chapeaux : le chapeau blanc donne un état des lieux attesté des produits de l’économie classique, tandis que le chapeau rouge appelle à une réparation par le moyen d’une économie circulaire qui assume pleinement le placement réfléchi de ces « externalités », afin de répondre aux enjeux de transformation (chapeau noir) par les nouvelles visées (chapeau vert), démarche située à l’appui de références emblématiques (chapeau jaune). Ainsi, s’affranchir la logique de l’exploitation agricole qui ne cesse de suivre de plus en plus la logique des enclosures, permet d’assurer une confiance en une alimentation plus savoureuse, riche en nutriments et digeste à l’appui de la proximité et de la transparence de la chaîne alimentaire concernée. Ceci répond à un engagement du producteur autant que de ceux qui transformeront ses ingrédients, jusqu’à un plus grand bien être à ceux qui pourront en savourer les mets.

L’économie sociale et solidaire (ESS), un modèle ? Du retour de « l’économie financière » vers l’économie réelle

On doit à une philosophe (Marie-José Mondzain) la discussion des sources de l’activité économique attachée aux icônes. L’image appelle l’attente, puis sa réponse par la matérialité d’un élément physique – un objet. Cette forme de séduction demeure une recette déterminante attachée au succès d’une offre. À l’inverse, là où cette recette n’est plus de mise, quand prévaut la régénérescence des territoires, l’économie sociale et solidaire (ESS) devient la clef de l’intelligence des réciprocités, au plus près de l’émergence des besoins. Là paraît prendre corps un sens plus authentique de l’économie : un échange de et par ce qui fait sens.

L’économie se fonde sur un imaginaire dont le partage fonde la confiance réciproque. C’est la confiance qui est la condition de la monnaie, la condition de l’échange. L’atterrissage sur ce qui se reproduit, au contraire de ce qui se produit et s’extrait, est avant tout une ouverture des esprits, des mains, des organismes, des groupes sociaux à dessiner, à éprouver et à faire par eux-mêmes.

  1. Simondon G., Du mode d’existence des objets techniques, 1958, Éditions Aubier-Montaigne.
×

A lire aussi