Le Muséum national d'Histoire naturelle recherche une collectivité pour héberger une partie de ses collections

Museum national d'histoire naturelle
©MNHN - M Carton
Le 25 janvier 2022

Face à la saturation de ses espaces de stockage, le Muséum national d'Histoire naturelle recherche un nouveau site, à moins de deux heures de Paris en transports en commun, pour transférer une partie de ses collections aujourd'hui à l'étroit. L'établissement public a lancé le 14 janvier 2022 un appel à manifestation d'intérêt à destination des collectivités locales pour choisir et construire le futur site d'accueil des collections et des activités concernées. Budget estimatif de l'opération (hors foncier) : entre 70 à 90 M€ HT et date limite de clôture : vendredi 22 avril 2022.

 

Ce nouveau Centre de conservation et de recherche sur les collections du Muséum, dont le chantier ne débutera qu'à l'horizon 2027, fait partie des nombreux projets de transformation du Muséum, l'une de nos plus vieilles institutions françaises qui possède un véritable trésor patrimonial et scientifique (67 millions de spécimens – animaux, végétaux, minéraux - et plus de 2 millions de documents dans les bibliothèques).

 

Impact de la crise sanitaire sur ses activités, plan de formation et de numérisation en interne, exploration de nouveaux formats (immersif, réalité augmentée, podcast, manifestes...) pour diffuser la connaissance scientifique, transfert des collections , engagement dans des programmes de sciences participatives pour impliquer le plus grand nombre dans l'observation du vivant... Le Muséum national d'Histoire naturelle, qui se consacre depuis près de 400 ans à la diversité biologique, géologique et culturelle et aux relations entre l'Homme et la nature, entend faire entendre sa voix sur les défis de l'anthropocène tout en poursuivant la modernisation de ses missions.

 

Entretien avec Bruno David, l'actuel président du Muséum national d'Histoire naturelle, à l'occasion du lancement de cet appel à manifestation d'intérêt.

 

 

 

Bruno David est Président du Muséum national d'Histoire naturelle depuis le 1er septembre 2015. Il a notamment publié en janvier 2021 "À l’aube de la 6e extinction – Comment habiter la terre ?" (Ed. Grasset), un plaidoyer pour le vivant sous toutes ses formes et un guide pratique, à hauteur d’homme, pour éviter le naufrage.

Avez-vous fait évoluer les missions du Muséum depuis le début de la crise sanitaire ?

Il n’y a pas eu d’évolution de « rupture » des missions de notre établissement. Nous sommes déjà engagés depuis longtemps dans la préservation de la biodiversité. Avant même l’irruption de la crise sanitaire, nous défendions le concept « One Health » : Une planète, une santé » pour rappeler que santé humaine, santé animale et santé des écosystèmes sont étroitement liées. Nous avons publié en avril 2020 une tribune avec d’autres signataires dans Le Monde pour rappeler que « La pandémie de Covid-19 est étroitement liée à la question de l’environnement ». Ce ne sont pas des questions nouvelles pour nous, le Muséum est investi sur ces sujets de fond.

Notre rôle est d’être dans l’anticipation, nos expositions temporaires se préparent par exemple trois ans à l’avance.

La pandémie a aussi accéléré la diffusion des connaissances à distance à laquelle nous répondons avec le développement de nouveaux formats (Pour que nature vive, le podcast du Muséum pour comprendre la nature et notre planète ; Bestioles, le podcast pour enfants sur le monde animal), des visites virtuelles, en immersion ou en réalité augmentée (« L'Odyssée sensorielle », à la Grande Galerie de l'Évolution ; « Revivre, les animaux en réalité augmentée », à la Grande Galerie de l'Évolution ou encore « Aux Frontières de l'Humain », au Musée de l'Homme).

Quelles sont les actions que vous menez pour faire face aux défis de l’anthropocène ?

Cela fait des années que nous traitons de l’anthropocène. Notre mission s’inscrit dans le prolongement d’Avant que nature meure de Jean Dorst publié en 1965, l'un des premiers ouvrages à traiter directement de la menace des activités humaines sur la nature. Nous sommes aussi précurseurs des sciences participatives en France, avec des programmes comme le Suivi Temporel des Oiseaux Communs (STOC) ou Vigie-Nature, par exemple, qui permettent de suivre et de documenter le déclin de la biodiversité ordinaire grâce à des observateurs bénévoles. Nous avons aussi des programmes de recherche comme évoqué précédemment « One Health » ou encore « Bioinspire-Muséum » qui promeut la bioinspiration dans les activités humaines – le fait de s’inspirer de la nature pour trouver des solutions. Les enjeux de transitions, de résilience ou de réparation se retrouvent aussi dans nos nombreux programmes de recherche.

Vous avez lancé en 2017 une nouvelle collection de petites ouvrages plus engagés, « les Manifestes du Muséum », dont le cinquième opus sur l’Histoire naturelle de la violence vient de sortir (2021), après Quel futur sans nature ? (2017), Migrations (2018), Humains et autres animaux (2019) et Face aux limites (2020). Ces manifestes ont-ils vocation à affirmer un positionnement plus engagé et plus citoyen de votre établissement public ?

La diffusion de la connaissance scientifique et des savoirs à destination de tous les publics fait partie de notre mission. L’engagement du Muséum dans les problèmes contemporains de préservation de la biodiversité est au cœur de mon projet. Face à la crise de confiance dans la science, le Muséum peut pleinement contribuer à apporter son éclairage scientifique sur le vivant, la biodiversité ou encore les relations entre l’Homme et la nature. Les manifestes sont des outils parmi d’autres que l’on peut déployer pour diffuser cette connaissance scientifique. Ce sont des clefs de compréhension qui réinterrogent nos sociétés à partir de l’Histoire naturelle : Quel serait le futur sans la nature ? À quoi sert l’Histoire naturelle au XXIème siècle ? Nous publions un manifeste par an, le dernier porte sur l’Histoire naturelle de la violence. Ce manifeste tente de comprendre d’où vient la violence, mais nullement de la juger.

Vous misez aussi sur les sciences participatives pour associer davantage les citoyens dans la production de connaissances scientifiques. Quels sont vos nouveaux chantiers en matière de sciences participatives ?

Nous avons souhaité lancer en 2021 un nouveau programme de sciences participatives sur la manière dont nos sociétés vivent l’anthropocène, en partenariat avec le Muséum de Berlin. L’objectif est de construire une mémoire collective de nos relations à la nature, en s’appuyant sur les expériences de nature passées des participants. Ce programme intitulé « Histoires de nature » vise à interroger notre représentation des changements environnementaux. Les citoyens français et allemands sont invités à partager, décrire et commenter différents types d’archives, publiques ou issues de leurs souvenirs personnels, qui les interpellent et témoignent de la biodiversité passée. Par exemple, certains livres pour enfants datant de la fin des années 60 peuvent évoquer la chasse à la glu pour piéger les oiseaux, pratique courante dans le monde rural mais aujourd’hui controversée. Avec ce programme de sciences participatives, l’idée est de retrouver et rassembler des cartes postales, des photos de famille ou des objets qui sont autant de témoignages de l’impact des activités humaines sur l’environnement et le vivant.

Nous avons souhaité aussi, en partenariat avec Sorbonne Université, proposer une boîte à outil, qui permette à une collectivité, un regroupement, une association de lancer un programme de sciences participatives. Son nom : « MoSaic ». Son rôle ? Accompagner, de l’incubation de projet à la conception de sites, les porteurs de projet désireux d’embarquer habitants, usagers ou encore collaborateurs dans la production de données partagées. Nous animons ainsi six nouveaux sites de sciences participatives : Plages vivantes, Birdlab, Vigie-terre, Zéro-déchet-sauvage, Mission Hérisson ainsi que le portail Particip-Arc. D’autres projets se mettent en place dans des domaines variés : agroécosystème, démocratie participative, transition environnementale… Nous allons un cran plus loin avec cette initiative. Ce sont 100 000 personnes par an qui contribuent à des programmes de sciences participatives à l’échelle de la France. Nous avons encore une marge de progression.

Et sur le plan interne ? Les métiers évoluent-ils au sein du Muséum d’Histoire naturelle avec la numérisation à marche forcée que nous connaissons ? Avez-vous lancé un vaste plan de formation pour préparer votre personnel aux métiers de demain ?

Le numérique est une tendance lourde, notre plan de formation prévoit d’accompagner nos différents métiers vers l’usage des technologies numériques. À titre d’exemple, nous avons déjà numérisé plus de 6 millions de planches d’herbiers dans le cadre de la rénovation de l’Herbier national du Muséum. Certains métiers restent les mêmes comme les jardiniers, les vétérinaires, les soigneurs… D’autres sont plus impactés par le numérique.

Les évolutions les plus importantes concernent les métiers de la recherche, avec les nouvelles technologies de séquençage, la génétique environnementale (chercher la diversité génétique d’un écosystème), une vraie évolution de « faire la science » se dessine avec le numérique.

Les technologies numériques nous permettent aussi de proposer de nouvelles expériences à nos visiteurs en jouant plus sur le registre de l’émotion. « L’Odyssée sensorielle » explore un format et une scénarisation nouvelle, une immersion en images, en sons et avec odeurs… Notre pari est de plonger le visiteur dans une succession d’émotions et d’introspections. Autant d’expérience qui s’inscrive dans notre mission « émerveiller pour instruire ».

Vous venez de lancer le 14 janvier dernier un appel à manifestation d’intérêt auprès des collectivités pour construire une nouvelle infrastructure à l’horizon 2027 afin de transférer une partie des collections. En quoi ce grand chantier va-t-il contribuer à transformer votre établissement ?

Collection du Muséum national d’Histoire naturelle.

Boîtes et cartels – crustacés secs. Collection du Muséum national d’Histoire naturelle.

Nous partons d’une nécessité, nos collections étouffent dans Paris, il faut anticiper, nous avons déjà un hangar de stockage dans le sud de la région parisienne pour des collections peu utilisées, nous envisageons de déplacer des ensembles cohérents de collections, avec des outils de curation, d’analyse, il faut que ces collections restent vivantes. Parmi les critères retenus figurent les surfaces de terrain et de stockage, la distance géographique (faire l’aller-retour dans la journée, le site devra se trouver idéalement à moins de deux heures de Paris en transports en commun) ou encore la présence d’équipes scientifiques sur place.

Nous allons mettre 4 ou 5 sites en concurrence, le choix du site définitif se fera fin 2022 - début 2023. On ne va pas faire un Muséum bis, les galeries du Muséum restent à Paris.

L'AMI sur la création d'un Centre de conservation et de recherche sur les collections du Muséum d'Histoire naturelle hors du Jardin des Plantes de Paris

Éléments du programme général (estimations)

• Surface minimale de l’emprise terrain : entre 20 000 à 25 000 m²
• Surface utile minimale du /des bâtiment(s) : environ 17 000 m² avec une réserve capacitaire supplémentaire de 5 000 m²
• Hauteurs et gabarits des constructions : 15 mètres hors tout maximum
• Espace de stockage extérieur (pour containers en transit) : 600 à 1000 m2
• Principales collections du Muséum concernées : collections conservées en fluide (invertébrés marins, vertébrés, ressources biologiques et cellulaires…), collections naturalistes sèches et collections documentaires associées, autres collections (séries, grands formats…) ...
• Volume des collections en fluide : environ 700 m3 (alcool, formol)
• Nature de l’activité : établissement recevant des travailleurs (ERT) : conservation des collections, accès pour la recherche et la production de données scientifiques et volet optionnel établissement recevant du public (ERP), si des activités de valorisation et diffusion culturelle ou pédagogique sont définies avec le futur partenaire. Le site comprendra des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) au titre de la rubrique 4331
• Effectif total du site : environ 35 ETP (avec une capacité d’accueil ponctuelle d’une centaine de personnes selon les activités retenues pour le site)
• Distance du Muséum au terrain à construire / site à réaménager : idéalement 2 h au plus du centre de Paris

Budget estimatif de l’opération : l’estimation du coût du projet hors foncier est de 70 à 90 M€ HT (valeur 2022).

Un projet fort en partenariat avec les territoires

 

Ce projet n’est possible qu’avec un partenaire engagé à tous les niveaux et dès le début de la réflexion. Ensemble, ils envisageront de nombreuses opportunités et bénéfices pour l’institution comme pour les collectivités : 
 

  • Créer des opportunités de développement économique : création d’un bassin d’emploi local lié à cette infrastructure, à la fois avec l’embauche de personnels et dans le développement des services associés (hôtellerie, restauration, etc.). Dans un second temps, le territoire bénéficiera plus largement de l’attractivité du Muséum (+ de 3,2 millions de visiteurs / an en moyenne).
     
  • Établir des synergies pour encourager l’innovation scientifique et l’attractivité scientifique du territoire : le Muséum accueille chaque année plusieurs centaines de chercheurs français et étrangers pour travailler sur ses collections. Aussi, le développement de l’activité de recherche scientifique sur le territoire constituera un volet important du projet.
     
  • Développer l’enseignement, le rayonnement culturel et l’innovation technologique sur le territoire : fort de sa mission d’enseignement, le Muséum et la collectivité pourront proposer un ensemble d’actions pédagogiques (conférences, événements autour de la science et des sciences participatives, par exemple) et développer des partenariats avec les universités et les musées implantés sur le territoire, participant ainsi à la diffusion des connaissances sur le territoire à des fins pédagogiques et culturelles.
     
  • Faire bénéficier le territoire de l’impact positif de la « marque Muséum » et des services offerts autour des collections du Muséum : les collections naturalistes du Muséum étant des collections de référence pour étudier et mieux comprendre la géo-diversité et la biodiversité (plus de 800 000 types c’est-à-dire des spécimens de référence), le territoire bénéficiera du rayonnement de l’institution, de sa notoriété, son expertise et son engagement dans l’un des défis majeurs du siècle qui est de comprendre les enjeux du vivant et de la planète.  

Planning prévisionnel

Vendredi 14 janvier 2022 : lancement de l’Appel à Manifestation d’Intérêt - AMI
Vendredi 22 avril 2022 à midi : date limite de réception des dossiers de candidature
Mai-juin 2022 : dépouillement des dossiers et présélection
Juillet-décembre 2022 : dialogue avec les collectivités présélectionnées, visites de sites
Fin 2022-début 2023 : choix du partenaire et du site
2023-2027 : définition du programme et démarches préalables à la construction
À partir de 2027 : lancement de la construction du nouvel équipement

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