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Le bien-être, un nouvel indicateur à prendre en compte pour la transition écologique ?

La boussole du bien-être
Le 5 mai 2025

La ville de Lyon a lancé en 2023 une démarche expérimentale et participative visant à co-construire avec les Lyonnaises et les Lyonnais un outil permettant d’orienter les politiques municipales vers plus de bien-être pour les habitants : « Boussole du bien-être ». Quel bilan peut-on tirer de cette expérimentation, élargie en 2024 à la dimension du « vivre ensemble » ? Entretien avec Chloé Vidal, adjointe au maire de Lyon, en charge de la démocratie locale et redevabilité-évaluation et prospective, ainsi que des universités, recherche et coopérations.

Commission consultative des services publics locaux, conseil de quartier, conseil citoyens, conseil des aînés, conseil de développement durable, etc., les instances de dialogue citoyen se sont multipliées en France depuis une vingtaine d’années ! Dans ce paysage foisonnant, voici que Lyon invente la Boussole du bien-être : de quoi s’agit-il ?

Nous avons rencontré Bruno Latour qui cherchait un terrain d’expérimentation pour mettre en œuvre les idées qu’il avait présentées dans son ouvrage Où atterrir ? Comment s’orienter en politique1, alors que, de notre côté nous nourrissions l’ambition de renouveler nos pratiques de démocratie locale selon des logiques de coopération et de réciprocité avec l’ensemble des acteurs du territoire, tout en faisant de la redevabilité un principe directeur de l’action municipale.

Nous sommes à la fin d’un cycle et, comme l’avance Pierre Rosanvallon, la démocratie ne consiste pas seulement à choisir les élus, à accorder un « permis de gouverner », mais aussi à délibérer, surveiller et rendre des comptes. Nous promouvons une démocratie continue, plus impliquante et plus inclusive. Il convient donc de trouver comment les citoyens peuvent participer à l’exercice du pouvoir, en l’occurrence à la fabrication et au suivi des politiques publiques de la ville, dans le cadre d’une démocratie délibérative conçue comme un laboratoire dont on doit en permanence enrichir et élargir les pratiques. Or, à propos du foisonnement que vous évoquez, j’observe que beaucoup de dispositifs relevant de l’offre institutionnelle de participation ont pu générer de la frustration, et, par là même, nourrir le phénomène de défiance, notamment parce qu’ils ne finissaient par toucher qu’une petite partie de la population et/ou que les contributions des citoyens n’étaient pas suivies de retour. Conscients de ces écueils, notre volonté d’expérimentation s’est concrétisée avec le lancement en mai 2023 du processus Où atterrir ?, accompagné par notre partenaire S-Composition, qui a duré dix mois et sur la base duquel nous avons initié, courant 2023, la démarche de co-construction de la Boussole du bien-être.

La Boussole du bien-être se développe donc tout à la fois comme un instrument démocratique, un instrument de pilotage budgétaire et un instrument de redevabilité. Peut-être en ferons-nous un jour un instrument d’urbanisme ?

Quel était l’objectif de cet ensemble à deux étages et en quoi est-ce différent des autres initiatives de démocratie participative ?

La démarche Où atterrir ? nous a guidés, à travers une expérience artistique, scientifique et politique, dans un travail d’enquête, de description de nos territoires de vie. Au long des sept sessions, après avoir identifié un problème vécu susceptible de les mobiliser, chaque participant s’est attaché à décrire ce dont dépendait son action : alliés et obstacles. Un dialogue s’est ensuite engagé entre les participants sur la manière de composer, en tenant compte de la réalité des différents mondes ainsi décrits : des alliances et, avec elles, des leviers d’action sont apparus. La démarche nous a donné à voir la nécessité de s’équiper, individuellement et collectivement, pour agir comme partenaire d’une entreprise commune. Aussi, nous nous sommes appuyés sur ses principes et avons remobilisé quelques-unes de ses méthodes pour co-construire, lors d’ateliers participatifs réunissant habitants, élus et agents de la ville (acteurs essentiels du chantier démocratique), la Boussole du bien-être, comprenant douze dimensions constitutives du bien-être (se loger, vivre dans un environnement sain et végétalisé, se déplacer, etc.), elles-mêmes déclinées en trente-six sous-enjeux2. Une fois la Boussole constituée fin 2023, le parti pris a été d’examiner chaque année, toujours via des ateliers participatifs, une de ses dimensions afin de l’approfondir, de décliner ses enjeux en objectifs à atteindre par la ville. En 2024, c’est la dimension « Vivre ensemble » qui a été choisie par le groupe de travail, avec trois enjeux, à savoir : « Se sentir entouré », « Avoir accès à des lieux de convivialité », « Être en capacité d’agir dans sa ville avec, via, pour les autres ». En 2025, le groupe de travail, pour partie renouvelé, s’attachera à écrire plus finement la dimension « Préserver sa santé et se soigner ».3

La boussole du bien-être

Réunir élus, agents et habitants dans un même groupe de travail est apparu comme la condition sine qua non d’un dialogue permanent entre ces trois composantes qui disposent, désormais, d’une grille de lecture partagée sur ce qui est constitutif du bien-être. Concernant la constitution des groupes de travail, nous ne visons pas la représentativité mais la diversité, en veillant à impliquer largement les habitants. Pour organiser les neuf premières réunions dans chacun des arrondissements de la ville (avant de mettre en place le groupe de travail plus resserré, l’assemblée de la Boussole), nous sommes allés inviter, en binôme agents-élus et en porte-à-porte, des habitants dont les adresses avaient été tirées au sort dans les quartiers Politique de la ville. Une démarche « d’aller vers » qui nous a permis d’introduire un équilibre entre les personnes éloignées des institutions, du débat public et les citoyens très engagés ; démarche qui semble avoir été très appréciée.

Quel va être le devenir de la Boussole du bien-être qui matérialise la mobilisation des citoyens et dont ils attendent des effets concrets ?

La Boussole du bien-être est une démarche qui s’imbrique parfaitement avec le projet de refonte du processus budgétaire à la ville. Nous avons l’ambition de dépasser les process budgétaires habituels, de dépasser l’approche comptable pour offrir une vision du budget plus stratégique, par politique publique. L’objectif partagé est aussi celui du renforcement de la transparence, de la redevabilité. En un mot, nous souhaitons faire du budget un outil de déclinaison de la stratégie et construire cette stratégie en s’appuyant sur la Boussole du bien-être. Avec ses douze dimensions, la Boussole nous offre des indicateurs-balises, des guides en matière de progrès humain, sanitaire, social, écologique ou encore démocratique, des indicateurs alternatifs au produit intérieur brut (PIB). La Boussole du bien-être permet le suivi comme la construction de l’action publique.

Elle est désormais en cours d’intégration dans notre processus budgétaire : chaque ligne budgétaire est taguée avec les dimensions de la Boussole.

À la relecture du budget ou pour le construire, nous pourrons ainsi nous assurer que les actions entreprises par la ville, en termes d’investissement et de fonctionnement, sont bien en adéquation avec les attentes des habitants tout en identifiant d’éventuels manques ou des angles morts. La Boussole du bien-être se développe donc tout à la fois comme un instrument démocratique, un instrument de pilotage budgétaire et un instrument de redevabilité. Peut-être en ferons-nous un jour un instrument d’urbanisme ?

Je conclurai par les mots du philosophe et sociologue, Henri Lefebvre, pour qui l’expérimentation visait à produire de l’espace différentiel. Dans cet espace, nous voulons tenir le cap démocratique.

Pour aller plus loin :

Le podcast « Radio Anthropocène » du 21 février 2025

Épisode « La “Boussole du bien-être”, expérimenter la démocratie participative autrement »

  1. Latour B., Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, 2017, La Découverte.
  2. https://bien-etre.lyon.fr/la-boussole-du-bien-etre-demarche-et-objectifs/
  3. Au cours des quatre ateliers, il sera amené à réfléchir sur l’ensemble des dimensions de la boussole, mais plus spécifiquement sur les enjeux de « Préserver sa santé et se soigner », autour des notions suivantes :– prévenir les risques de santé dans son quotidien ;– avoir facilement accès à un médecin généraliste ;– avoir les moyens de se soigner.
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