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Lecture critique du plan climat 2030 de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS)

Source : Vanessa Weck, libre adaptation de l'approche des trois horizons de Patrick Degeorges.
Le 7 septembre 2021

Le bien-être des citoyen·nes est l’un des quatre axes du Plan climat·2030 de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS), adopté en décembre 2019. Le présent article est une lecture des propositions d’actions de cet axe, à l’aune des limites planétaires et des recommandations du dernier rapport du GIEC.

L’Eurométropole de Strasbourg (EMS) a élaboré son Plan climat 2030. L’assemblée délibérante l’a approuvé en décembre 2019. La mise en œuvre du plan s’opère dans un contexte particulier. Suite aux élections municipales, une nouvelle équipe, étiquetée Europe Écologie Les Verts, a accédé à la tête de la ville de Strasbourg et de l’Eurométropole. À ce titre, respectivement en février 2020, puis en juillet, chaque collectivité présente au vote de son assemblée délibérante une déclaration « d’urgence climatique » appelant à accélérer sa mise en œuvre.

Conformément au cadre législatif, le plan s’inscrit dans l’esprit des différentes stratégies nationales, telles que la stratégie nationale de la biodiversité et la stratégie nationale bas carbone. Ses actions s’articulent avec les grands projets du territoire du Grand Est, parmi lesquels le projet partenarial d’aménagement (PPA). Son élaboration et son déploiement convoquent également divers documents et initiatives relevant des compétences de la métropole et des communes, à l’instar du PLUi (plan local d’urbanisme intercommunal) et le schéma directeur des énergies. Il embrasse aussi la dimension transfrontalière, dans une logique de continuité de flux au sein de l’Europe.

Un territoire désirable
qui allie bien-être,
résilience et adaptation
aux changements climatiques

Source : Vanessa Weck, libre adaptation de l'approche des trois horizons de Patrick Degeorges.

Le Plan climat s’articule autour de quatre axes, dont trois dits opérationnels traitant respectivement du bien-être des citoyen·nes, du développement des énergies renouvelables et de la création d’emplois et de l’inclusion sociale. Le présent article porte sur le 1er axe, dont l’intitulé exact est « Un territoire désirable qui allie bien-être, résilience et adaptation aux changements climatiques ». Abordé préférentiellement sous l’angle de la santé des citoyen·nes, il accorde une large place à la problématique du transport au sein de l’EMS et des connexions avec les grands axes extérieurs.

Au titre du présent texte, nous proposons une lecture des propositions d’actions concernant la mobilité urbaine, à l’aune des limites planétaires et des recommandations du dernier rapport du GIEC. Pour cela nous mobiliserons le diagramme des trois horizons, dans une version adaptée.

Au préalable, il importe de souligner que Strasbourg fait figure d’exception au niveau national concernant la place importante qu’occupe le vélo dans les déplacements. Nonobstant, la forte dépendance des moyens de transports au pétrole (moteur thermique) et aux matériaux (moteur électrique) pointe du doigt leur rôle majeur dans les émissions de gaz à effet de serre, la destruction de la biodiversité du fait notamment de l’extraction accrue de matières premières, sans oublier leurs effets délétères sur la santé des habitants.

Dans le diagramme des trois horizons, H1 représente le système actuel, H2 figure la soutenabilité faible, H3 la soutenabilité forte. Par soutenabilité faible, nous entendons le principe qui postule qu’il est possible de maintenir la croissance actuelle tout en restant dans les limites planétaires et la trajectoire de + 2° C, moyennant un recours soutenu à l’innovation, en particulier technologique. Le vocabulaire rattaché à ce principe réunit différents termes clés tels que l’efficacité énergétique, en particulier grâce au numérique, la transition énergétique, l’optimisation des procédés, la place prépondérante de la digitalisation de l’économie. Il s’inscrit dans la continuité de pensées qui accordent la primauté à la croissance. Toutefois, plusieurs communications scientifiques rappellent que cette vision de la soutenabilité n’est pas compatible avec l’Accord de Paris et nous mène sur des trajectoires de températures supérieures à 2° C. H3 désigne un espace-temps en rupture avec le mode de pensée et d’être au monde actuel. Il ébauche les contours de ce qui pourrait advenir en s’extrayant de l’impasse mentale de la croissance comme unique horizon.

Le diagramme des trois horizons obtenus souligne les profonds changements à mener. Or, respecter l’Accord de Paris suppose de la part du politique de mettre en œuvre des mesures radicales. Celles-ci, élaborées et appliquées dans une logique top-down, sont perçues comme discriminatoires. Elles deviennent sources de tension, voire d’affrontement. Les démarches de consultation qui visent, trop souvent, à recueillir les questions des habitants, voire à les évangéliser sans modifier le cœur des mesures, génèrent davantage de frustration que d’adhésion. Par ailleurs, le sujet de la mobilité urbaine illustre la dimension systémique des problèmes liés à la prise en compte du changement climatique, de la perte de biodiversité et du maintien de la cohésion sociale. En effet, la mobilité urbaine est étroitement liée à l’aménagement du territoire, aux activités et services délivrés par la ville, au système énergétique, aux interdépendances avec d’autres espaces (ex. : territoires où sont extraits les minéraux), aux attentes des résidents, etc. Dès lors, traiter le sujet s’apparente vite à démêler une pelote de laine, où chacun individuellement peut rapidement se sentir submergé et totalement démuni.

Ce sont de nouveaux imaginaires que nous devons convoquer pour donner à voir les impacts du changement climatique et de la perte de la biodiversité sur le milieu de vie.

Face à la complexité du sujet, déployer une politique de participation citoyenne, pleine et entière, apparaît comme un prérequis pour faire émerger la profonde transformation que requiert ces enjeux. Ils nous invitent à questionner nos usages, nos rapports et nos attachements aux objets, nos relations aux autres, humains et non-humains. Terreau du changement, en créant un espace de confrontation, de dialogue, d’expérimentation où chacun apporte sa part, fait sa part, prend sa part et laisse sa part, l’approche participative invite chacun à devenir coconcepteur et coacteur des transformations, de l’élu au citoyen, du patron de TPE à l’agriculteur. Dans ce cadre, la pratique d’un design d’intérêt général pour accompagner l’élaboration de politiques publiques, de dispositifs cohérents et fédérateurs prend toute son importance. Elle propose une démarche et des outils comme le forum théâtre, levier d’activation de la participation citoyenne, qu’il convient de mobiliser.

Enfin, à la lumière de données scientifiques donnant à voir les impacts du changement climatique et de la perte de biodiversité sur le milieu de vie, à l’éprouver de manière sensible, ce sont de nouveaux imaginaires que nous devons convoquer. La situation actuelle engage chacun de nous pour construire des futurs habitables et hospitaliers.

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