Revue

Dossier

Nuits d’ailleurs

Paysage nocturne des rivières intérieures à Dujiangyan en Chine.
©Roger Narboni, CONCEPTO & Zhongtai Lighting
Le 12 août 2025

Il n’y a pas une nuit mais des nuits qui varient selon les pays, les continents, les régions et les cultures. Un très rapide tour du monde permet de prendre conscience des spécificités locales et des approches privilégiées par les pouvoirs publics. Regards pluriels au-delà des frontières pour inspirer et faire évoluer nos politiques publiques la nuit.

Politiques d’amélioration de l’accès aux lieux de divertissement et de travail, de la sécurité des déplacements et de l’habitabilité urbaine à Parme, Bologne, Trente et Bari en Italie (M. Colleoni) ; limites de la « Night Time Economy » en Grande-Bretagne (R. Shaw) ; attention des villes canadiennes pour des politiques visant à protéger et développer leur culture nocturne (W. Straw) ; importance des politiques autour de la lutte contre les violences faites aux femmes dans l’espace urbain dans la métropole de Mexico (E. Hernández González) ; appui aux grands événements (concerts, festivals saisonniers, etc.) dans les quartiers aisées de Recife au Brésil mais carnaval qui s’étend aux périphéries (J. M. V Leite) ; les paradoxes de sociétés africaines conservatrices confrontées aux mutations urbaines en Afrique (P. Sako) ; réinvestissement de l’espace public la nuit dans les villes marocaines comme Tetouan (A. Moussalih) ; soutien des politiques municipales à l’économie de la nuit et au tourisme de Constantine en Algérie (R. Abada) ; contraste entre orgie lumineuse des métropoles chinoises et éclairage spartiate des campagnes (R. Narboni) ; gestion nocturne des déchets à Hanoï au Vietnam et mise en valeur des droits, de la dignité pour les travailleurs (T. H. Nguyen) ; nostalgie de Beyrouth au Liban qui rêve encore d’une époque où l’espace nocturne (cafés, théâtres, amphithéâtres, ciné-clubs et locaux des grands journaux) nourrissait la production culturelle arabe (B. Tay) ; gestion des événements en Suisse (P. Viot) ; d’une guerre à l’autre comment ne pas penser aux nuits du couvre-feu en Ukraine scandées par les sirènes des alarmes (R. Narboni), à celles de Gaza et d’ailleurs.

Politiques temporelles et de la nuit en Italie

Par Matteo Colleoni, universitéde Milan-Bicocca

L’inclusion des femmes dans le marché du travail, dans un pays où le taux d’activité féminine a toujours été faible, a conduit à la fin des années 1980 à une attention croissante portée à la question du temps. Cette attention s’est déclinée dans plusie urs directions : celle de la répartition du temps entre les activités quotidiennes et celle des horaires de travail et des services urbains. Dans les villes les plus attentives à la répartition des temps de travail et de vie, des politiques ont été proposées qui ont trouvé leur synthèse dans les services des temps et des horaires des villes. Deux lois ont contribué à leur diffusion : la première de 1990 (no 142) a confié aux maires le pouvoir de coordonner les horaires des services publics pour les harmoniser avec ceux des lieux de travail. La seconde, en 2000, intitulée « Dispositions pour l’accompagnement de la maternité et de la paternité pour le droit aux soins et à la formation et pour la coordination des horaires des villes », a confié aux maires des villes de plus de 30 000 habitants le soin d’élaborer des plans horaires territoriaux, de créer des bureaux horaires et d’établir des tables de concertation pour la conciliation des horaires des villes. Trois articles de cette dernière loi étaient consacrés aux horaires des administrations publiques, aux banques de temps et à la création d’un fonds pour l’harmonisation des horaires des villes. Les politiques temporelles ont été divisées en cinq axes d’intervention : la mobilité durable, l’accessibilité et la convivialité, le réaménagement des espaces urbains, la coordination des horaires et des services, et la promotion de la solidarité dans l’utilisation du temps.

Dans certaines villes, ces politiques se sont concentrées sur la nuit afin d’améliorer l’accès aux lieux de divertissement et de travail, la sécurité des déplacements et l’habitabilité urbaine. Les politiques nocturnes de Parme, Bologne, Trente et Bari méritent l’attention. Plutôt que de confier à un seul maire de la nuit la tâche d’intervenir sur la nuit, dans la première, une « Officina di nottologia » (« Atelier de la nuit ») a été mis en place avec pour mission de traiter les problèmes de la nuit, plutôt que d’utiliser une approche de sanction avec une approche basée sur la récompense des bonnes pratiques. Dans la capitale de l’Émilie-Romagne, les politiques nocturnes ont plutôt trouvé une synthèse dans l’approbation municipale du « Plan nocturne ». Ce plan fait appel à deux instruments : un comité de pilotage et un processus participatif avec les parties sociales et les citoyens. Le premier, coordonné par l’adjoint au maire, a pour mission de préparer le plan annuel d’activités et d’en contrôler l’efficacité, tandis que le parcours participatif a pour tâche de partager les objectifs des interventions avec les responsables technico-administratifs, les membres du conseil et les délégués. « Domani è un’altra notte » (« Demain est une autre nuit ») est le titre des ateliers que la municipalité de Trente a organisés pour discuter de la valeur sociale, culturelle et économique de la nuit et mettre en œuvre des politiques ciblées pour l’habitabilité urbaine nocturne. Enfin, en février, Bari a lancé un projet intitulé « Construisons ensemble des politiques nocturnes » visant à promouvoir une économie nocturne vitale et durable, à renforcer les différentes formes d’expression artistique et culturelle, à améliorer l’habitabilité et la sécurité, à équilibrer les besoins de loisirs, de repos et de travail, et à valoriser les lieux de vie nocturne anciens et nouveaux en tant qu’espaces de rencontre et d’agrégation.

Nuits de Grande-Bretagne

Par Robert Shaw, université de Newcastle

La nuit contemporaine en Grande-Bretagne est née d’une période de (néo)libéralisation entre les années 1980 et 2000, qui prévoyait une « européanisation » de la nuit consistant en des centres-villes nocturnes à usage mixte avec des bars, des pubs, des restaurants, des cafés, des bibliothèques, des musées et un espace public dynamique. Cette vision n’a jamais été pleinement réalisée. Au lieu de cela, les autorités locales, affaiblies financièrement, ont laissé les bâtiments vides être progressivement investis par les « pubcos » (sociétés de pubs), qui exploitent des chaînes de bars dans le cadre d’un modèle décrit comme « l’alcoolisation verticale de masse », avec une augmentation de la consommation d’alcool.

Plusieurs facteurs ont inversé cette tendance, entraînant une diminution du nombre de lieux et une crise de la vie nocturne urbaine en Grande-Bretagne. La crise financière de 2008 a révélé que les pubcos étaient avant tout des entreprises de spéculation immobilière et nombre d’entre eux se sont effondrés. La stagnation des salaires et un régime fiscal favorisant les supermarchés vendant de l’alcool pour la consommation domestique ont encore réduit l’accessibilité de la vie nocturne. Les lois d’urbanisme ont également nui à la vie nocturne. L’embourgeoisement des quartiers a donné lieu à des litiges sur les nuisances sonores, généralement gagnés par les résidents. La vie nocturne était donc déjà en difficulté avant que la pandémie de covid et l’inflation qui s’en est suivie n’exacerbent la situation.

Les réponses politiques ont été lentes. En 2016, le maire de Londres a nommé un « tsar de la nuit » et a chargé les arrondissements londoniens de construire des stratégies nocturnes axées sur la sécurité publique, la croissance économique et l’infrastructure sociale. Toutefois, des contraintes financières et politiques ont empêché de déployer ce modèle dans d’autres villes britanniques. À Londres, le rôle du tsar de la nuit est en cours de redéfinition depuis que son titulaire a démissionné en octobre 2024.

Au niveau national, la sécurité des femmes est restée une préoccupation politique centrale, avec un financement orienté vers des initiatives locales visant à améliorer les capacités de la police et des travailleurs de l’économie nocturne à soutenir les femmes. Malgré ces efforts, un examen parlementaire réalisé en 2024 n’a pas pu mettre en évidence un impact mesurable de cette politique. L’essor des services de livraison à domicile a également remodelé la ville nocturne. Des travailleurs de nuit passent de longues périodes à attendre des commandes dans des espaces publics mal desservis, tandis que la demande de restaurants et de services s’est déplacée des centres-villes vers les banlieues avec les « cuisines sombres », que l’on trouve dans les zones industrielles et qui se consacrent uniquement à la livraison de nourriture.

La nuit au Canada

Par Will Straw, université McGill à Montréal

En mai 2025, au moment de la rédaction de cet article, « Canada La Nuit », le premier événement national consacré à la gouvernance de la nuit dans les villes canadiennes a eu lieu à Ottawa, la capitale du pays. Ce rassemblement devait coïncider avec un évènement annuel de longue date connu sous le nom de « Semaine de la musique de la capitale », mais il signalait également la création récente d’un « Bureau de la vie nocturne » pour la ville et la nomination de son premier « Commissaire de la vie nocturne ». Le titulaire de ce poste, Mathieu Grondin, avait auparavant fondé l’organisation MTL 24/24 – un organisme à but non lucratif, basé à Montréal, qui s’est battu pour de nouvelles politiques qui protégeraient la culture nocturne existante de cette ville et soutiendraient sa croissance future.

Comme la plupart des juridictions en Amérique du Nord, les villes canadiennes ont été plus lentes que les villes européennes à mettre en place des cadres et des instruments de gouvernance pour faire face à leurs cultures de la nuit. Néanmoins, à partir de la fin des années 2010, le caractère de la vie nocturne dans les villes canadiennes est rapidement devenu un objet d’attention de la part des médias, des organisations de la société civile et des militants culturels. L’une des principales raisons de cette attention a été la fermeture rapide, dans de nombreuses villes, des lieux de spectacles musicaux et d’autres formes de divertissement nocturne. De telles fermetures ont été analysées comme des effets de la gentrification urbaine avec l’augmentation des coûts de location d’espaces.

Depuis 2020, les villes canadiennes Vancouver, Edmonton, Ottawa, Toronto et Montréal ont toutes annoncé des politiques visant à protéger et développer leur culture nocturne. Habituellement, dans les villes canadiennes, de telles politiques sont du ressort des bureaux de l’administration municipale qui se consacrent au développement d’économies nocturnes.

À Montréal, en revanche, la protection et la promotion d’une culture locale sont souvent liées à des efforts visant à valoriser des formes d’expression qui font usage de la langue française et valorisent ainsi la singularité de la ville dans un contexte nord-américain. La « Politique de la vie nocturne, » annoncée par la ville de Montréal en 2024, va au-delà d’une vision purement économique de la nuit en reconnaissant le rôle culturel joué par les espaces de la vie nocturne dans la diffusion de la musique et d’autres formes artistiques.

Quand la lumière artificielle devient garante de la sécurité : l’espace public nocturne à Mexico

Par Edna Hernández González, université de Bretagne Occidentale

« Nous éclairons la nuit pour éclairer votre chemin. Avec la réparation des lampadaires, nous garantissons la sécurité de 33 quartiers », cette publication sur les réseaux sociaux, annonce les travaux effectués par la mairie Cuauhtémoc dans son parc d’éclairage public. À l’image de cette publication d’autres similaires sont publiées quotidiennement sur les sites officiels des mairies de la ville de Mexico, l’objectif principal est de mettre en avant les niveaux d’éclairage et la sécurité que ces derniers sont sensés apporter dans la pratique quotidienne de la ville.

Le contexte de violence extrême au Mexique a contribué à asseoir le besoin d’un éclairage nocturne de « qualité » comme le principal levier d’action vis-à-vis de la sécurité dans l’espace public, notamment celle des femmes. En effet, ce groupe social est le plus fortement impacté par la violence qui traverse le pays depuis trois décennies dans un contexte de guerre contre le trafic des drogues et les cartels. Cela se traduit en une violence et insécurité au quotidien qui transforme la pratique des espaces urbains la nuit, comme c’est le cas dans l’état de Sinaloa où certaines activités festives nocturnes sont réalisées à des horaires diurnes. Par exemple, aller en boîte plutôt en fin d’après-midi ou aller chez des amis, et ne pas quitter les lieux avant le lendemain matin ou s’interdire de fréquenter la ville la nuit.

Cette situation n’est pas encore une réalité commune à d’autres villes mexicaines, cependant les politiques autour de la lutte contre les violences faites aux femmes ont configuré des interventions dans l’espace urbain comme le programme « Senderos seguros » mis en place dans la métropole de la ville de Mexico depuis 2019. Au sein de ce programme, l’éclairage public est affiché comme le principal levier de la sécurité pour circuler ou marcher la nuit : « Si les femmes et les jeunes filles peuvent marcher en toute sécurité dans les rues de Mexico, nous sommes tous en sécurité. » Cependant, diverses recherches universitaires démontrent qu’il est impossible d’établir un schéma permettant d’affirmer que ce programme a un lien direct avec la diminution de la violence et en particulier sur les violences faites aux femmes, contrairement à ce qui est annoncé par le mairie de la ville de Mexico : « Au cours des quatre dernières années, le ministère des travaux et des services (SOBSE) a construit 710 kilomètres de sentiers sécurisés, “Camina libre, camina segura”, avec l’installation de 18 631 lumières LED et 437 totems de sécurité, ce qui a permis de réduire de 28,8 % les crimes contre les femmes dans les espaces publics. »

Au-delà des interventions urbaines qui contribuent à améliorer la perception de la sécurité la nuit, nous pouvons affirmer que le véritable enjeu est la mise en place des politiques publiques qui arrivent à stopper ou à diminuer la violence, notamment la violence de genre. Dans ce contexte, l’éclairage public comme garant d’une sécurité physique atteint rapidement ses limites, sans oublier le coût environnemental que cela engendre avec la pollution lumineuse.

Petit manifeste des nuits tropicales au Brésil

Par Julieta M. V. Leite, université fédérale du Pernambouc

La nuit dans la ville de São Paulo est l’une des plus connues au monde. Cette réputation s’explique par l’intensité de sa vie culturelle et par la diversité des expériences nocturnes proposées à tous les publics : des activités commerciales, gastronomiques et de loisir sont réparties dans tous les coins de la ville chaque nuit. Cependant, il est impossible de parler d’une nuit brésilienne dans un pays de dimensions continentales comme le Brésil. La nuit prend en effet des formes variées, à l’image des villes, à commencer par les conditions climatiques. À Recife, ma ville natale, les jours et les nuits suivent un rythme constant tout au long de l’année. Située à 8°04'03'' de latitude sud, le soleil s’y couche vers 17 h 00 et se lève vers 5 h 00. La transition entre le jour et la nuit est brève, presque soudaine. Malgré ce rythme apparemment inébranlable, la nuit tropicale n’est pas homogène – même dans une ville où, littéralement, la nuit tombe.

Recife est une ville côtière d’environ 142 km2, peuplée de 1,5 million d’habitants, où la nuit est marquée par la brise marine et une agréable sensation de fraîcheur. La nuit tropicale nous offre un repos sensoriel, un moment d’apaisement face à la ville diurne, bruyante, chaude, embouteillée. Mais cette nuit ne se déroule pas de manière aussi linéaire que ne le suggère son rythme climatique. Ce sont les occupations, telles que les fêtes, le sport ou la danse, qui rendent les espaces publics accueillants et habitables après le coucher du soleil. À Recife, la vie nocturne dépend de propositions autonomes portées par des artistes, des producteurs culturels, des acteurs locaux et quelques initiatives privées. Ainsi, elle s’exprime de façon éparse, dans des formats et des territoires variés.

Outre le manque d’investissement dans les infrastructures urbaines et la valorisation de l’espace public, ces lieux sont également marqués par des stigmates liés à la violence et à la peur – des perceptions qui s’intensifient la nuit. Les politiques publiques dédiées à la vie nocturne urbaine restent rares. Lorsqu’elles existent, ces politiques se concentrent sur de grands événements, comme des concerts ou des festivals saisonniers, organisés dans les parcs et sur les places des quartiers aisés. Le carnaval constitue toutefois une exception notable, car il s’étend aussi aux périphéries et aux rues.

Du point de vue des politiques urbaines, il est essentiel de reconnaître l’univers socio-spatial et culturel qui se manifeste dans la nuit. C’est dans ce temps-là que surgissent des formes collectives d’expression importantes – liées à la mode, à la musique, à la danse – comme les raves, les ballrooms, les bals funk ou la culture drag. C’est une autre ville qui se révèle à travers ses lieux, ses personnages, ses scènes et ses modes de vie, composant ce fascinant univers nocturne urbain.

La nuit tropicale ne doit pas être abordée comme un simple contrepoint au jour, mais comme une continuité de l’existence urbaine, une fusion entre l’obscurité et la clarté qui traduit le rythme complexe de l’être dans la ville.

Revanche sur le jour : les réappropriations nocturnes des espaces publics urbains. Cas de la ville Tétouan au Maroc

Par Abdellah Moussalih, enseignant-chercheur à l’École nationale d’architecture de Tétouan

La nuit est un moment particulier dans la vie sociale des Marocains. Si des politiques publiques se déploient peu à peu dans la nuit du royaume avec notamment des plans d’éclairage, d’animations et de requalification des espaces publics, ce sont les habitants qui sont surtout à la manœuvre avec des usages locaux de l’espace public. Le temps d’une soirée les usagers s’approprient les lieux. Ils réinventent et humanisent l’espace sans le blesser. C’est notamment le cas dans la ville de Tétouan aux couleurs méditerranéennes notamment autour de deux espaces particuliers inscrits dans la mondialisation qui retrouvent une ambiance locale.

L’gharsa l’akbira, boustane (jardin) en pleine médina, est un havre de paix, une échappatoire dans ce milieu dense et fermé. La nuit, les usagers sont comme des papillons qui investissent les lieux de lumière. Avec des dispositifs légers, ils transforment l’espace public en une salle de jeu à ciel ouvert. Des bougies, des tables et des chaises en bois ou plastique de différentes couleurs empilées à l’entrée du seul café du coin meublent l’espace. Ici, le temps d’une soirée, les matériaux et couleurs des objets agencés perdent toute signification esthétique pour ne remplir qu’un rôle fonctionnel. Une communauté s’installe avec son ambiance et ses sonorités propres et son dénominateur commun : le jeu. Autour du partchi2 émerge un espace-temps de sociabilité avec une ambiance particulière. Le jeu se confond avec le « je », comme une présence et confirmation de soi. La nuit l’gharsa l’akbira est un lieu-événement, l’expression d’une revanche de la nuit sur le jour qui dépossède les habitants de leur espace. C’est comme s’ils attendaient « l’obscurité » pour le reconquérir.

Autre exemple : la corniche de Martil. Pendant la journée c’est un espace de transition pour rejoindre la plage sablonneuse et profiter de la méditerranée (baignade, les jeux de plage, etc.). Le soir, quand la fraicheur de l’été s’installe, des usages alternatifs émergent autour d’une appropriation détournée et contournée du site. Alors que les jeunes transforment la corniche en une arène de jeu, les cafés se redéployent sur la plage comme un prolongement discontinu de leur terrasse. Cette réadaptation nocturne de l’espace transcende ses usages ordinaires et génériques.

Sur vingt-quatre heures, on assiste à une succession d’activités et de fonction qui oscillent entre usage formel diurne des espaces de la mondialisation et réappropriation informelle nocturne par la culture locale qui résiste. Ces adaptations permanentes des espaces publics de la ville marocaine mettent en évidence la réversibilité de ces espaces, leurs rythmes, leur hybridation3 continue et les compétences de détournement des usagers, une sorte de savoir topique4 qui dépasse le simple détournement ludique ou marchand d’un lieu. La nuit l’espace « occidentalisé » du jour est mis aux couleurs locales. Cette oscillation entre régulation et médiation, formel et informel est un enjeu pour les politiques publiques de la nuit au Maroc.

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les autres regards sur la nuit ailleurs :

  • La nuit au Sénégal, par Pape Sako ;
  • Beyrouth… Mille nuits et une vie, par Bissan Tay ;
  • Les nuits en mutation de Constantine en Algérie, par Rofia Abada ;
  • Les dimensions discrètes des nuits sacrées de Sidi Chiker : la dimension politique et géopolitique, par Abdelilah Abdouh ;
  • Les nuits en Ukraine, par Roger Narboni ;
  • Nuits de Chine, par Roger Narboni ;
  • Hanoï la nuit. Récit d’une ville en mouvement et d’un service public invisible, par Thái Huyen Nguyen ;
  • Lausanne la nuit : entre intensité festive et gouvernance partagée, par Pascal Viot.
  1. Pascal Viot est sociologue, chercheur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et directeur de l’Institut suisse de sécurité urbaine et événementielle (iSSUE). Spécialiste des dynamiques de foule, de la sécurité publique et des usages festifs de l’espace urbain, il accompagne depuis plus de vingt ans les collectivités et les organisateurs d’événements dans la mise en place de dispositifs de cohabitation et de gouvernance nocturne. Il coordonne actuellement, en partenariat avec l’EPFL, un nouveau programme de formation continue dédié à la sécurité urbaine, à la gestion des rythmes et aux politiques de la nuit.
  2. Le Parchís est un jeu de société inspiré du Pachisi, particulièrement populaire en Espagne. Il se joue généralement avec deux dés et quatre pions par joueur, pour un total de un à quatre participants.
  3. Gwiazdzinski L. (dir.), L’hybridation des mondes, 2016, Elya Éditions.
  4. Turco A., Geografie politiche d’Africa. Trame, spazi, narrazioni, 2015, Unicopli.
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