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Low-tech et démocratie territoriale

Le 10 septembre 2021

Une des manières de dater l’anthropocène est de la faire débuter avec l’entrée dans la civilisation thermo-industrielle, ère des machines qui, si elle a permis un fort enrichissement dans les pays dit « du Nord », a néanmoins des effets dévastateurs, et devient même une menace mortelle pour l’avenir de l’espèce humaine. Il apparaît donc que pour relever le plus grand défi de notre temps, c’est-à-dire préserver l’habitabilité de la Terre, un changement technique d’une ampleur analogue à la révolution industrielle est nécessaire, ce qui ne sera pas possible sans une profonde réorganisation de nos sociétés, et sans la participation du plus grand nombre aux décisions à prendre. La tâche peut paraître ardue, voire impossible. Alors, que faire et par où commencer ? L’hypothèse de cet article est que la low-tech, comprise comme démarche de questionnement vis-à-vis de nos techniques, peut être une piste possible pour répondre à ces enjeux, à condition, d’une part, qu’elle s’applique à l’échelle des territoires et, d’autre part, qu’elle s’appuie sur de nouvelles instances démocratiques.

Le terme de « low-tech », abréviation du mot anglais « low-technology », désigne à l’origine des technologies peu sophistiquées, à la différence des « high-tech », considérées comme étant plus « avancées » sur l’échelle du « progrès ». Toutefois, ces dernières années, depuis son introduction en France suite à la publication d’un ouvrage de Philippe Bihouix, intitulé L’Age des Low Tech, ce terme a acquis un nouveau sens, dont la connotation est désormais méliorative.

Dans le livre de Bihouix, les « low-tech » sont proposées comme une voie possible pour répondre à la nécessité de réduire nos besoins de matières premières. Mais plutôt que de donner des critères précis de définition des low-tech, il préfère parler d’une démarche générale ou de grands principes pour guider nos choix et conceptions en termes de systèmes techniques, en mettant l’accent sur l’enjeu de la préservation des ressources.

Si Bihouix a introduit le terme en France, c’est toutefois le Low-tech Lab qui a proposé la définition la plus communément admise, dont les trois principes sont : « utile, durable, accessible ». Les deux approches ont toutefois en commun de ne pas se focaliser sur un type d’objets, qui seraient intrinsèquement « low-tech » mais définissent plutôt la low-tech, au singulier, comme une démarche générale, qui n’est pas uniquement technique. Ainsi, le principe d’utilité consiste à se questionner à propos de ce dont nous avons réellement besoin et ce dont nous pourrions nous passer. La low-tech s’inscrit ainsi avant tout dans une logique de sobriété. Ce n’est qu’ensuite que nous pouvons passer au second principe : identifier le mode de conception et de production qui permettra de rendre un système technique le plus durable possible. Cela consiste à s’interroger sur ce que l’on nomme le « cycle de vie » des objets : à chaque étape, de l’extraction des matières premières nécessaires à la production, jusqu’à la « fin de vie » de l’objet, il doit être conçu pour pouvoir durer le plus longtemps possible, tout en étant sobre en ressources et en énergies. Le troisième principe, celui de l’accessibilité, peut être compris en deux sens : au plan économique, toute personne doit être en mesure d’accéder à de tels systèmes, et, au plan cognitif, il s’agit de rendre les individus plus autonomes vis-à-vis des techniques, en leur permettant de comprendre leurs fonctionnements, ce qui rapproche le concept de low-tech de celui d’outil convivial d’Illich.

Bien que le terme de low-tech désigne avant tout une démarche d’ensemble, il est encore malgré tout surtout appliqué à l’échelle individuelle. On peut ainsi trouver sur le Web un certain nombre de tutoriels, ou bien de formations, pour auto-construire son four solaire, son poêle de masse, sa tiny house, son jardin en permaculture, réparer son vélo, etc. Toutefois, comme nous l’avons vu, c’est d’un changement à l’échelle de la société tout entière dont nous aurions besoin. Dès lors, comment appliquer la démarche low-tech à l’échelle d’un territoire de manière à entraîner un changement systémique et démocratique ?

Si l’on prend la low-tech à l’échelle de l’objet technique, on pourra se dire que le vélo vaut mieux que la voiture par exemple. Or, si l’enjeu est celui d’une transition technique en profondeur des territoires, alors il dépasse la question de l’objet et ne pourra s’opérer sans une coordination entre une grande diversité d’acteurs, citoyens, élus, associations et entités privées.

Pour reprendre cet exemple, une approche low-tech de la mobilité consisterait à s’interroger collectivement sur nos besoins en matière de déplacements : qui a besoin de se déplacer, sur quelles distances, à quelles fréquences, certains trajets sont-ils superflus ? Les moyens de transports que nous utilisons actuellement sont-ils soutenables, ou bien pourrions-nous leur substituer des modes de déplacements réellement durables ?

Une approche en termes de sobriété, qui vient questionner les besoins et les habitudes, n’est probablement pas facile à mettre en place. Toutefois, nous pourrions faire l’hypothèse qu’un niveau d’informations commun sur les enjeux écologiques ainsi qu’un mode de décision démocratique pourraient la rendre plus désirable. La sobriété ne serait pas imposée du dehors mais décidée ensemble, permettant ainsi de donner le sentiment d’un effort partagé en vue d’un horizon commun. Les conventions citoyennes qui naissent peu à peu à l’échelle locale sont un bon exemple de ce à quoi pourrait ressembler ce que nous nommerons une « démocratie technique territoriale ». On pourrait imaginer que des politiques publiques s’inscrivant dans une démarche low-tech puissent être élaborées par des citoyens tirés au sort, conseillés par des experts. Ces conventions auraient la charge de décider des systèmes sociotechniques à remettre en cause et ceux que l’on pourrait leur substituer. Il me semble qu’une telle approche pourrait constituer l’horizon du projet Glocal Low-Tech, sur lequel je travaille dans le cadre du master. Un des axes de ce projet est en effet de favoriser et d’animer une dynamique citoyenne au sein de trois territoires d’Île-de-France. Le processus reposera sur une suite d’ateliers participatifs visant à sensibiliser les citoyens aux enjeux de la low-tech, à analyser avec eux leurs besoins et à les aider à faire émerger des solutions appropriées. Ces projets seront définis démocratiquement par les citoyens, et reposeront sur la mise en lien des acteurs pertinents, élus, associations, et entreprises inscrits dans une démarche low-tech.

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