Sébastien Maire : « Il faut travailler à toutes les échelles du territoire pour réussir la ville durable »

Sébastien Maire
Pour Sébastien Maire, la mission de France Ville durable est de promouvoir une vision systémique de la ville durable et de fédérer ses différents acteurs professionnels publics et privés, dont les stratégies ne convergent pas toujours et qui fonctionnent encore trop en silo.
©FVD
Le 9 mai 2021

Accélérer les démarches de transition écologique dans les villes de toutes tailles. C’est l’objectif que s’est fixée l’association France Ville Durable, créée en décembre 2019, qui veut agir comme un « do tank » dans les territoires et pour qui la ville du XXIe siècle doit être sobre, résiliente, inclusive et créative. Quatre piliers que l’on retrouve dans son Manifeste publié en début d’année, destiné à poser les fondamentaux de la ville durable de demain.

 

Horizons publics s’est longuement entretenu avec Sébastien Maire, son Délégué général et ancien délégué à la résilience et à la transition écologique de la Ville de Paris. Il revient dans cet entretien sur les missions et la stratégie de l’association présidée par Patrice Vergriete, le maire et président de la Communauté Urbaine de Dunkerque, détaille sa vision de la ville durable et résiliente et insiste sur l’enjeu de mise à l’échelle, utilisant plutôt le terme plus fort de « massification », pour basculer définitivement les villes françaises dans l’ère de l’anthropocène.

 

Selon lui, la donne a clairement changé, amplifiée par la crise sanitaire du Covid19 : les stratégies d’atténuation du changement climatique ne sont plus suffisantes aujourd’hui, car on a trop attendu pour les engager et elles peinent toujours à avoir des résultats concrets, il est donc urgent de développer en parallèle des stratégies d’adaptation et de résilience des territoires. Il explique aussi que la transformation des territoires se heurte trop souvent à des schémas en silo : chaque action dépasse difficilement les limites d’une collectivité ou d’un domaine d’intervention. C’est pour ces raisons que l’association entend dorénavant jouer un rôle actif pour repérer, capitaliser et diffuser au maximum les outils, les méthodes ou encore les bonnes pratiques et inciter notamment les collectivités locales, les intercommunalités et les villes de toutes tailles à inscrire l’impératif de la transition au même niveau que l’impératif budgétaire.

 

Sébastien Maire nous dévoile les enjeux et les temps fort du premier rendez-vous annuel de son association « Villes durables en actions » organisé le 19 mai prochain à la Halle aux Sucres de Dunkerque, en partenariat avec le ministère de la Transition Ecologique, la Communauté urbaine de Dunkerque et l’Agence d’urbanisme de la région Flandre-Dunkerque, dont Horizons publics est partenaire média.

 

L’ambition de cette rencontre est d’offrir en une journée un concentré de la vision française de la ville durable et des solutions déjà existantes en provenance des territoires. Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée du Logement, fera notamment un point d’étape de sa feuille de route « Habiter la France de demain ». Une étude sur « les spécificités françaises de l'aménagement urbain durable ? Comparaison à l'échelle du quartier : France, Suède, Corée du Sud, Etats-Unis et Colombie » sera également restituée à l'occasion de cet évènement professionnel. Fidèle à sa ligne éditoriale engagée sur les transitions, Horizons publics a souhaité accompagner cette démarche en étant partenaire média de cette première édition de « Villes durables en actions », avec la préparation d’un futur hors-série thématique pour approfondir toutes ces questions.

Déployer partout la ville durable, c'est possible  !

« Villes durables en actions » se déroulera 100% en ligne le mercredi 19 mai de 10h30 à 18h30, en présence d'Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition Écologique, chargée du Logement et de Patrice Vergriete, maire et président de la communauté urbaine de Dunkerque, Président de France Ville Durable. L'évènement est destiné à tous les professionnels de la ville durable.

Inscription pour participer à l’évènement en ligne :

=> https://www.eventbrite.com/e/villes-durables-en-actions-tickets-151060745757

Villes durables en actions

S’inscrivant dans la continuité et en complémentarité du séminaire organisé en février dernier par le Ministère de la Transition Écologique « Habiter la France de Demain », cette journée de conférences et d’ateliers orientée « solutions » accueillera un panel varié d’intervenant.e.s de premier plan – Arnaud Leroy Président de l’Ademe, Pascal Berteaud Directeur général du CEREMA, Philippe Madec Architecte de la Frugalité, les associations d’élu.e.s – et d’experts de terrain.

 

Quels sont les objectifs, les missions et les ressources de l’association « France Ville durable » (FVD) lancée en décembre 2019 ?

Nous nous définissons comme « l’association nationale des parties prenantes professionnelles de la ville durable » animée par la volonté d’accélérer la transformation durable des territoires. France Ville Durable ne fait pas de plaidoyer mais propose une vision réaliste des objectifs et fondamentaux de la ville durable, partagée entre différents acteurs, qui peut nourrir les plaidoyers des organisations dont c’est l’une des missions, comme les associations d’élu.e.s et de collectivités par exemple. Nous ne sommes pas un think tank mais un do tank dédié à l’action. Notre mission est de défendre une vision systémique de la ville durable et de fédérer ses différents acteurs, dont les stratégies ne convergent pas toujours et qui fonctionnent encore trop en silo. Pour y parvenir, nous avons constitué quatre collèges. Premier collège : l’État (ministères de la Transition écologique, des collectivités locales, de l’Europe et des Affaires étrangères, de l’enseignement supérieur et de la recherche) et ses différents opérateurs (Ademe, Anru, ANCT, Cerema…). Deuxième collège : les collectivités locales, qui sont centrales dans notre association présidée par Patrice Vergriete, le maire de Dunkerque. C’est un point de vue assumé : c’est bien l’élu.e local.e qui a toute la légitimité pour piloter la transformation écologique du territoire. C’est aussi une spécificité française : l’élu local a la légitimité démocratique, la proximité avec la population et cette connaissance fine du territoire. Ce collège comprend aussi un partenaire historique, l’Assemblée des Communautés de France (AdCF) qui est une véritable force de frappe géographique fédérant près de 1000 intercommunalités. Nous nouons également de nouveaux partenariats avec les autres associations d’élus pour renforcer cette assise territoriale comme l’Association des Maires de France (AMF), France urbaine. Nous travaillons avec les métropoles et les grandes villes, qui en général sont déjà « staffées » dans le domaine de la transition écologique, mais que nous nourrissons avec des outils, méthodes et exemples de meilleures réalisations… L’enjeu porte également beaucoup sur les territoires qui ont moins de moyens dédiés : ruraux ou péri-urbains, les villes moyennes. L’échelon intercommunal, les relations urbains/ruraux peuvent jouer un rôle décisif pour permettre à ces territoires de franchir le pas ou d’accélérer leurs démarches. C’est pourquoi nous avons également tissé de nouveaux partenariats avec Villes de France qui rassemble les villes entre 10 000 et 100 000 habitants,  avec l’Association Nationale des Pôles d’équilibre territoriaux et ruraux et des Pays (ANPP) et bientôt avec l’Association des Maires Ruraux de France (AMRF). La ville ne doit surtout pas être considérée uniquement dans ses frontières administratives, mais plutôt dans une logique de coopérations interterritoriales, il faut travailler à toutes les échelles du territoire pour réussir la ville durable. Et il faut associer tous les acteurs de la ville. C’est pourquoi le troisième collège comprend des entreprises (grands comptes, délégataires et concessionnaires de services publics dans les domaines de l’aménagement, des transports, de l’énergie etc. et le quatrième collège des experts de la ville (Fédération nationale des agences d’urbanisme, Conseil national de l’ordre des architectes, organismes de certification…). Nos ressources sont exclusivement issues des cotisations et contributions de nos adhérents, avec un soutien important de l’Etat. J’en profite pour lancer un appel à nous rejoindre (collectivités locales et entreprises) car plus nous aurons de membres, plus nous aurons d’impact.

Vous souhaitez donc avoir un positionnement central dans l’écosystème, avec une vision large de la ville durable. Quelles sont les actions concrètes que vous allez mener pour parvenir à cet objectif ?

L’objectif, c’est de passer à l’action et d’accélérer le rythme. Des outils et des méthodes ont déjà fait la preuve de leur efficacité, des réalisations exemplaires sont sortie de terre grâce à des démarches d’innovation mais sont souvent restées ponctuelles ou exceptionnelles. Il y a aujourd’hui un enjeu de massification pour accélérer la transition écologique. Et le sujet ne dépend pas des élu.e.s ou services dédiés à l’environnement dans les collectivités, mais bien de la stratégie globale de territoire de court, moyen et long terme, dans toutes ses composantes. Il faut ériger l’enjeu de la transition au même niveau que l’impératif budgétaire, dans la gestion courante des organisations, en se dotant des outils nécessaires. Notre rôle est de repérer, capitaliser et faire connaître ces bonnes pratiques, ces outils et ces méthodes et de les diffuser le plus largement possible, en s’appuyant sur tous les acteurs de l’écosystème, y compris sur les acteurs privés. Nous proposons concrètement à nos membres des groupes de travail pour déployer des solutions, des formations et ateliers sur le terrain et avec les acteurs territoriaux comme on a pu le faire récemment avec le bureau municipal de la Ville de Caen avec laquelle nous préparons la prochaine biennale d'architecture et d'urbanisme, ou encore avec le Bureau Communautaire Caux Seine Agglomération, dans le cadre du programme des petites Villes de Demain de l’ANCT et pour échanger sur les évolutions possibles de la zone industrielle, dans une stratégie bas carbone sans perdre d’emplois. C’est une manière de confronter et nourrir en permanence notre manifeste à la réalité de la mise en œuvre opérationnelle de la transition dans les territoires, et c’est indispensable.

Votre manifeste précise que la ville durable du XXIe siècle doit être « sobre, résiliente, inclusive et créative ». Pourriez-vous nous détailler ces concepts aujourd’hui largement utilisés dans le débat public, et encore plus avec la crise sanitaire que nous traversons depuis plus d’un an ?

La sobriété, la résilience, l’inclusion et la créativité sont les fondamentaux de la ville durable de demain, c’est dans l’ADN de notre manifeste et la raison d’être de l’association. Parlons sobriété et résilience, deux termes très usités avec la crise sanitaire. De quoi parle-ton exactement ? La sobriété consiste à reprendre ou prendre enfin conscience des limites physiques de la planète et nous invite à changer de paradigme. Car, depuis vingt ans et les débuts du « développement durable », la question des limites planétaires a été mise sous le tapis, en considérant que l’utilisation des ressources et de l’énergie étaient infinis et qu’il suffisait de développer encore la technologie pour « verdir » notre économie, sans remise en cause de la surconsommation qui est la source du problème. La transition vers des villes plus sobres, que nous devons organiser et planifier ou que nous subirons, nous requestionne sur ce qui est vraiment utile en matière de réponse aux besoins essentiels, de qualité de vie, etc.. Il y a des batailles de l’imaginaire qui se jouent aujourd’hui sur le futur de la ville : pendant que certains pensent toujours qu’il y aura quand même des voitures volantes dans la ville zéro carbone de 2050, d’autres se préparent à l’effondrement imminent de la société thermo-industrielle…On parle par exemple beaucoup aujourd’hui de « sobriété numérique », alors que la digitalisation rapide de nos sociétés produit déjà  deux fois plus de carbone que l’aviation, en augmentation exponentielle. L’enjeu pour France Ville Durable sur un tel sujet est de chercher une solution opérationnelle : comment calculer le bilan écologique global de telle ou telle solution numérique, avant de décider de la mettre en œuvre  du numérique ? Nous avons un groupe de travail sur cette question avec des entreprises comme Dassault système, Suez Smart City Consulting, Orange Smart City Business Solutions, et des acteurs comme The Shift Project, l’ARCEP ou l’Ademe qui ont conduit des travaux très intéressants sur ces sujets. Nous avons également des groupes de travail sur « les formations professionnelles pour la ville durable », l’opérationnalisation de l’innovation ou encore  « les labélisations et certifications de la ville durable ». Sur ce dernier point, l’objectif est de rendre plus intelligible les nombreuses labélisations, normalisations et certifications existantes – on a choisi les 12 principaux pour les passer en revue et produire un livrable ultra-pédagogique pour tous les acteurs.  Une autre groupe de travail sur « les échelles du territoire durable » vient de sortir un livrable/guide sur « les rez-de-ville, un enjeu pour la ville durable ». Fin 2021, d’autres groupes de travail sont prévus sur la sobriété foncière, la logistique urbaine et l’approvisionnement.

Deuxième pilier de notre manifeste : la résilience. C’est une vision plus systémique qui consiste à considérer que si l’enjeu climat-énergie est central, il est loin d’être le seul à court moyen terme pour garantir une durabilité des villes, et leur capacité à fonctionner quoi qu’il arrive. C’est une nouvelle approche de la gouvernance qui vise à prendre en compte l’ensemble des vulnérabilités (environnementales, climatiques, sanitaires, économiques, sociales, organisationnelles, infrastructurelles…) dans la stratégie globale du territoire. La ville résiliente doit continuer aussi à fonctionner indépendamment des chocs majeurs.

Troisième pilier : l’inclusion. Sociale, avec une attention permanente aux plus vulnérables dans les transformations urbaines– ce qui explique par exemple la présence de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) ou de l’Union Sociale pour l’Habitat parmi nos membres ;  démocratique : car toutes les parties prenantes doivent être autour de la table, la ville inclusive est aussi participative.

Enfin, quatrième pilier : la créativité. On n’a jamais eu autant besoin de l’intelligence collective pour relever le défi de la ville durable. Expertises scientifique et citoyenne doivent se conjuguer. Les trajectoires dramatiques sont décrites par les chercheurs depuis 40 ans… On doit s’appuyer sur cette expertise scientifique mais aussi sur l’intelligence citoyenne, l’innovation sociale ou organisationnelle.

Y-a-t-il une vision « française » de l’aménagement urbain durable, thème de l’une des conférences prévues le 19 mai ?

La particularité française a trait à la gouvernance des projets. Nous avons un savoir-faire historique en France avec le rôle large de l’aménageur, l’importance de l’élu.e local.e dans les projets d’aménagement, contrairement à d’autres pays comme les Etats-Unis par exemple. La place des citoyens est aussi plus forte qu’ailleurs.

Quels seront les temps forts de cette journée ?

La ministre du logement dressera un point d’étape de sa démarche « Habiter la France de demain » qui vise à engager un aménagement sobre et humaniste. Elle dévoilera une centaine de réalisations pilotes qui montrent la voie. Des « projets démonstrateurs » qui se font à l’échelle du quartier, du bâtiment et du logement. Philippe Madec, architecte et urbaniste, qui a notamment été récompensé pour l'éco-village des Noés à Val-de-Reuil, viendra nous challenger sur la sobriété... Autres moments importants : les associations d’élus viendront donner leurs points de vue sur l’enjeu de la massification dans les territoires tandis que les opérateurs de l’État – participeront le Président de l’Ademe, et les directeurs généraux du Cerema et de l’ANRU – requestionneront la nécessité de dépasser les silos pour accélérer plus efficacement à l’échelle du territoire.

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