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Notre modèle territorial : l’État-Nation tient ensemble la diversité des esprits des lieux

Le 16 avril 2018

Point de vue de Stéphane Rozès, politologue, président de Cap (conseils, analyses et perspectives), enseignant à Sciences Po et HEC.

Ce qui fait sens dans l’action publique pour les agents territoriaux, pour les résidents, les élus, l’État, est ce qui est en cohérence avec le modèle territorial français. Le modèle territorial français, comme dans les autres pays, dépend de l’histoire de notre pays. Les caractéristiques de notre modèle territorial français viennent de nos origines : il y a des populations très diverses comme nulle part ailleurs en Europe ; des Celtes, des Latins, des Germains, ensuite des Européens du sud, des Maghrébins, maintenant peut-être des Européens de l’est.

Mais lorsqu’ils se sont installés en France, ces peuples ont été mus par deux choses essentielles que je pourrais résumer par les formules suivantes : l’imaginaire national qui tient ensemble la France, et un esprit d’élu qui fait le quotidien des territoires. J’ai pu le constater en trente ans d’études et de conseil pour les gouvernants, les entreprises, les collectivités territoriales qui m’ont fait voir des constantes dans les comportements, sur les territoires et au plan national.

Cette France mosaïque d’imaginaires locaux, d’esprits des lieux, ne peut tenir ensemble pour faire la France et la nation qu’à partir d’un deuxième élément socle de notre modèle territorial, qui est l’État-Nation.

La France est ainsi une mosaïque d’esprits des lieux, chacun très divers. Nantes n’est pas Saint-Nazaire, Nancy n’est pas Metz, Lyon n’est pas Grenoble. Chaque ville a sa cohérence. Mais cette France mosaïque d’imaginaires locaux, d’esprits des lieux, ne peut tenir ensemble pour faire la France et la nation qu’à partir d’un deuxième élément socle de notre modèle territorial, qui est l’État-Nation. C’est ce qui est animé par un imaginaire national. C’est parce que la France est diverse qu’elle doit déployer sans cesse dans l’espace, le temps, une incarnation ou un projet politique, au travers de disputes communes de nature politique. C’est la dimension nationale.

Cette dimension est aujourd’hui en crise parce que les Français peinent à se projeter dans un avenir meilleur, dans l’idée que l’Europe serait la France en grand, ou dans un personnel politique qui ne leur ressemble plus, qui ne leur parle plus, qui ne les projette plus. Peut-être le nouveau quinquennat va changer la donne mais en tout cas, c’est ce qui expliquait la dépression française.

Vous voyez le modèle territorial français, c’est une verticalité de l’imaginaire national pour construire l’État-Nation, qui tient ensemble la mosaïque d’esprits des lieux horizontaux de villes et de territoires divers comme nulle part ailleurs, en Europe et dans le monde. Justement, ce modèle aujourd’hui est en difficulté parce qu’au fond, l’incapacité de l’État-Nation à porter devant la nation fait que les territoires ont tendance à se replier sur eux mentalement. En outre, les réformes sont justifiées non pas quant à des finalités mais comme des contraintes financières extérieures, et en plus les réformes territoriales ne sont pas pensées. Elles ne sont pensées ni de façon transcendante par le haut, à partir de valeurs qui nous animent – l’égalité territoriale, l’aménagement du territoire, les services publics, le renforcement de la péréquation –, ni de façon immanente par le bas, au travers des identités des différents territoires.

Ce dysfonctionnement fait que la France recule en termes de compétitivité et d’attractivité économique. Un pays et des territoires sont attractifs, dynamiques, en mouvement, s’il y a une cohérence entre leur identité, les types de gouvernances politiques, et ce que l’on fait pour accompagner économiquement les différents acteurs.

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