Revue
DossierLe deuil, un temps administratif à simplifier

Perdre un proche fait partie des moments clés dans la vie des usagers. Partant de ce constat, la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) a engagé un travail de simplification pour faciliter la vie des personnes endeuillées. Elle a publié, en novembre 2024, le guide pratique Un de mes proches est décédé en France pour les accompagner dans ce moment douloureux. Pauline Sassard et Bastien Lamere, qui pilotent ce projet au sein de la DITP, reviennent sur cette démarche.
Aujourd’hui, 39 % des personnes interrogées déclarent manquer d’information sur les démarches à mener à l’occasion du décès d’un proche. Réalisé et testé avec des usagers, ce guide est le fruit d’un travail collectif avec des agents de la fonction publique (administrations centrales, territoriales et hospitalières), des professionnels (notaires, métiers du funéraire, banques), des associations et des usagers. Réalisé par la DITP avec le concours de la Direction de l’information légale et administrative (DILA), ce guide présente de manière synthétique et sous la forme de fiches pratiques le parcours administratif à suivre, les démarches à réaliser par ordre chronologique, la liste des acteurs à contacter ou encore des liens utiles et des modèles de courrier administratif à dupliquer et adresser aux administrations. Un document de référence qui s’inscrit dans la volonté d’atténuer le choc administratif qui suit le choc émotionnel lors du décès d’un proche.
Pourriez-vous nous rappeler les missions, le rôle et les moyens de la DITP aujourd’hui ?
Pauline Sassard (P. S.) et Bastien Lamere (B. L.) – La DITP pilote le programme de transformation publique défini par le Gouvernement pour une action publique plus proche, plus simple et plus efficace. Elle coordonne et soutient l’action des administrations autour de cinq objectifs : territorialiser l’action publique, simplifier la vie des Français et des agents publics, assurer l’accès à des services publics de qualité, accroître l’efficience de l’action publique et associer les citoyens.
La DITP compte 170 agents. Un tiers de ses ressources est dédié au déploiement de la feuille de route du Gouvernement et de ses différents programmes. Deux tiers viennent en appui des administrations (agence de conseil interne de l’État, laboratoire d’innovation publique, campus de la transformation publique, centre interministériel de la participation citoyenne, fonds pour la transformation de l’action publique, etc.).
Aujourd’hui, 39 % des personnes interrogées déclarent manquer d’information sur les démarches à mener à l’occasion du décès d’un proche.
Vous avez lancé une démarche de simplification et de modernisation des « politiques prioritaires » par moments de vie. Quels sont la philosophie et l’objectif de cette démarche ?
P. S. – C’est le service « Expérience usagers » de la DITP qui est à l’origine de cette méthode de simplification des démarches administratives par « les moments de vie », lancée en 2022. Elle a ensuite été reprise officiellement en mai 2023 par le 7e comité interministériel de la transformation publique (CITP) qui a formalisé et priorisé cinq « moments de vie » : « Je deviens étudiant », « J’établis mon identité », « Je pars, je vis et je reviens de l’étranger », « Je rénove mon logement » et « Je perds un proche ». En avril 2024, lors du 8e CITP, le Gouvernement a rajouté deux autres moments de vie prioritaires : « Je scolarise mon enfant » et « Je deviens parent ».
B. L. – La philosophie de cette approche par « moments de vie » consiste à partir du quotidien des Français en proposant une réponse au-delà des silos administratifs, ce n’est pas à l’usager de comprendre le fonctionnement du système administratif. L’idée est de décomplexifier et alléger les démarches administratives dans leur ensemble. Elle prend en compte le parcours de l’usager qui est confronté à un certain nombre de démarches administratives à des événements clés de la vie, comme à la naissance d’un enfant, au début de la vie étudiante ou lors du décès d’un proche. Grâce à la mise en place d’un baromètre de la complexité administrative combiné avec des approches d’immersion, nous sommes en capacité de partir systématiquement du diagnostic du terrain. Ce baromètre, réalisé tous les deux ans par l’Institut BVA, a pour objectif de mesurer la complexité perçue, appréhender les aspects les plus complexes des démarches et dégager des pistes d’amélioration. À ce jour (déc. 2024), 27 « événements de vie » sont observés.
Chaque année, en France, environ 600 000 personnes meurent, laissant 3 millions de Français endeuillés (chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques [Insee]). Le décès d’un proche fait partie de ces ruptures de vie, avec un double choc : émotionnel et choc administratif. Quelle approche avez-vous adoptée pour atténuer le choc administratif (diagnostic, solution) ?
B. L. – À la suite de la loi du 8 juin 2020 visant à améliorer les droits des travailleurs et l’accompagnement des familles après le décès d’un enfant1, la DITP a été missionnée pour simplifier l’accompagnement des familles ayant perdu un enfant.
Le baromètre de janvier 2023 sur la complexité administrative nous a confortés dans notre volonté de simplifier cette démarche : 30 % des usagers trouvant la démarche complexe, 39 % manquant d’information, 38 % signalant la multiplicité des services à contacter et 30 % trouvant que le service public manque d’empathie. C’est un parcours usager long, complexe, qui a pour particularité d’être réalisé par un proche. Celui-ci est confronté à une multitude de services administratifs avec lesquels interagir.
La première action a consisté à mener un travail de recensement et de simplification de l’information avec l’aide de la DILA. Lorsque l’on fait une recherche sur les démarches à effectuer après la perte d’un proche, près de 200 pages sortent depuis le site service-public.fr. La priorité a donc été d’organiser l’information et de personnaliser le parcours usager en fonction de sa situation : « Je perds ma mère », « Je perds ma femme », « Je suis pacsé/concubin », « Je vis en zone rurale/urbaine », etc. Par ailleurs, nous menons également un travail d’information sur le parcours usager face à la perte d’un proche avec les maisons France services (MSF) (webinaires, formations, etc.).
Le guide pratique Un de mes proches est décédé en France recense les principales démarches à réaliser au moment du deuil.
B. L. – Le guide retranscrit le parcours administratif à réaliser par les proches par ordre chronologique, il suit une logique de check list et a été pensé par et pour les usagers. Une fois élaboré, il a été distribué dans 65 MSF afin d’être testé. Les équipes France services sont unanimes : le guide a été très bien accueilli par les agents, comme par les usagers. Il a aussi été testé auprès des personnels médicaux qui le trouvent très utile.
La DITP a été à l’initiative, avec Santé publique France, du dispositif « 1 000 premiers jours » qui accompagne les parents pas à pas, de la grossesse aux deux ans de leur enfant, grâce à un travail conjoint d’une multiplicité d’acteurs intervenants sur les champs de la santé, de la parentalité ou encore de la petite enfance. Si un tel dispositif global et adaptable a été pensé pour la naissance, pourquoi ne serait-il pas possible pour la mort et le deuil ? À quand, donc, une action publique qui aiderait les endeuillés à mieux appréhender les 1 000 premiers jours du reste de leur vie ?
P. S. – C’est un peu l’esprit de ce guide, nous sommes sur un accompagnement dans la durée avec des indications sur les démarches relatives à la succession, aux impôts ou encore aux pensions de réversion. Cependant, nous n’avons pas vocation à mettre en place un accompagnement au cas par cas au long cours. Pour cela les personnes qui en ressentent le besoin sont redirigées vers des associations de soutien psychologique qui seront plus à même de les accompagner.
D’ici 2035, la France comptera un nombre plus grand de décès que de naissances. Un « death-boom » qui engendrera mécaniquement un accroissement du nombre d’endeuillés. Quelles perspectives pourrions-nous imaginer pour inscrire l’accompagnement des endeuillés dans une action publique plus longue, plus transversale et plus empathique ?
P. S. – D’un point de vue général, nous devons nous inscrire dans une démarche cohérente qui assure la mise en œuvre des engagements relatifs à la qualité des démarches. C’est le sens de Services publics + et des systèmes d’enquête et de consultation auprès des usagers qui permettent d’identifier les moments du parcours ou points de contact pour lesquels il y a des problématiques de délai ou de clarté des communications. Ainsi, nous sommes attachés au renforcement de la bienveillance et de l’empathie dans les interactions de l’administration avec le public. Cette dernière doit s’inscrire dans une démarche structurelle d’amélioration continue, afin que l’ensemble des étapes du parcours usager se fassent dans une logique de fluidité et de personnalisation.
- L. no 2020-692, 8 juin 2020, visant à améliorer les droits des travailleurs et l’accompagnement des familles après le décès d’un enfant.