Revue
DossierRétablir la confiance dans les acteurs publics
Les origines de la crise de confiance dans l’action publique sont plurielles. Conflits d’intérêts, pantouflage, affaires diverses, phobie administrative, frais de taxis illégaux sont la face émergée de l’iceberg. Or l’outillage législatif existe. Et il se renforce. Mais le respect des dispositions législatives réside pour une large part dans les convictions, les comportements et les principes des acteurs publics.
Selon un sondage publié en mai 2017 par l'Institut Elabe, 76 % des Français estiment que la plupart des femmes et des hommes politiques privilégient leur intérêt personnel à l’intérêt général. À la veille de la présidentielle de mai 2017, un autre sondage indique que six Français sur dix estiment que l’honnêteté est la qualité la plus importante pour un chef de l’État. Si l’on peut émettre des réserves quant au contenu des sondages et quant à leur fiabilité, on ne peut passer sous silence le fait que les Français ont aujourd’hui besoin de reprendre confiance dans la vie publique, de donner du sens aux mots déontologie, transparence et éthique. Ne pas écouter ce besoin ne ferait que renforcer les discours et populismes divers.
Nos institutions politiques, économiques et sociales semblent traversées par une onde de défiance, choc auquel les acteurs publics n’ont pas échappé.
Lorsque des candidats malheureux à l’élection présidentielle de 2017 invoquent au sein de leur programme l’ardente nécessité de supprimer un demi-million d’emplois publics en 5 ans, la véritable interrogation porte sur l’utilité et l’efficacité de la contribution des acteurs publics au fonctionnement de notre société. Une fois ces questions posées, c’est le doute qui s’installe au sein du cortex républicain et qui entraîne dans son cortège une méfiance généralisée à l’égard de la légitimité de l’action publique.
La Nation, fruit d’une adhésion volontaire renouvelée, fondée sur le consentement entre des parties, sur des engagements réciproques, repose nécessairement sur des liens de confiance.
Incantation permanente, la confiance est le socle du contrat social qui lie les citoyens administrés à leur communauté. Sans confiance pas de lien social, pas de vivre-ensemble, c’est donc naturellement que cette question se pose avec une certaine acuité quand il s’agit de l’action de l’État et de ses représentants.
À défaut de s’exprimer par un « plébiscite de tous les jours », comment ne pas s’imaginer que les citoyens français, au regard de l’écho médiatique d’une société qui se délite, n’ont pas perdu confiance dans les acteurs du service public ?
Pourtant, d’après une étude diffusée par le CEVIPOF en janvier 2016, à la question « dans quelles institutions ont confiance les Français ? », ces derniers ont largement plébiscité les hôpitaux (82 %), l’armée (81 %) et la police (75 %). A contrario, en queue de peloton caracolaient en tête les banques (29 %), les syndicats (24 %), les médias (27 %) et les partis politiques (12 %). C’est principalement vis-à-vis du personnel politique et « des élites » que la défiance semble s’installer durablement, ce que confirme l’étude du CEVIPOF réalisée en 2017 sur le même sujet.
Or, si les institutions de proximité (conseil municipal, maire, etc.) et plus particulièrement de protection (santé, pouvoir régalien) reçoivent un degré élevé de confiance, les sondés déclarent selon l’étude CEVIPOF de 2017, que le sentiment qui caractérise le mieux leur état d’esprit reste la « méfiance » (31 % soit +3 points par rapport à 2015), suivi de la lassitude (29 %) et de la morosité (25 %).
Dans ce contexte marqué par le repli sur soi et la méfiance, il est donc nécessaire de rappeler que la confiance n’est pas aveugle.
Tout se cristalliserait sans doute autour de la notion du « don ». La confiance si elle se donne logiquement sans contrepartie, renvoyant donc à une éthique de la gratuité et donc sans garantie d’une réciprocité, elle ne peut vraisemblablement être accordée ou se concevoir de la part des citoyens en l’absence d’un retour sur investissement, de prestations satisfaisantes.
Aussi, la société française souffre-t-elle d’un déficit de confiance lié à des impératifs de résultats ? Ne s’agirait-il pas plutôt d’un déficit d’adhésion et de satisfaction vis-à-vis d’une action publique jugée parfois trop complexe, limitée, et dont les ressorts du projet politique qui l’anime peuvent être perçus comme peu lisibles et/ou compréhensibles ?
La restauration de la confiance passera-t-elle par l’amélioration de la performance et de la qualité de l’action publique ?
Déjà la littérature du xixe siècle, sous la plume d’Honoré de Balzac et d’un personnage emblématique, Xavier Rabourdin, dans Les Employés, avait pu moquer les vices supposés des administrations bureaucratiques : multiplication des emplois, servilité des agents publics, manque de rendement, immobilisme, inégalités et injustices, froideur administrative, etc.
Cible idéale, les acteurs publics souffriraient d’un double déficit de confiance : l’un principalement dû à un manque supposé de résultats, l’autre à l’aspect mécanique du fonctionnement de ce « monstre froid » que serait l’administration.
Pour pallier ces dysfonctionnements, l’État n’a eu de cesse depuis une trentaine d’années, sous l’impulsion du new public management, de muter, empruntant au secteur privé ses modalités de gestion pour mieux se réapproprier les leviers de son action. Réformes devenues indispensables dans un monde de plus en plus ouvert, où les gouvernements successifs ont perdu, pour partie, des marges de manœuvre afin de véritablement influencer les comportements des acteurs économiques ainsi que le quotidien des citoyens.
Ainsi la substitution d’une politique de résultats à une politique de moyens, le pilotage des programmes publics par des objectifs et non d’un budget a priori, devaient conduire à améliorer la performance et la qualité de l’action publique. Pour rappel, la performance est la capacité à obtenir durablement les résultats attendus (efficacité) en utilisant au mieux les ressources disponibles (efficience).
Ces dernières années ont donc été particulièrement riches en matière d ‘innovations managériales et de transformation dans le domaine des finances publiques. Elles ont également été marquées par la volonté de simplifier et de rationaliser l’empilement administratif.
On pense nécessairement à l’apparition de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) (1996), de la loi organique sur les lois de finances (LOLF) (2001), au volet financier de « l’acte II » de la décentralisation (2003/2004), au déploiement de la révision générale des politiques publiques (RGPP, 2007), à l’introduction de la méthode du « lean management »au sein des préfectures ou des hôpitaux ou encore
à la réforme territoriale de 2015 (L. no 2014-58, 27 janv. 2014, relative à la modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) – L. no 2015-991, 7 août 2015, portant nouvelle organisation territoriale de la République (Notre) visant à réduire le mille-feuille administratif).
Le leitmotiv est devenu celui de la performance, de l’efficience ainsi que de la juste allocation des financements, sous l’égide d’une évaluation et de contrôles internes continus. La réforme du financement des hôpitaux par l’introduction de la tarification à l’activité (T2A) est un exemple significatif de la nouvelle direction donnée à l’action publique. On assiste avec cette réforme à une véritable accélération des restructurations visant à ajuster les ressources des acteurs publics aux résultats obtenus tout en contribuant à la bonne maîtrise des dépenses publiques. Élément central de la mise en place d’une « nouvelle gouvernance hospitalière » (plan hôpital 2007), elle a pour but de médicaliser le financement de la santé et de responsabiliser les acteurs.
Pour étayer ce propos, le développement de la facturation individuelle des établissements de santé ou FIDES (LFSS, 2009, art. 54), terme latin désignant « la confiance », est devenu un des enjeux majeurs de la maîtrise médicalisée des dépenses. FIDES opère un véritable changement de paradigme dans le recouvrement des recettes des actes et consultations externes (ACE) des hôpitaux avant de s’attaquer aux recettes des séjours à compter de 2022 (PLFSS, 2018). Désormais le paiement est réalisé au fil de l’eau, a posteriori et non plus de manière mensuelle et a priori. La FIDES instaure ainsi un contrôle continu d’un des postes de dépenses publiques les plus conséquents, incitant les hôpitaux à la mise en place d’un suivi médico-économique infra-annuel dans un cadre budgétaire prévisionnel pluriannuel soumis à la validation des agences régionales de santé (ARS).
Pour autant, le passage d’une politique de moyens à une politique de résultats n’a pas diminué la défiance des citoyens envers l’action publique. Si la démonstration de la « bonne utilisation » des derniers publics est indispensable, elle n’est pas suffisante.
Paradoxalement, l’introduction du new public management a pu contribuer à renforcer un sentiment d’incompétence des acteurs publics. Il est en effet, porteur de deux volontés contradictoires : améliorer l’efficacité du secteur public tout en remettant en cause l’efficacité de l’État en tant que régulateur et acteur économique. Un processus, parfois injuste, s’est mis en branle, consistant à délégitimer le bien-fondé de l’état, des collectivités locales et des établissements de santé publics, à exercer une « fonction sociale ».
La notion de service public à la française et son périmètre, érigés sur les principes de l’intérêt général et du bien commun, sont continuellement questionnés par des évolutions controversées et se heurtent fréquemment aux intérêts de la société civile. Les acteurs publics, sont ainsi confrontés à une triple alternative en matière de gestion : faire (régie, établissement public), faire faire (délégation, contrat, concession etc.) ou laissez faire ? Leur choix devant s’appuyer sur une logique économique rationnelle s’inscrivant dans un cadre budgétaire contraint.
La question des frontières entre l’action publique et privée, de ses modalités de gestion, de ses valeurs managériales devient poreuse. Les services publics doivent-ils systématiquement être à l’équilibre, excédentaires ou devenir rentables pour être maintenus ? Quelle est la place laissée au projet politique et sociétal ? Les agents du public semblent pris d’une perte de confiance en eux-mêmes et d’un malaise quant au sens de leurs missions. Ce phénomène n’est certainement pas nouveau, mais comment leur redonner confiance ? La question des conditions de travail devient centrale, celle de l’écoute mais aussi de l’accompagnement des agents dans l’évolution de leurs missions et de leurs métiers indispensables.
L’interventionnisme public a ainsi pu être fortement remis en question notamment lorsque l’État ne démontre pas ou plus son efficacité pour résoudre les problèmes structurels tels que le chômage. C’est le cœur du projet politique et de la décision politique qui sont attaqués. Les différentes vagues de privatisations, l’incapacité de l’État à empêcher les fermetures de grands groupes industriels, à prévoir et prévenir les crises (environnementales, sociales, économiques) ont sans doute contribué à corroborer la vision selon laquelle les acteurs publics sont désormais limités.
Refonder la confiance du public, quelles alternatives ?
Dans ce contexte les acteurs politiques ne devraient-ils pas faire œuvre de transparence concernant leur capacité réelle d’action ? Les citoyens ne devraient-ils pas réévaluer leurs attentes à la baisse ? C’est l’inverse qui semble s’opérer. Face aux incertitudes et à l’instabilité d’un monde en perpétuel changement, les citoyens demandent plus de protection à l’État, plus de services publics ainsi qu’une plus grande proximité et accessibilité à la puissance publique. Les mobilisations face à la fermeture d’institutions de proximité comme les écoles primaires, les maternités ou hôpitaux locaux, services de proximité comme les cantines scolaires peuvent faire entrer les populations locales en résistance. L’attachement, l’adhésion et la confiance des citoyens dans leurs serviteurs se manifestent de manière très visible lorsque le service public s’apprête à disparaître. À moins d’y voir à travers l’expression d’un désarroi de la part de la population, l’existence d’un lien de dépendance. Si Charles Péguy dénonçait dans son ouvrage1 « de la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne devant les accidents de la gloire temporelle », la barrière du « guichet », c’est pourtant la présence d’interlocuteurs de terrain qui semble désormais manquer aux administrés.
Ces mouvements de réaction sont symptomatiques de la crainte de voir sous les effets des recherches d’économies d’échelles et d’efficience, l’État s’éloigner. Cette notion d’éloignement entraîne une double insatisfaction : celle de ne pas ou ne plus être écouté et celle de ne plus faire partie du territoire républicain. Derrière ces réformes voulues comme qualitatives, c’est d’une part le sentiment de voir se creuser un profond fossé entre les citoyens et leur État qui l’emporte. D’autre part, il s’agit de l’angoisse du déclassement et de voir s’accentuer encore plus les clivages entre une « France d’en haut » et une « France d’en bas ».
Dès lors, c’est l’impuissance de l’État et son recul qui sont sources de défiance lorsqu’il ne s’agit pas des acteurs politiques et/ou par ricochet des élites administratives eux-mêmes, dans un contexte généralisé de soupçons, de conflits d’intérêts voire de corruption.
Ainsi se confond perte de confiance entre les acteurs de la vie politique et de l’ensemble des acteurs publics. C’est alors l’ensemble du système qui se trouve décrédibilisé. Pèsent également sur « la classe des dirigeants publics » les suspicions, insupportables pour le pays de la méritocratie, de l’endogamie des élites sur un fond de cooptation et de clientélisme supposés. Gouvernants et grands administrateurs, journalistes, grands patrons, ne seraient-ils pas tous issus du même sérail ? Souvent décriées, les grandes écoles de l’administration, se retrouvent incriminées de ne pas suffisamment diversifier leur recrutement et de favoriser l’élévation des « classes dites supérieures » en raison de leur fonctionnement. Pourtant, cela fait déjà quelques années que ces écoles font en sorte de mettre en place des mécanismes correcteurs : quotas, création de réseaux pour détecter les talents dès le collège/lycée, conventions avec les établissements scolaires en zone d’éducation prioritaire. Ces politiques, si elles se traduisent par un réel
impact sur l’augmentation du nombre d’élèves boursiers ou de femmes reçues aux concours A +, n’ont pourtant pas réussi à modifier l’image populaire de « la fabrique des élites ».
La restauration de la confiance passe indiscutablement par la probité, l’exemplarité des acteurs de la vie politique, administrative et la transparence relative à leurs actions. Chantier phare du gouvernement Macron, vendredi 15 septembre 2017, le président de la République a promulgué la loi pour la confiance dans la vie politique, intitulée originellement « projet de loi pour la confiance dans l’action publique ». Le choc de confiance, voulu par la nouvelle majorité, s’articule ainsi autour de quatre axes : financement de la vie politique, exercice des mandats parlementaires, conditions d’embauche et de nomination des collaborateurs des représentants, règles d’inéligibilité.
Mais s’arrêter là, ce serait oublier que la confiance ne peut être restaurée sans lisibilité et sans adhésion à un projet politique, sans direction et compréhension de l’action publique. Ce qui fonde véritablement la confiance des administrés citoyens dans les acteurs publics c’est le sens de l’action.
Il est important de souligner, que la notion même d’acteurs publics recoupe plusieurs réalités. L’action publique étant protéiforme, elle touche aussi bien à l’acquisition des connaissances (école), à la distribution d’eau potable, à la prévention et la lutte contre la criminalité (police, justice, gendarmerie, etc.), comme à la construction de grands stades pour accueillir les loisirs de la société de consommation (football, concerts, etc.).
La pluralité, la complexité de la qualification de l’action publique ainsi que de la forme que peuvent revêtir les acteurs qui la servent les ont certainement rendus invisibles. Dès lors, comment avoir confiance dans une chose que l’on ne perçoit pas ? La confiance ne peut naître que d’un projet politique clair et mobilisateur.
Ce qui se trouve au centre du renouvellement du lien de confiance s’appuie sur la capacité des gouvernants/administrations de passer de la conception à la concrétisation d’un projet politique dans « le bon tempo ».
Outre le recrutement et le comportement des acteurs publics, c’est aussi leur formation qui fait régulièrement l’objet de vives critiques, au premier rang desquels la formation des manageurs publics. L’interrogation sur les capacités et compétences de ces manageurs à devenir des leaders, à encadrer des équipes et assumer de hautes responsabilités est consubstantielle de la restauration du lien de confiance. Comment ne pas centrer les formations des futurs manageurs uniquement sur la préparation aux concours ? Comment les préparer à exercer des métiers aussi divers ? Comment accompagner la transformation de leurs professions tout au long de leur carrière ? C’est un défi perpétuel auquel sont confrontées leurs écoles et les directions de la formation.
La méfiance est un élément inhérent et indispensable d’une société démocratique. Le peuple faisant confiance aux politiques en vue d’une certaine fin, il est en capacité de lui retirer cette confiance. La méfiance est une garantie pour que le gouvernement se comporte comme il l’a promis. Il serait illusoire de souhaiter une confiance totale envers nos institutions.
Les récentes critiques et attaques auxquelles font face les agents publics dans toutes leurs composantes appellent néanmoins des réponses. De l’adversité et de la contestation de l’utilité des acteurs publics peut naître un mouvement.
Il est nécessaire de relever ce défi, celui de revitaliser le lien entre le public, l’État et ceux qui servent son action au service du bien commun.
C’est pour mieux retrouver ce sens de l’action que des associations comme Action publique XXI voient le jour afin d’offrir des clefs de compréhension sur les tenants et les aboutissants des politiques publiques. L’objectif est également d’inciter chacun à ne pas renoncer à se confronter à la complexité de nos sociétés démocratiques et à ses organisations. L’association propose ainsi d’expliquer avec pédagogie la direction empruntée par l’action publique dans ses multiples champs.
Les liens de confiance sont sans cesse renouvelés, ils sont continuellement réinterrogés. Dans le cadre du service public c’est en se posant de manière récurrente la question de l’apport des services publics à l’usager que la confiance peut être restaurée.
Finalement c’est peut-être moins la confiance qui s’érode que la capacité des services publics à faire face à leurs propres mutations et à les expliquer à leurs personnels ainsi qu’à la population qu’ils servent.
1. Péguy C., Les cahiers de la quinzaine, 1907, Paris.