Revue

Dossier

Jerome Dian : «Diriger une administration implique constamment d’innover»

Jérôme Dian
Jérôme Dian, DGS du département des Hauts-de-Seine, s'appuie sur les EAK pour conduire sa stratégie managériale. Selon lui, pouvoir disposer d’un laboratoire de réflexion est très précieux.
©Département des Hauts-de-Seine.
Le 10 février 2023

Directeur général des services (DGS) du département des Hauts-de-Seine depuis avril 2021, Jérôme Dian s’appuie sur les Entretiens Albert-Kahn (EAK) pour impulser une démarche de transformation managériale et embarquer les agents dans cette dynamique de changement.

L’innovation managériale est-elle suffisante pour transformer une administration ?

Dans un environnement qui évolue de plus en plus vite, l’administration a le devoir de constamment s’adapter aux besoins de nos populations. Les crises récentes (sanitaires, ou plus récemment énergétiques), qui ont eu des impacts forts pour les plus fragiles de nos concitoyens, attestent de cet impératif d’évolution rapide, a fortiori dans une collectivité dont la principale mission est orientée vers les solidarités. Pour répondre à ce besoin, il est indispensable de comprendre le rôle essentiel joué par l’innovation managériale dans la transformation de l’action publique en questionnant les leviers dont dispose un manager public.

Les facteurs de motivation dans la sphère publique sont, par exemple, très différents de ceux du secteur privé. Mon parcours dans les deux branches me permet de livrer un retour d’expérience sur ce point : un dirigeant dans le secteur privé peut librement composer son équipe et agir directement sur les progressions salariales et fonctionnelles de ses collaborateurs. Dans le secteur public, la situation est sensiblement différente puisque votre faculté à choisir vos agents et à influer sur leur carrière est plus réduite. Pour autant, vous disposez d’un atout majeur : les équipes qui travaillent à vos côtés ont fait le choix d’intégrer la fonction publique. Ce choix est, pour beaucoup d’entre eux, un engagement indéfectible à servir l’intérêt général. C’est sur cette valeur commune que vous devez construire votre projet managérial afin de tirer le meilleur d’eux. Il vous faut constamment réinventer la meilleure façon d’entretenir cette flamme pour les amener à se dépasser.

Dans ce contexte, il est essentiel de réinterroger en permanence vos techniques et postures managériales pour moderniser votre organisation, donner toujours plus de sens aux actions de vos agents, les associer à la prise de décision, leur permettre d’être acteurs du changement et les valoriser.

Diriger une administration implique ainsi constamment d’innover lorsque vous ambitionnez d’accroître son agilité et sa performance. C’est la seule manière de faire progresser durablement votre structure.

Quel est votre retour d’expérience à l’échelle de votre département ?

L’innovation au sens large occupe une place unique dans l’action du département des Hauts-de-Seine. Elle constitue une orientation politique majeure de notre exécutif, en particulier pour notre président. Dès lors, elle infuse dans tous les pôles et se traduit par des dizaines de projets qui rivalisent d’originalité et d’ingéniosité. J’ai ainsi trouvé une administration réceptive et acculturée au changement et à l’innovation. Dans cet environnement, le responsable que je suis se doit d’être exemplaire et de constamment se renouveler pour stimuler l’ensemble de la chaîne hiérarchique. C’est une responsabilité importante, mais c’est surtout une source formidable de motivation quotidienne.

Quels sont les outils et les dispositifs que vous avez mis en place pour accélérer la transformation des pratiques managériales dans les Hauts-de-Seine ?

À titre liminaire, je souhaite préciser que j’ai la chance d’avoir un exécutif particulièrement mobilisé et présent au quotidien. C’est grâce à sa confiance et aux marges de manœuvre qu’il me donne que j’ai pu lancer de multiples chantiers de transformation. L’innovation managériale peut prendre diverses formes : organisation, méthodes, outils, projets, pratiques, postures, etc. Dès mon arrivée, je me suis attaché à utiliser la palette la plus large possible afin de transformer nos modes de fonctionnement. Pour ce faire, je me suis naturellement appuyé sur ma propre expérience en adaptant de techniques que j’avais pratiquées ou observées durant ma carrière. En exerçant successivement des fonctions opérationnelles puis des postes orientés vers la prospective, j’ai en particulier appris l’importance cruciale que revêt le diagnostic. Que l’on veuille modifier à la marge ou en profondeur une organisation, ce temps est essentiel, même lorsque vous êtes soumis à la pression de vos décideurs. C’est donc d’abord une nouvelle méthodologie que j’ai impulsée en positionnant l’audit au cœur de nos processus de transformation. Si j’ai initié plusieurs missions, la plus emblématique a été celle réalisée au sein de notre pôle solidarités.

En effet, lorsque je suis arrivé dans les Hauts-de-Seine, le premier défi que j’ai eu à relever était de réinstaurer une dynamique positive au sein de ce pôle. Les agents étaient éprouvés par la crise sanitaire, qui les avait fortement mobilisés, alors qu’un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), assez critique sur notre action, venait d’être rendu public1. Dans ce contexte, il était indispensable de trouver des leviers pour leur permettre de repartir de l’avant.

L’innovation managériale peut prendre diverses formes : organisation, méthodes, outils, projets, pratiques, postures, etc. Dès mon arrivée, je me suis attaché à utiliser la palette la plus large possible afin de transformer nos modes de fonctionnement.

Pour y parvenir, la meilleure façon m’a semblé être de procéder à un audit en profondeur de notre organisation territoriale. J’ai également fait le choix de faire réaliser cet audit par nos propres équipes, ce qui n’était pas une démarche naturelle au sein de notre collectivité. Certains étaient d’ailleurs suspicieux à l’égard de la démarche et j’ai dû me porter garant de la parfaite objectivité de leur action.

Ce vaste chantier a été conduit en quatre temps : expression des agents sur leurs difficultés (près de 600 agents se sont exprimés, soit en entretiens physiques, soit via un questionnaire), restitution des constats à l’ensemble des personnels, constitution d’ateliers thématiques pour formuler des pistes d’amélioration puis accompagnement dans la conduite des actions. Ces dernières ont préalablement été « challengées » par un groupe miroir avant d’être exposées à l’ensemble des agents. Une trentaine de propositions ont émergé et ont permis d’établir une feuille de route très ambitieuse pour dynamiser notre action dans le domaine des solidarités.

La démarche était innovante sur de très nombreux points : choix d’un audit interne, nombre d’agents impliqués, modalités d’association des personnels, etc. Si aujourd’hui, tous les chantiers ne sont pas encore aboutis, force est de constater que les agents ont adhéré à la méthode et qu’une nouvelle dynamique s’est enclenchée.

Pour accroître nos performances, j’ai également modifié l’organisation centrale en corrigeant nos points faibles et en accentuant la visibilité des orientations politiques de notre exécutif. J’ai ainsi recentré la direction générale adjointe (DGA) des ressources humaines (RH) sur son cœur de métier, regroupé les fonctions financières, mis en place une direction de la maintenance des bâtiments et surtout créé une DGA jeunesse et sports. Au-delà de simples modifications d’organigrammes, c’est surtout la volonté d’impulser une logique de transversalité qui a guidé ces changements. La création de directions transversales constituait un véritable défi.

J’ai aussi enclenché une logique de dialogue de performance entre l’exécutif et les responsables de pôles, avec naturellement comme étape préalable la constitution d’un outil dédié au contrôle de gestion. Il m’a fallu redynamiser la cellule dédiée et accélérer la constitution d’un tableau de bord automatisé. Aujourd’hui, nous allons pouvoir entamer l’étape suivante qui consiste à contractualiser avec notre exécutif des engagements sur des objectifs cibles qui, s’ils sont atteints, traduiront l’amélioration de notre performance globale. Tous les pôles seront mobilisés et des objectifs collectifs sont prévus, ce qui renforcera le décloisonnement du travail au sein des équipes.

Les EAK jouent un rôle essentiel dans ma stratégie managériale. Pour donner du sens, il faut notamment pouvoir donner des perspectives. Or, dans notre quotidien, nous sommes enfermés dans des logiques de gestion des urgences. Dès lors, pouvoir disposer d’un laboratoire de réflexion est très précieux. Je m’appuie sur les EAK pour tous les sujets prioritaires.

Enfin, sur le plan RH, qui sont le cœur de notre action, j’ai souhaité lancer un programme « Talents » afin d’encourager les agents de tous grades à sortir du rang et à oser eux-mêmes innover et proposer des projets. L’idée est de disposer d’un vivier d’agents dont l’engagement dépasse leurs missions quotidiennes afin de pouvoir accélérer leurs perspectives de carrière (en les aidant par exemple à passer les sélections et à monter en puissance dans leurs propres facultés managériales). En parallèle, et afin d’entraîner une dynamique plus globale, j’ai également porté une attention particulière aux rémunérations des agents exerçant des métiers en tension, avec des revalorisations catégorielles principalement dans le secteur social, et proposé des actions ciblées sur les bas salaires de la collectivité, en particulier dans la filière administrative.

Il reste encore beaucoup à faire, mais tant les méthodes que les outils ou encore les programmes ont été bien perçus par le personnel et les premiers résultats concrets se font sentir, en particulier en matière d’attractivité de notre marque employeur.

Quels sont les difficultés et les points de tension auxquels vous êtes confrontés ? Comment les surmonter ?

Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises, un manager public doit entraîner avec lui ses agents. Vous ne parviendrez pas à faire progresser votre structure sans emporter leur adhésion. La principale difficulté est donc d’arriver à concilier les exigences de votre exécutif de voir des résultats, ce qui implique des progressions rapides, avec la nécessité de donner du sens et une vision de long terme à vos équipes. C’est un subtil équilibre qui implique un fort engagement personnel qui est extrêmement motivant !

Quel rôle jouent les EAK dans la transformation managériale ?

Les EAK jouent un rôle essentiel dans ma stratégie managériale. Pour donner du sens, il faut notamment pouvoir donner des perspectives. Or, dans notre quotidien, nous sommes enfermés dans des logiques de gestion des urgences. Dès lors, pouvoir disposer d’un laboratoire de réflexion est très précieux. Je m’appuie sur les EAK pour tous les sujets prioritaires. À titre d’exemple, je peux citer l’EAK dédié aux métiers du social, entretien où tous les acteurs du secteur ont pu échanger sur les évolutions à moyen et long terme des compétences et besoins dans ce domaine, ou encore celui relatif à la jeunesse, où nous avons pu bénéficier d’un atelier de design fiction, méthode originale de prospective qui a sensiblement enrichi la vision de nos agents.

Le manager public est et sera toujours au service du politique. Il est là pour conduire l’action publique dans la direction voulue par son exécutif. Or, l’actualité récente montre que des visions différentes se dessinent.

Les EAK sont ainsi dédiés à la prospective et à l’innovation. Ils me permettent d’expérimenter des méthodes nouvelles, d’enrichir les capacités des agents à projeter leurs actions dans le futur, et d’accroître leurs propres compétences pour porter le changement.

Et demain, comment vous imaginez le manager public ?

C’est une question difficile… Le manager public est et sera toujours au service du politique. Il est là pour conduire l’action publique dans la direction voulue par son exécutif. Or, l’actualité récente montre que des visions différentes se dessinent. D’un côté, l’État souhaite des dirigeants polyvalents capables d’exercer dans des univers ministériels très différents ce qui implique nécessairement des approches plutôt macros des organisations et une uniformisation à terme des structures. De l’autre, les responsables locaux désirent des administrations tournées vers les populations et donc qui s’adaptent aux réalités et besoins de chaque territoire. Malgré ces injonctions qui peuvent sembler contradictoires, je crois qu’on peut s’accorder à dire que les principales qualités attendues actuellement resteront indispensables : engagement, esprit d’équipe, force de conviction, etc. Je pense aussi que certaines d’entre elles, comme l’adaptabilité et la capacité à innover, seront encore plus centrales qu’aujourd’hui. Il faut d’ailleurs espérer que les passerelles entre fonctions publiques seront davantage facilitées et encouragées, car elles sont source d’enrichissement des parcours. Nos concitoyens attendent de nous une agilité toujours plus grande. Nos agents également nous challengent et aspirent à avoir des managers en pointe. L’innovation managériale a donc très clairement vocation à être une compétence de plus en plus essentielle pour les dirigeants publics de demain.

  1. Amara F., Fillion S., Laloue F. et Marty M., Contrôle de l’aide sociale à l’enfance du département des Hauts-de-Seine, rapport, 2020.
×

A lire aussi