Numérisation de l’urbanisme : si proche et si loin

Le 19 avril 2018

Le dépôt des permis de construire sous format numérique auprès des communes à parti du 8 novembre 2018 se prépare dans un climat anxiogène. Alors que ni le droit, ni la technique ne s’y prêtent, la date-couperet se rapproche. Le projet de loi ELAN (Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique), actuellement en discussion au Parlement. est pourtant l’occasion de reporter ce délai pour numériser l’ensemble de la chaîne de l’urbanisme. Retour sur les enjeux et les chantiers ouverts.

Dans quelques années, la délivrance d’un permis de construire se fera entièrement en ligne. Comme pour une livraison d’un achat sur internet aujourd’hui, sans doute le pétitionnaire pourra-t-il suivre l’état d’avancement de son dossier, consulter les évolutions proposées ou requises et recevoir l’autorisation par voie dématérialisée. L’autorité en charge de délivrer le permis et ses agents bénéficieront d’une instruction assistée de la demande : les données du permis et celles du règlement d’urbanisme seront comparées automatiquement pour leur permettre de se pencher sur les points où l’interprétation humaine est nécessaire.

La numérisation des documents d’urbanisme et des décisions foncières afférentes, comme la préemption, pourrait permettre également aux élus de suivre sur le plan de leur territoire les parcelles qui ont fait l’objet d’une décision d’achat par la collectivité ou au contraire là où la déclaration d’intention d’aliéner a été déclinée. La transmission de ces déclarations d’intention d’aliéner en ligne, directement entre le notaire qui est en charge de la vente et la collectivité préemptrice pourrait en être fluidifiée.

En avril 2018, tout cela semble pourtant relever de la science-fiction, tant le chemin à parcourir semble long. Au regard de la chaîne entière qui conduit à ce qu’un bâtiment soit construit, la numérisation est en bonne voie mais il reste à transformer le dépôt, l’instruction et la délivrance des autorisations.

La conception assistée par ordinateur des bâtiments est utilisée depuis la fin des années 1990 par les cabinets d’architectes et les entreprises de bâtiments et de travaux publics. La technicité s’est affinée et a intégré les évolutions technologiques récentes dont les objets connectés pour proposer des maquettes en trois dimensions. Mais ce n’est pas ce que l’œil humain voit dans le rendu informatique du plan des architectes et des ingénieurs qui importe. Non, ce qui importe dans le building information model, ce sont les informations ou données qu’il contient. Le gouvernement ne s’y est pas trompé en faisant réaliser Kroqi.fr, une plateforme d’échange pour tous les acteurs du bâtiments (y compris les TPE et PME), lors de la conception d’un ouvrage : les données y sont lisibles par tous les opérateurs, pour une interopérabilité accrue, que le plan y soit déposé en deux ou en trois dimensions. La taille et le volume du bâtiment, l’emplacement et les flux des réseaux ou encore l’efficacité énergétique et sonique pourraient être modélisées et partagées plus aisément.

L’implication de l’Etat avec Kroqi.fr témoigne de la généralisation progressive de la conception des bâtiments sous un format numérique. En creux, l’on s’interroge si les acteurs privés du bâtiment ne se lasseront pas, bientôt, de déposer, sous format papier, quatre exemplaires de leurs permis de construire comme le code de l’urbanisme l’impose.

Les procédures du quatrième livre du code ont été pensées à l’ère du tout papier et elles entreront sous peu en contradiction avec les pratiques.

Dans le même temps, et de manière générale, les procédures administratives sont progressivement dématérialisées. La saisine par voie électronique, prévue par le nouveau code des relations entre le public et l’administration, est possible depuis le mois de novembre 2016. Les démarches d’urbanisme (permis de construire, de démolir, déclarations préalables, certificats d’urbanisme notamment) et les déclarations d’intention d’aliéner ne pourront être réalisées par voie électronique qu’à compter du 8 novembre 2018 en l’état actuel du droit. Cette date fait pourtant débat.

Les collectivités locales, par la voix de leurs associations représentatives, demandent le report de cette date. Le but n’est pas de gagner du temps car leurs services n’auraient pas préparé leur conformité avec les textes, comme on pourrait le croire au premier abord. Les collectivités ne sont pas prêtes à recevoir des permis de construire dématérialisés car ni les conditions juridiques ni les conditions techniques ne sont réunies. La méthode des petits pas retenue par les gouvernements successifs pour mener cette transformation ne permet pas en effet de saisir l’ensemble des conditions de réussite.

L’enjeu n’est pas de dématérialiser la procédure d’urbanisme, comme la saisine par voie électronique en novembre 2018 y invite. La transmission d’un fichier numérique dont le format et le contenu sera celui du papier ne répond pas aux enjeux plus profonds de numérisation. Certes, il s’agit d’une première étape. Mais elle pourrait s’avérer contre-productive tant les risques juridiques sont importants : sans entrer dans les détails procéduraux de droit de l’urbanisme, le dépôt d’une demande de permis s’accompagne de la délivrance d’un récépissé contenant des informations sur l’état de la demande et surtout le délai sous lequel un permis tacite peut être délivré. L’administration, saisie par tout moyen électronique si elle n’a pas un logiciel dédié (accompagné de conditions générales d’utilisation permettant un recours réel au service), fait face à l’impossibilité de traiter les demandes. Le risque est donc de voir fleurir des autorisations de construction non conformes aux règlements d’urbanisme, mais autorisés tacitement. Financièrement, alors que la dématérialisation est régulièrement présentée comme une source d’économie, les collectivités seraient au contraire dans l’obligation d’imprimer l’ensemble des demandes qu’elles reçoivent pour les instruire : le coût leur en serait imputé.

Téléprocédure spécifique pour les communes les plus peuplées

Le projet de loi ELAN, pour « évolution du logement, de l’aménagement et du numérique », contient une autre disposition sur le sujet. Son article 17 dispose que les communes les plus peuplées devront disposer d’une téléprocédure spécifique leur permettant de recevoir et d’instruire les demandes d’autorisation d’urbanisme à compter du 1er janvier 2022. » Avec une téléprocédure, forme la plus aboutie des téléservices, il ne s’agira plus seulement d’une dématérialisation en recevant un .pdf, mais bien de recevoir les données formalisées, sous quatre ans. Par voie de conséquences, leurs services instructeurs, souvent mutualisé à l’échelle intercommunale, devront se doter de progiciels capables lire ces données. A la condition, toujours, que le droit ait évolué pour prendre en compte une procédure numérique et non en tout papier !

À l’autre extrémité de la chaîne procédurale de l’urbanisme, que l’instruction relie au dépôt, figure la planification du droit des sols. La conception des documents d’urbanisme est en voie de dématérialisation, par le dépôt sur le géoportail de l’urbanisme porté par l’État, des règlements de droit des sols. Mais, pour que l’instruction et la délivrance des permis soit numérisée, il est donc nécessaire que les données des règlements soient formatées de manière interopérable avec les futurs logiciels d’instruction. Il s’agit ainsi du troisième chantier technique à ouvrir pour numériser entièrement les procédures de délivrance d’autorisation des droits des sols. Il permettrait également, si leurs données sont ouvertes, à ce que les plans des architectes et des ingénieurs intègrent automatiquement les contraintes des règlements, pour encadrer dès la conception du bâtiment les règles d’urbanisme locales.

Cette transformation juridique et technique ne se fera pas sans l’humain. Un effort de formation des agents des collectivités en charge de l’instruction pour qu’ils puissent utiliser les logiciels instructeurs et l’expliquer à leurs élus s’avère nécessaire. Dans la mesure où le dépôt sous un format papier reste possible, leurs savoir-faire ne disparaissent pas mais il devra être augmenté de manière de faire numériques. De nouveaux métiers, comme le building information manager, devront être rapidement intégrés à la fonction publique.

Le chantier ouvert est immense et ne peut pas être résumé à la seule saisine par voie électronique. Il pose des questions d’adaptation du droit, des enjeux de développement de logiciels et de formation professionnelle. Ils sont en train d’être pris en compte, comme en témoignent les groupes de travail menés soit par l’Etat en matière d’autorisations soit par les associations de collectivités en matière de déclaration d’intention d’aliéner. Le projet de loi ELAN pourrait donner une impulsion nouvelle au projet pour lui donner une dimension globalisante.

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