Revue

Dossier

La fondation territoriale, un autre modèle d’action philanthropique ?

Le 14 août 2023

Les fondations territoriales ont pour ambition de structurer un « circuit court du don » sur le territoire, en rassemblant différents acteurs (publics et privés) autour de causes et d’enjeux d’intérêt général territorial. Bordeaux, Metz et Nantes comptent parmi les collectivités qui voient ce type d’outil se développer. Peut-on parler d’innovation territoriale ? Quelles en sont les caractéristiques ? Quelles sont les conditions favorables à leur création et à leur développement ? Pour quels apports au territoire ? Retour d’expérience avec Metz Mécènes Solidaires (MMS).

Jusqu’en 2014, la communauté d’agglomération de Metz gestionnaire de sites culturels à fort potentiel de mécénat (opéra, conservatoire, musées, etc.) ne disposait pourtant pas d’agents dédiés à cette question. La communauté engage donc une politique de mécénat culturel et Aurélie Reder est alors embauchée pour la porter. La transversalité des besoins de mécénat sur l’ensemble du territoire s’impose progressivement, tout autant qu’un fort besoin de pédagogie à l’interne, comme à l’externe. Aurélie Reder, aujourd’hui déléguée générale de MMS, et Gilles Franchetto, directeur de la mission Innovation et mécénat au sein de l’Eurométropole de Metz, relèvent ce défi pour faire de la politique de mécénat une démarche transversale, multi-parties prenantes et pérenne. Pour Horizons publics, tous deux reviennent sur les faits marquants de cette aventure d’innovation territoriale2.

MMS est un fonds de dotation créé à Metz Agglomération il y a cinq ans. Pouvons-nous revenir sur sa genèse, et préciser ce qui a compté dans l’émergence de ce projet ?

Gilles Franchetto (G. F.) – La genèse du fonds de dotation MMS a été rendue possible via un processus de sensibilisation permis par le recrutement d’Aurélie Reder. Nous l’avons conduit main dans la main, Aurélie Reder à la direction de la culture, et moi à la direction de la stratégie et de l’innovation, où j’avais en charge la mobilisation de fonds publics et la recherche de financements. Je n’étais pas très outillé sur le mécénat, et mes collègues y voyaient surtout l’unique aspect pécuniaire. Après une phase de formation et de benchmark, nous avons été rapidement promoteurs de l’idée que cantonner le mécénat à son seul enjeu financier est très réducteur, et qu’il s’agit avant tout de développer de nouvelles formes de partenariat et de synergie. Cet état d’esprit est le même qui m’anime aujourd’hui dans mon activité au sein du M’Lab3, à savoir encourager une autre manière de faire de l’action publique, par de la réelle co-construction de solution, de l’accompagnement, de la facilitation, le développement de nouveaux liens, tout autant si ce n’est plus que par du financement ou du portage systématique.

Cantonner le mécénat à son seul enjeu financier est très réducteur, et qu’il s’agit avant tout de développer de nouvelles formes de partenariat et de synergie.

Entre 2014 et 2017, nous avons impulsé une série d’événements, pour sensibiliser, faire comprendre ce que faisait l’agglomération en matière de mécénat, par exemple lors d’interventions en conférence auprès des maires ou en impulsant des opérations de collecte. Le secteur culturel a été un point d’appui. Nous avons eu un certain succès et avons collecté jusqu’à 300 000 euros. Le rattachement du poste de chargée du mécénat à la direction de la culture a été un point d’entrée par le besoin, et permettait ainsi de mieux accompagner la gestion des contreparties à l’époque, avec le musée ou l’opéra-théâtre. Il aura légitimé l’action d’Aurélie Reder, à l’interne comme à l’externe auprès des entreprises.

Aurélie Reder (A. R.) – Les entreprises ont commencé à s’intéresser à ce sujet du mécénat de proximité, par ce type d’expérience concrète. Elles ont peu à peu considéré que le mécénat n’était pas que le fait de grandes entreprises, mais pouvait aussi être un outil accessible aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou aux très petites entreprises (TPE). Parallèlement, ces trois années de sensibilisation ont permis d’intéresser plus largement les services. Nous étions alors à 100 % sur du mécénat culturel, mais de plus en plus de collègues au sein de la collectivité se sont intéressés au sujet via le développement durable ou les questions de solidarité. L’impératif de ne pas démarcher, en ordre dispersé, les mêmes entreprises a fait émerger l’enjeu de mieux se coordonner, et donc de faire évoluer cette fonction de mécénat.

Concernant la collecte de fonds, un enjeu a été le rapprochement avec la direction de l’attractivité et du développement économique, avec qui j’ai cherché à travailler en transversalité. Elle a permis d’élargir la connaissance des entreprises du territoire, et donc de développer des prospects, et notamment l’identification de nouvelles entreprises. Ce rapprochement a été encore plus marqué à partir de fin 2017. L’année 2018 marque un tournant avec la double création du fonds de dotation MMS et de l’Eurométropole. Le premier partenariat est celui noué avec l’agence de développement économique Metz Métropole Développement qui fusionnait alors avec l’office de tourisme local pour créer l’association et la marque Inspire Metz. Elle hébergera au début de l’aventure MMS, contre loyer, positionnant ainsi ce nouveau fonds de dotation au plus près du contact avec les entreprises.

Ce processus a été avant tout marqué par une pédagogie à 360° (interne et externe à l’Eurométropole). Il a aussi bénéficié d’un « alignement des planètes » entre trois personnes clés : André Heintz, un chef d’entreprise du territoire, Yann Le Bolloch, directeur général adjoint (DGA) de la ville de Metz et un élu, Daniel Baudouin, délégué au mécénat à l’Eurométropole.

Nous avons rencontré André Heintz en 2016. Il est devenu un soutien clé du projet : ce chef d’entreprise né à Forbach (57), à la personnalité atypique, à la tête d’un groupe régional de 450 salariés (Heintz immobilier et hôtels) est fortement attaché au territoire. Son credo est qu’il serait illusoire de croire qu’une entreprise pourrait être « un îlot de prospérité dans un océan de marasme » 4. Il était prêt à y aller de ses fonds personnels pour créer un nouveau véhicule de collecte de fonds sur différentes thématiques d’intérêt général et territorial.

Côté ville, le DGA en charge de la solidarité de l’époque, Yann Le Bolloch, était un convaincu de l’apport de l’économie sociale et solidaire (ESS) et de l’économie circulaire sur les territoires, intéressé par la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), les finances solidaires, etc., pour lui, le mécénat solidaire participait bien des ressources pour l’intérêt général sur le territoire.

G. F. – Avec la conviction qu’il fallait faire évoluer cette fonction sur le mécénat, de nombreuses questions ont surgi : sur le fond, fallait-il outiller une démarche de mécénat qui dépassait le seul champ de la culture, sur lequel l’agglomération s’était outillée ? Cette fonction devait-elle être externalisée ou pouvait-elle être mutualisée avec la ville ? Fallait-il créer plusieurs fonds thématiques pour aller sur des enjeux aussi variés que le développement durable, les solidarités, l’inclusion numérique ?

Vous aviez alors de nombreuses questions, et vous parlez de pédagogie à 360° : quels ont été les ressorts de cette pédagogie, les faits et les apports déterminants pour la création de MMS ?

A. R. – En 2017, le processus de sensibilisation s’est transformé en mode projet. Il a été facilité par cet « alignement des planètes ». Nous avons mobilisé le plus transversalement possible, autour d’un processus de co-construction du projet avec une grande diversité d’acteurs.

Deux ressources externes ont été mobilisées au service de la démarche projet, celle d’un avocat spécialisé auteur du Code du mécénat, Wilfried Meynet, et un accompagnement pro bono de KPMG (un réseau international de cabinets d’audit et de conseil). Le discours juridique a facilité la mise en dialogue entre des élus, le directeur d’Inspire Metz, la direction du développement économique, le centre communal d’action sociale (CCAS) de la ville de Metz et d’autres. Nous nous sommes efforcés de mobiliser largement en interne.

Le premier apport de MMS a bien été de mettre acteurs publics – élus, salariés issus de différentes compétences et directions – et acteurs privés en situation d’apprendre à travailler ensemble.

Trois actions ont été déterminantes : le choix du statut, la validation du besoin d’un poste dédié au sein de la future structure, et enfin les délibérations pour faire des collectivités des membres fondateurs. Avec l’appui de l’avocat, différentes options statutaires ont été explorées : celle d’une fondation abritée n’a pas retenu l’attention du fait de la nécessité d’indépendance de l’outil, destiné à être multi-parties prenantes, mais aussi parce qu’à l’époque, la question de l’implication des collectivités restait controversée. La création d’une fondation de plein exercice était trop onéreuse, notre capital de départ étant de 30 000 euros. Le fonds de dotation s’est imposé par la souplesse que ce statut conférait.

G. F. – Se posait également la question du fonctionnement d’un fonds de dotation et de la nécessité ou non de le doter d’un poste permanent. C’est la raison majeure pour laquelle nous avons mis en place un voyage d’étude auprès de Bordeaux Mécènes Solidaires (BMS) en novembre 2017 avec le collectif déjà mobilisé sur le benchmark juridique. À la suite à ce voyage, qui a permis de passer à la vitesse supérieure, la mise en disponibilité d’Aurélie Reder et son recrutement comme déléguée générale du fonds de dotation ont été validés.

Sur l’alignement des planètes évoqué, il importe de ne pas oublier la dimension politique. Il était compliqué de faire comprendre aux élus ce que venaient faire des acteurs du monde économique sur des questions d’intérêt général. La question « pourquoi de l’argent privé allait soutenir des projets associatifs et à travers eux l’intérêt général sur le territoire ? » a supposé un véritable accompagnement : l’élu au mécénat, Daniel Baudouin et Aurélie Reder sont devenus de véritables traducteurs. Cet appui pédagogique a facilité les votes des délibérations concernant le fonds et l’implication des collectivités concernées comme fondateurs.

Une fois prise la décision de création du poste, une troisième phase s’est ouverte, pour laquelle la pédagogie a été également de mise. Des séminaires ont eu lieu sur les valeurs, les missions, le fonctionnement, la nature consumptible5 du fonds, etc. Ces séminaires ont permis aux acteurs publics et privés en présence de s’approprier l’outil tout autant que d’en concevoir et partager l’ingénierie. Ici le mécénat en nature de KPMG permettait à la fois d’illustrer une des formes de mécénat tout autant que d’apporter un appui expert au processus. Ce mécénat en nature a d’ailleurs perduré quelques années par un appui en expertise comptable. Le mécénat en nature est une des ressources clés du fonds de dotation, avant tout parce qu’il procède d’une pédagogie, là aussi, de la réciprocité.

A. R. – Ce travail sur les valeurs, le cap, les missions aura été aussi essentiel parce qu’il a conduit les participants à porter aux premiers conseils d’administration d’autres sujets faisant dissensus. Ces temps, d’ailleurs tenus en dehors de l’institution sur des horaires décalés, ont permis de sortir de postures politiciennes.

Ce n’était que le début de ce processus pédagogique et de cette acculturation. Ainsi le premier apport de MMS a bien été de mettre acteurs publics – élus, salariés issus de différentes compétences et directions – et acteurs privés en situation d’apprendre à travailler ensemble. Le fonds est resté ce lieu d’apprentissage réciproque, ce qui fait aujourd’hui que les chefs d’entreprise comme les représentants des collectivités y viennent, sans qu’il soit nécessaire de faire de relances. Cette nécessité de dialogue implique d’être vigilant : l’évolution des mandats, des priorités politiques et le turn over des personnes fait que ce n’est jamais pleinement acquis.

Quels seraient les autres indices de la dimension d’innovation territoriale de cet outil ?

A. R. – Les premiers mois d’existence, nous avons engagé non sans difficulté la recherche de « bons » projets, en se donnant pour règle le financement d’investissement sur les projets. Cette recherche de projets s’est avérée plus difficile encore que de chercher de l’argent ! J’ai engagé un travail de sourcing6 important ; André Heintz, devenu président du fonds, a exploré des projets existants ailleurs, pouvant intéresser le territoire. La mise en débat des projets n’a pas été sans poser différentes questions, liées notamment à la prise en compte des politiques et enjeux RSE des entreprises mobilisées.

Un autre ingrédient central a été le lancement d’un projet de conserverie solidaire locale, concomitant à la création du fonds, dédié à la transformation de produits alimentaires en relation étroite avec l’activité de collecte de la banque alimentaire. Ce projet « cochait toutes les cases », dont l’enjeu d’investissement qui parlait aux chefs d’entreprise. Il a aussi permis de fabriquer un premier récit qui est devenu une référence. Nous avons également créé des temps « success stories », pour permettre aux porteurs de projets de se présenter devant le parterre des membres publics, privés et des partenaires de MMS qui pouvaient être intéressés : caisse de retraite, bailleurs sociaux, etc. Le développement d’une culture commune ne s’arrête en effet pas à la relation entre chefs d’entreprises, élus et salariés des collectivités !

Au-delà du dialogue, c’est bien cette identification partagée des besoins et causes prioritaires, ainsi que des projets d’intérêt général territorial qui constituent une des dimensions à part entière de l’innovation sociale territoriale soutenue par MMS.

Les premiers projets proposés à la sélection ont constitué autant de tests du modèle. Ces auditions ont contribué à forger progressivement une philosophie commune sur les projets, et plus largement les causes territoriales qui paraissaient collectivement prioritaires et pertinentes pour MMS. Ainsi des projets culturels avec un vernis de solidarité ou encore des projets sportifs n’ont pas suscité l’intérêt des mécènes. En revanche, des projets sur le handicap ou encore l’aide aux migrants ont suscité de l’intérêt partagé, malgré la difficulté de modèles économiques viables. Au-delà du dialogue, c’est bien cette identification partagée des besoins et causes prioritaires, ainsi que des projets d’intérêt général territorial qui constituent une des dimensions à part entière de l’innovation sociale territoriale soutenue par MMS. Les débats parfois intenses sur les modèles socio-économiques des projets, leur caractère hybride et leur viabilité ont participé de cette acculturation sur ces causes où les modèles économiques sont plus complexes à travailler. Le dialogue avec les entreprises, ici malgré le choc des cultures, a aussi permis de nourrir en conseil les porteurs de projets qu’il s’agisse d’appréciation des prix, de contacts, etc.

Ces premières expériences, et les rebonds d’idées qu’elles ont suscités, ont conduit MMS et ses membres à disséminer la culture du mécénat au sein des entreprises, mais aussi au service de l’expression des besoins, de la genèse d’idées et de la consolidation des projets sur le territoire. En ce sens, MMS a fortement contribué à l’impulsion territoriale de différents outils.

Le premier d’entre eux est le Filament, : une dynamique de mise en relation favorisant le développement d’actions concrètes entre des entreprises et des associations locales, qu’il s’agisse d’organiser du mécénat de compétences ou du don en nature. Le second est le Filon, dont l’objectif est de faire émerger et d’accompagner des projets dans le champ de l’ESS en Moselle. Grâce à des dispositifs tels que la Fabrique à initiatives, l’association dotée de premiers salariés, met en place des processus d’idéation sur le territoire pour favoriser l’émergence de projets. Doté d’un incubateur, il accompagne la consolidation de projets dans une démarche complémentaire du soutien moral, relationnel et financier de MMS.

MMS ne se contente donc pas de mobiliser et redistribuer du financement. En sus des outils de sensibilisation évoqués au service du développement d’un circuit court du don, c’est une véritable fonction d’animation territoriale qui est développée, et qui participe de cette dimension d’innovation. Par exemple, le partenariat avec la radio chrétienne francophone (RCF), Jerico Moselle, permet d’assurer tous les mois une émission « Le forum de l’ESS », qui met en lumière des associations locales en relation avec une thématique sociétale. L’objectif est d’échanger avec des jeunes et de les sensibiliser ainsi au fait associatif. La relation entreprises-associations est aussi encouragée lors de l’événement Giving tuesday, d’inspiration américaine, etc.

L’ADN de MMS est donc bien sa capacité à relier différents mondes : de la fonction publique, du monde économique, du monde associatif. Au regard du modèle des community foundations, la marge de progression se situe du côté des habitants, des citoyens, potentiels donateurs particuliers et/ou bénévoles. Elle est aujourd’hui en travail.

Dialogue public-privé ou identification des besoins, animation territoriale : autant de fonctions qui pourraient être directement assumées par l’acteur public. La fondation territoriale se substitue-t-elle à l’action publique ? Quels sont les points d’attention pour le développement et la pérennisation d’un tel outil ?

G. F. – Sur la relation à la puissance publique, votre question en cache plusieurs ! Dans quelle mesure l’existence et l’action de la fondation territoriale cautionneraient un potentiel désengagement public ? Comment les collectivités, qui sont membres fondateurs, peuvent-elles s’impliquer sans grever l’indépendance de l’outil ? Et, in fine, en quoi l’existence de la fondation territoriale peut-elle contribuer à alimenter les politiques publiques ?

Au préalable, il faut souligner que les représentants des collectivités mobilisées – l’Eurométropole, la ville de Metz – n’ont pas été dans la défiance, mais bien plutôt déstabilisés par les questions que posait le développement d’un tel outil, jusqu’au rôle évoqué d’acteurs du monde économique sur les sujets d’intérêt général. Alors que nous étions uniquement dans un rôle de financeur vis-à-vis de l’agence de développement économique et des acteurs de la création d’entreprise, avec la fondation territoriale une autre implication était demandée, mais qui ne reposait pas sur un financement. Cette relation s’est progressivement stabilisée.

Les collectivités fondatrices ont pris un rôle relativement présent, mais cadré dans la dynamique de l’outil, au double niveau opérationnel et de la gouvernance. Dorénavant, les services concernés de la métropole ou de la ville sont consultés pour donner un premier avis consultatif sur les projets reçus. Par la suite, les élus participent aux instances, ce qui constitue un retour d’information riche sur les projets et leur contexte.

A. R. – Ce partage est aussi constructif pour la collectivité que pour les mécènes impliqués. Là où le CCAS réalise une analyse des besoins sociaux, la connaissance et la mise en débat des projets avec d’autres acteurs du territoire enrichit d’une autre façon la perception des salariés comme des élus : la présence des collectivités dans les instances permet d’avoir une vue et un dialogue sur les projets, sur l’approche des enjeux et besoins du territoire par les associations et les entreprises, mais aussi de nourrir une politique de l’ESS qui n’est pas forcément visible stricto sensu dans l’organigramme, ou discrète dans le budget de l’Eurométropole. Réciproquement, pour les mécènes engagés, avoir l’avis de l’Eurométropole, de services de la ville, du CCAS, légitime aussi leur positionnement.

Au regard du modèle des community foundations, la marge de progression se situe du côté des habitants, des citoyens, potentiels donateurs particuliers et/ou bénévoles. Elle est aujourd’hui en travail.

Cette co-participation lors des auditions et aux débats parfois techniques qu’ils occasionnent permettent en retour à ces entreprises de mieux comprendre comment fonctionne la puissance publique. Par exemple, sur un projet de colocation solidaire de chambres vides d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) au bénéfice d’étudiants – un projet d’entraide intergénérationnel –, la question des chambres et de leur vacance aura pu susciter de vifs débats entre chefs d’entreprise concernés. Le projet aura été l’occasion de présenter la question des agréments, qui renvoie directement aux possibilités contraintes de financements des lits par la collectivité départementale. Donc, au contraire d’un désengagement, les collectivités se retrouvent, lors de ces rencontres, en situation de pédagogie sur le fonctionnement de leur politique publique et leurs limites.

G. F. – En relation avec les réflexions sur l’évolution du rôle de l’action publique, l’existence de la fondation territoriale conforte une posture par laquelle les collectivités concernées aident à faire faire plutôt que de faire, tout en ouvrant un large dialogue avec des acteurs du territoire concernés par l’innovation territoriale et la dynamique locale. Cette posture est subtile, afin de ne pas risquer d’alimenter non plus un soupçon d’ingérence. Aussi l’absence de soutien financier public à la création et au développement de MMS, s’il satisfait le respect du cadre légal, aura surtout eu pour effet de conforter et rassurer sur l’indépendance politique de l’outil. Éloigner l’outil de la puissance publique aurait a contrario conduit au risque d’écarter la conception thématique des appels à projets de la définition et de l’ajustement en continu des politiques publiques. Les collectivités locales participent une fois par an à la définition des appels à projets thématiques de MMS. L’existence de ce dialogue permet aux membres de MMS, dont les mécènes, d’être des partenaires privilégiés de l’action publique, de même que l’action publique peut s’inspirer, se nourrir du débat généré par les projets et donc les enjeux de développement du territoire.

Aujourd’hui, l’Eurométropole continue de se professionnaliser sur le mécénat. Globalement, elle poursuit son action de développement du mécénat culturel, la fondation territoriale s’attachant à des sujets plus socio-environnementaux. Mais son statut d’Eurométropole a élargi également ses compétences, et l’amène à travailler sur davantage de projets de préservation de la biodiversité ou de lutte contre le réchauffement climatique. Il s’avère que les projets diffèrent dans leurs contenus, aussi, l’enjeu serait de travailler à approfondir encore la complémentarité d’action entre la politique publique et un outil de dialogue pérenne public/privé comme l’est devenu MMS.

G. F. – Dorénavant, comme le souligne le panorama réalisé par l’agence d’urbanisme d’agglomérations de Moselle (AGURAM)7, MMS est référencé comme acteur clé de l’écosystème ESS du territoire. L’outil est ancré sur le territoire. Une enquête auprès des porteurs de projets en 2020 a permis de réaliser que 80 % des porteurs de projets sont informés par les collectivités de l’existence de MMS. La vision du mécénat comme pure ressource financière reste vivace au sein de l’institution publique. Aussi, si MMS est dorénavant un acteur reconnu dans le paysage, et que cette relation avec l’acteur public fait pleinement sens, rien n’est jamais acquis. La pédagogie doit rester de mise, c’est une clé pour pouvoir s’appuyer sur l’innovation territoriale que concrétise l’existence d’un outil comme MMS.

En France, les fondations territoriales se développent en empruntant principalement les cadres contractuels ou juridiques de fondations abritées ou de fonds de dotation.

La présence des collectivités dans les instances permet d’avoir une vue et un dialogue sur les projets, sur l’approche des enjeux et besoins du territoire par les associations et les entreprises, mais aussi de nourrir une politique de l’ESS qui n’est pas forcément visible stricto sensu dans l’organigramme.

De la philanthropie communautaire
à la fondation territoriale : points de repère

La « fondation territoriale » est la dénomination, en France, d’un modèle d’action philanthropique, inspiré des community foundation, modèle né au début du xxe siècle, aujourd’hui porté au niveau international (Global Fund for Community Foundations [GFCF] – Wings) et européen (European Community Foundation Initiative [ECFI]).

La première fondation communautaire aurait été créée en 1914 sous l’impulsion d’un banquier de la Cleveland Trust Company qui cherchait à éliminer ce qu’il appelait la « main morte » de la philanthropie organisée. Il a créé une fondation dynamique, à même de mobiliser les dons de la communauté de manière réactive. L’idée était de créer un fonds commun permanent au profit de Cleveland, qui évite la dispersion des dons et pourrait être orienté vers les besoins changeants de la ville. Développé au fil du siècle sur le continent américain, ce modèle est arrivé en Europe à partir des années 1970-1980. ECFI8 dénombre aujourd’hui environ 850 fondations communautaires dans 22 pays en Europe, et jusqu’à 420 en Allemagne. Si elle prend des formes institutionnelles variées, en adaptation aux contextes légaux et culturels nationaux, la fondation communautaire situe le développement des capacités des personnes (porteurs, donateurs, etc.) au cœur de son action.

En France, les fondations territoriales se développent en empruntant principalement les cadres contractuels ou juridiques de fondations abritées ou de fonds de dotation. ECFI en compte une soixantaine, mais elles restent relativement difficiles à dénombrer, faute d’une définition suffisamment normée. Selon la Fondation de France, la notion de « fondation territoriale » évite une traduction trop littérale, qui emporterait un risque d’assimilation au communautarisme en France. D’après des travaux publiés en 2013 par le CFF9, la fondation territoriale se caractériserait par le faisceau d’indices suivant :

  • organisme privé sans but lucratif ;
  • fédérant un collectif de représentants de la société civile, garant de son indépendance et d’une vision solidaire ;
  • ancré sur un territoire (un quartier, une ville, une région, etc.) ;
  • qui a pour mission d’intervenir sur toutes les causes de l’intérêt général : solidarité, santé, culture, environnement, éducation ;
  • en soutenant les bénéficiaires locaux les plus pertinents : associations, établissements, personnes physiques ;
  • grâce aux engagements et dons effectués par les habitants et les acteurs locaux.

Au sein du CFF, des réflexions sont en cours, dans le cadre du cercle Territoires et fondations10 pour approfondir la connaissance des fondations territoriales et plus largement de l’action des fondations sur les territoires.

  1. Lucile Manoury est en cours de recherche doctorale en sociologie sur la relation philanthropie et territoires au sein de l’université de Haute-Alsace (UHA).
  2. Le texte qui suit propose une synthèse de ces riches échanges entre Aurélie Reder et Gilles Franchetto.
  3. Gapenne B., « Gilles Franchetto, responsable du service Mécénat et innovation à l’Eurométropole de Metz », Horizons publics juill.-août 2022, no 28, p. 4-9.
  4. MMS, « André Heintz, président de MMS », Youtube janv. 2019.
  5. Qui peut être consumé.
  6. À la différence de l’appel à projets qui permet plutôt de saturer un champ ou un sujet, le sourcing est une démarche proactive d’identification de projets à soutenir en adéquation avec des attentes spécifiques.
  7. AGURAM, « Metz métropole territoire d’économie sociale et solidaire », Repèr’ août 2020, no 2.
  8. ECFI, Directory : Community Foundations in Europe, rapport, 2023 et Community Foundations in Europe : State of the Field 2022, rapport, 2022 (https://www.communityfoundations.eu/directory.html).
  9. CFF, Fondations territoriales, pour une philanthropie de proximité, 2013 (https://www.centre-francais-fondations.org/wp-content/uploads/2022/09/Fondations-territoriales-pour-une-philanthropie-de-proximite.pdf).
  10. https://www.centre-francais-fondations.org/cercle-territoires-et-fondations/
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