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Le festival d’Avignon, démonstrateur d’une transition écologique territoriale

Festival d'Avignon
Le festival transforme la ville. « Le plus grand théâtre du monde » s’interroge sur son impact environnemental et son rapport à l’écologie alors qu’il connaît une croissance régulière depuis des décennies.
©Adobe Photostock
Le 10 août 2023

La mutation écologique est une opportunité de repenser le modèle du festival d’Avignon, l’une des plus grandes manifestations françaises du spectacle vivant. Et d’inventer un dispositif de gouvernance inédit, rassembleur et pérenne.

2047 : le festival d’Avignon est centenaire. Il s’apprête à célébrer durant trois semaines l’anniversaire de l’une des plus anciennes manifestations culturelles françaises, consacrant encore davantage ce lieu incontournable du spectacle vivant de notoriété internationale. 28 degrés : la température est agréable et les prévisions clémentes. La ville et les théâtres sont prêts, les hôtels affichent complet, les terrasses des restaurants et cafés ont investi les rues piétonnes. Le choix d’avancer le festival au printemps, opéré quelques années auparavant après de longs et vifs débats, est désormais une évidence partagée. Le festival n’est plus estival. Les vagues de canicule des années 2030, particulièrement intenses en basse vallée du Rhône, avec une dizaine de jours au-dessus des 42 degrés, avaient tout simplement fait fuir l’été. Les coupures d’électricité avaient précipité la décision. L’utilisation massive de la climatisation représentait une difficulté écologique et économique insurmontable pour les théâtres. La rareté de la ressource en eau avait eu raison de l’attractivité estivale d’Avignon. Alors, comment continuer à accueillir et à tenir un évènement de cette ampleur dans de telles conditions ? Les festivals étaient d’ailleurs nombreux à avoir quitté le sud de la France. Celui d’Avignon a fait le choix de rester avignonnais, en modifiant sa saisonnalité.

Avignon : l’adaptation climatique comme condition d’attractivité

Retour en 2023 : « Les conséquences du dérèglement climatique sont aujourd’hui bien réelles, y compris dans nos vies quotidiennes. Nous n’avons plus le choix, il nous faut agir vite. Il en va de la qualité de vie et de ville dès les prochaines années pour Avignon. » Cécile Helle, maire de la ville, a placé le défi écologique et climatique comme clé de voûte de ses actions, tant dans les domaines de l’aménagement urbain, du social, du tourisme ou de la culture. La nouvelle stratégie touristique, élaborée avec l’ensemble des acteurs du tourisme et co-animée par l’agence d’urbanisme Rhône Avignon Vaucluse, comprend un volet culturel. Elle a été l’occasion de revisiter la notion d’accueil et de destination estivale d’une cité du sud. Au-delà de son rôle dans l’attractivité d’Avignon, la culture y est considérée comme vecteur de sensibilisation et d’éducation aux transitions. L’expérience d’une exemplarité écologique locale à travers les évènements culturels est ciblée comme prioritaire, avec notamment un objectif zéro plastique à étendre pour éviter le gaspillage, réduire à la source, recycler et réemployer à des fins artistiques. La mise à disposition de gourdes et la multiplication des points d’eau en lien avec les restaurateurs font partie des actions à renforcer. Le projet « Avignon, terre de culture 2025 » qui fêtera les vingt-cinq ans d’Avignon, capitale européenne de la culture doit servir de démonstrateur de cette nouvelle donne.

Le festival transforme la ville. « Le plus grand théâtre du monde » s’interroge sur son impact environnemental et son rapport à l’écologie alors qu’il connaît une croissance régulière depuis des décennies.

S’agissant du festival, la ville offre certainement les conditions optimales pour tenir le cap de l’alliance écologique entre une manifestation culturelle et son territoire : valorisation des lieux existants sans construction neuve, offre d’hébergement conséquente permise par la mise en location de leurs logements par les habitants, potentiel significatif d’économies d’échelle du fait de la concentration dans les remparts de la majeure partie des lieux de spectacles, opportunité d’un festival sans voiture grâce à une remarquable accessibilité ferrée et des déplacements sur place uniquement en mode actif.

De la prise de conscience du festival à l’amorce d’un changement de récit et de modèle

Le festival transforme la ville. « Le plus grand théâtre du monde » s’interroge sur son impact environnemental et son rapport à l’écologie alors qu’il connaît une croissance régulière depuis des décennies. En 2022, environ 1 550 spectacles quotidiens ont été joués dans plus de 150 lieux, pour plus de 30 000 représentations, dont 300 pour le « in ». Près de 1 200 compagnies se sont ainsi retrouvées à Avignon. On estime à 700 000 le nombre de visiteurs et les retombées économiques sont évaluées à près de 100 millions d’euros. Le festival contribue pour certains commerces et restaurants à plus du tiers de leur chiffre d’affaires annuel. L’enjeu environnemental est aussi une question économique.

Sur le plan national comme local, les acteurs du spectacle ont pris conscience de leur rôle dans la construction et la diffusion d’un récit de la transition écologique, tant en ce qui concerne leurs pratiques que leurs créations artistiques. Le festival de théâtre d’Édimbourg, la référence anglophone, travaille depuis le début des années 2010 à favoriser les démarches durables.

Lors d’une conférence organisée en 2022 par le festival d’Avignon et le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (SYNDEAC) sur la mise en œuvre de cette transition dans le spectacle vivant, l’ancien directeur Olivier Py évoquait l’attente du public en matière d’effort du festival qui ne « peut pas s’excuser d’une sorte de privilège de l’art ou créer une exception culturelle dans ce domaine », en ajoutant qu’il « devait privilégier ceux qui font une promesse de meilleure empreinte carbone et de conscience de la biosphère et qui permettent la mise en place d’une chaîne de transmission de l’éthique éco-responsable ».

Récemment, le 17 avril 2023, le SYNDEAC a diffule fruit de ses réflexions, dans un livret appelé La mutation écologique du spectacle vivant1. Elles appellent à changer de modèle économique, notamment en ralentissant la cadence et la fréquence des spectacles pour éviter le « gâchis » écologique, mais également social et artistique. « C’est tout le patrimoine, la création d’hier et d’aujourd’hui, qui se présente comme un trésor inestimable pour l’écologie. La culture, partout et de tout temps, ouvre à des propositions du monde », écrit Guillaume Logé, chercheur associé à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

L’évènement comme démonstrateur d’une culture écologique locale

En 2015, la ville d’Avignon, le Grand Avignon, le festival d’Avignon (le « in ») et Avignon festivals et compagnie (le « off ») se sont engagés à travers une charte à projeter un évènement éco-responsable, instrument de la transition territoriale. Comment accélérer ces transformations par un dialogue entre institutionnels, élus, directeurs de théâtres, compagnies, festivaliers, commerçants et habitants ? Ce premier jalon de gouvernance écologique évènementielle contient des engagements sur les déchets et la réduction des supports papier, la gestion de la propreté, la mobilité durable, l’intégration de critères environnementaux dans les prestations, les nuisances sonores et la sensibilisation des professionnels du spectacle et du public. Depuis, le secteur culturel s’interroge également sur l’impact numérique de ses activités. La consommation énergétique des théâtres représente à elle seule un défi de taille. Le déploiement de systèmes alternatifs à la climatisation pour le rafraichissement des salles, l’isolation thermique des équipements et le remplacement du parc des machines appelleront nécessairement de nouvelles formes de collaborations techniques, et financières.

Sur le plan national comme local, les acteurs du spectacle ont pris conscience de leur rôle dans la construction et la diffusion d’un récit de la transition écologique, tant en ce qui concerne leurs pratiques que leurs créations artistiques. Le festival de théâtre d’Édimbourg, la référence anglophone, travaille depuis le début des années 2010 à favoriser les démarches durables.

Afin de poursuivre la dynamique impulsée par la charte, le Grand Avignon a initié en 2020 avec l’organisation non-gouvernementale (ONG) Volubilis, qui intervient sur les questions urbaines et de paysage, un atelier collaboratif d’étudiants « Rêver et agir, pour un festival éco-responsable à Avignon », animé par Thomas Philipon, architecte. Le postulat de départ était ainsi pertinemment formulé : « Le constat est simple : le festival d’Avignon est en retard. Parce que l’histoire du off est celle de l’anarchie. Parce que le théâtre s’accommode mal d’une gouvernance autoritaire. Parce que le festival ne fait pas corps avec le territoire. Parce qu’il s’est laissé dépasser par une croissance imprévue. Parce que la pluralité des acteurs est telle qu’une communication peine à se développer. Parce qu’être éco-responsable, cela se pense sur la durée. »

La mise en œuvre d’actions concrètes et l’enjeu de leur coordination

Parmi les actions proposées, dont certaines sont déjà engagées par la ville et l’intercommunalité, sont identifiées l’installation de vélum dans les rues, la réalisation d’éco-logements éphémères pour les jeunes en réponse à la cherté de l’hébergement, la gestion globale du compostage bientôt généralisé ou encore le rapprochement entre maraîchers locaux et restaurateurs afin de proposer aux compagnies des produits issus du géo-terroir avignonnais (plus du tiers de la surface de la commune étant agricole). De la même manière, le rayonnement du festival interpelle directement les mobilités et les façons d’acheminer aussi bien le public que les artistes. Année après année, il constitue à l’évidence un accélérateur du transport en vélo, du covoiturage, de l’utilisation des parkings relais ou encore de la piétonisation de l’intra-muros.

Les conditions de mise en œuvre de ces actions nécessitent certainement par l’instauration d’un label éco-culturel qui permettrait de mieux soutenir les différentes mobilisations. Donner une visibilité et une reconnaissance aux professionnels précurseurs semble incontournable pour offrir une destination écologique tout autant que culturelle.

Le constat est simple : le festival d’Avignon est en retard. Parce que l’histoire du off est celle de l’anarchie. Parce que le théâtre s’accommode mal d’une gouvernance autoritaire.

Éveilleur de conscience, le rôle du festival en matière de mutation écologique, symbolique ou réel, est sans aucun doute éminent, qu’il s’agisse de ses propositions artistiques, à même de faire évoluer les imaginaires, ou de son fonctionnement. Si la prise de conscience et les intentions sont indéniables, penser son éco-responsabilité dans la durée nécessite néanmoins de trouver de nouvelles formes d’organisation et de coopérations entre le « in » institutionnel et le « off », celui-ci revendiquant fréquemment son développement non-contrôlé. La double gouvernance ne facilite pas l’évaluation de son empreinte écologique, qui reste méconnue. Alors, comment inventer et assembler les expertises nécessaires à cette transition ? Quel équilibre à trouver entre les attentes légitimes pour un accompagnement des pouvoirs publics et la propre implication du secteur culturel ? Quelles solutions locales inventer ? La coordination des actions est une clé essentielle pour évaluer dans le temps le niveau d’engagement des acteurs du spectacle. La complexité des enjeux exige bien l’invention d’un dispositif de gouvernance inédit, rassembleur et pérenne.

  1. Syndeac, La mutation écologique du spectacle vivant. Des défis, une volonté, 2023.
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