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Les Jeux de Paris 2024, un non-sens écologique ou le futur des événements sportifs plus responsables ?

Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ambitionnent une empreinte carbone deux fois moins importante que celles de Londres 2012 et Rio 2016.
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Le 22 janvier 2024

Doit-on changer nos grandes manifestations sportives ? Nous sommes revenus sur cette question qui taraude à l’aube de Paris 2024, avec Maël Besson1, expert des questions relatives à la transition écologique du sport, et Éric Adamkiewicz2, enseignant-chercheur spécialiste de la construction et gestion des équipements sportifs.

L’année 2023 est la plus chaude jamais enregistrée. Au sein de la revue BioScience, plusieurs scientifiques tirent la sonnette d’alarme5 et préviennent que « la vie sur Terre est en état de siège » 6. À l’ère du réchauffement climatique, faut-il réinventer les grands événements sportifs ?

Maël Besson (M. B.) – Il est certain que les prochains événements devront nécessairement être différents de ceux que l’on connaît aujourd’hui. Il faudra les réinventer et les adapter au changement climatique.

Éric Adamkiewicz (É. A.) – Une récente communication du comité international olympique (CIO) révèle que, d’ici 2040, seuls dix sites seront en mesure d’accueillir les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) d’hiver sous leur forme actuelle7, voire uniquement Sapporo, au Japon. Donc l’évolution est inéluctable. La question est : vers quoi faut-il tendre ? Faut-il acter que Sapporo devienne le site unique d’organisation des JOP d’hiver ? Pourquoi pas. Cela permettrait de faire perdurer le spectacle sportif, tout en évitant de créer de nouveaux éléphants blancs (NDLR : un équipement d’envergure dont l’entretien devient un fardeau financier).

Là où il devra sûrement y avoir des réinventions, c’est sur ce que j’appelle « les incompatibilités dures ». Ces éléments, comme les trajets en avion pour se rendre sur site, qu’on a beau tenter de retourner dans tous les sens, mais qui jamais ne sont compatibles avec les limites planétaires.

M. B. – Pour avancer, il me semble que la question à se poser est : comment faire pour que chaque discipline sportive et chaque composante des grands événements soient compatibles avec les limites planétaires et adaptables aux évolutions climatiques futures ? Une fois ces réflexions lancée, on peut s’appuyer sur l’ensemble des solutions techniques, technologiques, et organisationnelles que nous avons à notre disposition. Comme le fait de modifier les calendriers de compétitions ou de travailler à la performance énergétique des bâtiments. En revanche, là où il devra sûrement y avoir des réinventions, c’est sur ce que j’appelle « les incompatibilités dures ». Ces éléments comme les trajets en avion pour se rendre sur site, qu’on a beau tenter de retourner dans tous les sens, mais qui jamais ne sont compatibles avec les limites planétaires. Je pense que nous avons des choses à inventer pour faire vivre ces événements autrement. Et pour cela, je crois qu’il faut que l’on s’interroge sur les fondamentaux que l’on vient chercher dans ces manifestations – le spectacle, le plaisir, l’effervescence, la performance sportive, etc. – et que l’on se demande si le modèle d’aujourd’hui est la seule manière d’y répondre. Personnellement, je ne pense pas que, par exemple, passer de la HD au 8K soit essentiel pour véhiculer de meilleures émotions. C’est essentiel pour les sponsors, dont c’est le modèle économique, mais pas pour le spectateur sportif.

Maël Besson

Maël Besson est un expert des questions relatives à la transition écologique du sport. Il travaille sur ces sujets depuis 2005. Au ministère des Sports, dans un premier temps, puis en tant que responsable et porte-parole du WWF. Il a récemment fondé le cabinet de conseil Sport 1.5 pour accompagner les acteurs et instances du sport dans leur processus d’adaptation aux changements climatiques.

É. A. – Ce qui est certain, c’est que pour faire advenir ces transformations, il va falloir que la philosophie actuelle, peu économe envers les ressources planétaires, change. Or, une partie du monde sportif ne semble pas prête à passer ce cap. Pour preuve, la Fédération internationale de football association (FIFA) envisage encore d’organiser une Coupe du monde tous les deux ans pour gagner plus d’argent et certaines fédérations font de la résistance pour ne pas changer leurs calendriers de compétition… Quant au CIO, il devra nécessairement repenser son modèle économique aujourd’hui fondé sur le fait d’organiser des JOP à différents endroits du monde. Toutefois, à défaut d’avoir de grands événements sportifs rentables économiquement, il serait bien de faire en sorte qu’ils soient rentables humainement.

Les JOP sont souvent qualifiés d’« accélérateurs d’innovation ». Le sont-ils pour les politiques publiques ?

M. B. – Un événement de la taille des JOP est là pour servir et accélérer une politique publique, au-delà d’une politique sportive. C’est pour cela qu’il est primordial de se demander, lorsqu’on organise un tel événement, quels sont les besoins de nos territoires et de notre société. Je parlais des fondamentaux du spectateur, mais on doit se poser la même question pour les politiques publiques. En quoi ces événements nourrissent-ils le projet de société ? Quel est le projet de société que l’on cherche à accélérer ?

É. A. – Comme Maël, je pense que de tels événements – JOP, coupes du monde, championnats du monde – doivent être pensés au service de politiques publiques, sportives mais aussi plus largement pour l’aménagement du territoire, et en cohérence avec l’évolution climatique. Le spectacle sportif, c’est la cerise sur le gâteau. Mais si l’unique intérêt, ce sont les paillettes, alors il est certain que l’on va dans le mur, car cela fait quarante ans que l’on sait que tous ces événements ne sont pas rentables économiquement. Ils doivent donc s’inscrire au service d’autres finalités. La question est : lesquelles ? Est-ce pour amplifier une politique en faveur du BTP, ou au contraire, pour favoriser l’accès à la montagne, l’accès aux pratiques sportives, etc.

Éric Adamkiewicz

Éric Adamkiewicz est enseignant chercheur à l’université de Toulouse 3-Paul-Sabatier et intervenant à la faculté d’économie de Grenoble et à Science Po Grenoble. Ses sujets d’étude portent sur les problématiques de gouvernance des stations de montagne et sur la construction et de gestion des équipements sportifs et de loisirs. Au milieu de sa carrière universitaire, il a été directeur de l’office de tourisme des Arcs-Bourg-Saint-Maurice et vice-président de la Fédération nationale des offices de tourisme.

Vous vous êtes tous les deux mobilisés à la suite de l’annonce de la candidature des régions Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) et Auvergne-Rhône-Alpes pour les JOP d’hiver 2030. Que dénoncez-vous ?

M. B. – Le projet de société que prévoit cette candidature oublie le paramètre fondamental qu’est le contexte climatique futur. Ce qui est une erreur encore assez commune lorsqu’on élabore une stratégie de développement sur le temps long. Mais si désormais on réintègre cette donnée d’évolution climatique et qu’on s’interroge sur les besoins futurs des territoires de montagne, alors on voit bien que cette candidature n’est pas souhaitable. Les territoires de montagne vont devoir s’adapter fortement aux évolutions climatiques et notamment à cette fameuse incompatibilité dure de l’aérien dont ils sont encore très dépendants avec les vacanciers. Or, la candidature des JOP dans son état actuel ne sert pas de levier à cette adaptation.

É. A. – Avec cette candidature, on reste en effet sur le même modèle qu’avant. Martial Saddier, président du conseil départemental de la Haute-Savoie, continue de promouvoir le biathlon au Grand-Bornand. La métropole de Nice continue de soutenir la construction de résidences haut de gamme avec parking à Isola 2000. En revanche, aucune alternative n’est proposée pour limiter les avions qui atterrissent à Chambéry en provenance de l’Angleterre toutes les six minutes en hiver. Pour ces élus, c’est comme si l’avion vert allait permettre de solutionner tous les problèmes. Je trouve par ailleurs étrange que Renaud Muselier et Laurent Wauquiez se précipitent pour faire des JOP en 2030, c’est-à-dire, à la date la moins favorable pour penser un projet d’adaptation cohérent, alors que ces derniers soutiennent que les prédictions pour la neige sont bonnes jusqu’en 2050. Pourquoi ne pas aller sur 2038 ou 2042 ? On voit bien qu’ici, d’autres enjeux que le développement du territoire sont en jeu.

Quant au CIO, il devra nécessairement repenser son modèle économique, aujourd’hui fondé sur le fait d’organiser des JOP à différents endroits du monde.

Une candidature pour les JOP d’hiver adaptée aux évolutions climatiques, à quoi cela ressemblerait ?

É. A. – Je dis souvent que nous sommes en train de passer d’un modèle où il n’y avait pas de neige une année sur cinq, à un modèle où il y aura de la neige une année sur cinq. Dans ce contexte, je crois qu’il faut que l’on imagine les JOP de l’adaptabilité. Des JOP où s’il y a de la neige, on fait des épreuves sur neige, et s’il n’y en a pas, on fait des épreuves sans. Qu’est-ce qui nous empêche d’imaginer des JOP quatre saisons ? Des JOP ou les épreuves de ski se feront sur des skis à roulettes ?

M. B. – Je crois en effet qu’on doit s’autoriser à aller loin dans l’imagination d’un autre modèle, tout en gardant en tête la question évoquée précédemment : quels sont les besoins des territoires et le projet de société que l’on souhaite voir advenir ?

Organiser des JOP de montagne quatre saisons reviendrait à transformer radicalement certaines disciplines sportives. Est-ce qu’en filigrane votre message est qu’il faut questionner l’existence même de certaines disciplines sportives au regard de leur impact écologique et social ?

M. B. – Je ne pense pas qu’il faille entrer dans le débat, « est-ce que telle ou telle discipline est encore acceptable ? ». Nous sommes en démocratie, donc j’estime que tout le monde a le droit de pratiquer le sport qu’il souhaite, sous réserve que ce dernier se fasse dans le respect des limites planétaires. La question est plutôt comment transformer nos sports pour qu’ils s’alignent avec ces limites. En revanche, je crois que nous devons sortir d’une illusion : celle de l’universalité du sport selon laquelle tous les pratiquants devraient avoir accès à tous les sports de manière égalitaire au niveau mondial. À moins de changer les disciplines, je ne pense pas que cela soit faisable, ni même souhaitable. Cependant, si des surfeurs souhaitent surfer sur une vague artificielle en ville parce qu’elle est construite sur une rivière naturelle avec un mécanisme qui ne consomme pas ou très peu d’énergie, pourquoi pas.

É. A. – Je crois, en effet, que chaque discipline doit faire un bout de chemin en fonction de son contexte. Si je prends l’exemple de la voile, j’ai découvert récemment que les marins, après leurs courses, font revenir leurs bateaux par cargo. C’est précisément un exemple où il faut transformer les usages. On ne peut pas glorifier la voile dans un sens et faire revenir les bateaux sur d’autres bateaux dans l’autre.

Dans quelques mois, Paris accueillera les JOP 2024. Cette manifestation est-elle un non-sens écologique ou le futur des événements sportifs plus responsables ?

M. B. – Ni l’un ni l’autre. Si on analyse les efforts en termes de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) au regard de la trajectoire de réduction de l’Accord de Paris, il y a des choses qui peuvent être considérées comme acceptables. Peu d’acteurs, d’entreprises ou de secteurs, peuvent se targuer d’avoir réduit de 10 à 20 % leurs émissions de GES. En revanche, c’est acceptable, parce que c’est 2024. Pour 2028 nous allons devoir continuer de réduire et c’est pourquoi il ne faut pas en faire un modèle, mais plutôt le voir comme une marche en avant. Une étape de plus dans l’évolution des JOP. Et je dis « évolution », car finalement rares sont les éditions qui dans l’histoire se sont ressemblées. Les Jeux ont toujours été en évolution. Cette édition sera celle d’un tournant sur la question du bâti, car nous sommes sortis du modèle où l’on construisait tout à chaque fois, et nous nous sommes affranchis de certaines jauges. En revanche, les avancées sont plus mitigées sur la sortie du plastique à usage unique et sur la sortie du modèle ou l’on fait venir du monde sur site.

É. A. – Il reste tout de même quelques trous dans la raquette, comme on a pu le voir avec la polémique à Tahiti qui touche le projet de construction de la tour des juges pour les épreuves de surf8. Mais là où je rejoins Maël, c’est qu’il faudra continuer de réduire la voilure pour les prochaines éditions. Et pour cela, on peut faire d’autres choix. Je pense notamment aux tirages au sort auxquels sont soumises certaines épreuves de canoë-kayak et d’escrime pour décider de leur participation ou non. Jusqu’à maintenant on justifiait ces tirages pour résoudre des problèmes de planning. Demain, il faudra peut-être amplifier cette méthode pour résoudre des problèmes liés aux aspects environnementaux.

Un des arguments qui revient souvent pour empêcher d’aller vers plus de sobriété est celui de la non-désirabilité. Qu’en pensez-vous ? Les prochaines éditions des JOP sont-elles condamnées à être moins désirables que les précédentes ?

M. B. – Je crois au contraire que cette « réduction de voilure » pour reprendre l’expression d’Éric, peut être bénéfique à de nombreux égards. Reprenons l’exemple du transport aérien. Si on décide d’interdire les aller-retour en avion pour les entraînements (plus problématiques que ceux pour les grandes compétitions), ne pensez-vous pas que nous augmentons à nouveau l’égalité des chances entre les athlètes ? De même, concernant la pratique amateur. Si on réduit le nombre de rencontres organisées, peut-être que l’on augmentera l’égalité des chances entre pratiquants. Que les premiers ne seront plus uniquement ceux dont les parents peuvent les conduire tous les week-ends d’un bout à l’autre de la région ! Je pense donc que ces efforts que nous devons faire peuvent nous amener à réintégrer plus de justice sociale dans les événements sportifs.

Je crois qu’il faut que l’on imagine les JOP de l’adaptabilité. Des JOP où s’il y a de la neige, on fait des épreuves sur neige, et s’il n’y en a pas, on fait des épreuves sans.

É. A. – On peut également faire le lien avec la désaffection des jeunes dès qu’ils·elles approchent les 12-13 ans. Si le temps de pratique est moindre et que les enfants sont moins sous pression, alors peut-être qu’ils perdureront plus longtemps dans leur activité physique. Pour donner un exemple concret, si demain on interdit le ski sur glacier de mai à octobre, ce qui est une proposition portée par quelques personnes du milieu, alors je crois que l’on pourrait faire d’une pierre deux coups. Non seulement on préserverait les derniers glaciers qui deviennent des lieux hautement symboliques, et on préserverait également les skieurs qui « se fracassent » sur ces terrains peu commodes, alors qu’ils pourraient conserver leur forme physique autrement.

M. B. – Sur cette question de la désirabilité, il importe également de réintroduire certaines nuances fondamentales. Sur le sujet du tout ski, on entend souvent qu’il sera difficile de sortir du modèle économique actuel, mais c’est faux. La difficulté ne sera que pour quelques acteurs, pas pour la majorité. Tous les acteurs de la montagne ne bénéficient pas de l’exploitation de la montagne. De même lorsqu’on dit qu’il faut réduire le transport aérien, cela ne veut pas dire qu’il ne faut plus de spectateurs. Non, cela signifie qu’il faut réduire la part des spectateurs qui se déplacent avec ce moyen de transport. Ce qui, sur certains événements récurrents en France, représente 6 % des spectateurs. 6 % génèrent 80 % du bilan carbone de transport de ces événements. C’est principalement sur ces 6 % qu’il faut agir.

Et concernant la promesse d’héritage et d’inclusivité ?

É. A. – Concernant la promesse d’inclusivité, je crains que l’on ne soit pas à la hauteur. Notamment sur l’accueil et l’accès à certains sites pour les athlètes et spectateurs paralympiques. Je doute que la marche, ou plutôt, le plan incliné, ne soit suffisant sur le dossier des transports. J’ai également des inquiétudes sur l’aspect économique du centre aquatique olympique en cours de construction en Seine-Saint-Denis. Il est possible qu’il devienne ce que j’appelle « un équipement structurant » qui déstructure le budget d’un territoire. Une infrastructure dont l’entretien coûtera si cher à la collectivité qu’elle ne sera plus en mesure de mettre de l’argent sur d’autres équipements ou projets pendant de nombreuses années.

M. B. – L’Association nationale des élus au sport (Andes) a montré que 70 % du coût financier d’un équipement sportif est lié à sa gestion et à son entretien, contre seulement 30 % à sa conception/construction. Pourtant le choix des matériaux (qui permet ensuite d’avoir ou non une bonne performance énergétique), ne se fait quasiment exclusivement que sur le coût de production. Jamais sur le coût complet du projet. Et c’est ainsi qu’on se retrouve avec de nouveaux éléphants blancs…

Possède-t-on les outils pour mesurer si les promesses faites pour Paris 2024 auront été tenues, a posteriori ?

M. B. – Sur les impacts écologiques directs, comme la quantité de déchets générés, les émissions de GES, etc., oui, nous avons les outils. On commence également à mesurer certains héritages immatériels, comme la sobriété. On cherche à analyser comment cet objectif présent dans les cahiers des charges a influencé la chaîne de valeur. Est-ce que ça a permis une montée en compétences des prestataires qui jusqu’alors n’étaient pas conscients du sujet ? En revanche, il reste, selon moi, un angle mort sur l’évaluation : c’est l’influence que ces grands événements ont sur nos comportements de consommation et sur nos modes de vie. Aucune étude à ce jour n’analyse les messages mis en avant par les JOP qui influencent nos normes sociales. Quels produits et services et quels modes de vie ils promeuvent. Or, je crains que si nous le faisions, nous réalisions que ce que ces jeux promeuvent, par le biais des sponsors, n’est pas compatible avec les limites planétaires. Et ce, malgré le fait qu’on ait interdit à TotalEnergie de devenir partenaire officiel. Là, nous sommes sur un angle mort. Et c’est regrettable, car il devient inacceptable que la performance sportive se fasse au détriment de la planète. Comment se fait-il, par exemple, que des départements investissent de l’argent public pour in fine voir défiler une caravane qui met en avant certains sponsors pour le relai de la flamme ? Un exemple qui, selon moi, pose la question du retour sur investissement de l’argent public investi dans ces grands événements. Souhaite-t-on vraiment que cet argent fasse la promotion de toutes ces marques ?

Ce qui me donne de l’espoir, c’est le nombre grandissant d’acteurs qui expriment leur envie d’avancer, malgré des instances parfois peu réceptives.

É. A. – Concernant l’aspect économique, je crois que c’est l’un des autres angles morts de ces grandes manifestations. Si je reprends la candidature pour les Jeux d’hiver de 2030 que l’on présente comme des jeux sobres et respectueux de l’environnement, parce qu’ils réutiliseront certains équipements des JOP d’Albertville de 1992 (les tremplins de Courchevel et la piste de Bobsleigh de La Plagne), on les qualifie de « sobres » parce qu’on efface les trente années d’entretien que ces éléphants blancs ont coûté à La Plagne et au département de Savoie. Ces coûts-là sont des coûts masqués. C’est une comptabilité sélective. Après, attention, je ne dis pas qu’il ne faut pas les utiliser. Évidemment qu’il est plus logique d’utiliser ces équipements que d’en construire des nouveaux. Mais nous devons rendre visibles ces coûts. Arrêter de faire comme-ci ces infrastructures ne représentent pas un grand gaspillage d’argent public.

Il devient inacceptable que la performance sportive se fasse au détriment de la planète.

Que pourraient faire les acteurs publics pour mieux prévenir ces risques ?

É. A. – Sur le sujet des coûts masqués, je crois qu’il faut en finir avec l’héritage que nous avons d’Albertville de réaliser deux budgets séparés. Un pour les retombées économiques et un « annexe » pour les infrastructures. Car cela conduit à des discours comme celui du Championnat du monde de ski de Courchevel, Méribel, où on annonce un excédent de 3 millions d’euros pour le bilan de la compétition tout en oubliant de mentionner les 20 millions d’euros d’investissement qui ont eu lieu.

M. B. – Je crois qu’il y a un travail à faire pour mieux qualifier les retombées économiques lors des évaluations. Ne plus seulement regarder le court terme, mais également le long terme. Et identifier si de tels événements participent à l’économie locale et aux commerces de proximité, ou si au contraire, les flux économiques générés sont bénéfiques aux grandes surfaces et aux produits manufacturés. Je pense également que les pouvoirs publics doivent s’interroger sur les conséquences induites par les alternances politiques. Philippe Germa, ancien directeur général du World Wide Fund for Nature (Fonds mondial pour la nature [WWF]), disait qu’il est parfois plus intéressant de monter des collaborations avec des entreprises qu’avec des gouvernements, car lorsqu’elles prennent des engagements, elles les tiennent sur le temps long pour récolter les bénéfices. Or, pour avoir travaillé huit ans au ministère des Sports, il est vrai que ce sujet de l’alternance dans le secteur public pose certains problèmes si l’administration ne s’assure pas derrière de garder le cap et de garantir l’intérêt général. Dans le contexte du sport, cette dernière devrait veiller à ce que chaque investissement génère un retour sur investissement favorable socialement pour la population.

J’aimerais terminer sur une note positive. Face à l’ampleur des évolutions qui devront advenir dans le monde du sport et des événements sportifs, qu’est-ce qui vous rend optimiste ?

M. B. – Ce qui me donne de l’espoir, c’est le nombre grandissant d’acteurs qui expriment leur envie d’avancer, malgré des instances parfois peu réceptives. C’est le cas du champion de ski Alexis Pinturault qui boycotte l’étape de Coupe du monde de Zermatt. Des directeurs généraux (DG) et maires qui signent notre appel pour poser les conditions environnementales pour la candidature française pour les Jeux d’hiver 2030. Je me raccroche à cela, car il faudra bien qu’à un moment les instances écoutent leurs parties prenantes.

É. A. – Je rejoins ce qui vient d’être dit. Ce qui me donne de l’espoir, c’est de voir que le nombre de personnes qui pensent qu’il y a des choses à changer grandit.

  1. Maël Besson est un expert des questions relatives à la transition écologique du sport. Il travaille sur ces sujets depuis 2005. Au ministère des Sports, dans un premier temps, puis en tant que responsable et porte-parole du WWF. Il a récemment fondé le cabinet de conseil Sport 1.5 pour accompagner les acteurs et instances du sport dans leur processus d’adaptation aux changements climatiques.
  2. Éric Adamkiewicz est enseignant chercheur à l’université de Toulouse 3-Paul-Sabatier et intervenant à la faculté d’économie de Grenoble et à Science Po Grenoble. Ses sujets d’étude portent sur les problématiques de gouvernance des stations de montagne et sur la construction et de gestion des équipements sportifs et de loisirs. Au milieu de sa carrière universitaire, il a été directeur de l’office de tourisme des Arcs-Bourg-Saint-Maurice et vice-président de la Fédération nationale des offices de tourisme.
  3. Clothilde Sauvages est ancienne sportive de haut niveau et a été porte-parole et directrice de projets environnementaux chez Ouishare.
  4. https://ventdeboutpodcast.fr/
  5. BioScience est une revue publiée par l’Institut américain des sciences biologiques (AIBS) depuis 1964.
  6. Ripple W. J., Wolf C., Gregg J. W., Rockström J., Newsome T. M., Law B. E., Marques L., Lenton T. M., Xu C., Huq S., Simons L. et King A. D., “The 2023 State of the Climate Report : Entering Uncharted Territory”, BioScience oct. 2023.
  7. « Jeux olympiques. Réchauffement climatique : seuls 10 pays pourront accueillir les JOP d’hiver d’ici 2040 », AFP oct. 2023.
  8. Canu M., « Paris 2024 : cinq minutes pour comprendre la polémique autour du site de Teahupoo », Le Parisien oct. 2023.
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