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Territoires, décarbonation et mobilités : le défi périurbain

Partage d'espaces publics en situation de Covid
Partage d'espaces publics en période de Covid.
©Fabian Torodovic pour Transitec
Le 28 mars 2023

La planification stratégique peut jouer un rôle primordial pour repenser les mobilités dans un contexte d’accélération des transitions.

Résumé

L’accélération du rythme des transitions opérées dans le domaine des déplacements révèle un monde à deux vitesses dans lequel les bénéfices attendus en milieu urbain sont directement corrélés aux risques sur le monde périurbain et rural. Afin de recoudre les territoires et d’engager l’ensemble des populations vers une mobilité plus sobre et plus durable, il devient urgent de repenser les outils et méthodes permettant de concevoir les systèmes de mobilité, d’autant plus que les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) viendront très bientôt renforcer ces constats. Pour y parvenir, il sera nécessaire de revaloriser les démarches de planification, en les modernisant pour qu’elles puissent s’adapter aux évolutions en cours et gagner en agilité. Il faudra les concrétiser, pour qu’un lien permanent puisse être dressé entre la stratégie et la conception, puis la réalisation des projets qui en découlent. Il faudra les concerter, en intégrant le fait qu’aucun acteur ne pourrait répondre seul à des chaînes de déplacements de plus en plus diverses et étendues. Il faudra, en somme, réapprendre à anticiper et à penser la mobilité dans son ensemble.

Il n’y a rien d’exceptionnel ou de révolutionnaire dans ces injonctions. Collectivement, nous disposons de tous les outils et toutes les méthodes pour y parvenir. Mais avons-nous le bon état d’esprit pour le faire ? Sommes-nous prêts à nous confronter à notre héritage technique qui met plus en avant les machines et les flux que les hommes et les usages ? Sommes-nous capables de partager notre savoir, nos projets, pour mieux les mettre en commun ? Sommes-nous capables de créer les passerelles entre les projets, y compris ceux que nous ne gérons pas directement ? Sommes-nous capables de piloter une démarche réellement collective ? De la réponse à ces questions dépend notre capacité à répondre aux défis immenses qui nous attendent.

Un monde en transition

Le monde de la mobilité a beaucoup évolué au cours des dernières années. Cette évolution n’est ni nouvelle ni particulièrement étonnante dans un monde lui-même en transition, cherchant sa voie entre les enjeux économiques et climatiques, numériques et humains, participatifs et solidaires, etc. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la vitesse à laquelle ces évolutions apparaissent et se développent. L’essor soudain du vélo après des années d’augmentation lente, le développement massif du télétravail et de la vidéoconférence ou la montée en puissance rapide du covoiturage en sont les meilleurs exemples. Si la tentation de mettre ces évolutions sous la responsabilité de la crise sanitaire qui frappe notre civilisation depuis 2020 est grande et pas totalement fausse, il est important de constater que les prémices des transformations en cours étaient déjà présentes avant 2020, prouvant que celle-ci a davantage joué un rôle d’accélérateur qu’un rôle de déclencheur. En conséquence, nous devons, acteurs de la ville et de la mobilité, les considérer comme durables plutôt que conjoncturelles. Nous devons les comprendre pour mieux les prendre en considération. Nous devons enfin les mettre en perspective pour bâtir un monde plus désirable en valorisant les bénéfices évidents que nous pouvons en tirer (espace public valorisé, maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, meilleure qualité de vie, etc.), et en agissant pour trouver les solutions qui permettront d’en gérer les impacts et zones d’ombre. Nous y reviendrons.

Ce qui est déterminant dans ces transitions, c’est la flagrante différence de rythme que l’on peut constater entre celles qui touchent le monde urbain et celles qui touchent le monde périurbain et rural.

On constate en effet dans de nombreuses métropoles françaises un élan citoyen, politique et technologique qui pousse les villes centre à agir, parfois envers et contre tous. Ce phénomène est accentué par la taille de la ville, comme en témoigne la « vague verte » lors des dernières élections municipales de 2020. Dans ces territoires urbains et denses, l’action publique a rarement été aussi intense. On pourrait citer à titre d’exemples le développement d’infrastructures cyclables magistrales comme les Voies lyonnaises à Lyon ou les axes Chronovélo à Grenoble et la mise en œuvre des zones à faibles émissions (ZFE) sous l’impulsion de l’État dans toutes les plus importantes agglomérations françaises. On pourrait également mentionner l’évaluation de dispositifs de zones à trafic limité (ZTL) à Paris et Rennes, ainsi qu’une appétence nouvelle au monde de la smart-city. Le point commun de ces actions est la réduction de l’emprise accordée à la voiture au profit d’autres moyens de mobilité plus sobres. S’il ne fait aucun doute que cette politique volontariste bénéficiera aux populations urbaines, qui disposeront d’un espace mieux partagé, moins bruyant, moins pollué, revégétalisé (au moins à moyen et long termes), elle n’est pas vue sous le même angle par les populations périurbaines et rurales. On peut le comprendre.

Alors même que, factuellement, les métropoles ne se sont jamais autant intéressées à leur périurbain, alors même que les signaux envoyés par l’État en faveur du ferroviaire urbain ou du covoiturage tentent d’inverser la tendance, il faut admettre que ces territoires peu denses et diffus se sentent de plus en plus coupés de leurs bassins d’emploi. Avec l’élargissement des aires urbaines, ils subissent les conséquences d’un zonage administratif qui ne répond plus aux réalités des bassins de mobilité, et subissent de plein fouet la crise énergétique et économique. Pour eux, l’action des villes se résume à la construction d’un mur dressé pour leur empêcher d’y entrer, les excluant toujours davantage faute d’alternative crédible et durable à l’usage de leur voiture. Il en résulte un monde à deux vitesses : d’un côté celui qui avance et agit, de plus en plus vite, de l’autre celui qui avance un peu moins vite et qui subit.

Tel est le paradoxe dans lequel nous sommes plongés : une absolue nécessité d’agir avec force, courage et abnégation, partout où cela est possible pour infléchir la courbe du réchauffement climatique, qui se heurte à ses impacts sociaux et au risque d’une nouvelle crise des gilets jaunes. Si on se réfère au schéma du développement durable, on comprend facilement qu’avec une économie fragile, une forte action environnementale sera difficile à porter sans impacts sociétaux. Mais lorsque vivre en ville devient économiquement inaccessible à de nombreux habitants du périurbain, le modèle ressemble beaucoup à une nouvelle lutte des classes et des territoires.

Est-ce inéluctable ? Malheureusement, tout semble indiquer que oui. Dans une certaine mesure, les iniquités territoriales ne pourront être totalement dissoutes. Il en va ainsi de toutes les transitions importantes que l’homme a connues : certains y gagnent quand d’autres y perdent. Mais, si les problèmes ici soulevés sont conscientisés, pris en compte dans leur globalité et traités, on peut imaginer une voie moins douloureuse.

Un nouveau modèle à construire

Si le mille-feuille administratif français est complexe et mal adapté aux réalités de la mobilité en 2023, il est plus simple et plus rapide de faire avec lui que d’essayer de le changer, d’autant plus au cours d’une période de forte transition où chacun manque de visibilité sur l’avenir. Alors, pour prendre une métaphore footballistique, si le système ne peut pas être changé, il faut en changer l’animation en veillant à trouver un meilleur équilibre entre l’attaque (l’action urbaine) et la défense (l’action sociale). Autrement dit, il s’agit de trouver un moyen de poursuivre l’action publique en milieu urbain dense, voire de l’intensifier, sans dresser de barrières avec le monde périurbain. Pour y parvenir, une stratégie nouvelle doit être mise en place.

Le défi à relever est évidemment complexe. Il relève de la coopération et de la coordination des actions. Pour qu’elles fonctionnent, il est essentiel que chaque acteur y trouve son compte. Et pour cela, la planification joue un rôle fondamental.

Moderniser la planification stratégique

La planification des mobilités vit des temps difficiles. Pourtant, elle n’a jamais été aussi essentielle. Depuis la mise en œuvre des premiers plans des déplacements urbains (PDU), puis la mise en œuvre de la loi SRU1, la France a été un modèle de planification. En rendant le PDU opposable, elle s’est dotée d’un outil extrêmement puissant qui a permis l’essor de métropoles plus engagées, notamment autour de leurs transports collectifs. Mais les PDU ont fait leur temps, si bien que de nombreuses métropoles s’en distancient, lasses de ces démarches lourdes, longues et coûteuses, qui figent l’action publique pour plusieurs années et privilégient les « grands projets » aux approches plus locales ou servicielles. Il est vrai que ces démarches ne répondent plus vraiment aux besoins du terrain, qui demande plus de souplesse, plus d’agilité, plus de proximité.

Pour autant, ces outils avaient le mérite de coconstruire avec l’ensemble des acteurs une lecture commune des enjeux de mobilité, de s’accorder sur les objectifs à atteindre et de définir une stratégie cohérente et globale. Actuellement, la tendance (même si elle ne se vérifie pas encore partout) privilégie l’action à la réflexion, le local au global, comme un pied de nez aux démarches anciennes qui ont construit nos villes. Cette tendance repose sur une stratégie prospective globale à très long terme basée principalement sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, dont les automobiles sont les premiers responsables, soutenant une action à très court terme. Et cela porte ces fruits. Jamais dans l’histoire les métropoles françaises n’avaient construit autant de pistes cyclables que lors des cinq dernières années ! Jamais dans l’histoire l’espace public n’avait été aussi largement et efficacement redistribué. Alors pourquoi s’en plaindre ?

Le problème auquel nous sommes collectivement confrontés est de réussir à faire coïncider urgence, cohérence et équité. Or, comme nous l’évoquions en introduction, l’action publique se concentre sur les milieux métropolitains et dresse un « mur » difficilement acceptable pour le périurbain et le rural. Par ailleurs, elle agit au gré des urgences ou des opportunités, qui ne sont pas toujours en phase avec les priorités, plus difficiles et plus longues à traiter. En cela, elles peuvent en impacter la réalisation, voire parfois la rendre impossible, faute d’une vision stratégique consolidée.

Coordonner et fédérer des acteurs ne peut plus se faire comme les PDU le faisaient quinze ans auparavant. Mais coordonner et fédérer des acteurs reste une condition indispensable à toute politique de mobilité défendant l’intérêt général plutôt qu’un quelconque intérêt particulier, même s’il concerne une ville centre de plusieurs centaines de milliers d’habitants. Il est donc essentiel de restaurer une nouvelle forme de planification répondant aux enjeux actuels, permettant de construire un socle d’objectifs partagés à moyen terme et une stratégie d’ensemble fixant les règles à respecter pour la conception des projets de mobilités. Pour cela, il s’agit de faire simple avec quelques messages forts définissant les priorités à atteindre à grande échelle et leur déclinaison opérationnelle. Le tout doit être conçu autour d’un dialogue respectueux entre l’ensemble des parties prenantes et suivi par un groupe dédié, chargé de s’assurer du respect des engagements de chacun et révisant le projet au gré de son évolution. Ainsi, la planification devient vivante et non plus figée, agile plutôt que rigide, pragmatique au lieu de dogmatique. Elle n’empêche pas les désaccords politiques. Au contraire, elle permet de les exprimer pour qu’ils puissent aboutir à une liste de projets réalisables et cohérents plutôt que de « coups » réalisés par certains au détriment d’autres, ce qui ne saurait ni être efficace ni durer, ou d’un statu quo qui ne bénéficieraient à personne, notamment les usagers.

La stratégie « rabattre/transporter/diffuser »

Pour le monde périurbain, une stratégie répondant à ces critères peut être développée autour d’un concept simple : « rabattre/transporter/diffuser ». Autour de ces trois verbes-actions, elle assure la mise en place de projets combinés, pour lesquels chaque acteur s’inscrit dans une chaîne assurant une réponse adaptée aux déplacements des habitants des grandes périphéries vers leurs principaux pôles d’emploi. Par la fonction rabattre, l’usager rejoint un transport de masse qui lui permet de se transporter aussi efficacement que possible aux portes de la zone urbaine concernée, où il trouve un réseau de diffusion lui permettant de rejoindre sa destination. Révolutionnaire ? Certainement pas. Pourtant, ce principe n’est que trop rarement respecté dans son intégralité, car, souvent, une fonction est manquante, ce qui brise l’ensemble de la chaîne de déplacement. La difficulté réside ici dans la multitude d’acteurs concernés par la chaîne (régions, départements, EPCI, communes, exploitants, etc.). Ce qu’apporte la stratégie, c’est un cadre qui peut être contractualisé, garantissant que l’action des uns sera suivie de celle des autres, pour que tout le monde y trouve un bénéfice. Ainsi, elle devient une stratégie « gagnant/gagnant ». La métropole centrale y trouve enfin une réponse acceptable et efficace pour réduire le trafic d’échange sur son propre territoire. Le monde périurbain développe des solutions pour sa population et s’engage dans la transition malgré des moyens financiers limités. Les exploitants de transport et de services voient arriver une nouvelle clientèle. Les usagers volontaires peuvent se passer en tout ou partie de leur voiture quand ils le souhaitent, alors que c’était jusqu’alors impossible. En considérant une chaîne de déplacement dans sa globalité, en fédérant les acteurs et en précisant le rôle que chacun peut jouer dans la démarche, le concept « rabattre/transporter/diffuser » démontre qu’il est possible de planifier simplement et rapidement autour d’une idée forte, et qu’il est donc possible de cadrer l’action publique pour en garantir la cohérence et l’efficacité à moyen terme. Il démontre aussi que personne ne peut y arriver seul.

Des démarches déjà engagées

Le tableau dressé jusqu’à présent tend à indiquer tout le chemin qu’il reste à faire pour résoudre la problématique des milieux peu denses. Pourtant, de nombreuses démarches ont déjà vu le jour au cours des dernières années, voire auparavant, pour élargir les périmètres de réflexion. Évidemment, comme le laissaient entendre les propos précédents, toutes ces actions ne sont pas toujours formulées de façon limpide. Elles ne sont pas toujours non plus à la hauteur des enjeux, mais elles témoignent d’une volonté d’agir. On peut citer par exemple :

  • au niveau institutionnel, avec des syndicats mixtes qui se développent pour élargir les ressorts territoriaux à large échelle, comme Tisséo, qui regroupe quatre EPCI autour de Toulouse, ou le plus récent Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise (SMMAG) à Grenoble ;
  • au niveau des politiques publiques de mobilité, via les politiques de rabattement en parc relais (P+R) dans les métropoles, qui s’affinent et se développent, ou les politiques de transports interurbains des régions (cars et trains), dont le périurbain bénéficie largement ;
  • au niveau des politiques public/privé soutenues par l’État et les collectivités, dont le covoiturage conçu et exploité par Ecov ou Klaxit est peut-être le meilleur exemple actuellement ;
  • au niveau des usagers, avec l’essor d’une culture de l’entraide spontanée qui se manifeste par une solidarité s’exprimant désormais au-delà de l’échelle des connaissances de chacun.

Il y a donc déjà beaucoup de matière et beaucoup de progrès réalisés, en plus d’un socle stratégique réplicable. Mais voilà qu’un nouvel élément fait son apparition dans ce paysage déjà complexe pour le complexifier davantage : la ZFE.

La ZFE en exemple : un accélérateur de transition(s) sensible

La ZFE fait suite à plusieurs années de contentieux entre l’État français et l’Europe pour non-respect des règles en matière de qualité de l’air dans les principales agglomérations du pays. S’inspirant de démarches similaires un peu partout en Europe (low emission zones [LEZ] en anglais), la France a décidé d’instaurer une ségrégation des véhicules selon leur impact environnemental, levier retenu pour obliger les collectivités à agir pour améliorer la qualité de leur air. Sur le papier, c’est une démarche qui coche de nombreuses cases, entre autres : action environnementale bénéfique pour le climat comme pour la santé, tendant à réduire progressivement la place de la voiture en ville – même si elle n’est pas réellement faite pour cela –, et positive pour le monde économique.

La ZFE est considérée depuis son instauration comme un accélérateur de transitions, tout autant pour le renouvellement du parc automobile que pour le report modal. C’est vrai. Elle aurait aussi pu être un moteur formidable pour la gestion des enjeux périurbains, puisque le corollaire de l’accélération des bénéfices transitionnels se trouve inévitablement dans l’accélération de ses impacts, les mettant automatiquement sur le devant de la scène. Plusieurs articles récents parus dans la presse générale font remonter ces enjeux. On y évoque « un malaise qui monte » (Le Monde 4 janv. 23), « le cauchemar des automobilistes » (Le Figaro 25 nov. 2022) ou « la cible trop facile des démagogues » (Libération 9 déc. 2022) ; autant de sujets de débats qui montrent que derrière les belles ambitions du projet se cache une réalité plus dure, dont les zones peu denses sont les principales concernées. Mettre ces enjeux sur la table pourrait aider à construire une stratégie d’accompagnement ad hoc comme nous le réclamons ici. Mais le dispositif ZFE n’y parvient pas à ce stade pour plusieurs raisons assez facilement identifiables : son principe est rigide, puisque réglementaire ; il peine à s’adapter sans perdre son sens (la multiplicité des dérogations probables à venir pourra le démontrer) ; il provient d’une approche « par le haut » qui peine à se connecter aux réalités du terrain, ce qui se traduit par les limites territoriales davantage basées sur une approche plus politique que technique ; il est peu concerté (les métropoles en charge du projet n’interrogent pas l’ensemble des bassins de mobilité concernés). Il n’est donc pas étonnant que la ZFE pose aujourd’hui question.

Par son ampleur géographique et l’étendue de ses conséquences, la ZFE est pourtant le projet qui devrait permettre d’enclencher une nouvelle dynamique territoriale, permettant de fédérer l’ensemble de la population pour lutter contre le réchauffement climatique plutôt que de la diviser. Pour cela, et puisqu’une telle évolution réglementaire est rare et à saisir, il est urgent d’agir et d’appliquer un cadre d’intervention s’inspirant des principes décrits plus avant, à savoir :

  • planification et changement d’échelle : concevoir un projet mobilités de territoire, intégrant les grandes périphéries métropolitaines pour accompagner et mettre en valeur les bénéfices de la ZFE tout en maîtrisant ses risques et impacts ; construire une politique globale de solidarité pour identifier des solutions pérennes permettant de réduire la dépendance à la voiture pour tous et faire en sorte de trouver des bénéfices au projet autant pour celui qui est dans le périmètre que celui qui est en dehors ; associer l’ensemble des parties prenantes pour identifier ensemble une stratégie adaptant les projets en cours à la nouvelle situation ;
  • concrétisation : traduire la stratégie en feuille de route, afin d’identifier les contributions possibles pour chaque acteur et les traduire en un seul plan d’action coopératif, dont l’engagement peut être scellé par voie d’accord partenarial ou par contractualisation ;
  • coordination : construire une programmation désinstitutionnalisée où l’enchaînement des actions est pensé pour optimiser les bénéfices sur les chaînes de déplacements, plutôt que des mesures isolées et indépendantes aux effets limités pour les usagers ;
  • agilité : agir vite en saisissant les opportunités de projet déjà matures, en évaluant leurs effets et en les ajustant aux besoins identifiés.

La ZFE n’est certainement pas le seul projet qui bénéficierait d’une telle approche, mais elle est clairement la plus emblématique pour le faire.

De la mobilité des flux à la mobilité des usages

Que l’on parle de ZFE, d’action globale de lutte contre le réchauffement climatique ou d’inclusion sociale, il y a donc urgence à changer de modèle. Comme énoncé plus avant, il ne s’agit pas d’une révolution rasant tout ce qui a été entrepris jusqu’ici, au contraire. Il s’agit davantage d’une adaptation à l’évolution des enjeux et des cibles à atteindre, débouchant sur un changement d’approche.

Depuis de nombreuses années, nous, acteurs de la mobilité, adoptons une méthodologie basée sur l’analyse des flux de voitures, de transports en commun ou de vélos. On parle alors de véhicules par jour, de voyageurs, de capacités utilisées, etc. Nous mesurons ces flux, nous les calculons, nous les modélisons ou les projetons pour dimensionner des réseaux. Cette approche a fonctionné et nous a permis de faire avancer des projets de transport structurants qui ont façonné nos villes et ont été largement adoptés par les usagers. Il y a d’ailleurs encore matière à la développer pour de nombreux projets et territoires. Mais quand il s’agit d’aller plus loin, sachant que 40 % des émissions de gaz à effets de serre trouvent leur source en dehors des grandes métropoles. C’est ce que montre une carte de l’Insee sur les émissions de CO2 par personne, publiée dans l’une de ses notes intitulée « Un habitant de pôle urbain émet deux fois moins de CO2 que la moyenne pour se rendre à son lieu de travail ou d’études » 2. Il devient nécessaire d’aller un peu plus pour basculer d’une ingénierie des flux à une ingénierie des usages.

Celle-ci consiste à déplacer la focale du « combien ? » (les flux) vers le « qui ? » (les usagers), avec une approche davantage tournée vers la capacité singulière de chacun à s’adapter aux changements qui lui sont imposés. Cette approche, qui cherche à considérer des groupes d’usagers se déplaçant de macro-zones vers d’autres macro-zones, permet de chercher puis d’identifier des solutions adaptées à davantage de personnes et de faire un pas vers les populations qui ne trouvent aucune réponse satisfaisant leurs besoins dans les politiques actuelles de mobilité. Elle permet de raisonner un peu plus en sur-mesure, de mettre en évidence des mesures plus « soft », moins coûteuses et plus rapides à promouvoir, etc. Bref, elle permet d’inclure. Adossée aux principes déjà énoncés plus avant, elle offre un nouvel angle susceptible d’engager des réponses concrètes et solidaires aux défis qui nous sont posés.

  1. L. no 2000-1208, 13 déc. 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU ».
  2. Levy D. et Le Jeannic T., « Un habitant de pôle urbain émet deux fois moins de CO2 que la moyenne pour se rendre à son lieu de travail ou d’études », Insee première juin 2011, no 1357.
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