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Vincent Saulnier : « Les Jeux de Paris 2024 nous aident à faire du sport un levier de vivre ensemble. »

Vincent Saulnier
Le 19 janvier 2024

Vincent Saulnier est secrétaire général de l’Association nationale des élus du sport (Andes) et vice-président de la communauté de communes du pays de Château-Gontier (Mayenne) en charge des sports. Il nous explique – à la fois comme promoteur du sport et élu – comment les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024 contribuent, directement ou dans leurs prolongements, à rattraper le retard d’équipements sportifs en Seine-Saint-Denis, Île-de-France et ailleurs en France, mais aussi à améliorer la mobilité des Franciliens. Il apprécie l’effet JOP pour booster le bénévolat et le recrutement de professionnels du sport – plus largement les pratiques sportives –, d’appeler l’État à capitaliser sur cet effet pour aller encore plus loin.

Toutes les opérations d’aménagement réalisées pour les JOP répondent, selon la société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) à des besoins à long terme des territoires, identifiés par les acteurs locaux, avec une mise en œuvre notamment du principe d’héritage qui passe par une rénovation ou une réversibilité des équipements. Comment les JOP de Paris 2024 peuvent-ils accélérer le développement des territoires ?

La candidature de Paris pour les JOP 2024 s’appuyait sur 95 % de sites existants, ce qui fait la compacité et la sobriété de ce projet. En ce qui concerne les ouvrages olympiques, le défi était double : d’abord la compacité avec une bonne partie d’équipements existants donc et ensuite la capacité de donner à un équipement temporaire une réversibilité. Ainsi le village olympique aura une réversibilité à destination de l’habitat. Les territoires hors Île-de-France sont aussi concernés, notamment ceux choisis pour devenir l’un des 1 029 centres de préparation des Jeux, avec 25 millions d’euros à l’appui débloqués par l’Agence nationale du sport (ANS). À Château-Gontier, par exemple, on a reconstruit un dojo de 1 000 m2 avec quatre secteurs de tatamis et une salle de musculation pour accueillir des judokas d’Amérique du Sud ou d’Afrique. Le projet, d’un coût de 3,5 millions d’euros, a été subventionné à hauteur de 900 000 euros par l’ANS.

La Seine-Saint-Denis, qui est très carencée avec un taux d’équipements sportifs de 16,2 pour 10 000 habitants, contre 49,6 pour 10 000 habitants pour la France entière1, va partiellement rattraper son retard grâce aux JOP. Avec le centre aquatique de Saint-Denis réalisé pour l’occasion, mais aussi aux bassins olympiques, comme à Aulnay-sous-Bois2 et à Montreuil3. Par ailleurs, les JOP ont été conçus pour éviter des « éléphants blancs », ces réalisations prestigieuses qui coûtent cher ensuite en entretien, voire ne seront pas utilisées. Ainsi, le village olympique4 (NDLR : ou village des athlètes) et ses 2 800 logements prévus5 serviront immédiatement après les JOP à la population comme logements sociaux ou classiques (après revente à des promoteurs). Près de 1 000 logements ont déjà été livrés à ce jour. Le village des médias6 sera réutilisé pour devenir un centre d’exposition accueillant des manifestations diverses7. Plus largement en Île-de-France, ce seront 20 équipements publics et sportifs de proximité qui seront rénovés.

Certains équipements sportifs seront par ailleurs réutilisés, voire déplacés : comment ?

Dans un contexte utile d’apprentissage de la natation8, le centre aquatique de Saint-Denis, qui sera pérenne, sera utile pour tous les enfants du département. Mais ce sera aussi le cas de trois bassins olympiques qui seront démontés et réinstallés après les JOP en Seine-Saint-Denis9. La société Myrtha Pools, qui a déjà réalisé de nombreux bassins olympiques, a l’expérience en la matière. Pour ce département carencé en équipements sportifs, les JOP constituent un vrai coup d’accélérateur. Il faudra que cet effort se prolonge.

Les JOP sont-ils à même d’améliorer la mobilité des Franciliens ?

L’empreinte carbone des évènements sportifs est liée à 80 % à la question de la mobilité10. Ce défi a été envisagé. La RATP a ainsi accéléré la modernisation des lignes de métro. Pouvait-on faire plus vite, plus fort, différemment, comme il en a été question récemment lors de la polémique entre Clément Beaune, ministre des Transports, Anne Hidalgo, maire de Paris et Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France11 ? Même si aujourd’hui, certains effets ne sont pas mesurables et même si des retards ont pu être pris, force est de constater que les JOP ont servi de catalyseur : beaucoup de travaux ont été engagés et la mobilité d’une partie des Franciliens s’en trouvera améliorée.

Le développement du sport nécessite aussi un accompagnement des associations sportives, des bénévoles, etc. Comment favoriser l’implication bénévole des clubs et des jeunes pendant les JOP et au-delà des JOP, mais aussi l’accompagnement professionnel ?

Beaucoup d’actions sont conduites par les collectivités locales en la matière. Le programme des volontaires de Paris 2024 permet aux jeunes âgés de 18 ans minimum, parlant français ou anglais et disponibles pendant au moins dix jours, de participer de l’intérieur à l’organisation des Jeux. Ils seront 45 000. Le conseil départemental de Seine-Saint-Denis est quant à lui à l’initiative de « toutes et tous volontaires », une plateforme s’adressant à ses habitants12 souhaitant être volontaires pour les JOP et acceptant pour ce faire de se former en anglais et aux gestes de premiers secours. Près de 2 000 personnes sont inscrites à ce jour. Plus largement, une meilleure reconnaissance du bénévolat pourrait être obtenue avec les propositions de loi pour faciliter l’engagement associatif bénévole, simplifier la vie associative, ceci au regard de la crise affectant le bénévolat.

Le dispositif Impact 2024 porté par l’ANS, le fonds de dotation Paris 2024, le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), la ville de Paris et quelques autres partenaires est un appel à projets lancé en 2022 et destiné à soutenir des projets autour du sport et de l’action sociale, de l’inclusion, de l’égalité, de l’éducation, de la citoyenneté, du développement durable, etc.13 Cela fera partie de l’héritage des Jeux, puisque cela perdurera après eux.

Par ailleurs, les quartiers politiques de la ville (QPV) commencent à bénéficier de 1 000 emplois sportifs pour les trois ans à venir, avec 20 000 euros d’aides par emploi, soit 60 millions d’euros au total. Le sport est bien un levier d’insertion, de formation et d’emploi.

À noter enfin que l’État a défini en 2019 un programme « Héritage » comportant 170 mesures dont le suivi incombe à la direction interministérielle aux JOP (Dijop)14.

L’Île-de-France est la grande gagnante de ces JOP 2024 en matière d’équipements, puisqu’elle capte l’essentiel des 4,38 milliards d’euros de budget. Mais qu’en est-il en France ? Certes, vous avez cité les centres de préparation des Jeux, auxquels on peut ajouter le plan 5 000 terrains de sport à 200 millions d’euros et le plan 2024-2026 de 300 millions d’euros pour tous types d’équipements sportifs15. Mais cela fait peu… Les JOP ne renforcent-ils pas la fracture territoriale ?

Ces programmes sont un très bon signal pour l’Andes, mais oui, il faut aller plus loin pour éviter la fracture territoriale. La mise à niveau des équipements, y compris sur le plan énergétique, constitue un véritable défi, quand, rappelons-le, 63 % des équipements sportifs en France ont été mis en service avant 1995. L’Andes propose, dans le prolongement des JOP, une loi de programmation pluriannuelle héritage. Nous souhaitons ainsi fixer le cap à 1 % du budget de la nation dédié au sport à horizon 2030, contre 0,18 % fixés au projet de loi de finances pour 2024. Notre réseau des élus locaux en charge du sport milite notamment pour un plan « Piscines », dans un contexte où certaines piscines ont dû fermer16.

Plus largement, pour vous à l’Andes, les JOP ne sont-ils pas l’occasion de faire progresser la cause du sport ?

Tout à fait. Les JOP vont être le révélateur de la place du sport dans notre société : le sport comme levier du vivre ensemble, de la performance, des principes d’égalité, de citoyenneté, de bien-être, etc. « Ne pas faire de sport est dangereux pour la santé », rappelle le cardiologue François Carré, membre du collectif Pour une France en forme. Aussi, nous soutenons l’initiative « Trente minutes d’activité physique quotidienne à l’école », lancée en 2020 par Paris 2024 et le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, avec le ministère des Sports, initiative reprise par le Gouvernement pour devenir la grande cause nationale 2024, « Bouge trente minutes chaque jour », comme l’a annoncé la ministre des Sports le 21 novembre 2023 au salon des maires17. Améliorer la santé de tous les Français de tous âges est une priorité. Cependant, l’Andes note que certains dispositifs non activés vont contre l’objectif affiché. Ainsi, la mise en place du remboursement de l’activité physique adaptée pour certains malades, un temps intégrée au projet de budget de la Sécurité sociale pour 2024, a disparu du texte. En lieu et place, le Gouvernement propose, beaucoup plus timidement, une expérimentation de deux ans, visant les patients traités pour un cancer. Par ailleurs, nous regrettons que le Gouvernement ait balayé, par l’activation du 49-3, deux amendements que l’Andes avait proposés pour permettre de mieux financer le sport. En effet, la surtaxe temporaire de 0,3 % sur les paris sportifs pour consolider le financement indispensable des 573 maisons sport-santé n’a pas été adoptée. Exit de même pour le déplafonnement de cette taxe sur les paris sportifs qui aurait permis de dégager plusieurs dizaines de millions d’euros supplémentaires en 2024 en faveur de la rénovation et de la construction des équipements sportifs structurants locaux. Pour nous, à l’Andes, il s’agit donc d’accompagner à amplifier des moyens financiers adaptés, tant pour développer les infrastructures sportives que la pratique sportive, dans le prolongement des vrais efforts déjà consentis dans le cadre des JOP.

Des jeux durables ?

À la question de savoir si les JOP de Paris 2024 seront durables, l’Andes botte en touche. Les organisateurs des JOP affirment eux qu’ils réduiront de moitié les émissions de carbone : 1,6 millions de tonnes contre 3,5 millions de tonnes émises pour Londres 2012 et Rio 2016. Mais les experts et associations environnementales doutent, les JOP supposant la réalisation d’infrastructures (même réduites), des déplacements (internationaux et locaux) et des « opérations » (hébergement, sécurité, restauration, etc.).

Les organisateurs assurent qu’ils compenseront ces émissions par le financement de programmes extérieurs (reforestation, etc.).

Une équipe de chercheurs américano-suisse a développé un modèle avec neuf indicateurs pour évaluer la durabilité des 16 éditions des JOP d’été et d’hiver entre 1992 et 202018. Ils montrent que la durabilité globale des Jeux est moyenne et décline dans le temps, Salt Lake City (2002) étant le plus durable sur cette période, Sotchi (2014) et Rio de Janeiro (2016) les moins durables. Pour rendre les JOP plus durables, ces chercheurs ont présenté trois actions possibles :

  1. réduire considérablement la taille de l’évènement ;
  2. alterner les Jeux entre les mêmes villes ;
  3. renforcer des normes de durabilité crédibles par un organisme indépendant. Réduire la taille de l’évènement peut s’appuyer sur les retransmissions télévisées : le covid-19 a accentué cet aspect. Mais cette approche n’est toutefois qu’environnementale quand les autres piliers du développement durable sont le social et l’économique.

Dans une perspective plus globale, l’État a lancé à l’occasion des Jeux un programme de 13 études d’impact :

  • impact environnemental – empreinte carbone et biodiversité ;
  • poids économique direct ;
  • impact sur le tourisme ;
  • accessibilité aux personnes en situation de handicap ;
  • développement de la pratique sportive, etc.
  1. Aménagement sportif durable en Seine-Saint-Denis. 2015-2020. Schéma de cohérence territoriale des équipements sportifs (SCOTES), document d’orientation générale, 2014, Service du sport et des loisirs, direction de la culture, du patrimoine, du sport et des loisirs et département de la Seine-Saint-Denis.
  2. Le bassin olympique d’Aulnay-sous-Bois a ouvert en 2021 et servira à l’entraînement des nageurs pour les JOP 2024.
  3. Le bassin olympique de Montreuil est en cours de rénovation depuis avril 2023 et accueillera les entraînements de water-polo pour les JOP.
  4. Situé sur les communes de Saint-Denis, Saint-Ouen-sur-Seine et L’Île-Saint-Denis.
  5. 2 000 logements familiaux et 800 logements en résidence.
  6. Situé sur les communes de Dugny, Le Bourget et La Courneuve.
  7. Le village des médias sera reconverti en Micro-Folie (musée numérique en partenariat avec les grands musées nationaux) et accueillera des spectacles et initiations au cirque, à la danse et à la magie.
  8. En Seine-Saint-Denis, un enfant sur deux entrant en classe de sixième ne sait pas nager.
  9. À Sevran, Pierrefitte-sur-Seine et Bagnolet.
  10. Xerri A., « Hidalgo et les JO 2024 : “On ne va pas être prêt”… La polémique en 3 actes », L’Express nov. 2023.
  11. Delage L., « L’empreinte carbone des grands évènements sportifs internationaux, un essai non transformé… par la venue des spectateurs ! », Carbone 4 oct. 2023.
  12. Jeunes de 16 à 30 ans, personnes en situation de handicap et sportifs bénévoles (https://jopparis2024.seinesaintdenis.fr/devenez-volontaires-pour-la-seine-saint-denis-pendant-les-jeux-de-paris-2024/).
  13. 627 lauréats et plus de 950 porteurs de projets labellisés pour un montant de 11,3 millions d’euros.
  14. Ces 170 mesures (qui ont évolué depuis) portent sur le développement des infrastructures et pratiques sportives, l’emploi et le bénévolat, les transports et l’accessibilité, les enjeux sociétaux (égalité femmes/hommes, handicap, discriminations, etc.), l’économie de la filière du sport, l’image de la France. La Cour des comptes a prévu de rendre un rapport sur l’héritage des Jeux au printemps 2024.
  15. Ville F., « 5 000 équipements sportifs pour les JOP 2024 : le rural cherche à combler son retard », p. 52-57.
  16. En septembre 2022, une trentaine de piscines municipales gérées en délégation de service public par la société Vert Marine fermaient en raison de la hausse des prix de l’énergie. Secondigny (Deux-Sèvres) a mis en vente sa piscine. Candé (Maine-et-Loire) l’a fermée en juin 2023, la communauté de communes des Ballons des Hautes-Vosges a fermé celle de Thillot depuis fin septembre 2023 et jusqu’à fin 2023, etc.
  17. https://www.gouvernement.fr/actualite/activite-physique-et-sportive-la-grande-cause-nationale-2024-est-lancee
  18. Müller M. et al., “An Evaluation of the Sustainability of the Olympic Games”, Nature Sustainability avr. 2021, no 4, p. 340-348.
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