David Valence : « Aller plus loin dans la souplesse accordée aux collectivités locales »

David Valence, député Renaissance des Vosges DR
David Valence, député Renaissance des Vosges DR
Le 10 juin 2024

La décentralisation et les collectivités locales font partie des futurs chantiers législatifs. Dans un entretien réalisé avant la dissolution de l'Assemblée nationale du 9 juin 2024, David Valence, député Renaissance des Vosges et président de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée nationale nous précise le travail en la matière réalisé par sa Délégation aux collectivités territoriales. Il nous livre aussi ses réflexions suite aux missions Woerth ou Ravignon ou quant à la réforme de la fonction publique lancée par Stanislas Guérini.

Pouvez-vous nous expliquer le rôle de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée nationale dont vous êtes président depuis septembre 2023 ?

La Délégation a été créée en 2017, sur le modèle de celle du Sénat. Sa vocation est d’être l’interlocutrice naturelle des grandes associations d’élus locaux et du gouvernement. Il s’agit à la fois d’éclairer l’action publique des collectivités locales et de contrôler l’action du gouvernement sur celles-ci. Notre Délégation qui emploie 3 administrateurs pour 2,5 équivalents temps plein est en capacité de lancer des missions d’information. Le président a des crédits collaborateurs alignés sur ceux d’un président de commission permanente. La Délégation se réunit une fois par semaine, le mercredi à 15 heures.

Si la saisie de la Délégation sur des textes concernant les collectivités locales n’est pas automatique comme pour les commissions permanentes, elle peut en revanche elle-même, se saisir de ces textes pour avis. Deux rapports collectifs de 2023 ont été utiles. Le premier sur le financement de la transition énergétique (1) a été suivi d’amendements en loi de finances pour 2024 concernant la contribution des collectivités territoriales à la transition écologique. Alors que le gouvernement souhaitait que l’obligation de présenter un budget vert s’applique aussi au budget primitif, il a été obtenu, grâce aux travaux de la Délégation et à la demande de l’ensemble des associations d’élus, que cette présentation ne se fasse que sur le réalisé, c’est-à-dire sur le compte administratif (CA) (2) : c’est plus fiable. Cela s’appliquera pour la première fois en 2025 sur le CA 2024.

Dans un second rapport sur la décentralisation de la politique du logement (3), nous avons invité à décentraliser les aides à la pierre, la rénovation énergétique, les logements d’urgence et les zonages de la politique du logement. Ces propositions ont d’ailleurs été globalement reprises dans les rapports récents de Boris Ravignon sur l’enchevêtrement des normes et compétences (4) et d’Eric Woerth sur la réorganisation territoriale (5), y compris celles sur les logements d’urgence dans le rapport Ravignon.

On a aussi lancé des missions d’information qui ont pour but de proposer des évolutions législatives ou d’incrémenter une proposition de loi ou un projet de loi. Certaines de ces missions ont débouché sur des rapports : sur le statut de l’élu local (6), sur la police municipale (7), lequel a inspiré des propositions du rapport Ravignon, sur le financement des SDIS (8).

Plusieurs missions d’information sont actuellement en cours au sein de notre Délégation : celle sur l’évolution des intercommunalités (faut-il en faire des collectivités territoriales, faut-il ou non élargir les périmètres, faut-il redonner des compétences aux communes, etc ?) confiée à Agnès Brugnera et Jean-Claude Raux, celle sur la rénovation des politiques urbaines confiée à François Piquemal et Alexandre Vincendet. Celle sur le cumul des mandats va être lancée prochainement.

Quels sont les principaux enseignements de votre rapport sur la décentralisation (9) ?

Ce rapport avait vocation à nourrir les travaux d’Eric Woerth, en dressant un état des opinions. Nous avons donc arrêté une liste de douze questions adressées à tous les groupes parlementaires. Parmi les points de divergence, notons la vision très centralisatrice, hostile à la différenciation territoriale et au renforcement de la gouvernance locale, portée par la France insoumise et le Rassemblement nationale. Ces deux partis ont une vision prudente ou sceptique de la décentralisation. A l’inverse, tous les autres partis considèrent que la décentralisation permet d’approfondir la démocratie, de partager le pouvoir et d’être plus efficace. Parmi les points de convergence, nous avons relevé qu’aucun groupe ne souhaite la disparition d’un niveau de collectivité territoriale. La contestation de l’enterrement des départements est d’ailleurs achevée par les rapports Ravignon et Woerth. C’est plutôt l’enchevêtrement des compétences qui pose problème pour les groupes dans leur ensemble. Pour permettre des économies, un consensus se fait sur la nécessité d’une coordination des politiques publiques, d’une confiance à accorder par l’Etat dès lors qu’il a transféré une compétence aux collectivités locales… Le rapport Ravignon reprend ce dernier point en rappelant que les rectorats ont des services en charge des bâtiments scolaires, alors même que la compétence a été transférée aux régions (lycées) ou aux départements (collèges) en 1983.

Autre point d’accord, la nécessité de définir à l’avenir une autonomie fiscale minimale des collectivités locales, je dis bien autonomie fiscale, car l’autonomie financière s’est, elle, renforcée au contraire de la première. En effet, le député Jean-René Cazeneuve a démontré qu’entre 2004 et 2021, sous l’effet de la dynamique fiscale et de la baisse relative du poids de la Dotation globale de fonctionnement (DGF), l’autonomie financière a augmenté de plus de 10 points de pourcentage pour le bloc communal, de 16 points pour les départements et de 36 points pour les régions (11). Cette nécessité d’autonomie fiscale se retrouve dans le rapport Woerth. Pour les collectivités qui en ont le moins (régions et départements), il s’agirait de leur en redonner en leur donnant un pouvoir de taux sur les contributions et impôts.

Il ressort également du rapport et de tous les groupes qu’il faut aller plus loin dans la capacité à différencier et la souplesse accordée aux collectivités locales.

Si une région, plus petite par exemple, considère qu’il lui faut prendre en charge le social, actuellement dévolu aux départements et que ces derniers sont d’accord, il n’y a aucune raison de les en empêcher.

Autre point de convergence encore : une majorité des groupes se montre sceptique quant à la création d’un conseiller territorial (11), alors même que le Président de la République y est plutôt favorable, tout comme le rapport Woerth, plus pour mieux coordonner les politiques publiques que dans une volonté simplificatrice. Que disent les groupes ? Il faudrait, dans l’hypothèse d’une adoption de conseillers territoriaux, redécouper les cantons pour éviter des assemblées pléthoriques, alors même que les nouveaux cantons (ndlr : issus de la réforme de 2014) sont en voie d’appropriation. Le conseiller territorial aurait aussi pour effet de gommer les spécificités et forces de chacun : la région dont la force est le projet et la logique collective (formation professionnelle, développement économique, mobilité…), le département dont la force est la politique de proximité, les candidats jouant plus sur leur nom pour y être élus… Le conseiller territorial aurait ainsi pour inconvénient de départementaliser les régions, en favorisant l’addition des légitimités locales.

Dernier point, les groupes ont demandé à ce que l’Etat ne s’exprime pas dans les territoires par des voies multiples et différentes, mais que les préfets puissent y porter une seule parole de l’Etat. Cela se retrouve également dans le rapport Ravignon.

Comment analysez-vous les propositions faites par Eric Woerth dans son rapport sur la décentralisation (5) ?

En matière d’organisation territoriale, Eric Woerth propose la fin des doublons entre collectivités territoriales et Etat, et entre collectivités territoriales entre elles. Avec l’Etat, la décentralisation a parfois été incomplète, constate-t-il. Par exemple, la politique de la ville très décentralisée a toutefois laissé subsister des enveloppes de soutien des préfectures, certes dérisoires, mais alors que les collectivités pourraient faire seules : c’est une perte d’efficacité… Sur chaque compétence exercée et quand elle est partagée, comme par exemple la culture, le sport, le tourisme ou la biodiversité, Eric Woerth propose qu’il n’y ait qu’un seul chef de file. Si on prend pour exemple le soutien financier aux communes, celui-ci nécessite actuellement de la part du demandeur de remplir un dossier auprès des différents financeurs. Eric Woerth propose qu’un chef de file coordonne un dossier unique de soutien à l’investissement. Au niveau de l’Etat, il propose également une fusion en un seul fonds des différentes aides actuelles : Dotation d’équipement des territoires ruraux (Detr), Dotation de soutien à l’investissement local (Dsil), Fonds national d’aménagement et de développement du territoire (Fnadt), Fonds vert, Fonds interministériel de prévention de la délinquance  (Fipd).

Par ailleurs, je partage le souhait d’Eric Woerth de baisser le nombre des conseillers municipaux de 20 % (12), ainsi que de revaloriser les indemnités des élus locaux (13).

Par contre, je ne comprends pas pourquoi il veut supprimer les Pôles d'équilibre territorial et rural (PETR). Il me semble plus efficace de laisser le choix, comme actuellement, aux collectivités territoriales, d’autant plus que ce n’est pas obligatoire.

Stanislas Guérini, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques lance actuellement une réforme de la Fonction publique. Certaines propositions, comme la valorisation du mérite ou la facilitation du licenciement ont suscité des remous. Qu’en pensez-vous ? Quand cela pourrait-il aboutir ?

Il est normal que le ministre veuille simplifier le passage d’une Fonction publique à une autre, ce qui n’est pas simple aujourd’hui, notamment parce que les traitements ne sont pas les mêmes. J’ai par exemple eu à gérer un Ehpad municipal (ndlr : relevant donc de la Fonction publique territoriale) : le traitement indiciaire d’une aide-soignante y est moins favorable que dans la Fonction publique hospitalière, ce qui ne facilite pas le passage de l’un à l’autre. Du coup, on peut penser qu’il faut plutôt une réflexion par métier (aide-soignante, informaticien, agent technique…), plutôt que par fonction publique. Stanislas Guérini porte une vision d’unification des fonctions publiques.

Sur la capacité à valoriser le mérite, il s’agit d’introduire une plus grande souplesse dans le déroulé de la carrière et l’évaluation de l’engagement des agents. Les élus locaux y sont attentifs. Or, en raison d’une chaîne d’évaluation plutôt arbitraire par les Centres départementaux de gestion (CDG), ils n’arrivent pas à mieux valoriser le mérite. Il s’agit d’aller vers un cadre partagé par les acteurs et les collectivités territoriales, moins à l’ancienneté mais plus au mérite.

Avec cette réforme, il est aussi question de savoir qui décide des évolutions salariales et des conditions d’exercice du métier ? Il y a ici divergence entre Eric Woerth et Stanislas Guérini. Le premier souhaite en effet que seules les collectivités territoriales décident des grilles salariales dans une gestion paritaire avec les organisations syndicales, alors que le second défend la gestion actuelle, à la main de l’Etat. Le rapport Ravignon fait lui une proposition intermédiaire : au sein d’un cadre unifié de la Fonction publique, les décisions seraient prises conjointement par l’Etat et les collectivités locales.

Quant au calendrier, Stanislas Guérini entend mettre la réforme dans le circuit de concertation, c’est-à-dire devant le Conseil commun de la Fonction publique, puis devant le Conseil d’Etat et enfin devant le Conseil des Ministres. Le texte arriverait donc alors à l’Assemblée nationale en novembre, pour être voté vers mars 2025.

La Fonction publique peine à recruter, ne doit-elle pas se renouveler, innover pour gagner en attractivité ? Si oui, comment ?

L’Etat a lancé beaucoup d’initiatives en la matière (14). Il me semble que pour rendre les métiers de la Fonction publique attractifs, il faut faire évoluer nos cadres d’évaluation. Les métiers de la Fonction publique sont restés dans une organisation un peu datée avec les catégories rigides A, B et C. Attention toutefois, l’innovation ne doit pas se réduire à la digitalisation.

Innover, cela peut être aussi le retour à un dialogue direct et physique. On innove mieux, lorsque l’on mène des politiques de proximité.

(1) Thomas Cazenave. Rapport d'information sur l'accélération de l'investissement des collectivités territoriales dans la transition écologique. 22 mars 2023, 68 p.

(2) art. 191 de la loi de finances pour 2024. Cette obligation s’applique aux collectivités de plus de 3 500 habitants.

(3) David Valence. Rapport d’information sur la décentralisation de la politique du logement. 11 octobre 2023, 76 p.

(4) Boris Ravignon. Coûts des normes et de l’enchevêtrement des compétences entre l’Etat et les collectivités : évaluation, constats et propositions. Mai 2024, 240 p.

(5) Eric Woerth. Décentralisation : le temps de la confiance. Mai 2024, 160 p.

(6) Sébastien Jumel, Violette Spillebout. Rapport d’information sur le statut de l’élu local. 20 décembre 2023, 178 p.

(7) Lionel Royer-Perreaut, Alexandre Vincendet. Rapport d’information sur les missions et l’attractivité des polices municipales. 19 juillet 2023, 95 p.

(8) Xavier Batut, Jocelyn Dessigny. Mission « flash » sur le financement des services départementaux d’incendie et de secours. 22 mai 2024, 72 p.

(9) David Valence. Rapport d’information sur un nouvel acte de décentralisation. 10 avril 2024, 115 p.

(10) Le Comité pour la réforme des collectivités locales, présidé par Édouard Balladur, avait défendu le 5 mars 2009 une unification des conseils généraux et régionaux, et l’élection de « conseillers territoriaux ». Seul Horizon y est aujourd’hui favorable, Renaissance y restant ouvert.

(11) Voir ici : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/commissions-permanentes/finances/actualites/autonomie-financiere-et-fiscale-des-collectivites-territoriales-communication-de-jean-rene-cazeneuve-rapporteur-general

(12) Avec 9 conseillers maximum pour les communes de moins de 500 habitants (au lieu de 7 avant), 13 pour celles de 500 à 1 499 habitants (au lieu de 15 avant) et – 20 % pour les communes de plus de 1 499 habitants.

(13) E. Woerth propose + 10 à 15 % pour les indemnités des maires et adjoints des communes de moins de 20 000 habitants et + 10 % pour la dotation particulière élus locaux.

(14) Un Fonds pour la transformation de l’action publique (FTAP) notamment, doté de 330 millions d’euros pour 2023-2025, a pour objectif d’accélérer les projets de transformation publique et d'améliorer  la qualité des services publics, les marges de manœuvre données aux agents publics et l’efficacité dans l’action publique.

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