Revue

Dossier

Comment transformer la mobilité avec les communs ?

Le 29 novembre 2019

Le secteur du transport et des mobilités vit sa révolution depuis quelques années avec l’irruption des smartphones dans nos vies quotidiennes, devenus, en quelques années, des assistants personnels de mobilité (APM). Les communs peuvent contribuer à accélérer les collaborations entre les différents acteurs de l’écosystème (privé, public, start-up, associations, etc.) en créant des standards, en mutualisant les dépenses et en capitalisant les retours d’expériences. C’est la raison d’être de La Fabrique des mobilités, premier accélérateur européen dédié à un écosystème en mutation : celui des acteurs du transport et des mobilités.

Résumé

Depuis les années 2000, en l’espace de quelques années, les deux domaines historiques du transport que sont les transports collectifs publics et la voiture individuelle privée, se trouvent remis en cause et stressés par plusieurs types d’acteurs. Des modes de transport « hybride » apparaissent, comme les vélos (individuels) publics, et ce n’est qu’un début. Malgré les apparences, rien ne change vraiment, ni dans les pratiques des citoyens au quotidien, ni dans les modèles d’affaires dominants, ni dans les mauvaises performances environnementales. Le secteur des transports reste le principal émetteur de CO2 et de polluants, la masse des voitures continue d’augmenter et le transport public peine à se financer.

Pourtant en utilisant le terme « mobilité », nous avons collectivement invoqué un changement majeur apparu au moment même où le numérique s’imbriquait dans notre quotidien. Le smartphone a réussi à aspirer à lui notre attention, à produire des données inédites et finalement à devenir notre assistant personnel de mobilité (APM). Il gère – et gérera – de mieux en mieux la complexité du quotidien. C’est une intermédiation avec des conséquences majeures. Les acteurs absents des principaux écrans deviennent de facto des sous-traitants. En résumé, en parlant de mobilité, nous avons décidé de nous intéresser à l’humain et son APM. Les modes de transport, les véhicules, deviennent accessoires.

La raison d’être de La Fabrique des mobilités est d’accompagner les changements culturels des acteurs puisque le numérique offre de nouvelles façons de faire individuellement et collectivement. Les défis à résoudre restent immenses, comme les volumes en jeu dans ce secteur industriel. Comment réussir à aligner des intérêts différents pour modifier à grande échelle des pratiques de mobilité ? Tel est notre sujet.

La mobilité peut se décrire comme un domaine complexe, au sens d’Edgar Morin1, c’est-à-dire avec de nombreuses interactions et un grand nombre d’acteurs hétérogènes publics et privés. Chaque acteur délivre un produit sur le marché, joue un rôle et, en conséquence, s’est construit autour de valeur, d’indicateur, de savoir-faire et de savoir être que nous appelons « culture ».

Une collectivité, une start-up, un groupe industriel, une école d’ingénieur ou encore un laboratoire public de recherche, diffèrent sur de nombreux aspects. Ils n’ont pas les mêmes façons de voir le monde. Cet écart culturel ralentit la compréhension, la mise en œuvre et réduit l’impact d’une solution.

Par ailleurs, la concurrence conduit à de nombreuses répétitions, même au niveau des acteurs publics qui devraient se coordonner pour mutualiser. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Notre pari

Le pari de La Fabrique des mobilités est de considérer que les communs jouent un rôle clé ; plusieurs rôles, en fait. Les communs deviennent un moyen pour accélérer les collaborations entre un grand nombre d’acteurs hétérogènes tout en leur apportant des ressources immédiatement utiles, accessibles à tous. Les communs offrent également la possibilité de créer des standards, mutualiser des dépenses donc accélérer l’exploration de domaines ou de risques. Ces ressources ouvertes permettent alors à plusieurs acteurs de les utiliser, de contribuer et, ainsi, d’apprendre à se connaître. La création d’une culture commune devient possible « à travers » la ressource, qui devient à la fois un actif utile, un prétexte pour collaborer et un média. Plus le nombre d’acteurs augmente, plus la ressource se développe vite et plus elle devient attirante. C’est un mécanisme dit « à rendement croissant ».

Les start-up pourront s’appuyer sur les communs disponibles pour prototyper plus rapidement sans avoir besoin de développer toutes les ressources. Elles participent à la richesse d’un écosystème industriel. Plus il y a de ressources ouvertes, plus l’écosystème attire les entrepreneurs.

Baidu, le Google chinois, a choisi l’open source pour rattraper son retard sur son homologue américain, sur les voitures autonomes : Apollo. auto est né et grandit grâce à l’open source. C’est aujourd’hui la plus grande communauté industrielle au monde dans ce domaine avec plus de 10 000 développeurs. Imaginons qu’en Europe nous ayons créé une plateforme ouverte unique d’autopilote pour tous les industriels, laboratoires et écoles.

Nous n’avons rien inventé, ce sont les communautés de développeurs logiciels qui se sont organisées pour mutualiser leurs travaux, documenter pour permettre à une personne de comprendre et d’utiliser, inviter à rejoindre pour faire grandir la ressource. Personne ne voit ça, c’est invisible, pas de grande annonce et pourtant les logiciels open source constituent, dans de nombreux domaines, les socles fondateurs des principaux systèmes numériques. Plus robuste, évolutif, sans vendor lock-in, ouvert à tous, l’open source se révèle particulièrement adapté à la production rapide de ressource à haute valeur ajoutée dans des environnements complexes. Cette dynamique arrive dans tous les secteurs industriels. En résumé, nous affirmons aujourd’hui que l’open source et les communs ne sont plus une option, toute organisation publique ou privée se doit de monter en compétence sur le sujet, à le maîtriser en complément de ses autres modes d’actions et modèles d’affaires.

La Fabrique des mobilités

La mission de La Fabrique des mobilités est de favoriser l’émergence et l’adoption opérationnelle de communs pour construire des mobilités durables, efficaces et inclusives pour toutes les parties prenantes de l’écosystème. Elle développe des activités qui s’adressent à tous les membres de l’écosystème : start-up, industriels, clusters, collectivités, établissements d’enseignement supérieur, fonds d’investissement, hackers. Ses activités s’organisent sur trois axes :

  • connexion : de l’écosystème dans une position unique capable de relier les acteurs de l’action publique (administrations, recherche, territoires, municipalités) à l’international et ceux de l’action privée (GIE, industrie, T/PME, start-up) pour faciliter les processus d’innovations dans la mobilité sur des temps courts de l’ordre de 18 mois ;
  • production : de ressources ouvertes, de briques logicielles et matérielles mais aussi de changement culturel avec de nouvelles façons de travailler ensemble ;
  • organisation : d’actions individuelles ou mutualisées pour permettre l’émergence d’une masse critique d’acteurs et d’usages autour de nouvelles offres et de nouvelles technologies dans la mobilité. Pour cela, La Fabrique mène un travail de fond avec quelques territoires pour les préparer à mieux accueillir des projets de mobilité.

Nous avons créé l’idée de lancer des appels à communs par communauté d’intérêt ou domaine technique en commençant par cette question : « De quoi avez-vous besoin maintenant et que vous avez intérêt à faire ensemble ? » Même si certains acteurs se positionnent en concurrence, même si la collaboration n’est pas évidente, la fab mob accompagne les communautés dans ce chemin pour qu’émergent des ressources utiles, non différenciantes et non compétitives. Voici quelques exemples concrets.

Traceur open source2

La connaissance des pratiques quotidiennes de mobilité des citoyens est essentielle pour permettre à toutes les parties prenantes de mieux agir et mieux décider. Le numérique permet de produire cette connaissance de façon différente. Cette communauté travaille pour produire des ressources utiles et mutualisées (logiciels, notamment) permettant d’améliorer la production de données de mobilités. Une évaluation du traceur a été réalisée3. La suite du projet pourrait être de l’utiliser dans des challenges territorialisés.

Preuves de covoiturage4

La première version de ce projet, initié par la fab mob et porté par la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) et du ministère de la Transition écologique et solidaire et développée par beta. gouv.fr, avec le soutien de l’Ademe, est déployée. Quatre territoires y ont recours. La phase suivante consiste à ouvrir le registre aux entreprises.

Véhicule électrique

Le projet de véhicule libre5 a pour objectif de concevoir et prototyper des véhicules libres de source et leurs services associés, en cohérence avec leur écosystème. Il a été lancé en 2015 par le fab lab de l’université de Rennes 1 – qui le pilote en partenariat avec l’IETR-UMR CNRS 6164 et l’IMT Atlantique –, avec de nombreux partenaires locaux. Les contributeurs travaillent principalement sur le modèle Tabby d’OSVehicule. L’objectif de l’année à venir est d’élargir la communauté en intégrant Transalley et VEDECOM, de le lier au Twizy contest, de développer un modèle réduit autonome. Un partenariat avec le MIT pourrait également renforcer le projet.

Renault organise Twizy contest et met à la disposition d’universités et d’écoles une base véhicule ouverte basée sur un Twizy ainsi qu’une série de composants pour imaginer des usages et des services. La fab mob apporte des ressources complémentaires et documente les livrables produits.

Partage de vélo

L’objectif du projet est de développer un cadenas pour vélo open source et connecté6, avec lequel il est possible de louer le vélo d’un particulier pendant une journée ou plus pour les déplacements quotidiens ou de loisirs. Les vélos sont laissés à disposition pendant les horaires décidés par les propriétaires. Un smart cadenas lié à l’application mobile permet de connaître la disponibilité des vélos et de les sécuriser dans des lieux d’intérêts comme les gares, les places de centre-ville ou les parcs. Une assurance couvre les vélos pendant la durée de la location. L’objectif de l’année à venir est de lancer un produit minimum viable (ou MVP, de l’anglais : minimum viable product) avec un partenaire.

Compte mobilité

La vision du projet7 s’inspire du compte personnel d’activité associé à France Connect, il s’agit de produire un compte mobilité individue8, potentiellement universel. Ce compte regroupera les informations de mobilités produites par différents services, objets, applications. Ce compte pourrait ensuite permettre de s’inscrire dans des services de mobilité comme un Facebook ou Google connect.

Hubs de [dé]mobilité

Un premier travail a permis de rédiger un manifeste pour inventer des hubs de [dé]mobilité, entendu comme sujet majeur, à la croisée de l’urbanisme, des mobilités, des territoires, pour réduire les déplacements motorisés, encourager les mobilités choisies, renforcer les proximités et simplifier l’accessibilité aux aménités. Une exploration collective9 se dessine, pour mieux comprendre les rôles de ces hubs et pouvoir expérimenter rapidement.

Open data cam

Le projet10 porte sur la reconnaissance des types de véhicules grâce à l’analyse d’un flux vidéo. Ceci permet de qualifier/quantifier les flux de véhicule. Open data cam est un projet open source qui permet de produire le système complet : hard et software. Data from sky propose, notamment, une analyse de flux vidéo pour compter/qualifier les flux de véhicules. Un fab lab (TETRIS) prototype ce projet pour tester et produire un guide. La Fabrique pourrait ensuite accompagner le projet en aidant l’étudiant ou l’équipe pour expérimenter, développer.

La Fabrique est financée aujourd’hui par des adhésions et des conventions de partenariats. Ce financement permet l’identification et la production de certains communs. L’adhésion donne accès à tous les outils et ateliers de la fab mob, au droit de vote et permet d’orienter les sujets travaillés lors des ateliers, les communs produits et la stratégie de l’association. Des conventions complémentaires permettent d’allouer des ressources spécifiquement sur les projets, défis du partenaire sur une période de 12 à 18 mois.

Nous étendons cette démarche aux collectivités qui disposent de ressources et qui ont de nombreux défis à relever.

Les communs et la commande publique

Jusqu’à présent l’aide à l’innovation se conçoit par des mécanismes de sélection, des appels à projet sur la base de cahier des charges bien spécifié avec des entrées en général « technologiques ». Ce processus « en entonnoir » engendre ainsi une réduction du nombre de proposition pour en expérimenter que quelqu’une. Cette approche présente plusieurs faiblesses :

  • le besoin n’est généralement pas exprimable clairement par l’autorité et/ou le territoire ;
  • le temps joue contre le projet puisqu’il est essentiel de se recombiner en permanence avec les autres acteurs et projets du territoire qui évoluent eux aussi ;
  • la sélection a priori sur la base d’un dossier n’est pas performante ;
  • l’intégration dans le territoire dépend beaucoup des compétences existantes des élus et techniciens ;
  • l’utilisation des ressources du territoire n’est pas maximisée.

Nous proposons d’ouvrir les ressources et mettre sous contraintes les entrepreneurs. La méthode vise à aligner les forces créatrices des entrepreneurs, en les plaçant sous des contraintes conçues pour atteindre des objectifs clairs et précis en les sélectionnant le moins possible a priori tout en favorisant au maximum la production et l’utilisation de communs.

Au lieu de faire des choix a priori, de s’obliger à choisir un seul chemin et faire l’hypothèse que les acteurs aujourd’hui en place sont les mieux placés pour conduire les changements, il est proposé ici une méthode qui vise à industrialiser l’exploration d’un maximum de scénarios sous contraintes en partageant un maximum de livrables.

Pour « industrialiser l’exploration d’un maximum de scénarios », une liste de ressources du territoire documentée en détail pourra être établie par tous les acteurs publics et privés (données ouvertes, logiciels, routes, véhicules, capteurs, compétences et connaissances, etc.) et sera utilisable par tous les acteurs (entreprise, association, agence, etc.) fonctionnant « sous contraintes ».

Trois types de contraintes (ou conditions générales d’utilisation [CGU]) pourront être établies et appliquées à tous ceux qui souhaitent utiliser les ressources identifiées :

  • contraintes d’entrées pour un projet : les ressources documentées ne pourront être utilisées qu’en suivant les guides, licences et limites décrits par le fournisseur de la ressource. Toute ressource mise à disposition fertilise l’écosystème, réduit les barrières à l’entrée et permet aux entrepreneurs d’élargir considérablement leur capacité d’action ;
  • contraintes d’objectifs du projet : tous les projets devront chercher à résoudre des défis établis par le territoire. Ces défis seront présentés avec une liste d’objectifs chiffrés, clairs et opposables, les plus précis possibles : « D’ici cinq ans, sur tel et tel territoire, telle route, nous devons réduire de x % la congestion, les émissions de GES ou encore la concentration en NOx et augmenter le remplissage des véhicules de x %, avoir x % de vélo sur tel parcours » ;
  • contraintes de livrables : « Tout projet devra être documenté. Certains livrables auront des licences ouvertes. » Ce sont les ressources ouvertes qui servent à la fois de connecteur entre les acteurs, de traceurs des progrès en qualifiant leur développement et de richesses pour tous les acteurs. Les projets n’ayant pas réussi à atteindre les objectifs devront obligatoirement documenter cet échec et participer à des conférences dédiées.

Ces contraintes sont des leviers à définir par la collectivité. Les pouvoirs publics accompagnés des associations et citoyens, se chargent d’établir en détail des objectifs crédibles et souhaitables à court et moyen termes, d’encourager les acteurs qui apportent des ressources ouvertes ainsi que les meilleurs projets. Ces objectifs détermineront la finalité des projets, permettront d’en exclure certains sans pour autant faire de sélection. Tous les acteurs seront également engagés dans la mise à disposition de ressources à condition de les documenter, d’établir des règles d’utilisation et de s’accorder sur l’ouverture des livrables.

Si une équipe d’entrepreneurs (publics ou privés) cherche à atteindre les objectifs tout en utilisant les ressources, en respectant les conditions et en produisant des livrables ouverts, alors son projet doit pouvoir être engagé, sans nécessiter de sélection. Une hiérarchisation est effectuée en fonction de la capacité à être mis en œuvre immédiatement ou au contraire si le projet a encore besoin de ressources financières, humaines ou autres.

Personne ne décide qui a le droit ou si le projet est retenu. Il n’y a plus une unique stratégie, mais plutôt la production d’une multitude d’initiatives qui vont explorer des futurs sous contraintes permettant de produire une grande quantité de ressources ouvertes, utiles quel que soit l’avenir de chaque projet. L’écosystème est alors aligné sur des objectifs précis et obligé « by design » d’utiliser et produire des communs. La méthode utilisée renforce l’écosystème, sa fertilité, sa résilience, puisque nous ne savons a priori « ni qui ni comment ». Cette méthode a, a priori, deux autres avantages : la rapidité d’engagement de nouveaux acteurs, projets et l’identification des principaux verrous.

À terme, cette méthode pourrait même devenir une nouvelle forme de commande publique où il n’y a plus d’appel d’offres et de sélection « a priori » mais un bilan effectué en usage réel sur 18 mois, donc une sélection « a posteriori » par les usagers et le territoire.

L’âge des infrastructures numériques publiques11

Au siècle dernier, la puissance publique a massivement investi dans l’aménagement de routes, chemins de fer, métros, canaux, ports et aéroports. Principalement financées sur fonds publics, ces infrastructures physiques ont fait la richesse et l’attractivité de notre nation. Il est à présent urgent d’investir dans les infrastructures numériques publiques stratégiques du xxie siècle.

Le développement de modes de transport alternatifs au véhicule personnel ou au transport public traditionnel dessine une offre de mobilité variée, composée d’une multitude d’acteurs spécialisés – bus, métros, tram, vélo-partage, auto-partage, taxis, VTC, covoiturage, etc. – et le secteur de la logistique connaît une évolution analogue. Un investissement fort de l’État pour fédérer ces acteurs et s’assurer qu’ils parlent le même langage technologique est indispensable pour en garantir la lisibilité pour les usagers et doter les collectivités d’outils puissants pour assurer la performance et l’interopérabilité de nos systèmes de transport et de logistique.

Les nouvelles infrastructures numériques s’insinuent entre les infrastructures physiques et les citoyens, dans leurs usages quotidiens : que ce soient Waze, Google avec Replica12, Uber13, Citymapper ou Blablacar14, l’ensemble de ces plateformes influence les vies quotidiennes des usagers et imposent parfois l’aménagement d’infrastructures physiques nouvelles à l’image des aires de covoiturage.

Ces acteurs sont tous privés, tous en rapide évolution, et, à l’exception du dernier, tous étrangers. Pourtant, les données que récoltent ces entreprises sont cruciales pour la régulation du marché et la gestion des politiques publiques en matière de mobilité. Elles ont toutes les cartes en main pour produire des algorithmes capables de structurer les principaux critères de décision dans l’usage de nos infrastructures physiques et ainsi choisir le meilleur mode de transport pour les usagers selon des critères économiques, sans forcément tenir compte de l’intérêt général.

Un investissement fort de l’État doit lui permettre de rester maître des règles d’utilisation des infrastructures physiques et d’optimiser leurs usages. Le registre de preuve de covoiturage15, l’API le. taxi16, l’open data avec le Point d’accès national17, sont des premiers éléments constitutifs de ces futures infrastructures numériques publiques18 d’ores et déjà portées par le ministère chargé des Transports. Ainsi, avec ces dispositifs, l’État peut, par exemple, aider les collectivités à encourager des pratiques vertueuses comme le covoiturage en fédérant l’ensemble des plateformes privées comme publiques, et regagner par la même occasion une partie de sa souveraineté en récupérant notamment les données nécessaires à la constitution d’un véritable observatoire – en version beta pour l’instant – de la pratique du covoiturage en France19. Grâce à l’ouverture des données horaires des transports en communs, la puissance publique peut aider les petits et grands réseaux à intégrer les applications d’aide à la mobilité que les usagers utilisent sur leur téléphone, pour que la voiture ou le VTC ne soient pas les seuls résultats proposés aux usagers quand ils font une recherche d’itinéraire. Autre exemple : lorsqu’une alliance de compagnies de taxis partage la position de ses taxis, elle propose à ses clients son offre en priorité, pas forcément la plus proche, la plus rapide, ou la plus partagée, poursuivant son objectif de maximiser ses revenus. Lorsqu’une puissance publique organise les taxis, elle rend disponible à tous les données de localisation (anonymisées) pour réaliser son objectif : simplifier l’accès des clients aux taxis, quels qu’ils soient, en privilégiant le plus près, le moins cher, le moins polluant.

Mais il faut aller plus loin. Le déploiement de services Mobility as a service (MaaS), concept particulièrement à la mode en ce moment, accélèrera la numérisation de la planification, de la réservation et du paiement de nos services de mobilité. Il nous faut bâtir des infrastructures numériques de manière ouverte, avec les acteurs privés et les collectivités, pour faire émerger des standards technologiques – en s’inspirant, par exemple, du travail effectué par l’association à but non lucrative SharedStreets20 et en poursuivant les démarches de co-construction entamées par La Fabrique des mobilités, qui identifie, indexe et accompagne la production de communs utiles aux acteurs de ce secteur21. Mises en place par l’État, elles permettront de mutualiser les coûts au niveau national, de créer les conditions du développement de services de mobilité innovants, de favoriser la concurrence et d’éviter les positions monopolistiques dans un âge numérique où le « winner takes all » est devenu la norme, et d’imaginer des formes de régulation des transports qui n’impliquent pas de contrôles policiers ou d’investissements exorbitants.

Comme pour les infrastructures physiques, l’État doit être en capacité de planifier, de coordonner, et d’assurer le déploiement de ces nouvelles infrastructures numériques.

Une équipe d’architectes, de designers et de développeurs recrutés au sein de l’État permettra de rattraper le retard et d’accélérer le virage vers des mobilités quotidiennes performantes. Capable de jouer un rôle de tiers de confiance entre les acteurs privés, de produire des standards qui garantissent l’interopérabilité, de numériser des dispositifs existants comme le permis de conduire et ses points, de faire évoluer la fiscalité et d’accompagner les collectivités et notamment les plus petites, cette équipe accompagnera l’évolution de notre système de transports avec l’objectif d’améliorer l’efficacité de nos politiques en matière de mobilité.

Doté d’un budget propre, ces agents publics d’un genre nouveau, pilotés par les résultats et bénéficiant de marges de manœuvre pour agir, utiliseront et produiront essentiellement de l’open source en lien avec des équivalents en Europe et à l’international dans tous les domaines et pour tous les modes.

Ils prolongeront en définitive nos politiques publiques dans l’espace numérique, et permettront à l’État d’y retrouver une forme de souveraineté, en le positionnant en acteur central et neutre, aménageur du territoire numérique.

Il nous faut bâtir des infrastructures numériques de manière ouverte, avec les acteurs privés et les collectivités, pour faire émerger des standards technologiques.

  1. Morin E., Introduction à la pensée complexe, 2005, Seuil, Points.
  2. https://oultim.frama. site/
  3. La Fabrique des mobilités, « Utilisation de l’application Traceur de mobilité FabMob (test bêta) », oultim.frama. site 28 août 2019.
  4. http://covoiturage.beta.gouv.fr/
  5. https://wiki. lafabriquedesmobilites.fr/wiki/VehiculeLibre
  6. https://wiki. lafabriquedesmobilites.fr/wiki/Cadenas_Connecté_O.S._pour_Vélo_Partagé
  7. http://lafabriquedesmobilites.fr/articles/innovation/avons-besoin-dun-compte-personnel-mobilite/
  8. https://wiki. lafabriquedesmobilites.fr/wiki/Compte_Mobilité
  9. La Fabrique des mobilités, « Exploration collective des hubs de [dé]mobilités – Atelier n3 », googledoc 2019 ; https://cutt. ly/oesBVw8
  10. https://wiki. lafabriquedesmobilites.fr/wiki/Open_Data_Cam
  11. Paragraphe rédigé avec Ishan Bhojwani, responsable transport à beta. gouv.fr
  12. http://replica.sidewalklabs.com/
  13. https://movement. uber.com
  14. https://dev. blablacar.com/docs/versions/1.0
  15. http://covoiturage.beta.gouv.fr/
  16. https://le. taxi/
  17. http://transport.data.gouv.fr/
  18. Verdier H., « Pourquoi le. taxi, c’est important », henriverdier.com 2 nov. 2016, http://www.henriverdier.com/2016/11/pourquoi-letaxi-cest-important.html
  19. https://app.covoiturage. beta. gouv.fr/stats
  20. https://sharedstreets.io/
  21. https://wiki. lafabriquedesmobilites.fr/wiki/Accueil ; La Fabrique des mobilités, rapport d’activité 2019, https://cutt. ly/2esB6kK

 

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