Revue

Dossier

Les impacts économiques et sociaux de la crise sanitaire dans les territoires : et si le plus dur était à venir ?

Le 27 décembre 2022

Selon l’Observatoire des impacts territoriaux de la crise (OITC), la grande majorité des territoires semble avoir retrouvé leur niveau d’avant crise. Mais les effets territoriaux de la crise énergétique pourraient être encore plus déstabilisants.

Résumé

17 mars 2020. Le confinement est mis place. La France est figée. L’économie et la société sont à l’arrêt. L’incertitude est totale. Comment va-t-on se remettre d’un tel choc ? Médecins, scientifiques, économistes, sociologues, psychologues et autres défilent sur les plateaux télévisés (souvent en visio) pour proposer leurs analyses. Les approches proposées sont le plus souvent « macro », globales. L’approche territoriale constitue un angle mort, un impensé. Or, les territoires, fidèles à leur habitude, ont affiché toute leur diversité en matérialisant des capacités de résilience au choc de 2020 et de rebond à la reprise de 2021 d’une extrême hétérogénéité. La vigueur des amortisseurs mobilisés par la puissance publique s’est montrée d’une efficacité redoutable, faisant presque de cette crise un épisode récessif comme un autre. Aujourd’hui, la grande majorité des territoires semblent avoir retrouvé leur niveau d’avant crise. Mais à peine semblent-ils en être sortis que les voilà confrontés à une crise énergétique majeure et sous la menace d’une crise économique que l’on redoute brutale. Quel est leur degré d’exposition à la crise en cours et celle qui vient ? Tels sont les sujets que nous aborderons de manière chronologique dans cet article.

Sur fond d’une crise climatique qui a pris une dimension bien plus concrète avec les épisodes caniculaires de l’été, nous prenons matériellement la mesure de la fragilité du modèle anthropocène.

La crise sanitaire n’est pas encore dernière nous que nous avons déjà plongé dans une crise énergétique majeure provoquée par la surchauffe de l’économie mondiale et amplifiée par la crise géopolitique russo-ukrainienne. En septembre 2022, nous revoilà ainsi à craindre, c’est un euphémisme, un retour de bâton économique sans précédent, qui pourrait faire passer le cycle de 2020, durant lequel les États-nations ont pris des mesures d’amortisseur records doublées d’une efficacité redoutable, pour un simple épisode de contraction de notre économie. Nous sommes entrés de plain-pied dans l’ère de l’incertitude. Sur fond d’une crise climatique qui a pris une dimension bien plus concrète avec les épisodes caniculaires de l’été 2022, nous prenons matériellement la mesure de la fragilité du modèle anthropocène, construit sur une énergie abondante et à bas coût, constatons le retour de la guerre à nos portes et assistons à un triste come-back, celui de l’inflation. En France, après une bonne tenue au second trimestre, les perspectives de croissance sont en bernes : l’inflation, notamment sous-jacente2, atteint des sommets ; la consommation des ménages ralentit ; le climat des affaires est au plus bas depuis avril 2021 et le moral des Français, malgré un taux de chômage historiquement bas, s’effrite et atteint son plancher de juin 2013. Ce panorama très synthétique, tout comme l’abondante littérature tant technique qu’académique et les articles de presse généraliste qui en font le relais, masque des situations et des tendances très disparates. Il fait fi de l’incroyable diversité des territoires français. Diversité qui s’est exprimée au travers d’une capacité de résilience et de rebond face au choc de 2020 et à la reprise de 2021 extrêmement variée. Et qui se traduit aujourd’hui par un degré d’exposition à la crise énergétique et économique qui se profile tout aussi hétérogène. Tels sont les sujets que nous traiterons dans cet article en nous appuyant sur les travaux que nous avons conduits, au sein de l’OITC, depuis avril 2020 et le démarrage de la crise sanitaire3.

2020, un choc sans précédent mais in fine fortement amorti

Sur le plan de l’emploi tout d’abord, l’année 2020 a été une annus horribilis. Pas loin de 330 000 emplois salariés privés sont partis en fumée, soit une baisse de – 1,8 % de nos effectifs assez proche de la tendance de 2008 impulsée par la crise financière internationale. Avec le premier confinement, qui intervient le 17 mars 2020, c’est plus de 500 000 emplois salariés privés qui disparaissent au seul premier trimestre. Un triste record. Sur le plan géographique, toutes les zones d’emploi (ZE)4 françaises sont touchées à l’exception de cinq : Coulommiers, Langon, Propriano, Porto-Vecchio et Ghisonaccia. Le choc demeure particulièrement intense dans le massif des Alpes, l’Oise, la région Centre-Val de Loire, l’ex-Poitou-Charentes et la périphérie des métropoles de l’ouest français (Rouen, Nantes et Rennes). Au deuxième trimestre, la situation économique se détend : 127 ZE (sur 305) retrouvent une dynamique positive. Elles sont plutôt situées dans l’ouest français et en Rhône-Alpes. Au troisième trimestre, un vent de reprise souffle sur la France avec la sortie du confinement (11 mai 2020). La croissance de l’emploi se généralise à l’ensemble des zones d’emploi. Seules quatre – Coulommiers, Vendôme, Pau et Le nord-atlantique (Martinique) – subissent encore des pertes. Au quatrième trimestre, la situation économique se détériore à nouveau avec la reprise épidémique et le reconfinement (du 30 octobre au 15 décembre 2020). Si 124 ZE résistent et créent de l’emploi, notamment le long des littoraux, dans les départements et régions d’outre-mer (DROM), en Corse, dans la Sarthe, la Mayenne et la Franche-Comté, 181 en perdent. Au global, le bilan sur l’année est largement négatif, seules 31 ZE ont retrouvé ou dépassé leur niveau d’avant crise. On retrouve, sans toutes les citer, et parmi celles qui ont fait mieux que résister, les ZE de Langon, Vesoul, Les Sables-d’Olonne, Nîmes, etc., qui se localisent de manière très éparse sur le territoire français. Les régions Grand Est, Centre-Val de Loire et Corse demeurent les plus affectées : aucune de leur ZE n’a résisté au choc.

Sur le front du chômage, la dynamique est assez proche de celle de l’emploi. Durant l’année 2020, le nombre de demandeurs d’emploi5 inscrits à Pôle emploi a progressé de 4,6 %, soit 265 000 demandeurs d’emploi supplémentaires. Le premier trimestre est très violent : seules 74 zones d’emploi résistent et continuent d’enregistrer une baisse de leurs demandeurs d’emploi (plutôt situées en Bourgogne Franche-Comté, sur les franges est et sud de l’ex-région Rhône-Alpes et en Occitanie). Le deuxième est encore pire : seules 7 ZE connaissent une baisse de leurs demandeurs d’emploi (6 sont en Corse et la dernière en Guyane). Les plus impactées, enregistrant des hausses de plus de 3 %, se situent en Île-de-France, en Alsace, le long des frontières avec le Luxembourg, l’Allemagne et la Suisse, dans les proches et lointaines périphéries des métropoles de Nantes et Rennes ainsi que dans les territoires du massif alpin (hyper impacté avec des hausses comprises entre 17 et 65 % pour certaines ZE). Le rebond économique du troisième trimestre apparaît beaucoup moins visible sur le front du chômage. « Seules » 55 ZE résistent et enregistrent une baisse de leurs demandeurs d’emploi. Elles se localisent plutôt dans le massif alpin, dans la région Sud (ex-PACA), la Corse et le long du littoral atlantique dans sa partie aquitaine. Le quatrième trimestre est beaucoup plus profitable : les effets de la reprise observée au troisième trimestre se font clairement ressentir. 191 ZE enregistrent une baisse de leur demandeurs d’emploi. Ces baisses se généralisent à peu près partout sauf dans les territoires franciliens, du massif alpin, de la région Sud, de Corse et du littoral atlantique. Ainsi au global, sur l’année, seules 25 zones d’emploi résistent. On les retrouve en Corse (seule la ZE de Bastia enregistre une hausse), dans les DROM et réparties de manière éparse avec les ZE Châteaudun, Sablé-sur-Sarthe, Remiremont ou Aurillac.

Deux faits majeurs nous sautèrent aux yeux. Premièrement, la géographie des impacts de la crise se superposait plutôt bien avec celle des territoires les plus « en forme » avant crise. Ces territoires, que nous avions conventionnellement qualifiés de « locomotives », se situaient préférentiellement en Île-de-France, en Alsace, le long du littoral atlantique, dans le massif alpin, le long des frontières allemande, luxembourgeoise et suisse et dans l’ouest français autour de Nantes et Rennes. A contrario, les « wagons », inscrits dans des trajectoires de développement beaucoup plus atones et qui vivent massivement des revenus de redistribution (pensions de retraite, revenus sociaux et revenus publics), ont été plus modérément impactés. Deuxièmement, le choc économique et social, bien qu’ultra violent aux premier et deuxième trimestres, fut finalement plutôt bien amorti, révélant l’exceptionnelle efficacité des mesures de chômage partiel et de préservation du tissu d’entreprises (prêt garanti par l’État [PGE], suspension des charges sociales, etc.). À titre d’illustration, nous nous étions livrés à un exercice particulièrement parlant : nous avions cartographié, grâce aux données de l’Urssaf toujours, l’évolution de la masse salariale du secteur privé durant le deuxième trimestre 2020, qui sortait de son assiette avec la mise en œuvre du chômage partiel, et comparé cette carte avec celle de l’évolution de l’emploi salarié privé qui, en dépit de la mesure, restait dans son champ. Le résultat était tout simplement apocalyptique : seule une ZE (celle de Valence) voyait sa masse salariale croître et surtout, l’intensité des baisses était sans commune mesure avec celles observées pour l’emploi. A minima, les baisses de masse salariale étaient comprises entre – 7,9 % et – 15,4 % pour les 154 ZE les moins impactées, entre – 15,5 % – 19,3 % pour 106 d’entre elles… Toutes choses égales par ailleurs, voilà quels auraient pu être les effets économiques de la crise dans les territoires sans les mesures prises. On n’ose imaginer leurs répercussions sur le chômage.

CARTE 1 – MISE EN PERSPECTIVE DE L’ÉVOLUTION DE LA MASSE SALARIALE (CARTE DE GAUCHE) ET DES EMPLOIS SALARIÉS (CARTE DE DROITE) DU SECTEUR PRIVÉ AU DEUXIÈME TRIMESTRE 2020 À L’ÉCHELLE DES ZONES D’EMPLOI.

2021, année du rebond

L’année 2021 est placée sous le signe du rebond. La crise sanitaire semble derrière nous même si la pandémie est toujours là et un confinement a été redéployé du 3 avril au 3 mai. Sont créés un peu moins de 680 000 emplois salariés privés, soit une hausse exceptionnelle de + 3,7 % qui permet au pays de reconstituer son stock d’emplois. Au quatrième trimestre 2021, le nombre d’emplois salarié privé dépasse de 350 000 unités celui du quatrième trimestre 2019, soit une progression de + 1,9 %.

CARTE 2 – NIVEAU D’EMPLOIS SALARIÉS PRIVÉS DONT AURAIENT PU DISPOSER LES ZONES D’EMPLOI AU QUATRIÈME TRIMESTRE 2021 SI LEUR DYNAMIQUE ENTRE LE QUATRIÈME 2019 ET LE QUATRIÈME TRIMESTRE 2021 AVAIT ÉTÉ LA MÊME QU’ENTRE 2014 ET 2019.

Sur le plan territorial, la reprise s’observe de manière quasi continue et touche la presque intégralité du territoire national. Au premier trimestre, seules 18 ZE continuent à enregistrer une baisse de leurs effectifs salariés privés. Le bilan est encore plus spectaculaire au deuxième trimestre avec seulement 10 ZE affectées (Royan, Verdun, Autun entre autres). Le rebond l’est particulièrement dans les ZE du massif alpin. Au troisième trimestre, avec le léger ralentissement de l’économie, 75 ZE subissent une baisse. On les retrouve assez massivement dans le sud de la France (régions Sud et Occitanie), en Auvergne-Rhône-Alpes, le long de la frontière suisse et de la « diagonale du vide ». Au quatrième trimestre, la situation s’améliore : seules 30 ZE restent impactées. Elles se situent plutôt en Île-de-France et dans sa périphérie. Sur l’ensemble de l’année, seules 3 ZE n’ont pas reconstitué leur stock. Il s’agit des ZE de Belfort, Châteaudun en région Centre et Versailles en Île-de-France.

Les effets du rebond économique se sont fait nettement ressentir sur le front du chômage en 2021.

Ainsi, au global, le rebond aura permis à 257 ZE (sur 305) d’au moins reconstituer leur stock d’emplois salariés privés d’avant crise. Bien sûr, certaines sont loin d’être là où elles en auraient pu être si la crise n’avait pas eu lieu. Par exemple, nous avons calculé que 112 ZE disposent d’un volume d’emplois inférieur fin 2021 à celui qu’elles auraient dû avoir si leur dynamique avait été depuis la crise similaire à la tendance observée durant la période 2014-2019 (voir la carte 2 ci-contre).

Nonobstant, cela reste tout à fait remarquable eu égard à l’intensité du choc. D’autant que presque une centaine d’entre elles ont enregistré des progressions comprises entre 3 et 5 % et 27 entre 5 et 10 %. Pour celles dont le rebond de 2021 n’a pas permis de compenser le choc de 2020, au nombre de 48, on les retrouve massivement dans la partie nord de la « diagonale du vide » (Grand Est et Bourgogne – Franche-Comté), en Île-de-France et ses franges ouest (Normandie) et sud (Centre-Val de Loire), à l’est autour de Belfort et dans le massif alpin (Genevois français, Chablais, Vallée de l’Arve, Maurienne et Tarentaise).

Les effets du rebond économique se sont fait nettement ressentir sur le front du chômage en 2021. Dès le premier trimestre, 174 ZE enregistrent à nouveau une baisse de leurs demandeurs d’emploi. Ces baisses se portent plutôt sur le nord de la France, l’ouest (particulièrement autour de Nantes), en Auvergne-Rhône-Alpes, la frange ouest de l’Île-de-France et une portion de la région Grand Est (suivant un axe s’étirant de Charleville-Mézières à Épinal). La grande majorité des territoires alsaciens, les territoires frontaliers d’avec la Suisse, ceux de Corse, de Bourgogne et de la région Centre restent encore impactés à la hausse. Le deuxième trimestre est remarquable. Seules 5 ZE continuent de subir une détérioration de leur marché de l’emploi : les ZE de l’Ouest guyanais et Savanes en Guyane, Côte-sous-le-Vent en Guadeloupe ainsi que Maurienne et Tarentaise dans les Alpes. Avec le ralentissement de l’économie du troisième trimestre, conséquence du dernier confinement, une hausse des demandeurs d’emploi s’observe dans 191 ZE. Les 114 qui résistent sont plutôt localisées le long du littoral atlantique, en Normandie, sur la côte dans les Hauts-de-France, dans l’ouest de la Bourgogne, le long de la frontière avec la Suisse, dans le massif alpin, les territoires du pourtour méditerranéen et ceux de Corse.

Au global, le bilan est remarquable. Moins d’un quart des ZE françaises (71) ont enregistré une hausse de leurs demandeurs d’emploi sur l’ensemble de la période, c’est-à-dire entre le quatrième trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2021. Ces dernières se trouvent très massivement en Île-de-France (où seule la ZE d’Etampes est épargnée), sur ses franges nord-est (Oise) et sud-ouest, le long des frontières belge, luxembourgeoise et suisse, dans le massif alpin et en Occitanie (dont la métropole de Toulouse). Autrement dit, beaucoup de ce que nous avions trivialement qualifié de « locomotives » à l’OITC ont vu effectivement leur marché du travail se détériorer avec la crise et en dépit du rebond.

Où en sommes-nous ?

Au premier trimestre 2022, dernières données disponibles, l’évolution de l’emploi salarié privé est contrastée. Si au niveau national, sa progression est de 0,4 %, soit 68 000 emplois salariés privés supplémentaires, au niveau territorial, 85 ZE enregistrent une évolution à la baisse, dont certaines parfois très marquées (ZE de Maubeuge et Thionville). Ces baisses s’observent préférentiellement dans la région Centre-Val de Loire, en Grand Est (notamment sa partie est, en Alsace, et vosgienne), en Auvergne, Occitanie, nord Pays de la Loire et Normandie. C’est ainsi que 220 ZE disposent d’un niveau d’emplois supérieur à celui d’avant crise. Les ZE du « U de la croissance », expression de plus en plus mobilisée pour évoquer le dynamisme des territoires de l’ouest et du sud de la France, profitent d’un essor remarquable, particulièrement les territoires littoraux, tandis que le nord et l’est profitent de tendances parfois positives, mais plus atones. Des ZE aussi diverses que celles de Belfort, Montbéliard, Saint-Claude dans le Jura, la Vallée de l’Arve et la Maurienne dans les Alpes, Châteauroux ou encore Tarbes-Lourdes restent néanmoins toujours sur des volumes d’emplois en deçà de l’avant crise.

En termes de chômage, la situation demeure encore plus favorable au deuxième trimestre 2022. Seules 5 ZE ont enregistré une progression de leurs demandeurs d’emploi au premier trimestre (Autun en Bourgogne, Sarlat en Nouvelle-Aquitaine, Ouest guyanais, Calvi et Porto-Vecchio en Corse) et 5 au deuxième trimestre (Mont-Blanc, Tarentaise, Maurienne et Briançon dans les Alpes et l’Ouest guyanais). Ainsi, c’est seulement 8 ZE qui enregistrent un nombre de demandeurs d’emploi au deuxième trimestre supérieur à l’avant-crise (quatrième trimestre 2019). Il s’agit de 4 ZE franciliennes (Seine-Yvelinoise et Versailles – Saint-Quentin à l’ouest et Marne-la-Vallée et Melun à l’est), de celles de Carhaix-Plouguer en centre Bretagne, du Genevois français, de Castelsarrasin-Moissac au nord-est de Toulouse et de l’Ouest guyanais.

CARTE 3 – ÉVOLUTION DE L’EMPLOI SALARIÉ PRIVÉ À L’ÉCHELLE DES ZONES D’EMPLOI FRANÇAISES (EN %).

Que risque-t-on ?

Du fait de son inertie et de ses limites, le système statistique public ne permet pas encore de mesurer les premiers effets de la crise énergétique, de l’inflation galopante et du ralentissement économique dans les territoires. Nous devons procéder par anticipation en tentant de cartographier le degré d’exposition a priori des territoires à ces évènements, tout comme nous l’avions fait au tout début de la crise sanitaire, en avril 2020.

CARTE 4 – ÉVOLUTION DES DEMANDEURS D’EMPLOI EN FIN DE MOIS (CATÉGORIE ABC) À L’ÉCHELLE DES ZONES D’EMPLOI FRANÇAISES ENTRE LE QUATRIÈME TRIMESTRE 2019 ET LE DEUXIÈME TRIMESTRE 2022 (EN %).

Nous avons retenu plusieurs entrées. Nous avons d’abord cherché à apprécier le degré d’exposition des tissus économiques locaux à la crise énergétique. Partant de la classification réalisée par l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN)6 des secteurs d’activité les plus énergivores, nous avons mesuré le degré de concentration des emplois salariés privés dans ces secteurs à l’échelle des intercommunalités pour l’année 2020. Plus la part de l’emploi dans ces secteurs est importante, plus cela traduit une forte exposition à la crise énergétique et inversement. La carte 5 (p. 46) permet ainsi de visualiser là où les risques économiques demeurent les plus importants compte tenu de l’augmentation du coût du gaz et de l’électricité7. Si aucune géographie spécifique ne se distingue, on perçoit malgré tout que les territoires du pourtour méditerranéen, du littoral atlantique ou du sud-ouest francilien apparaissent plutôt modérément exposés ainsi que les grands territoires urbains, plutôt spécialisés dans les services (métropoles en tête). Mais apparaissent également, de manière isolée, certains territoires très spécialisés dans des secteurs d’activité énergivores comme les communautés de communes Cazals-Salviac en Occitanie, du Val d’Orne en Normandie, du Pays des Sources dans les Hauts-de-France ou du Pays d’Alésia et la Seine en Bourgogne…

CARTE 5 – CONCENTRATION DE L’EMPLOI SALARIÉ PRIVÉ DANS LES SECTEURS D’ACTIVITÉ LES PLUS ÉNERGIVORES EN 2020 (EN % DE L’EMPLOI SALARIÉ PRIVÉ TOTAL).

Nous avons ensuite cherché à apprécier quel pouvait être le degré d’exposition des territoires au regard de la vulnérabilité de leurs ménages à la hausse des prix de l’énergie. Nous avons mobilisé pour ce faire les données de l’Observatoire de la précarité énergétique (ONPE) qui permettent de cartographier la part des ménages exposés à la précarité énergétique liée à la mobilité et au logement en 2020 et à l’échelle des intercommunalités.

Cette carte 6 présente une géographie qui est presque le négatif que celle que nous avions produite en avril 2020 sur le degré d’exposition macro-économique des territoires à la crise du covid-198. Elle fait largement figurer parmi les plus exposés les territoires que nous avions surnommés les « wagons », fortement concentrés le long du Y du vide, cette vaste zone qui s’étend du grand quart nord-est au sud-ouest (la fameuse diagonale) et du Cotentin au Massif central, en Bretagne centrale et sur les franges intérieures du Languedoc-Roussillon… A contrario, les « locomotives » semblent ici être plus abritées.

CARTE 6 – PART DES MÉNAGES EXPOSÉS À LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE LIÉE AU LOGEMENT ET À LA MOBILITÉ EN 2020 À L’ÉCHELLE DES INTERCOMMUNALITÉS FRANÇAISES.

Les crises se succèdent donc. Mais leurs effets territoriaux pourraient ne pas se ressembler. Tout comme les effets géographiques de la crise du covid-19 se distinguaient de ceux impulsés par la crise de 20089, la crise énergétique en cours et économique qui pointe son nez pourrait dessiner une géographie assez singulière. L’OITC formule deux hypothèses à ce stade. La première, très générale, et qui s’inscrit dans le prolongement de la plupart des travaux actuels, est que le choc économique et social à venir sera sans doute beaucoup plus violent que celui impulsé par la crise sanitaire. À peine remis d’une crise inédite par son ampleur et ses effets, nous devons à nouveau faire face à une multitude de crises alors que nos finances publiques sont exsangues au sortir de ce premier épisode. Aurons-nous les moyens de déployer les mêmes amortisseurs pour faire face à cette crise multifactorielle et d’ampleur structurelle ? Ensuite, au regard des éléments que nous avons produits pour tenter d’anticiper le choc, nous formulons l’hypothèse que ses effets territoriaux ne présenteront que très peu de traits communs avec ce qui s’est produit par le passé, même si nous conjecturons que les territoires inscrits dans les meilleures trajectoires de développement avant la crise du covid-19, nos fameuses « locomotives », devraient tendanciellement afficher une meilleure capacité de résilience que les « wagons ». Voilà les pistes que nous allons explorer en profondeur ces prochains mois en assurant un suivi en continu des effets territoriaux de la crise qui vient…

  1. Simon Billeaud est chargé de mission à l’OITC, Lucas Lepage est chargé d’études en développement territorial, Vincent Pacini est professeur associé à la chaire de prospective et développement durable au CNAM, et Olivier Portier est créateur et pilote de l’OITC.
  2. Qui exclut les prix soumis à l’intervention de l’État (électricité, gaz, tabac, etc.) et les produits à prix volatils comme les produits pétroliers notamment.
  3. L’OITC est un projet d’intérêt général financé par l’Institut pour la recherche Caisse des dépôts, Intercommunalités de France et l’Association des directeurs généraux de communautés (ADGCF), en partenariat avec le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et son laboratoire interdisciplinaire de recherche en sciences de l’action (Lirsa).
  4. Une ZE est un espace géographique à l’intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent. L’Insee en définit 305.
  5. Il s’agit ici des demandeurs d’emploi de catégorie ABC, qui comprend à la fois les chômeurs sans emploi et ceux qui travaillent plus ou moins soixante-dix-huit heures, en d’autres termes les travailleurs précaires. Il est impératif aujourd’hui de raisonner à partir de ces trois catégories et non plus uniquement de celle des A (demandeur sans emploi à la recherche d’un emploi), comme on le fait encore trop souvent, dans la mesure où ces derniers ne représentent plus que la moitié des demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi.
  6. Créée en 1978, cinq ans après le premier choc pétrolier et un an avant le deuxième, l’UNIDEN représente les industries fortement consommatrices d’énergie actives en France, pour lesquelles les coûts d’approvisionnement en énergie et les coûts des émissions de CO2 sont un facteur essentiel de compétitivité sur le marché mondial. Les adhérents de l’UNIDEN représentent environ 70 % de la consommation énergétique industrielle en France et sont présents dans l’agro-alimentaire, l’automobile, la chimie, les ciments et chaux, la construction, l’énergie, les métaux, le papier, le transport, et le verre.
  7. Pour plus de détail, nous avons produit de nombreuses cartes sur la plateforme de l’OITC sur le poids de la consommation de gaz et d’électricité des secteurs d’activité industriel, tertiaire et agricole ainsi que leur niveau de consommation par emploi pour tenter d’apprécier leur niveau d’efficacité énergétique (https://www.mapinaction.com/observatoire/).
  8. La carte 6 avait été réalisée à partir d’une reclassification des revenus territoriaux suivant leur degré d’exposition probable. Les revenus productifs exportateurs, les dépenses touristiques en tourisme marchand, les revenus pendulaires et les revenus de proximité (issus de la consommation sur place) avaient été classés comme exposés tandis que les revenus publics (salaires des trois fonctions publiques), les dépenses touristiques en tourisme non marchand (résidences secondaires), les revenus sociaux de redistribution et les pensions de retraite avaient été classés comme abrités (peu exposés).
  9. OITC pour le compte de l’Institut pour la recherche Caisse des dépôts, « Crise covid : une analyse des premiers impacts économiques dans les territoires comparée à la crise de 2008 », Les cahiers de recherche déc. 2021.
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