Web
ExpertisesL’après-Covid19 : les collectivités locales sur la piste d’un tourisme plus responsable ?
« Le tourisme fait probablement face à la pire épreuve de son histoire moderne, (…) son sauvetage est donc une priorité nationale », déclarait l'ancien premier ministre Edouard Philippe, le 14 mai dernier, avant d'annoncer un plan de relance inédit de 18 milliards d’euros pour relancer ce secteur-clé, qui représente 8 % de la richesse nationale et 2 millions d’emplois.
Face à cette nouvelle donne touristique, les territoires et les collectivités locales doivent explorer de nouvelles voies en misant davantage sur le développement durable, l'innovation et le slow tourisme. Avec la crise du Covid19, c'est tout le secteur du tourisme qui va devoir se réinventer et repenser son modèle. Avec en toile de fond, les bases d’un tourisme moins carboné, plus responsable et plus durable.
À quoi ressemblera le tourisme post-Covid-19 ? Difficile à dire, mais la balle est dans le camp des collectivités territoriales qui multiplient les initiatives pour gagner en résilience face aux aléas tant sanitaires, climatiques qu'économiques (Slow Tourisme Lab, « Charte du voyageur », Manifeste pour un Tourisme Bienveillant, intégrer dans la stratégie de promotion les impacts environnementaux et sociétaux).
« Le tourisme n’est pas toujours responsable » rappelait, quelques jours avant le départ des juilletistes, l’Agence de la transition écologique (Ademe). Comme pour mettre en garde ceux qui imaginent que le voyage post-Covid-19 sera forcément exemplaire. « Au niveau mondial, le nombre de touristes a explosé en 20 ans (+130 %) sous l’effet des offres «low cost», des «city trip» et autres promotions, précise l’Agence. On voyage plus souvent, pour des séjours toujours plus courts et plus lointains ». De fait, trois quarts des émissions de gaz à effet de serre générées par l’industrie touristique (8% des GES au niveau mondial) sont dues aux transports. Autre point noir : 95 % des touristes se concentrent sur 5 % des territoires, avec un impact environnemental important et une cohabitation difficile avec les habitants des destinations confrontées au surtourisme. En témoignent, ces dernières années, l’émergence de mouvements anti-tourisme de masse, à Barcelone par exemple.
Capitaliser sur l’évolution des comportements
Le changement peut-il venir de la demande, c’est-à-dire des touristes eux-mêmes ? La question mérite d’être posée tant les enquêtes semblent indiquer que cette crise sanitaire sans précédent entraîne des réactions inédites des consommateurs en général et des voyageurs en particulier.
Pour la première fois, les treize régions françaises, chapeautées par ADN Tourisme¹, ont commandé une étude commune pour comprendre si les Français allaient changer leurs manières de voyager. Il en ressort que leurs critères de choix habituellement prioritaires (les paysages et l’accueil) sont cette année détrônés par « la recherche de calme, de lieux favorables au ressourcement et peu fréquentés ».
72% des Français tendent aussi à privilégier les destinations qui ont davantage été épargnées par le Covid-19.
Pour leur consommation sur place, nos compatriotes « seront particulièrement friands de produits locaux ». Enfin, 59% envisagent de réaliser plus d’excursions cet été qu’à l’accoutumée. Ils plébisciteront, là aussi, les sites naturels et les grands espaces, les parcs et jardins et renoueront avec l’activité physique, notamment la randonnée pédestre.
Les bases d’un tourisme moins carboné sont donc posées. D’autant plus que, faute de destinations étrangères accessibles cet été, les Français voyageront majoritairement dans l’Hexagone. Il n’en appartient pas moins aux acteurs publics de s’en saisir pour repenser une offre idoine. Car comme l’estime Jean-François Rial, président du tour-opérateur Voyageurs du Monde : « cette crise n’a pas duré assez longtemps pour changer durablement les habitudes ».
Première priorité : rassurer
Du côté des collectivités, la relance touristique passe d’abord par des engagements sanitaires. Tout particulièrement dans les villes qui apparaissent, aux yeux des voyageurs, plus exposées à la diffusion du virus que les territoires ruraux. Début juin, Lille dévoilait un label pour ses professionnels du tourisme, associée à une charte sanitaire spécifique au Covid-19. « Nos hôtels, restaurants et lieux culturels rouvrent mais il y a toujours une petite appréhension des visiteurs, expliquait lors du lancement François Navarro, directeur de l'agence d'attractivité Bonjour Lille. Ce logo sanitaire est là pour attester qu’ils peuvent fréquenter ces lieux en toute sécurité ». À peu près sur le même principe, l’Office du Tourisme et des Congrès de Paris inaugurait de son côté une charte d’engagement « Caring attitude ».
Rassurer est d’autant plus primordial que si le tourisme est l’un des secteurs les plus impactés par la crise du Covid-19, c’est aussi parce que les déplacements de population sont considérés comme un vecteur majeur de cette pandémie. Les premiers pays à avoir été durement touchés par le virus -la France, l’Italie, l’Espagne, les Etats-Unis et la Chine- sont aussi les plus touristiques au monde.
La tentation des vieux réflexes
Autre urgence : faire rentrer de l’argent dans les caisses. En juin 2020, la perte cumulée d’activité pour les acteurs du tourisme français était estimée à 40 Mds d’euros. Pour les élus, l’enjeu est donc de « faire le plein » de touristes Français cet été. Quitte à adopter des mesures de soutien exceptionnelles ancrées dans l’action de court-terme. Avec sa campagne de promotion « On a tous besoin du Sud » (2,6 M€ d’investissement), la région Provence-Alpes-Côte d’Azur a été l’un des premiers territoires à communiquer après le déconfinement. « Nous nous devions de réagir vite et fort », a expliqué, au journal Le Monde, Renaud Muselier, président de la région. D’autres territoires -et ils sont nombreux- ont fait le choix du subventionnement. La Charente et la Charente-Maritime, par exemple, ont émis 10 000 bons d’une valeur de 100 euros à destination des touristes. Pour en bénéficier, il faut « passer au moins deux nuits sur place, aller dans un restaurant, et faire une activité de loisirs, comme la visite d’un musée ». La Drôme a débloqué un budget de 3 M€ pour distribuer des chèques-vacances de 50 euros à dépenser dans les commerces du département.
Changer de logiciel pour préparer l’avenir
« Il est dommage que les politiques de relance actuelles, financées par nos impôts, ne soient pas conditionnées par des objectifs de tourisme durable, regrette pour sa part Christelle Taillardat, directrice du CDT de l’Aube, pour aider les professionnels du tourisme qui se lancent dans cette démarche et ceux qui s’adaptent ». Précurseur -en 2013- de la mise en place d’un étiquetage environnemental dans ses hôtels, avec aujourd’hui un tiers du parc couvert, le CDT de l’Aube en Champagne est à l’initiative depuis 2017 du projet Slow Tourisme Lab, qui se définit comme « le premier incubateur mondial dédié au tourisme en zone rurale ». Avec le soutien du CRT Grand Est, ce Lab accompagne les porteurs de projets novateurs qui œuvrent pour un tourisme à la fois écologique, social et éthique.
Car en France, 1ère destination touristique mondiale, ce secteur est un levier majeur pour agir sur l’empreinte carbone des transports mais aussi du bâtiment. Il est à ce titre indissociable des politiques publiques pour atteindre l’objectif de neutralité carbone de la France en 2050.
Mais aussi à l’avant-poste pour lutter contre l’extinction de la biodiversité dont le Covid-19 a mis en lumière les conséquences potentiellement dramatiques à l’avenir. Arnaud Burel, Directeur de l’Office de Tourisme Golfe du Morbihan Vannes Tourisme, en est convaincu : « désormais, il est impératif d’éveiller les consciences sur la nécessité de voyager responsable ». Fin 2019, cet OT co-financé par la taxe de séjour et des acteurs privés, a été le premier en France a édité une « Charte du voyageur » qui sensibilise aux comportements écoresponsables. Une initiative qui a mobilisé les associations, ONG, élus, institutions, professionnels et habitants du territoire, pour identifier les grands enjeux d’un accueil touristique durable : recyclage, mobilité, partage, savoir-être, culture, économie...
Un tourisme inclusif
Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme a fait le pari d’aller encore plus loin : intégrer, dans sa stratégie de promotion et de développement, non plus seulement les retombées économiques du secteur mais aussi ses impacts environnementaux et sociétaux. Avec, en creux, l’enjeu de renforcer l’action collective pour évoluer vers un tourisme mieux réparti dans le temps et dans l’espace sur ce territoire où ce secteur qui « pèse » 8% du PIB et emploie 170 600 salariés (chiffres 2019) est en pleine mutation. Notamment sous l’impulsion de la désaffection des jeunes générations pour les sports d’hiver. Est ainsi né un Manifeste pour un Tourisme Bienveillant, assorti d’outils destinés aux acteurs régionaux du secteur pour progressivement déployer cette nouvelle politique : un fonds de dotation pour soutenir des projets d’intérêt général (cohésion sociale, préservation de l’environnement…), des formations à distance pour permettre aux TPE d’adapter leurs compétences, une plateforme de l’emploi pour renforcer l’attractivité des métiers du secteur, et la création d’offres de tourisme de proximité à des tarifs avantageux. « Par « bienveillant », nous entendons un tourisme qui s’adresse à tous, équitable et respectueux du vivant », explique Lionel Flasseur, directeur général. « C’est être conscient et responsable de nos impacts. Ce changement doit s’opérer au plus profond de chacun d’entre nous et nous amener à faire des choix audacieux pour créer des modèles de croissance de tourisme plus raisonnés. »
Des offres dont les retombées irriguent positivement tout un territoire, donc, et qui n’écartent plus les 40% de Français qui ne partent pas en vacances : tels sont les objectifs structurants qui guident désormais la transformation du secteur.
D’autant plus que notre pays ne manque pas d’espace pour innover. « À l’exception de sites emblématiques, la France souffre dans son ensemble du « sous-tourisme » plutôt que de « surtourisme », analyse Didier Arino, fondateur du cabinet d’études Protourisme, qui estime aussi que « les acteurs privés doivent s’investir plus fortement auprès des collectivités ». « Et puis, arrêtons notre dépendance à Google qui se joue de la guerre entre les territoires, au même titre que les agences en ligne. Il faut imaginer de nouvelles techniques de commercialisation ».
Le début d’une nouvelle donne // Gagner en résilience
Alors, à quoi ressemblera le tourisme post-Covid-19 ? Nos concitoyens apprendront-ils durablement à préférer la destination France ? Nul n’est capable de le dire. Mais ce qui est certain, c’est que la balle est dans le camp des collectivités. Et que ces dernières devront aussi repenser la question stratégique de l’accessibilité à leur territoire.
Car en mai 2020, l’État français a tranché pour une transition écologique accélérée du transport aérien en conditionnant son prêt de 7 Mds€ à Air France-KLM à une obligation de « devenir la compagnie la plus respectueuse de l’environnement de la planète ». Soit la suppression programmée d’ici à 2021 des dessertes aériennes domestiques lorsqu’il existe une alternative de trajet en moins de 2h30 par TGV. Exit, par conséquent, les liaisons aériennes entre Paris-Orly et Lyon, Bordeaux ou Nantes. Un séisme de plus pour le secteur du tourisme qui va devoir se réinventer en profondeur pour gagner en résilience face aux aléas tant sanitaires, climatiques qu’économiques. En juin, devant un parterre de professionnels du tourisme réunis en visioconférence, le sociologue Jean Viard comparaît d’ailleurs la transformation du secteur à celle déjà engagée par l’agriculture française : « si vous n’intégrez pas l’écologie, d’autres le feront pour vous ».
(1) Fédération nationale des organismes de tourisme. Enquête menée par les 13 Régions métropolitaines et leurs Comités régionaux de tourisme auprès de 2000 Français représentatifs, entre le 8 et le 17 juin 2020.