Vers un tourisme vraiment durable dans le futur ?

ATD PUBLIE SON LIVRE BLANC "TOURISME & CHANGEMENT CLIMATIQUE"
L'association des Acteurs du tourisme durable (ATD) a publié en octobre 2018 un livre blanc sur le "Tourisme et le changement climatique", qui donne des clefs pour adapter son activité au changement climatique.
©ATD
Le 13 janvier 2021

En septembre 2020, le Pantanal, au Brésil, réservoir de biodiversité, a été ravagé par les flammes avec, comme cause principale, une sécheresse historique. Au total, 16 000 départs de feux ont été comptabilisés dans cette région depuis le début de l’année. Le temps n’est donc plus aux débats mais à l’action. Le mois de septembre 2020 a été le plus chaud jamais enregistré à l’échelle de la planète, selon le service européen Copernicus sur le changement climatique. Ursula Van der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a donné le cap, début octobre 2020, en annonçant qu’elle entendait rehausser à - 55 % l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne pour 2030, actuellement fixé à – 40 % par rapport au niveau de 1990. Il s’agit d’une accélération considérable.

Le tourisme, un secteur sous surveillance

Début octobre 2020, l’association des Acteurs du tourisme durable (ATD), qui regroupe des entreprises, des collectivités territoriales et des ONG, a tenu ses universités à Troyes. À cette occasion, Guillaume Cromer, son président, a alerté sur les risques de l’inaction : « Le tourisme ne peut pas être cet éléphant dans le fond de la salle qui regarde la transition passer », avant de poursuivre, un brin provocateur : « Le covid-19 nous a montré la voie. Nous avons ralenti, réappris, repriorisé, c’est cela qui doit nous guider. »

Pour les acteurs du tourisme, ne pas s’engager dans la voie de la décarbonation – et dans la résolution de l’autre grand péril qu’est la perte de biodiversité – ce serait d’abord mettre en danger la pérennité même de tout un secteur.

Comme l’analyse le livre blanc Tourisme et changement climatiques1 : « Le changement climatique a eu un effet amplificateur de la faillite de Thomas Cook. L’été caniculaire de 2018 a poussé les Anglais à rester prendre le frais chez eux avec un impact négatif sur les réservations des destinations soleil clé pour la santé financière de Thomas Cook. »

Le risque du bad buzz

Ne pas jouer le jeu de la transition, c’est aussi risquer d’être stigmatisés par le consommateur-citoyen, écartés des circuits de commercialisation et des labels, et finalement perdre sa clientèle. Car gare à l’impact d’image en cas de mauvaises pratiques. On se souvient que durant l’hiver 2020, la station de Luchon-Superbagnères dans les Pyrénées a été pointée du doigt pour avoir ramené de la neige en hélicoptère sur les pistes de ski pour sauver sa saison dans un contexte de très faible enneigement. En 2019, en pleine canicule, Air France avait elle aussi tenté ce slogan : « Plus la température monte, plus les prix baissent sur la France. » Les réseaux sociaux ne l’ont pas ratée.

Les ATD alertent également sur les risques juridiques encourus qui n’ont, pour l’instant, concerné que des États et des grandes entreprises. Dès 2015, les Pays-Bas ont été condamnés pour inaction climatique et le groupe Total est assigné en justice pour inaction climatique par un collectif de villes et d’ONG. Et désormais tenus de contribuer à l’effort climatique, les investisseurs seront toujours plus nombreux à se désengager des secteurs à risques.

Pour l’industrie du tourisme, qui représente 8 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, s’engager ou non vers la voie du « durable » n’est donc plus une option.

Alors comment faire ? « Et si le tourisme, remis en cause de toutes parts ces derniers temps, devenait finalement le porte-drapeau d’une nouvelle voie ?, s’interroge même le président d’ATD. »

Mesurer son empreinte

Dans son livre blanc, ATD donne des clés pour adapter son activité au changement climatique. Première étape : mesurer son empreinte carbone, préalable indispensable avant d’engager toute action. Le secteur hôtelier, par exemple, a mis en place une mesure, assortie d’un affichage, qui indique l’équivalent carbone d’un séjour d’une nuit. La notation, de A à E, donne par ailleurs une vision globale de l’engagement (A étant la meilleure note). Betterfly Tourism, partenaire du dispositif, précise que la méthode « prend en compte l’ensemble des étapes du cycle de vie de chaque équipement de l’hôtel, des produits alimentaires pour le petit déjeuner, des produits d’hygiène et d’entretien, et le textile, utilisés pour une nuitée », mais pas l’impact des bâtiments…

L’intérêt, pour une entreprise ou une collectivité, de mesurer son empreinte carbone est qu’elle permet d’arbitrer entre les actions à fort potentiel de réduction et celles à plus faible impact. Ceci, rapporté aussi au coût à engager, mais également à la mobilisation que cela peut générer de la part des équipes. Car cumuler des actions faiblement réductrices de CO₂ mais qui vont « embarquer » tous les collaborateurs facilite la mise en œuvre et l’adhésion à des actions de plus grande envergure par la suite.

Penser « création de valeur » plutôt que contrainte

Autre enseignement des expériences en cours, selon ATD : la transition bas carbone ne doit pas être uniquement perçue comme une contrainte. L’association estime que c’est aussi une chance pour les collectivités de redéfinir leur offre.

Encourager le tourisme de proximité pour baisser l’impact du transport doit, par exemple, s’accompagner du développement des mobilités douces, comme les pistes cyclables, et de la promotion de l’intermodalité, tel le projet collaboratif « En Bretagne sans ma voiture », conçu par l’agence Funbreizh avec le comité départemental du tourisme. Donner au consommateur la possibilité d’être informé de son empreinte environnemental devient également un levier concurrentiel important.

La plateforme Voyageons autrement, qui restitue un atelier organisé lors des Journées du tourisme durable, souligne trois avantages pour un territoire à impulser une politique vélo : elle s’intègre dans la stratégie globale de transport bas carbone ; c’est un moyen de locomotion de plus en plus plébiscité par les touristes ; enfin, un cyclotouriste affiche un panier-moyen élevé. Sur la Loire à vélo, un itinéraire cyclable, ce dernier a progressé de 68 à 80 euros en moins de cinq ans.

Sans voitures depuis sa création en 1966, Avoriaz s’érige désormais en laboratoire des mobilités partagées et s’en donne les moyens. Depuis cet été, les vacanciers utilisant le covoiturage pour rejoindre leur lieu de séjour bénéficient d’avantages dans la station. Pendant les périodes de fortes affluences, un service de bus – assuré par Blablabus – reliera cet hiver les gares et aéroports à la station. En parallèle, Avoriaz et Blablacar étendent cette possibilité de mobilité partagée aux saisonniers et employés pour leurs déplacements domicile/travail.

Redynamiser l’offre

Faute de neige, la station de Puigmal, dans les Pyrénées orientales, a fermé en 2013. Aujourd’hui, avec l’expertise du groupe Rossignol, elle tente de renaître grâce à la promotion des activités quatre saisons : VTT, marche nordique, trail, ski de randonnée, etc. À travers son savoir-faire en matière d’ingénierie en tourisme outdoor, le fabricant de matériel de sports accompagne aujourd’hui de nombreux territoires dans cette transition et s’est aussi engagé à valoriser les plus vertueux. Un bel exemple d’un partenariat public privé efficace et gagnant-gagnant.

Attirer des touristes toute l’année pour lutter contre la sur-fréquentation est un autre levier de dynamisation. Désormais, pour bénéficier de l’aide d’Atout France pour financer leurs campagnes de promotion à l’international (un million d’euros), les destinations touristiques doivent s’engager à se promouvoir aussi en hors saison. Autre axe de travail encouragé par l’Agence de développement touristique de la France : mettre en avant des activités qui vivent toute l’année afin de développer des emplois pérennes, comme la culture, la gastronomie, le golf, ou encore l’œnotourisme… La région Sud est la première collectivité à s’être engagée avec Atout France dans cette voie.

La puissance des labels

Méthodologie, force d’entraînement, visibilité auprès du grand public, etc., pour les collectivités déjà engagées dans une démarche bas carbone ou qui se lancent, la labellisation de leur action est un appui à ne pas négliger. Complémentaire à la certification ISO203131 et destiné aux territoires, le label Destination internationale responsable, par exemple, atteste de la mise en place d’une gouvernance commune entre les acteurs du tourisme d’affaires et de loisirs pour aller vers plus de responsabilité. Un des axes d’engagement est de s’inscrire dans la trajectoire de neutralité carbone de la France en 2050 en renforçant la mobilité durable.

La Rochelle et son agglomération, qui ont rejoint le programme en 2020, se sont engagées à afficher un bilan « zéro carbone » dès 2040.

Parmi les mesures entreprises : les marais sont protégés pour jouer pleinement leur fonctionnalité de captation de CO₂, et un nouveau quartier baptisé « Atlantech », concentré d’innovations pour la transition énergétique, vient de voir le jour.

L’effet d’amplification

Au-delà des collectivités, c’est tout le tissu économique d’acteurs touristiques qu’il faut emmener dans cette voie. Par exemple, pour obtenir le label Clé verte, un restaurateur devra respecter, entre autres obligations, 85 % de plats cuisinés sur place avec au moins 60 % d’ingrédients issus de l’agriculture biologique ou des circuits courts, de proximité, ou du commerce équitable. En France, 643 établissements touristiques ont obtenu ce label.

Le tourisme doit aussi questionner d’urgence son rôle dans la perte de biodiversité et les moyens à mobiliser pour passer à l’action.

Des trous dans la raquette

Mais est-ce suffisant ? Au regard de la contribution du transport, du bâtiment et de l’énergie à l’empreinte carbone de la France – respectivement 30 %, 27 % et 10 % en 2015 –, le secteur du tourisme doit emprunter une voie de changement holistique s’il veut véritablement peser de tout son poids dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Le tourisme doit aussi questionner d’urgence son rôle dans la perte de biodiversité et les moyens à mobiliser pour passer à l’action. Bien qu’à ce jour impossible à quantifier faute d’indicateur aussi référent que la tonne équivalent CO₂, l’impact du tourisme sur la perte de biodiversité est sans aucun doute immense si l’on se réfère aux cinq facteurs majeurs du déclin de la biodiversité identifiés par l’IPBES2 – l’équivalent du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour la biodiversité : les changements d’usage des terres et des mers, notamment l’artificialisation des sols, la surexploitation des ressources, le changement climatique, les pollutions (dont les plastiques), et les espèces exotiques envahissantes. Même si la COP 15 Biodiversité, qui doit fixer des objectifs mondiaux pour ces dix prochaines années, a été repoussée en 2021 en raison du covid-19, c’est à une action concertée climat-biodiversité que l’État français appelle désormais de ses vœux.

Dans cet exercice de conciliation des enjeux pour la préservation du vivant que les territoires doivent mener, le tourisme offre un levier indéniable : sa capacité à donner une valeur économique aux réserves naturelles et autres aires de préservation, et donc à rentabiliser les efforts financiers consentis.

À condition, bien sûr, de protéger ces « destinations » de toute sur-fréquentation. Aux Galapagos, par exemple, depuis que la crise sanitaire a stoppé l’activité touristique, la population de manchots – les seuls qui vivent sur l’équateur terrestre – est remontée en flèche, passant de 1 451 individus en 2019 à 1 940 en 2020.

  1. ATD, Tourisme et changement climatiques, oct. 2018, livre blanc.
  2. The intergovernmental science-policy platform on biodiversity and ecosystem services (plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques).
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