Les Régions et le développement économique : une nouvelle territorialisation de leurs politiques ?

Le 2 juillet 2020

Depuis les premières lois de décentralisation mises en œuvre dans les années 1980, politiques et universitaires n’ont eu de cesse de souligner les limites du pouvoir économique des Régions, maillon faiblement outillé pour intervenir dans ce domaine de compétences. Les travaux de Daniel Béhar et Philippe Estèbe (2006) dressaient par exemple le constat que la première génération de schémas régionaux de développement économique ne permettait pas aux Régions de produire des modèles locaux de développement économique. Ils se présentaient en effet comme des documents similaires dans chaque Région, accordant peu de place à l’analyse des spécificités régionales. Plus récemment, l’analyse des budgets régionaux menée par Gwénaël Doré (2014) a souligné les difficultés des Régions à élaborer des stratégies et à agir sur l'orientation du développement de leurs territoires.

 

Depuis 2016, l’introduction des schémas régionaux de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) ainsi que l’exclusivité accordée aux Régions dans l’aide aux entreprises a-t-elle modifié la situation ? Les nouveaux outils, introduits par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), permettent-ils aux Régions de répondre de manière originale aux déséquilibres économiques de leur territoire ? Pour répondre à ces questions, nous avons mené une enquête au cours de l’année 2019 sur les évolutions récentes de l’exercice de la compétence de développement économique dans les Régions Bretagne et Occitanie. Nous avons en particulier analysé les SRDEII, les nouvelles distributions territoriales des dispositifs régionaux d’aide aux entreprises, ainsi que des services régionaux et des agences régionales de développement économique. L’absence de données régionales précises sur la géographie des subventions distribuées aux entreprises ne nous a toutefois pas permis de compléter cette première approche par une analyse financière des redistributions territoriales. Notre enquête a par ailleurs été complétée par vingt entretiens conduits avec différents acteurs impliqués dans le développement économique de ces territoires.

 

Des établissements publics régionaux (1972) à la loi NOTRe (2015) : le renforcement continu de l’intervention économique des Régions

Les réformes récentes des outils régionaux de développement économique s’inscrivent dans l’histoire du renforcement progressif de la capacité des Régions à intervenir dans le développement économique de leur territoire. En effet, la création des établissements publics régionaux, les EPR, en 1972, conférait déjà au découpage régional la « mission, dans le respect des attributions des départements et des communes, de contribuer au développement économique et social de la région »[1]. Cette loi inaugura une série de réformes en faveur de l’intervention économique des Régions. À la suite des premières lois de décentralisation de 1982-1983, la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales fait du développement économique une compétence prioritaire des Régions, en leur attribuant la charge d’animer, par le biais du Schéma régional de développement économique (SRDE), l’activité des collectivités locales dans ce domaine. Malgré des évolutions qui semblent donner aux Régions des responsabilités croissantes dans la définition des orientations économiques locales, de nombreux rapports[2], en écho aux revendications de Régions de France, ont au contraire exprimé des demandes de clarification concernant la répartition de la compétence entre collectivités locales au sujet du développement économique. Les lois MAPTAM[3] et NOTRe sont venues y répondre.  

Les deux premières parties de la loi NOTRe (Titre Ier : « des régions renforcées », Titre II : « des intercommunalités renforcées ») viennent ainsi préciser les compétences des Régions et des intercommunalités en matière de développement économique. La prédominance de la Région sur les autres collectivités est confirmée dès l’article 2, qui indique que « la région est la collectivité territoriale responsable, sur son territoire, de la définition des orientations en matière de développement économique ». L’outil de cette prééminence est le SRDEII, document dès lors opposable qui définit les orientations économiques régionales. En complément de la fin de la participation des Départements au développement économique, la loi précise les domaines d’exclusivité des échelons régionaux et intercommunaux : la définition des régimes d’aides aux entreprises pour les premiers et l’immobilier et foncier d’entreprises pour les seconds. Ces modifications légales se sont traduites par de nombreuses évolutions au sein des conseils régionaux. D’un point de vue budgétaire, les investissements alloués au développement économique ont augmenté de plus de 51% entre 2013 et 2018[4]. Par ailleurs, les Régions ont majoritairement restructuré leurs agences de développement économique, à l’image de la création de l’agence AD’OCC en Occitanie, issue de la fusion de six structures existantes dans les anciennes Régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon et de l’intégration de certaines agences départementales de développement économique dissoutes au 31 décembre 2016. L’évolution des politiques économiques régionales est également marquée par la création de nouveaux dispositifs en faveur des TPE, artisans et commerçants, jusqu’alors essentiellement soutenus par les Départements (le Pass Commerce et Artisanat de la Région Bretagne, cofinancé et instruit par les EPCI hors Métropoles, confirme par exemple l’attention portée à ces catégories d’entreprises).

La territorialisation des politiques régionales de développement économique : l’avènement du couple Région-EPCI

La rédaction des SRDEII (votés entre décembre 2016 et avril 2017 par les conseils régionaux) a été précédée d’importantes périodes de concertation organisées par les Régions. En Occitanie, la définition des orientations du schéma s’est appuyée sur des rencontres non seulement régionales mais aussi organisées dans chaque bassin d’emploi. Ces démarches ont permis d’identifier les inquiétudes dans l’application de la loi NOTRe de la part des territoires situés hors métropoles et leurs attentes à l’égard des Régions. La fin de la participation des Départements au développement économique, l’affaiblissement des CCI et la charge budgétaire induite par l’exercice de nouvelles compétences ont, comme l’élargissement des périmètres régionaux, contribué à nourrir le sentiment d’éloignement des centres décisionnels de l’intervention économique. Cette représentation s’ajoute à la crainte des agents et des élus des EPCI de ne pas pouvoir mettre en œuvre seuls les nouvelles compétences dont la loi les a dotés.

Si le temps d’élaboration des schémas a été, pour les Régions, le premier moment de leur affirmation comme chef de file du développement économique et animateur de la mise en œuvre de la compétence, ce sont toutefois leurs choix de territorialisation qui permettent de lire réellement leur nouvelle place dans l’intervention économique.

Entendue comme la mise en œuvre locale de la politique régionale de développement économique, la territorialisation est la principale innovation des Régions à l’issue des réformes territoriales. Bien plus, ces choix de territorialisation constituent, face à la difficulté des Régions à produire une stratégie économique dépassant le simple catalogue d’aides annoncées dans le SRDEII, un vrai point de différenciation entre les Régions dans le déploiement de leur chef de filât.

Les choix réalisés par les Régions Occitanie et Bretagne mettent en lumière, malgré les différences d’interprétation du rôle de la Région, la même ambition de participer à un meilleur équilibre économique entre les territoires par l’accompagnement économique des territoires hors métropoles.

En Occitanie, la Région appuie son action sur l’agence AD’OCC et son réseau de 20 antennes locales, progressivement mises en place depuis 2018. Majoritairement installées dans les Maisons de la Région (relais de l’ensemble des services régionaux dans chaque département), ces antennes se présentent comme des guichets aux plus proches des entreprises, leur fournissant des conseils ainsi qu’un accès au réseau des développeurs économiques et aux subventions. En Bretagne, la Région a signé entre 2017 et 2018 une convention de partenariat avec chacun des 59 EPCI permettant de fixer la répartition de l’exercice de la compétence économique. Les trois volets de la convention permettent aux collectivités signataires de pointer les convergences de leurs stratégies, de désigner les dispositifs intercommunaux soutenus par la Région et d’exposer la mise en œuvre du SPAE (service public de l’accompagnement des entreprises) confié à l’EPCI. La Région accompagne cette dynamique par la création d’un service « développement économique territorial » constitué de 10 chargés de mission responsables d’une partie du territoire régional, afin d’assurer une présence dans les espaces moins denses (seuls deux agents sont en charge d’espaces métropolitains) et une coordination entre acteurs.

Bien que le choix de contractualisation mis en œuvre en Bretagne se distingue de l’intervention directe en Région Occitanie, ces deux modèles de territorialisation affirment le couple Région-EPCI dans l’animation de la compétence de développement économique. Si la mise en œuvre des SRDEII a consacré le rôle des Régions auprès des acteurs du développement économique, qu’en est-il de leur capacité à produire une réelle stratégie régionale de développement économique ?  

Un bilan en demi-teinte : de nouvelles organisations des services sur l’ensemble du territoire sans modèle budgétaire de préférence territoriale

L’affirmation des Régions comme chef de file du développement économique à l’issue de l’application des réformes institutionnelles récentes n’implique toutefois pas la production d’une stratégie économique régionale. De sorte que les choix de territorialisation des Régions consisteraient plus en une distribution territoriale nouvelle de leur organisation qu’en une réelle différenciation territoriale des aides régionales. En effet, les discours des élus régionaux sur la défense des territoires non métropolitains n’ont pas été accompagnés de la production, dans les SRDEII ou les délibérations régionales, d’un modèle budgétaire précis de soutien des entreprises et des projets selon leur territoire. Par ailleurs, la volonté des Régions de continuer à intervenir massivement dans les projets économiques métropolitains ne remettrait-elle pas en cause leur discours de défense des territoires non métropolitains ?

Depuis 2016, le renforcement des services régionaux de développement économique en ressources humaines ainsi qu’un déploiement territorial rapide ont permis aux Régions de rendre leurs politiques plus opérationnelles et leurs dispositifs plus accessibles aux entreprises de tous les territoires.

Néanmoins, seules une confirmation de ces réorganisations à l’issue des élections régionales de 2021 ainsi qu’une clarification budgétaire de la distribution des ressources selon les territoires permettront aux Régions de soutenir durablement les territoires non métropolitains.

Schéma de synthèse : évolution du paysage institutionnel de l'accompagnement économique à la suite de la mise en œuvre de la loi NOTRe

Figure 1 : Paysage institutionnel de l'accompagnement économique avant la loi NOTRe

Paysage institutionnel de l’accompagnement économique avant la loi NOTRe
Paysage institutionnel de l’accompagnement économique avant la loi NOTRe

 

Figure 2 : Nouveau paysage institutionnel de l’accompagnement économique

Figure 2 : Nouveau paysage institutionnel de l’accompagnement économique
Figure 2 : Nouveau paysage institutionnel de l’accompagnement économique

 

[1] Article 4-1 de la loi du 5 juillet 1972

[2] Comité pour la réforme des collectivités locales, Il est temps de décider, Rapport au Président de la République, La Documentation française, mars 2009

FICHET Jean-Luc et MAZARS Stéphane, Rapport d’information fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) sur les collectivités territoriales et le développement économique : vers une nouvelle étape, Sénat, 2013

[3] Loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles

[4] Régions de France, Les chiffres clés des Régions, septembre 2018

×
Par
Thibaud Bages

Thibaud

Bages

Etudiant en Urbanisme et Aménagement

ENS - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

,
et
Xavier Desjardin

Xavier

Desjardins

professeur des universités en aménagement de l'espace et urbanisme

Sorbonne Université

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