Villes moyennes, une perspective intercommunale : l’exemple de Saint-Brieuc

Villes moyennes,une perspective intercommunale : l’exemple de Saint-Brieuc
Le 22 février 2018

Directeur de la prospective et de la stratégie territoriale à Saint-Brieuc Armor agglomération (SBAA), Étienne Longueville revient sur la démarche de prospective déployée depuis la création de cette intercommunalité créée le 1er janvier 2017. Objectif : agir massivement pour que le centre-ville joue son rôle de locomotive du territoire.

L’enjeu de centralité dans les villes moyennes n’est pas récent. À Saint-Brieuc, il était au cœur de la campagne électorale en 2014. Les premières réflexions de la ville-centre ont mis en évidence, au-delà de la crise du commerce, des enjeux plus globaux autour de la multifonctionnalité, de la qualité des espaces publics, du lien avec la nature, des animations. Il est ainsi apparu indispensable d’appréhender ce sujet à l’échelle intercommunale pour y apporter des réponses adéquates en termes d’organisation du territoire.

1re étape : structurer l’ingénierie

L’intercommunalité a d’abord dégagé des moyens pour structurer son ingénierie afin de mener un travail fondé sur une connaissance fine et objective du territoire. En 2013, l’agglomération a créé une direction de la prospective et de la stratégie territoriale, rattachée au directeur général : une équipe en réseau, avec des référents dans chaque direction, qui travaille sur le projet de territoire, l’aide à la décision, le suivi des contractualisations et des appels à projets. Elle a ainsi porté l’ambition de construire une vision spatiale à l’échelle intercommunale.

Cette direction a travaillé avec plusieurs partenaires : la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), le pays, les communes, et l’agence d’urbanisme Brest-Bretagne, à laquelle SBAA a adhéré. Ainsi des compétences complémentaires sont au service du projet.

2e étape : installer un espace de pilotage et de mise en débat politique

Une instance de suivi du projet de territoire de l’Agglomération a été créée. Elle comprend des élus ruraux, urbains et littoraux. Cette instance pilote et oriente le travail, elle organise aussi la réflexion pour l’ensemble des conseillers communautaires et élus municipaux des 32 communes.

Saint-Brieuc Armor agglomération

Créée en 2017 regroupe 32 communes composées de 151 020 habitants

La ville-centre, Saint-Brieuc comprend  45 207 habitants (- 13 % depuis 1975).

Dans son centre ancien, 34 %1 des cellules commerciales et 11 % des logements sont vacants. Saint-Brieuc a perdu 2 800 emplois entre 2009 et 2014, le volume le plus important de Bretagne. La ville comprend 42 % des emplois de l’intercommunalité, principale pôle d’emploi du département.

3e étape : analyser les dynamiques en cours

Plusieurs dynamiques ont été examinées, parmi lesquelles :

  • l’évolution de l’urbanisation et de l’implantation des ménages sur un siècle, en donnant à voir l’impact de la construction des infrastructures. Se dessine un modèle du « toujours plus vite, toujours plus loin », tandis que l’habitat ancien en centralité se dégrade.
  • les dynamiques économiques, et en particulier la façon dont la crise de 2008 a impacté le territoire, dans le commerce, dans l’industrie, mais aussi dans l’administration (- 780 emplois en 5 ans traduisant les impacts des réformes de l’État). Une comparaison avec d’autres villes moyennes du grand ouest a aussi mis en évidence un déficit d’emploi lié à la fonction urbaine (recherche, culture).
  • les choix d’installation en périphérie des services, les grandes surfaces bien sûr, mais d’abord les services de l’État (agence régionale de santé, DDTM, DREAL, inspection académique, etc.), les chambres consulaires, les organismes de santé, les équipements majeurs de loisirs (multiplex de cinéma, patinoires), les chaînes populaires de restauration rapide, etc.
  • les impacts de la fiscalité, notamment la valeur locative cadastrale qui se répercute négativement les centralités. Pour Saint-Brieuc, les réformes annoncées par Bercy et fondées sur l’effectivité de la valeur actuelle des prix auraient pour effet d’amplifier le phénomène : en situation d’oligopole, les propriétaires sont assurés contre la vacance ; malgré un taux élevé, les prix ne diminuent pas.
  • la concentration de la fragilité sociale à Saint-Brieuc, et l’effort financier qui pèse surtout sur le contribuable de la ville-centre en l’absence de structuration de pôles intermédiaires : quand les zones commerciales jouent un rôle de centralité par substitution, les populations qui ont besoin d’être accompagnées en sont exclues.
  • les dépenses publiques spécifiques que payent les villes et agglomérations moyennes, avec un surcoût concernant les fonctions urbaines (ainsi, SBAA finance le fonctionnement des universités rennaises, contrairement à Rennes Métropole), ainsi qu’un surcoût rarement calculé lié à l’étalement urbain, pour construire les rocades, les voies, les réseaux (eau, assainissement, fibre) et les services (collecte des déchets, transports, etc.).
  • les incitations des financements multi-niveaux qui flèchent l’ensemble des crédits des collectivités sur des opérations simples donc rarement en centralités. Les dispositifs supposent une simplicité de gestion, un maître d’ouvrage unique, des échéances précises qui aboutissent à évincer des opérations complexes qui feraient sens, par exemple autour des copropriétés dégradées.

4e étape : s’appuyer sur le travail déjà mené par les différentes institutions

Face à ces constats, les acteurs locaux se sont déjà mobilisés :

  • des critères de péréquation intégrant les logements sociaux ont été ajoutés dans le pacte financier intercommunal,
  • un centre inter-administratif est construit par l’agglomération,
  • un pôle d’échange multimodal et un bus à haut niveau de service sont réalisés avec des financements de tous les partenaires,
  • un appel à projet « centralités » de l’État, la région et la chambre régionale des comptes a permis à la ville d’obtenir 1,2 M€ de financements,
  • des pôles de proximité ont été créés par l’agglomération,
  • une convention d’objectif a été signée par la ville avec la caisse des dépôts dès 2013.

Toutefois les réponses ne sont pas à la hauteur des enjeux et n’apportent pas d’éléments à même de répondre à l’ampleur des défis. C’est un plan massif de type « ANRU » (2), mobilisant tous les partenaires, qui est nécessaire.

5e étape : construire des scénarios à 10 ans pour mettre en débat des futurs possibles du territoire

Plusieurs scénarios ont été ébauchés, dont celui de l’inacceptable, version extrême de la prospective, et un autre alternatif.

Le scénario de l’inacceptable

Un « scénario de l’inacceptable » se dessine. Il aboutirait à une ghettoïsation de la ville-centre, un
étalement urbain sans limite, une banalisation des espaces et une ruralité abandonnée. C’est le scénario tendanciel car les mécanismes pouvant conduire à ce scénario sont déjà à l’œuvre :

  • une demande sociale en centralité qui s’accroît du fait de la crise, et des populations réfugiées dont l’accompagnement, nécessaire, est prise en charge principalement par le budget de la ville-centre en l’absence de vraies centralités intermédiaires,
  • des services situés hors de la centralité au nom de l’aménagement du territoire (mais près de la RN12),
  • des contribuables fortunés qui partent notamment vers les communes littorales et ne participent plus à l’effort de solidarité communautaire supporté par la ville-centre,
  • une incapacité à mobiliser les moyens pour réhabiliter,
  • des commerces et logements vacants en centralités qui peuvent devenir des squats,
  • une augmentation du sentiment d’insécurité, en centralités,
  • la poursuite de la construction des infrastructures et des réseaux qui permettent de vivre toujours plus loin,
  • une urbanisation continue des terres agricoles,
  • une déprise économique industrielle du secteur agri-agro,
  • des contraintes normatives insoutenables,
  • des pertes de maîtrise par les communes du développement de leur sol,
  • une remise en cause de l’aménagement des centres-bourgs (non-remplacement des médecins, fermeture de commerce, baisse du nombre d’élèves et fermeture des classes),
  • un déclassement des bourgs non connectés,
  • des zones commerciales qui constituent les centralités de substitution.

Tout cela entraîne un cercle vicieux, avec une perte sèche pour tous les habitants en matière d’emploi, de services, de vivre-ensemble et un déclassement territorial.

En opposition, un scénario alternatif se construit par la complémentarité urbain-rural-littoral, autour des centralités confortées et des services réciproques.

Il s’agirait de conforter toutes les centralités, en reconnaissant la valeur de ces espaces :

  • le centre-ville de Saint-Brieuc – locomotive économique, porteur de la fonction urbaine, espace de réseaux, organisateur de la mixité – serait soutenu massivement pour rénover son bâti ancien, ses friches amiantées et pour partager ses dépenses sociales ;
  • des pôles de centralités intermédiaires seraient structurés avec une fonction particulière d’organisation de services (collèges, maison de santé, fonctions d’insertion professionnelle, maisons des services au public) ;
  • les centralités des communes seraient appuyées avec une solidarité communautaire permettant la vitalité des bourgs.

Il s’agirait également de favoriser les services mutuels que rendent les différents espaces,

  • des territoires ruraux et littoraux qui apportent des services en matière d’alimentation, d’énergie, de services de proximité, de tourisme et d’espaces récréatifs ;
  • des territoires urbains qui apportent des services en matière de fonctions politiques et administratives, en matière d’enseignement supérieur et de recherche, en matière de fonctions culturelles et de cohésion sociale.

6e étape : élaborer et financer un programme d’action pour le centre-ville, et organiser une gouvernance multi-niveaux

Des actions immédiates et massives sont nécessaires en matière de réhabilitation de l’habitat, des espaces commerciaux et tertiaires ; de transformation digitale ; de qualité des espaces ; de nature en ville. Des actions concertées dans la localisation des services sont également indispensables pour rendre plus accessibles les services de l’État, les organismes de santé, etc. La question des extensions commerciales en périphérie mérite également d’être posée.

Des actions d’ambition dans la confortation de la fonction urbaine sont aussi à prévoir pour renforcer l’excellence : développement des formations supérieures, du pôle universitaire, de la recherche, de l’innovation, des fonctions supérieures de santé, de la culture. Des réformes structurelles en matière de fiscalité sont souhaitables pour revoir la valeur locative cadastrale, non pas sur la base des prix actuels faussés par les mécanismes d’oligopoles et d’assurances, mais sur un consensus local qui pourrait être mené par le Préfet, pour garantir l’attractivité fiscale des centralités.

Un grand plan en faveur des villes moyennes intitulé « Action cœur de ville » a été annoncé par le gouvernement en décembre dernier. Il pose les bonnes questions et organise la gouvernance en mettant autour de la table les collectivités et les acteurs spécialisés. La ville et l’agglomération de Saint-Brieuc peuvent y prendre part de façon opérationnelle dans le courant de l’année 2018 avec leurs partenaires. En complément de ce programme, il sera nécessaire aussi d’accompagner la structuration de pôles intermédiaires, la vitalité des bourgs et les mutations du secteur agricole.

(1) Cette vacance a plusieurs explications : un-tiers des locaux sont à l’abandon depuis une durée importante, et un tiers nécessitent des travaux structurants avant toute remise sur le marché.

(2) Agence nationale pour la rénovation urbaine.

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