Revue

Dossier

Chercheur·se·s, étudiant·e·s et aussi citoyen·ne·s !

Les grands enjeux de la société contemporaine (changement climatique, transformation numérique, croissance et développement, spatial, intelligence artificielle, etc.) rythment le parcours CitizenCampus.
Le 18 août 2020

CitizenCampus est un programme transverse qui met la démarche scientifique pour apprendre aux étudiant·e·s à débattre (et à faire débattre) autour de grands sujets de société en lien avec l’innovation, la technologie et les sciences. Il fait écho à certains programmes développés au sein de l’université de Sherbrooke.

Lorsqu’il nous a été proposé de rédiger ces quelques lignes sur le programme CitizenCampus, notre réponse fut immédiate et positive. D’abord du fait de l’origine de la demande : deux d’entre nous ont étudié à l’université Grenoble Alpes (UGA), puis travaillé dans la recherche technologique à Grenoble pendant plus de vingt ans, avant de s’envoler pour le Canada en 2014 et travailler à l’université de Sherbrooke (Québec, Canada). Ensuite parce que ce programme novateur nous paraît d’une richesse incroyable et adapté aux besoins et demandes des étudiant·e·s, face aux défis qui les attendent. Nous profitons donc de cette tribune pour pointer ce qui nous paraît particulièrement pertinent et précurseur. En écho à cette formation, nous exposerons ensuite trois programmes transverses qui sont donnés à l’université de Sherbrooke, avec l’idée, déjà en discussion, de construire des ponts entre les deux.

CitizenCampus est donc un programme transverse qui s’inspire de la démarche scientifique pour apprendre aux étudiant·e·s à débattre (et à faire débattre) autour de grands sujets de société en lien avec l’innovation, la technologie et les sciences. Le premier intérêt de la démarche se situe d’abord dans le recrutement. L’ensemble des étudiant·e·s, toutes filières confondues, sont invité·e·s à s’inscrire aux sessions. Ceci peut sembler « aller de soi ». Pourtant, c’est à souligner, dans un contexte universitaire généralement construit sur des formats d’entrée plus disciplinaires.

Le second intérêt tient à la pédagogie, expérientielle et conceptuelle, permettant à chacun d’expérimenter (dans un format type de living lab), de confronter, de mettre à l’épreuve, tout en étant alimentés par des connaissances fournies par des chercheur·se·s d’excellence. Cette boucle pédagogique « expérimentation-réflexion-conceptualisation-planification » permet de vivre l’expérience, et également d’en comprendre la portée et la complexité (sous sa forme conceptuelle), ce qui à notre sens est fondamental pour aborder les grands enjeux de société. Dans cette perspective, l’intérêt porté dans le programme sur les liens entre l’engagement (« ce que je pense, ce que je souhaite »), l’expertise (« ce que je sais ») et les différents niveaux d’argumentation qui en découlent (« ce qui serait raisonnable-défendable-juste » pour une société donnée) nous apparaît de premier ordre. Prendre une décision, avoir un avis sur une question est souvent le résultat d’opérations mentales qui mêlent ses différentes perspectives. Les questions d’éthique et de valeurs sont souvent traduites sous forme d’arguments et il est rare qu’elles soient rendues explicites. Apprendre à les reconnaître, à les évaluer, à les pondérer est un atout considérable pour tout·e étudiant·e, futur·e·s citoyen·ne·s. C’est aussi un moyen d’aiguiser des compétences clés, comme la capacité réflexive et l’esprit critique.

Enfin, la dimension collective du programme est essentielle, à juste titre. Hommes et femmes politiques, scientifiques de tous bords, étudiant·e·s construisent ensemble la question, échangent librement sur les arguments, raisonnent, apprennent à collaborer et à délibérer. Ils·elles comprennent ainsi combien il peut être parfois difficile de « prendre action », quand il s’agit d’embrasser une grande majorité de points de vue. Ils·elles comprennent la complexité qui à la base de toute décision qui considère différentes formes d’enjeux : économiques, éthiques, environnementales, légales et sociales. Ce postulat d’horizontalité dans les échanges est pertinent pour favoriser l’émergence de la parole dans sa diversité, donc du débat.

Les trois aspects que nous venons de souligner font écho à certains programmes développés au sein de l’université de Sherbrooke. Nous faisons ici référence à des programmes transverses, novateurs dans leur format, interdisciplinaires et inter-facultaires. Il s’agit d’exemples choisis et non pas d’une liste exhaustive.

La première initiative est portée par un international research laboratory (IRL) connu sous le nom de laboratoire nanosystèmes et nanotechnologies (LN2)5. Cet IRL est géographiquement situé à Sherbrooke, et il a comme tutelle l’université de Sherbrooke, le CNRS, mais aussi l’UGA et l’université de Lyon (École centrale de Lyon, INSA, CPE).

Depuis 2018, il est à l’origine de l’initiative Planète A (IPA), qui vise à réunir une grande majorité des IRL du CNRS en Amérique du Nord afin d’apporter des réponses aux objectifs de développement durable (ODD) fixés par l’ONU et aux objectifs découlant de l’Accord de Paris en matière de changement climatique. L’ambition est grande, et fait face à des défis que peut rencontrer CitizenCampus : prendre en compte les domaines d’expertises scientifiques des IRL CNRS en Amérique du Nord et leurs écosystèmes associés, orienter cette richesse et pluralité vers une recherche orientée sur des grands enjeux de société et les ODD, à partir d’une vision et de réponses construites collectivement, associer les différents points de vue sur la base d’un débat constructif, écouter les arguments de collègues dont les paradigmes diffèrent, du fait de leurs assises disciplinaires distinctes. Deux rencontres ont déjà eu lieu sur la base d’IRL « invitantes » (en février 2019, à Sherbrooke6 ; en octobre 2019, à Atlanta, IRL Georgia-Tech7). La troisième a été repoussée du fait de la pandémie du covid-19 (initialement prévue en avril 2020, à Tucson, IRL IGlobes8). Apprendre à écouter, construire des projets convergeant vers une finalité commune, comprendre comment délibérer sur la base d’arguments construits scientifiquement sont des ingrédients indispensables à la réussite de tels projets. La formation de futur·e·s chercheur·se·s doit mettre l’accent sur ces apprentissages.

Les étudiant·e·s doivent apprendre à développer des compétences pour analyser, trier, évaluer, délibérer, en somme se former une opinion « en conscience », sur la base d’arguments compris. C’est essentiel.

La deuxième initiative que nous voudrions mettre en avant est en lien avec le thème général « d’acteurs de changement ». Par acteurs de changement, nous entendons toute personne qui souhaite faire la différence en mobilisant les outils de l’innovation pour transformer une communauté, une société avec la volonté d’accroître le « bien vivre ensemble » et le « bien commun ». Au sein de l’université de Sherbrooke, plusieurs démarches sont en cours sur ce sujet. L’initiative initiale, qui n’était pas directement chapeautée par l’université de Sherbrooke, a consisté en des résidences d’été, internationales et interdisciplinaires (résidence des acteurs de changement [Changemaker residency]9). Cette initiative rassemble des étudiant·e·s des quatre coins du globe et les amène à vivre une expérience de transformation à la fois personnelle et professionnelle au cours d’un mois intensif, géographiquement situé en Estrie (région de Sherbrooke). Ce programme se fonde sur des pratiques innovantes en éducation provenant de différentes institutions incluant l’université des Nations Unis University for Peace au Costa Rica, ImaginEx au Japon, Stanford Design School, College of the Atlantic et le Watson Institute. Le programme allie également l’expérimentation, la réflexion, la conceptualisation et la mise en action. Il s’appuie aussi sur la dimension collective, en développant un fort sentiment d’appartenance à la communauté de pratiques des acteurs de changement. Enfin, il offre aux étudiant·e·s les moyens d’aborder un thème dans sa complexité (approche systémique), en amenant les outils, les compétences et l’état d’esprit nécessaires pour mettre en place des projets « qui changent le monde ». On retrouve là certains ingrédients de CitizenCampus, en lien avec la capacité de se « faire une opinion » sur un sujet donné, d’en comprendre toute sa complexité, avant de chercher des solutions. Ce programme est à l’origine d’une démarche qui s’est intensifiée sur le sujet des acteurs de changement au sein de l’université de Sherbrooke. Ainsi, à l’automne 2020, le Centre universitaire d’enrichissement de la formation à la recherche (CUEFR) va proposer des ateliers d’acteurs de changement s’adressant aux étudiant·e·s de troisième cycle (programme « De la recherche à l’impact »). De même, il se construit actuellement un programme de maîtrise, qui s’appuie sur ces bases pédagogiques novatrices. Le format sera à la fois interdisciplinaire et interfacultaire dans les enseignements et pour le recrutement des étudiant·e·s, et une approche globale mettra en avant la question de la « motivation à agir » et des clés nécessaires à la compréhension en profondeur des enjeux contemporains.

Enfin, il existe des programmes transverses, accueilli au sein de l’université de Sherbrooke, comme Enactus10. Enactus est un programme international qui vise à former « la prochaine génération de leaders ». Enactus est présent dans trente-six pays et plus de 1 700 collèges et universités. Dans chaque université ou collège, Enactus prend la forme d’un club interdisciplinaire, piloté par les étudiant·e·s eux·elles-mêmes, qui permet d’explorer des enjeux complexes, de valider des idées de solution, de mettre en œuvre, de gérer des projets et apprendre à en mesurer les impacts. Ils·elles sont souvent accompagné·e·s dans leur démarche par des coachs et des mentors. À l’université de Sherbrooke, ce programme est soutenu par l’Accélérateur entrepreneurial Desjardins (AED)11. Il accompagne les étudiant·e·s de toutes les disciplines pour développer des projets concrets. Il s’appuie une offre d’activités de formation et de coaching, par exemple, des cours à option qui permettre de valider une idée de projet, ou encore le week-end « J’ose transformer » des RDV Cascades, un bootcamp qui permet aux étudiant·e·s de prendre part à des ateliers interactifs et de recevoir du coaching personnalisé.

Tout comme CitizenCampus, ces événements rassemblent des étudiant·e·s de tous les milieux et les amène à échanger sur des sujets porteurs d’enjeux contemporains, dans le but de développer des projets durables.

2020 est une année particulière. Nous nous en rappellerons. Avec la pandémie, l’accès à l’information et les échanges se sont multipliés sur les réseaux sociaux, via les plateformes numériques, à travers les chats. Comme pour chaque événement marquant, les théories du complot ont fleuri, les opinions des un·e·s et des autres se sont répandues, des chiffres controversés sont venus alimentés le débat. Comment faire le tri devant cette avalanche d’informations ? Comment différencier la « fake news » de l’information pertinente, essentielle, utile ? C’est là un enjeu crucial de notre époque. Les étudiant·e·s doivent apprendre à développer des compétences pour analyser, trier, évaluer, délibérer, en somme se former une opinion « en conscience », sur la base d’arguments compris. C’est essentiel. En cela, CitizenCampus est une initiative-clé, très en phase avec les défis contemporains. C’est aussi une initiative dont il ne faut pas mésestimer l’effort d’innovation… Ce programme a eu l’intelligence de partir de la démarche scientifique car il s’ancre dans un milieu qui valorise fortement cette dimension. Or, pour innover, il ne faut surtout pas être radical : il faut faire le pont entre ce que l’on cherche à faire advenir et ce existe déjà. En pratique, on hybride les pratiques nouvelles sur les pratiques existantes. CitizenCampus l’a bien compris : il amène un vent nouveau, tout en s’appuyant sur les forces du terreau où il se développe. De même, CitizenCampus est construit à la périphérie des programmes académiques plus classiques tout en étant porté par des acteurs que l’on pourrait qualifier « d’acteurs de changement ». C’est là un autre marqueur de l’innovation. Pour changer un système, il faut « faire alliance ». Nous avons donc un programme novateur, instructif pour les étudiant·e·s, qui permet d’interroger la place que chacun et chacune joue dans le système, afin de comprendre qu’une question de société est le fruit d’une construction sociale que nous tous et toutes, collectivement, alimentons.

Plus largement, c’est un programme qui permet d’interroger le rôle et la place du « sachant » dans la société, dont la place du·de la chercheur·se. Nous croyons que ce type de formation peut ainsi conduire à des changements indirects qui interrogent les fondations de « l’institution académique ». Former des étudiant·e·s à la complexité, à la discussion, à l’écoute et à l’interdisciplinarité demandera aux professeur·e·s de s’ouvrir à ces mêmes impératifs. Cela touchera assurément leurs tâches d’enseignements, mais on peut imaginer que l’effet contaminant s’étendra à la fonction de recherche. Il serait ainsi bien paradoxal de maintenir une activité de recherche purement disciplinaire, alors que les étudiant·e·s, donc nos jeunes chercheur·se·s, sont formé·e·s à la complexité et à l’interdisciplinarité. Nous pourrions ainsi voir émerger une recherche plus orientée sur l’impact social, en phase avec les enjeux sociétaux, qui revisitent les conditions de la production et de la diffusion des savoirs.

Les grands enjeux de la société contemporaine (changement climatique, transformation numérique, croissance et développement, spatial, intelligence artificielle, etc.) rythment le parcours CitizenCampus.

Vous l’aurez compris, ce programme est important et très prometteur. Nous souhaitons vivement que des partenariats entre l’UGA, l’université de Sherbrooke et le LN2-CNRS prennent de l’ampleur. Ils permettront l’échange d’étudiant·e·s dans ces différents programmes et l’enrichissement des approches pédagogiques respectives, dans des contextes culturels variés (Europe et Amérique du Nord), pour, pourquoi pas, former des étudiant·e·s qui, un jour, changeront le monde ?

  1. Céline Verchère est aussi professionnelle de recherche, co-responsable de l’axe « Impacts, usages et société » du laboratoire nanosystèmes et nanotechnologies (LN2) de l’université de Sherbrooke.
  2. Isabelle Lacroix est professeure agrégée et directrice de l’École de politique appliquée, co-responsable de l’axe « Impacts, usages et société » du laboratoire nanosystèmes et nanotechnologies (LN2) de l’université de Sherbrooke.
  3. Miguel Aubouy est docteur en philosophie et conseiller en innovation à l’université de Sherbrooke
  4. Clément Moliner-Roy est conseiller aux initiatives de l’axe « Impacts, usages et société » du laboratoire nanosystèmes et nanotechnologies (LN2) de l’université de Sherbrooke et fondateur de Changemaker residency.
  5. https://www.usherbrooke.ca/ln2/fr/
  6. www.labn2.fr
  7. www.umi2958.eu
  8. https://www.cnrs-univ-arizona.net/
  9. https://www.changemakerfellows.com/
  10. http://enactus-sherbrooke.com/
  11. http://www.impactaed.org/
×
Par

Celine

Verchère

PhD., professionnelle de recherche, co-responsable de l’axe Impacts, Usages et société de l’IRL LN2 (Laboratoire Nanosystèmes et Nanotechnologies, UMI CNRS 3463), Université de Sherbrooke, Québec, Canada.

A lire aussi