Revue
DossierContractuels dans les universités : une position renforcée ?
Plus d’un tiers des effectifs dans l’enseignement supérieur et la recherche sont aujourd’hui des contractuels, une proportion restée stable depuis 2012. Parmi cette population de contractuels, des différences apparaissent entre les enseignants et les non enseignants. Face à l’accélération des transformations et à la concurrence accrue au niveau international, des évolutions législatives et réglementaires sont nécessaires.
Résumé
Les universités françaises ont connu de profonds bouleversements depuis dix ans, leur conférant une autonomie de gestion (notamment en matière de ressources humaines) et les conduisant à des regroupements afin d’accroître leur visibilité et leur poids à l’international. Dotées d’un effectif de 200 000 personnes, elles comptent plus d’un tiers de contractuels, part relativement stable depuis 2012. Parmi cette population de contractuels, des différences apparaissent entre les enseignants et les non enseignants. Pour les premiers, des statuts spécifiques existent et renvoient soit à une politique de vivier (doctorants, attachés temporaires d’enseignement et de recherche, etc.) soit à une politique de recrutement d’experts confirmés issus du monde de l’entreprise ou de chercheurs étrangers reconnus.
Parmi les contractuels non enseignants, on observe une part importante d’agents de catégorie A recrutés pour contribuer aux projets de recherche financés sur contrat ou, depuis leur autonomie, pour participer à la montée en compétences des établissements sur les fonctions supports. Afin de développer l’attractivité des talents scientifiques, le législateur a créé, au moment du passage à l’autonomie, un dispositif supplémentaire et assoupli de recours aux contractuels à travers l’article L. 954-3 du Code de l’éducation. Ce nouveau dispositif a permis, avec le recrutement de 2 000 contractuels, de répondre aux besoins des établissements sans donner lieu à des abus.
Au-delà de cette spécificité propre à l’enseignement supérieur et à la recherche, les différents dispositifs législatifs et réglementaires, et leurs évolutions, ont permis de développer le recours au contrat tout en renforçant les droits des contractuels. Leur part est restée stable et ce malgré différents plans de titularisation, montrant ainsi leur pertinence à répondre aux besoins des universités, aux côtés de personnels titulaires. Cependant, de nouvelles évolutions s’avèrent nécessaires pour répondre à certaines aspirations de ce type de personnels et s’adapter aux changements que connaissent l’enseignement supérieur et la recherche dans un contexte de concurrence internationale accrue.
Les universités françaises sont des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) dont les deux grandes missions sont la formation initiale et continue, et la recherche scientifique et technologique. Elles ont connu, depuis 10 ans, de profonds changements. En 2007, la loi relative aux libertés et aux responsabilités (LRU) a donné aux universités une forte autonomie en leur transférant la gestion complète de leur budget ainsi que celle de leurs ressources humaines. Elles ont ainsi été amenées à développer leurs compétences dans les fonctions dites « supports » (finances, ressources humaines, patrimoine). En 2013, la loi relative à l’enseignement supérieur à la recherche a engendré des changements dans le mode de gouvernance puisque l’obligation a été faite aux universités d’un même territoire de se regrouper, soit par la fusion, soit par l’association, soit, enfin, au sein d’une communauté d’université et d’établissement (ComUES).
Ces deux lois, qui ont bouleversé le paysage universitaire, sont sans doute comparables à celles qui ont mis en place la décentralisation pour les collectivités locales puis favoriser leur regroupement (développement de l’intercommunalité, fusion des régions). L’université actuelle est confrontée à de multiples défis : l’augmentation toujours croissante du nombre d’étudiants, la révolution numérique avec notamment le développement des cours en ligne (MOOCS) et, bien sûr, une concurrence désormais internationale pour attirer les meilleurs étudiants, les plus grands chercheurs et figurer en bonne place dans les classements.
Une part importante de personnels contractuels mais qui reste stable
En 2015, l’ensemble des universités emploie près de 200 000 personnels, parmi lesquels on peut distinguer deux grandes catégories : les enseignants et enseignants-chercheurs qui représentent un effectif de 100 613 et les personnels administratifs, techniques, de bibliothèque et de santé qui sont au nombre de 98 078 et qui contribuent aux missions de soutien et de support à l’enseignement et à la recherche1.
La part des contractuels dans les universités s’élève à 34,5 %, toutes populations confondues. Elle est stable sur la période 2012-2015 mais présente une différence de 9 points entre les enseignants (dont 30,1 % sont contractuels en 2015) et les non-enseignants (39,1 %). L’écart entre ces deux populations reste constant sur la période.
Des statuts spécifiques pour les contractuels enseignants
La population enseignante compte 30,1 % de contractuels. Cette population recouvre des statuts spécifiques relevant soit d’une politique de vivier, soit d’une politique d’expertise.
Afin d’accompagner, et de former, les étudiants aux métiers d’enseignants-chercheurs, ainsi que favoriser leur insertion professionnelle, les universités peuvent recruter des étudiants en thèse, ou des docteurs jeunes diplômés, en tant que contractuels. On peut distinguer pour cette « politique de vivier » les doctorants contractuels, les attachés temporaires d’enseignement et de recherche (ATER) et les lecteurs/maîtres de langue.
Dans une politique d’ouverture à d’autres environnements professionnels ou à l’international, les établissements peuvent recruter pour une durée déterminée des professionnels confirmés issus du monde économique (les professeurs associés), ainsi que des enseignants étrangers reconnus (les professeurs invités).
Afin de respecter l’obligation d’enseignement par des professionnels dans certaines formations et d’ouvrir les formations sur le monde professionnel, les établissements font appel à de nombreux vacataires d’enseignement qui peuvent dispenser cours, travaux dirigés ou travaux pratiques.
Parmi cette population contractuelle enseignante, on trouve également des statuts spécifiques aux personnels hospitalo-universitaires qui exercent une triple mission d’enseignement, de recherche et de soin.
Depuis la LRU, un dispositif supplémentaire et assoupli de recours au contractuel
Ce dispositif de recrutement créé par l’article L. 954-3 du Code de l’éducation se caractérise par un cadre réglementaire peu contraint. Par la mise en œuvre facilitée de ce type de contrat, il a pour objectif initial de permettre aux établissements d’enseignement supérieur ayant accédé aux responsabilités et compétences élargies de pouvoir rivaliser avec les établissements étrangers et développer une politique d’attractivité des talents scientifiques.
Le spectre de recrutement est large et couvre les personnels enseignants-chercheurs, enseignants, chercheurs ou assurant des fonctions administratives ou techniques. Pour les fonctions d’enseignement et/ou de chercheur, le texte prévoit de recueillir l’avis consultatif d’un comité de sélection dont la définition appartient en propre à l’établissement.
En 2015, l’inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la recherche (IGAENR) a publié un rapport dressant l’état des lieux des contractuels recrutés en application de cet article. Il y apparaît que les établissements ont recours à ce dispositif de manière différenciée. Une très grande majorité d’entre eux utilisent ce cadre pour pourvoir des fonctions d’enseignement, dans le domaine des langues principalement, pour créer des leviers en recherche ou recruter sur des métiers émergents ou des fonctions pointues. Il est à noter que 40 % des contrats alors décomptés étaient des CDI sur les 77 établissements ayant initié ces contrats LRU.
L’IGAENR a souligné que malgré son cadre souple ce dispositif n’avait pas donné lieu à des abus (moins de 2 000 contractuels recensés) et qu’il semblait apporter une solution complémentaire à la carte permettant de résoudre des situations particulières.
Il est souhaité que ce dispositif puisse se poursuivre avec la mise en valeur d’un cadre de recrutement agile permettant de capter des compétences nouvelles au regard des besoins exprimés dans les projets d’établissement, et ainsi favoriser l’attractivité de l’enseignement supérieur et de la recherche pour des personnels enseignants et non enseignants.
Les contractuels de catégorie A surreprésentés parmi les non enseignants
La population non enseignante comprend une part élevée de contractuels qui représentent 39,1 % des effectifs. Les contractuels sont surreprésentés en catégorie A et dans une moindre mesure en catégorie B.
La part importante de contractuels de catégorie A s’explique principalement par les modalités de financement de la recherche par projets. En effet, lorsque les équipes de recherche sont lauréates d’un appel d’offres, elles disposent de crédits de fonctionnement, d’investissement et de masse salariale pour mener à bien leurs travaux. Elles peuvent recruter sur la durée du projet des contractuels hautement qualifiés correspondants aux corps d’ingénieurs de recherche et d’ingénieurs d’études. Pour ces post-doctorants, cela permet de compléter leur expérience professionnelle et de constituer un tremplin vers un poste pérenne.
L’accès à l’autonomie à travers la LRU a transféré aux universités la gestion financière, RH et, pour certaines, de leur patrimoine. Cela a nécessité une montée en compétences dans ces fonctions qui s’est traduite par des recrutements en dehors du vivier traditionnel en privilégiant la meilleure adéquation du profil des candidats au poste, parfois au détriment du statut. De nombreux contractuels ont ainsi été recrutés pour répondre à ce besoin. Ils ont pu ensuite, en fonction de la politique de l’établissement, bénéficier de l’ouverture d’un concours ou, selon leur âge et leur niveau de rémunération, voir requalifier leur contrat en CDI.
Le recours à des contractuels peut également s’expliquer par des raisons économiques. La principale richesse des universités réside dans ses ressources humaines mais ces dernières constituent le premier poste de dépense, la masse salariale représentant 80 % du budget. Dans ce contexte de nécessaire maîtrise de leurs dépenses de personnels, les établissements – faute d’une masse salariale sur subvention de service public suffisante – peuvent faire le choix de recruter des contractuels dont le coût chargé est nettement inférieur à celui des titulaires, principalement en raison des cotisations retraites qui d’élève à 74 % pour les titulaires. Cette différence de coût s’explique ensuite par la politique salariale de chaque établissement pour ces contractuels, des chartes de gestion internes pouvant préciser le cadre d’emploi et de rémunération de ces contractuels
Pour une évolution du statut des contractuels
Les dispositifs législatifs et réglementaires prévoient et organisent depuis le milieu des années quatre-vingt le recours aux agents contractuels dans la fonction publique. Ces mécanismes, qui ont connu de fortes évolutions dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) notamment, par création de régimes spécifiques déploient désormais de nombreuses mesures de protection de ces agents, à l’équivalent de quasi-statuts, confirmant leur présence et leur potentielle intégration dans l’espace professionnel public.
Ces évolutions répondaient à des préoccupations déjà anciennes d’ouverture de la fonction publique et de rapprochement avec le monde de l’entreprise.
Plus de trente ans après le déploiement de ces dispositifs, le recours aux agents contractuels est-il devenu une évolution incontournable mettant en péril le principe du recrutement par concours et l’existence du statut ? Est-il, plus simplement, un des modes de recrutements et de gestion installé dans le paysage de l’ESR assurant la représentation de la société en son sein et son ouverture au monde socio-économique ?
La relative stabilité du nombre de personnels contractuels, malgré plusieurs plans de titularisation ou diverses mesures facilitant la reconnaissance de leur parcours, démontre le besoin de recourir à leur expérience notamment dans l’enseignement supérieur. L’apport des agents contractuels répond principalement à un besoin de diversification et d’ajustement de compétences dans une société en mutation, ouverte, digitalisée et concurrentielle. Cet apport correspond également à un besoin d’adaptation des ressources des établissements dans la gestion autonome de leur masse salariale.
Si le recours aux agents contractuels et vacataires n’atténue pas les nécessités de la professionnalisation, de la culture d’établissement et de l’apprentissage des métiers du secteur public, il constitue indéniablement une tendance répondant aux exigences d’adaptation et d’agilité du secteur public.
Des marges de manœuvre et des mesures de souplesse sont désormais indispensables pour s’adapter aux évolutions de l’environnement de l’enseignement supérieur. Aux dispositions actuelles pourraient être, par exemple, ajoutés de nouveaux régimes :
- autorisant des recrutements en CDI sur contrats de recherche permettant la pérennisation de compétences sur les financements des projets spécifiques de recherche ;
- instaurant des contrats LRU limités à la durée d’une mission particulière, en favorisant les CDD et CDI de chantier.
D’autres évolutions auraient pour objet de simplifier la gestion actuelle des contrats :
- en atténuant les limites statutaires existant au recrutement de professionnels dans le cadre des contrats de vacation d’enseignement ;
- en autorisant le recrutement de personnels administratifs non-titulaires sur des fonctions pérennes, à temps complet, quelle que soit la catégorie A, B ou C du contrat et sa durée ; cela aurait pour conséquences de stabiliser les effectifs et d’atténuer la précarité des contrats ;
- en instituant les procédures de rupture conventionnelle dans la fonction publique.
Ces différentes mesures permettraient d’adapter les ressources aux besoins des établissements. Elles ne constituent pas pour autant les éléments d’une politique délibérée de réduction du recrutement des fonctionnaires. Elle pose plus sûrement des questions d’évolution des métiers ou d’externalisation des fonctions dont le maintien dans la sphère publique n’entraîne pas de valeur ajoutée.
1. Source : bilan social MESRI.
Les missions de l’association des DRH des établissements publics d’enseignement supérieur
L’association des DRH des établissements publics d’enseignement supérieur regroupe près d’une centaine de DRH des universités, de leurs regroupements (COMUE) et d’écoles (d’ingénieur, normale supérieure). Elle constitue une communauté d’échange et de réflexion sur l’évolution des ressources humaines. À ce titre, elle organise des colloques et séminaires et contribue à l’offre de formation des acteurs de la fonction RH en lien avec l’ESEN et l’AMUE. Elle participe également à des groupes de travail, avec le ministère, pour apporter sa contribution aux textes et circulaires en préparation. L’association travaille actuellement, dans l’esprit de CAP 2022, à des « propositions pour une gestion simplifiée des RH, au service de la performance des personnels et des établissements », qu’elle transmettra d’ici la fin 2018 au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.