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L’enseignement supérieur et la recherche dans les territoires : de nouvelles relations entre régions et métropoles

Le 24 septembre 2018

Dans un contexte de réforme territoriale, avec l’émergence des métropoles et le regroupement des régions, certains secteurs comme l’enseignement supérieur et la recherche ont fait l’objet d’un investissement plus important par les collectivités locales. Cette contribution propose de porter un regard sur l’impact de l’intervention des métropoles, nouvellement compétentes1, sur les logiques de coopération entre collectivités dans la production de l’action publique et de mise en cohérence des différentes stratégies territoriales dans ce domaine.

Des stratégies régionales qui priment aux yeux de la loi

Les régions ont été progressivement associées par l’État aux politiques en matière d’enseignement supérieur et de recherche dans les territoires. Cela s’est traduit par un investissement croissant dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER) et au travers de politiques régionales de soutien aux activités des établissements universitaires. Certaines ont élaboré des Schémas régionaux de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (SRESRI) dont l’existence a été reconnue et inscrite dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou loi NOTRe, du 7 août 2015.

Plusieurs régions s’étaient dotées de ces schémas avant la loi NOTRe et avaient, pour ce faire, mis en place un travail de concertation avec d’autres collectivités concernées. Cependant, l’association des intercommunalités et la prise en compte des besoins spécifiques à leurs territoires dépendaient de la volonté de l’institution régionale : si certaines ont été sollicitées pour contribuer activement au contenu du SRESRI, à l’instar du schéma du Nord-Pas-de-Calais co-construit par la région, les collectivités territoriales et les universités et avec approbation du contenu par le conseil de communauté urbaine de Lille, d’autres ont connu une participation plus marginale et regrettent de ne pas avoir été suffisamment associées comme Rennes, Grenoble ou Bordeaux. Les métropoles ont été conviées à assister aux travaux mais n’étaient pas vues comme contributeurs actifs.

La mise en place des nouvelles régions a demandé un travail d’écriture ou réécriture des SRESRI, et la loi NOTRe a posé les principes d’une organisation de la coordination des acteurs : un chef de filat régional et une obligation de concertation avec les collectivités territoriales et les intercommunalités.

Ce leadership régional se heurte toutefois à la réalité d’une élaboration des SRESRI complexe pour plusieurs raisons : les schémas locaux se sont multipliés, rendant difficile la coordination des différentes stratégies ; les moyens de coordination ne sont pas toujours existants ou fonctionnels. À Bordeaux, des conseils territoriaux (lieux d’échanges par site) ont été imaginés dans le précédent SRESRI mais pas mis en place ; enfin, les régions ne disposent pas de pouvoir de contrainte sur les autres collectivités, ni de prise sur le calendrier d’élaboration des schémas locaux rendant difficile un travail de mise en cohérence.

Dans ces conditions, des conflits peuvent éclater entre acteurs sur leurs stratégies d’intervention, surtout si des oppositions politiques et territoriales s’y ajoutent.

Les métropoles, de simples partenaires financiers secondaires ?

En plus d’une prévalence des schémas régionaux sur les schémas locaux, les métropoles occupent généralement une place de financeurs complémentaires aux côtés des régions. L’illustration la plus probante est leur association aux CPER (générations pré-2015), outil qui a permis aux régions de prendre le leadership sur d’autres collectivités. Un poids qui s’est d’ailleurs renforcé à chaque nouvelle contractualisation.

L’association d’autres partenaires publics locaux aux CPER n’a pas remis ce leadership en question : en effet, leur participation n’est pas toujours visible dans les documents finaux, et une participation financière ne signifie pas automatiquement une participation aux négociations. Le plus souvent, les collectivités territoriales infrarégionales se positionnent sur des projets sans avoir la possibilité de se prononcer sur une vision d’ensemble de la politique en matière d’enseignement supérieur et de recherche.

Cette marginalisation dans la négociation touche un grand nombre de métropoles, avec le constat d’une sorte de chasse gardée régionale autour de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cependant, deux cas sont remarquables par l’impact du dialogue poussé entre régions et métropoles qui a facilité un travail partenarial : Strasbourg et Lille, actuellement signataires du CPER 2015-2020 dans leurs régions respectives au même titre que la région et d’autres collectivités.

Ces deux exemples montrent qu’il existe un enjeu autour d’échanges et de coordination entre régions et métropoles. Le chef de filat régional doit pouvoir s’exercer dans une relation équilibrée avec les autres collectivités pour éviter les tensions et pour une efficacité de l’action publique locale.

Une prise de position du bloc local sur le rôle des métropoles face aux régions

Plusieurs élus locaux ont exprimé leurs craintes face à l’institutionnalisation d’un déséquilibre en faveur des régions sur les questions d’enseignement supérieur et de recherche, alertant sur le risque de voir les SRESRI devenir prescriptifs et les métropoles des opérateurs.

L’idée défendue par les élus métropolitains est que l’association des métropoles à la définition de stratégies régionales en matière d’enseignement supérieur et de recherche est aujourd’hui inévitable compte tenu du fait que les métropoles sont désormais en mesure d’apporter des réponses spécifiques aux enjeux qui touchent les établissements de leurs territoires. Nier cette réalité reviendrait à nier les évolutions actuelles et les efforts des métropoles, qui en font des acteurs légitimes à intervenir au même niveau que les régions.

L’Association des villes universitaires de France (AVUF) a donc lancé à partir de 2015, avec les associations du bloc local, une stratégie cherchant à rendre visibles les demandes des collectivités et intercommunalités : un courrier à la secrétaire d’État, Geneviève Fioraso, signalant que des observations menées dans les territoires montrent que les obligations légales faites aux régions d’intégrer les schémas locaux au sein des SRESRI semblent ne pas être appliquées partout ; l’organisation d’Assises des collectivités pour l’enseignement supérieur et la recherche ; le vote d’une résolution proposant la création de conférences de territoire, instances de dialogue et de gouvernance locale entre acteurs concernés par les questions d’enseignement supérieur et de recherche sur un même territoire, etc. Un processus permettant la structuration d’un discours officiel commun des collectivités locales et intercommunalités porté par l’AVUF, à l’instar des positions prises par l’Association des régions de France (ARF), qui exprime une volonté de positionner ces acteurs dans le débat national et de porter leurs revendications auprès du gouvernement.

Prendre place dans ce système d’acteurs existant et dominé par les régions a conduit les métropoles à prendre conscience de l’importance d’une coopération entre ces acteurs. Dans leur montée en compétences et leurs démarches de définition de stratégies d’intervention en matière d’enseignement supérieur et de recherche, les métropoles ont créé des espaces d’échanges et de coordination entre acteurs qui ont parfois été pérennisés, de sorte que la question d’une gouvernance métropolitaine de l’enseignement supérieur et de la recherche peut être posée.

Des forums qui positionnent les métropoles et instaurent un dialogue nouveau

De manière générale, pour les métropoles étudiées, les élus ont exprimé le souhait de chercher l’apaisement dans les relations avec les régions lors de l’élaboration de stratégies métropolitaines d’intervention en matière d’enseignement supérieur et de recherche, avec pour mot d’ordre de mener ce travail dans la recherche d’un équilibre, de complémentarités et de partenariats.

À ce titre, trois démarches peuvent être citées :

- à Nantes, la démarche dite « Campus Nantes » a créé un cadre participatif associant partenaires institutionnels et académiques à la définition d’objectifs communs qui structureront un schéma de développement de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Elle prend la forme d’une conférence métropolitaine de l’enseignement supérieur et de la recherche pensée comme un lieu de fédération et de dialogue ;

- à Rennes, la métropole a également mis en place un travail de concertation de l’ensemble des acteurs pour préparer son Schéma de développement universitaire (SDU) ainsi qu’une conférence métropolitaine où s’opère l’articulation avec les stratégies des différents acteurs du territoire ;

- à Bordeaux, la métropole a mis en place un comité consultatif en 2015 qui a réuni près de 80 participants en lien avec le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche afin de définir collectivement des objectifs et priorités pour son intervention.

Les travaux menés par ce comité consultatif ont questionné la place et le rôle que devait jouer Bordeaux Métropole. En effet, de nombreux participants n’étaient jamais entrés en contact avec elle ou d’autres membres. Des ateliers de travail ont permis de créer des espaces de rencontre et d’échange, et les travaux ont fait ressortir le souhait de voir la métropole occuper un rôle dans la coordination et la mise en réseau de l’ensemble de ces acteurs sur le territoire de l’agglomération. La métropole n’avait pas envisagé de se positionner sur ce champ, mais les retours des séances ont montré une volonté qui émane directement des participants.

Ce besoin et le succès de ces démarches métropolitaines montrent que le renforcement de l’intervention des collectivités locales, régions et métropoles en particulier, la multiplication des acteurs prenant part aux activités d’enseignement supérieur et de recherche et l’autonomisation des universités ont rendu nécessaire la mise en place de forums destinés aux échanges entre acteurs et permettant d’officialiser, sur un plan politique, une mise en cohérence des stratégies d’intervention.

Des lieux d’animation et de nouveaux outils pour asseoir l’intervention et la dynamique engagées par les métropoles

Ce rôle aurait pu être confié à d’autres structures ou acteurs : les conférences de territoire souhaitées par l’AVUF en 2015, les conseils territoriaux prévus par certains SRESRI, ou les conférences territoriales de l’action publique prévues par la loi MAPTAM. Cependant, soit elles n’ont pas vu le jour, soit elles n’ont pas été considérées comme adaptées pour cette tâche. C’est donc face à un manque de lieux de concertation et d’échanges que certaines métropoles ont pris de telles initiatives dans leur démarche de définition d’une stratégie d’intervention.

Une fois le temps de rédaction de la stratégie achevé, il s’agit d’imaginer les conditions nécessaires à sa mise en œuvre. Il est alors possible de profiter, et de poursuivre, la dynamique engagée. Dans les trois cas cités, cela passe par une pérennisation des instances mises en place pour le travail de consultation, appuyée par de nouveaux instruments proposés par la métropole. Cela doit permettre d’accompagner la mise en œuvre de la stratégie d’intervention, d’organiser la coopération entre acteurs et la coordination des actions de chacun. Nantes et Rennes ont ainsi pérennisé leurs conférences métropolitaines, et Campus Nantes est aujourd’hui une politique d’animation de l’enseignement supérieur et de la recherche sur le territoire de l’agglomération, structurée autour de différentes instances.

Elles sont l’occasion de proposer des outils conçus pour apporter des éléments sur les projets en cours et nourrir les échanges. Nantes et Rennes ont ainsi chacune lancé un observatoire métropolitain de l’enseignement supérieur et de la recherche. À Rennes, il a pour objectif premier d’assurer le suivi de la réalisation des orientations définies dans le SDU. Leur gestion est partenariale et ils permettent d’accompagner la mise en œuvre tout en continuant à faire travailler ensemble les partenaires.

La mise en place de ces forums a permis aux métropoles de créer des espaces d’échange et de mise en cohérence mais peut-on pour autant affirmer qu’ils ont permis de poser les bases d’un système de gouvernance locale de l’enseignement supérieur et de la recherche dont elles seraient l’acteur central ?

Une affirmation de la place des métropoles face aux régions

Si la place de nouveaux venus sur les questions d’enseignement supérieur et de recherche pousse les métropoles à trouver des moyens pour soigner les relations avec des acteurs impliqués depuis plus longtemps, elles ne renoncent pas pour autant à défendre leurs intérêts au sein de ce système d’acteurs. Les documents stratégiques métropolitains, lorsqu’ils sont le fruit d’une large consultation, permettent d’affirmer des positions. Cela s’est vérifié lorsque ces métropoles se sont trouvées dans des situations risquant de les maintenir dans une position de partenaires secondaires face aux régions.

Ce fut le cas lors des négociations dans le cadre de la préparation des CPER 2015-2020. Nantes et Rennes, qui se sont dotées relativement tôt de schémas stratégiques, ont été en mesure de négocier leur participation. Elles se sont appuyées sur les orientations définies dans leurs stratégies, qui ont servi de base aux négociations des volets métropolitains. Dans le cas nantais, Campus Nantes a permis d’asseoir les bases d’une relation avec la région et la définition d’une stratégie a donné à la métropole la possibilité d’attribuer ses crédits sur des priorités préétablies, et donc choisies. L’engagement financier de la métropole dans ce CPER est équilibré avec celui de la région pour une participation sur des opérations en cohérence avec sa stratégie de développement.

À l’inverse, d’autres agglomérations, n’ayant pas défini de priorités d’intervention ou mis en place de dialogue avec les régions suffisamment tôt, ont davantage subi ces négociations en accompagnant l’État et les régions sur des projets qui leur ont été proposés. La métropole bordelaise, qui ne s’était pas encore lancée dans sa démarche de réflexion stratégique au moment des négociations, a adopté une posture d’accompagnatrice et s’est engagée sur des opérations ciblées pour elle par la région.

De la même manière, ces schémas métropolitains devraient avoir un impact dans les discussions pour l’élaboration des nouveaux SRESRI. Si la métropole bordelaise était restée silencieuse lors des réunions organisées par la région Aquitaine en amont de la rédaction de son premier schéma, sa montée en compétences et son positionnement en tant que partenaire des établissements et des activités d’enseignement supérieur et de recherche font désormais figurer sur la carte régionale un territoire métropolitain animé de projets. Qu’il soit réalisé amont ou pendant la construction du schéma régional, le schéma local apporte des éléments et positionne le territoire infrarégional.

Les premiers signes d’un mouvement vers une gouvernance métropolitaine de l’enseignement supérieur et de la recherche

Si le contenu des stratégies métropolitaines en matière d’enseignement supérieur et de recherche ne propose pas toujours un changement fondamental dans l’intervention des métropoles, l’existence en elle-même de ces documents et les démarches qui ont contribué à leur élaboration a eu un impact sur les modes de coopération et de coordination entre acteurs locaux. Ces nouveaux arrivants, dans un système d’acteurs aux interventions jusque-là peu concertées, jouent un rôle de point de rencontre entre le niveau national, régional, communal et les établissements.

Cette affirmation de l’intervention des métropoles a provoqué des changements dans l’action publique en matière d’enseignement supérieur et de recherche : un changement d’acteurs, avec un renforcement des acteurs locaux et une co-production de l’action publique au niveau infranational, et un changement organisationnel, avec la mise en place de nouveaux cadres d’interaction facilitant la coordination entre acteurs situés à différents niveaux de l’action publique.

Les métropoles ont aujourd’hui la possibilité de s’approprier un processus d’« institutionnalisation » de l’action collective adopté traditionnellement par l’État. Il s’agit de proposer de façon peu coercitive des scènes d’action plus ou moins durables dans le temps destinées à structurer des modes d’échange et à articuler des positions. L’ensemble des métropoles, dans leur montée en compétences, n’envisagent pas leur intervention de manière indépendante et ces mécanismes d’institutionnalisation portent des principes de coopération et de communication qui leur sont nécessaires.

Les questions d’enseignement supérieur et de recherche doivent être gérées de manière intégrée et concertée, nécessitant pour cela de maintenir un niveau d’échange élevé entre acteurs et territoires. Ces scènes d’actions facilitent ce dialogue et ouvrent les négociations au plus grand nombre pour assurer des retombées positives à l’ensemble des acteurs du territoire. Ce comportement confère aux métropoles un rôle central dans une gouvernance locale de l’enseignement supérieur et de la recherche. Un rôle qui doit être assumé sans tarder, avec un portage politique fort, au risque de voir s’essouffler des dynamiques difficiles à lancer.

Qu’en est-il des autres acteurs en présence sur les territoires ?

Les universités : Avec le renforcement de leur autonomie, les universités étudient d’autres pistes de partenariats, car face à une réduction ou une incertitude des enveloppes budgétaires négociées auprès de la région, deux attitudes sont possibles : réduire le nombre/le coût des projets ou bien trouver une solution de compensation financière. Cela consiste à faire financer ses opérations dans un autre cadre contractuel (comme le CPER), ou à se tourner vers un nouvel acteur, comme une métropole, autant de facteurs propices à un changement de stratégie d’alliance.

Les communes : Dans certains cas, comme à Grenoble, le soutien à l’enseignement supérieur et à la recherche est entièrement assuré par la métropole. Dans le cas bordelais, ce transfert n’a pas eu lieu et la montée en compétences de la métropole sur ces questions a été freinée par la réticence de certains maires, opposés à l’idée d’une intervention plus importante en dehors des compétences avant la promulgation de la loi MAPTAM. Les communes ont, dans un premier temps, fait preuve d’une certaine rigidité liée à une conception traditionnelle de l’établissement intercommunal et de leur propre rôle, mais le poids stratégique pris par la métropole et ses capacités d’investissement ont marqué un changement dans le rapport entre ces acteurs.

L’État : L’intervention de l’État dans les régions est marquée par une marginalisation progressive des délégations régionales à la recherche et à la technologie en raison du recours fréquent à des appels à projets qui organisent de manière directe les relations entre le centre étatique, les élus locaux et le monde académique. Et la gestion de certains fonds européens a été transmise aux régions. Or, ce désinvestissement des services déconcentrés fait disparaître un médiateur historique entre ces trois types d’acteurs.

1. La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles du 27 janvier 2014 donne aux métropoles et communautés urbaines une nouvelle compétence leur offrant la possibilité de mettre en place des « programmes de soutien et d’aides aux établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche et aux programmes de recherche ».

2. Elle a reçu en 2018 le prix du CNFPT pour sa thèse sur « L’université dans la métropole : la communauté urbaine et l’université de Bordeaux », réalisée au sein du centre Émile-Durkheim (université de Bordeaux, Sciences Po Bordeaux) et des services de Bordeaux Métropole dans le cadre d’une Convention industrielle de formation par la recherche (Cifre).

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