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Changement climatique à l’échelle d’une métropole

Le 6 septembre 2021

La création d’un Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) à l’échelle locale ou d’une Alliance locale pour le climat peut contribuer à mieux se préparer et se projeter dans l’anthropocène. L’Eurométropole de Strasbourg (EMS) explore cette piste d’action. Retour d’expérience.

Le climat

Mots clefs : changements climatiques, institutions, sensibilisations, sciences, conditions d’habitabilité, élus, politique, citoyens

Comment révéler l’Anthropocène ? Le climat en est généralement l’un des principaux révélateurs, du moins l’un des plus explorés. Pour anticiper ces changements climatiques, le premier réflexe auquel nous sommes habitué.es est d'opter pour une approche scientifique : mesurer, quantifier, analyser, estimer, projeter, scénariser, pour comprendre ce qui se passe et ce qui pourrait nous attendre de manière la plus précise possible. Ce rôle est incarné en premier lieu au niveau international par le Programme Mondial de Recherche sur Climat (PMRC) et le GIEC, qui publie régulièrement des rapports et synthèses sur l’état des connaissances scientifiques, sur les causes et potentielles conséquences des bouleversements climatiques, et les stratégies d’adaptation et d’atténuation possibles. Ce travail permet la diplomatie autour du climat.

« Ce qui ne se mesure pas n’existe pas », Niels Bohr

Le fait de mesurer fait exister une réalité. Le changement climatique peut sembler imperceptible - même s’il est de plus en plus observable à l’échelle individuelle. La donnée rend visible cette réalité parfois intangible.

Les territoires peuvent de la même manière décider de produire, collecter et diffuser des données sur le climat à leur échelle, afin de se préparer aux réalités futures en prenant en compte les spécificités de leur milieu. En témoigne l’apparition de “GLEC” (Groupe locaux) ou “GREC” pour Groupe d’Experts Régionaux  pour le Climat. De la Colombie-Britannique à la  Nouvelle-Aquitaine, ces groupes soulignent le besoin d’anticipation face à l’Anthropocène - ou plutôt, face à l’un des aspects de l’Anthropocène - et ce à l’échelle locale, afin de se projeter dans une réalité plus proche, et d’accéder à des anticipations climatiques plus précises.

C’est dans ce contexte et face à ce besoin d’anticipation que l’Eurométropole de Strasbourg (EMS) souhaite mettre en place à son tour un GIEC local, ou GLEC, et a inclus deux étudiantes du MSC et leurs tuteur.ices dans le projet. Son nom n’est pas encore défini, il s’agirait d’un  “Conseil des sages” qui aurait pour mission de coordonner les différentes organisations scientifiques et universitaires du territoire, afin d’appréhender au mieux les changements climatiques dans notre politique, de sensibiliser, et de mieux comprendre les vulnérabilités et le potentiel d’adaptation au changements de l’EMS, dans un contexte climatique déstabilisé.

L’échelle locale permet aux territoires de mieux cerner leurs problématiques à venir, et ce pour plusieurs horizons temporels. Cela permet de sortir de la logique de moyennes mondiales et d’anticiper au mieux les stratégies d’adaptation et d’atténuation. Dans le cas de l’EMS, cette initiative s’inscrit dans la stratégie pour « Un territoire qui allie bien-être, résilience et adaptation aux changements climatiques » du Plan Climat.  La sensibilisation devient aussi plus efficace car elle confirme les impressions, ressentis et perceptions des populations à propos du climat qui change, en plus de permettre de mettre en place une stratégie d'adaptation adaptée.

 

Ces travaux permettent donc d’une part d'avoir un diagnostic des émissions du territoire (y compris importées) et d'affiner les stratégies d'atténuation, et de de préparer les stratégies d’adaptation.  Quels événements météorologiques extrêmes vont advenir plus fréquemment ? Va-t-on demain, sur le territoire de l’EMS, devoir anticiper en priorité des vagues de chaleur estivales, des sécheresses hydrologiques ou météorologiques, des baisses de rendements agricoles ? Et quel impact sur le vivant, sur les dynamiques sociales ? Comment nous positionnons-nous sur la trajectoire climatique, quels ajustements opérer pour atténuer ces bouleversements ?

Les enjeux sont de taille et le temps presse. Pourtant, les rapports s’empilent sur le bureau et les tendances restent globalement inchangées. La consommation globale de ressources fossiles poursuit sa croissance, et après le court répit de l'année 2020 en raison du Covid, les émissions vont probablement reprendre leur croissance en 2021. Le découplage croissance/ usage de ressources et émissions de GES est encore hypothétique[1]. En dépit de ces constats, les tournants à prendre pour sortir de l’inertie font encore pâlir lorsqu’ils sont évoqués, à commencer par la sobriété énergétique et une consommation moins effrénée.

« Les méthodes quantitatives de l’écologie et de l’économie ne savent pas apprécier ce qui nous attache à la Terre. C’est pourquoi les destructions des milieux naturels s’accélèrent en même temps que l’information et les alertes scientifiques sur les risques d’effondrement des écosystèmes planétaires se banalisent », selon Patrick Degeorges.

Les chiffres paraissent souvent être des réalités éloignées, peu saisissables, peu envisageables. Leur quantité nous laisse confus.es dans un océan de numéros et de pourcentages, gardant en tête de vagues souvenirs de graphiques et autres courbes. Etait-ce 1 ou 2 degrés ? en 2050 ou 2100 ? 60% de perte de biodiversité, ou peut-être plus ? Une habituation aux chiffres s’installe, assortie d’un détachement face aux mauvaises nouvelles, voire d’une résignation. Est-ce qu’ils nous touchent encore ? Nous ont-ils jamais touché.es ? D’après V. Despret, la réponse est négative :  “on nous parle en termes de chiffres. Si ça nous touchait, probablement que des choses changeraient. Les chiffres, les camemberts, les proportions ne nous touchent pas. "

Comment surmonter cette banalisation par la quantification ? L’étape chiffrée est inévitable, mais le passage à l’action est plus laborieux. Les rapports, les données, les mesures, sont une étape clé : celle qui révèle. Comment passer de la révélation à l’action ? L’art, la prospective, le design, les explorations des imaginaires et des sensibilités, sont autant de pistes qui peuvent nous permettre de rendre ces réalités tangibles, pour mobiliser les affects.

Le GIEC local est une manière pour les territoires de se préparer au mieux, car la grande instabilité climatique ne sera pas vécue de manière similaire autour de la Terre, et les responsables politiques ont besoin de ces éléments. Dans le cas de cette commande, il s’agit d’étudier sur un périmètre réduit la forme que pourrait prendre cette instance, qui permettra de saisir la trajectoire qui se dessine pour les 33 communes de l’Eurométropole. Des réflexions s’imposent : il s’agit de s’assurer que le GLEC est un moyen et non une fin, de se demander comment “faire atterrir" ces chiffres si lointains, et de s’interroger sur les limites de la médiation scientifique dans le changement des comportements. Par ailleurs, comment connecter cette instance aux autres défis, comme les dynamiques de changements sociétaux ou l’effondrement de la biodiversité ?

1. Hickel, Jason & Kallis, Giorgos. (2019). Is Green Growth Possible?. New Political Economy. 25. 1-18. 10.1080/13563467.2019.1598964.

2. Despret V., philosophe des sciences, sur l’extinction animale, « On nous parle en terme de chiffres, mais les chiffres ne nous touchent pas », interview de la matinale sur France Inter 31 mars 2021 : https://twitter.com/franceinter/status/1377149412204371968

Ressources bibliographiques

Aykut S. C., « Les "limites" du changement climatique », Cités 2015, n63 : https://www. cairn.info/revue-cites-2015-3-page-195.htm

Devictor V., Anthropocène, dis-moi, combien tu t’appelles ?, Terrestres – Revue des Livres, des idées et des écologies 26 mai 2019 : https://www.terrestres.org/2019/05/26/anthropocene-dis-moi-combien-tu-tappelles/ ; « La nature à l’heure du Big Data », conférence Nature Surveillée : https://www.youtube.com/watch?v=Lz7MI3t6P_A

Cagan A., « Changement climatique en France : "La plupart des gens ne reverront jamais les étés de leur enfance" », Numerama 14 avr. 2021 : https://www.numerama.com/sciences/704252-changement-climatique-en-france-la-plupart-des-gens-ne-reverront-jamais-les-etes-de-leur-enfance.html?fbclid=IwAR3gYqzJW63by9fD9RHOPNGftRil8E-N_FTQYIIQQCaJrsivts4OxR-ns9I

Fabre M. avec AFP, « En première ligne face au changement climatique, près d’une ville sur deux n’a pas de plan pour protéger ses populations », Novethic 12 mai 2021 : https://www.novethic.fr/actualite/economie/isr-rse/en-premiere-ligne-face-au-changement-climatique-pres-d-une-ville-sur-deux-n-a-pas-de-plan-pour-proteger-ses-populations-149806.html?fbclid=Iw

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