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Jean-François Caron, l’écolo qui veut déplacer des terrils

Depuis 2014, Jean-François Caron travaille sur la question du changement d’échelle à travers son projet intitulé la Fabrique des transitions. Très curieux, l’homme s’intéresse à de nombreux domaines transversaux. Il réalise un véritable travail de théorisation sur la transition et sur les questions démocratiques : « Les questions de nouvelle gouvernance me passionnent. On ne changera pas la société sans des nouveaux modèles démocratiques. »
Le 18 février 2021

En trente ans de mandats locaux, dont vingt comme maire de Loos-en-Gohelle, Jean-François Caron a radicalement transformé sa ville, devenue symbole d’une transition écologique réussie. À 63 ans, l’élu va passer la main et se focaliser sur la question fondamentale du changement d’échelle.

Depuis que Jean-François Caron en est le maire (2001), Loos-en-Gohelle a bien changé. Cette commune de 7 000 habitants est devenue pionnière dans le développement durable. En vingt ans, l’élu écologiste a fait de la transition le nouveau récit de sa ville. Et cela, avec ses administrés. Des panneaux solaires sur le toit de l’église, le développement de l’éco-construction, de l’agriculture biologique. Ce territoire d’expérimentations attire des spécialistes du développement durable, venus des quatre coins du monde. Mais l’élu écologiste récuse le terme de « ville laboratoire ». « C’est le monde réel ici ! Ce qui se passe n’est pas du in vitro, mais bien du in vivo. » Ce natif de Loos-en-Gohelle sait de quoi il parle. L’ancienne cité minière du Pas-de-Calais est devenue un modèle de résilience. Un mot essentiel, dans la bouche du maire.

Car la résilience, c’est la réaction à un traumatisme. Les deux terrils qui surplombent la ville témoignent de celui qui l’a affectée. Des hommes qui décèdent à 50 ans de la silicose. L’une des eaux les plus polluées de France en nitrate. Un sol affaissé de 15 mètres. Et bien sûr, la mémoire. Trente-cinq ans après l’arrêt de la fosse 11-19, les séquelles sont encore visibles. Cette réalité est « un moteur à agir, exprime Jean-François Caron. J’ai voulu rendre à mon territoire sa fierté. Faire en sorte que les loossois reprennent prise sur leur destin », lance le nordiste, dont l’accent ch’ti résonne pendant les échanges. Cette reconquête culturelle passe par l’inscription du bassin minier au patrimoine mondial de l’UNESCO. Depuis 2012, les terrils tutoient les pyramides d’Égypte. « L’idée que l’histoire des mineurs vaut celle des rois, c’est énorme ! », s’exclame Jean-François Caron, qui a été décoré chevalier de la Légion d’honneur la même année, pour cela.

Hors des sentiers battus

Jean-François Caron est un amoureux de la nature, qu’il côtoie à travers le sport et les voyages. Mais pas n’importe lesquels. L’hôtel all inclusive dans un pays chaud, ce n’est pas son truc. L’édile est plutôt trek ou camping sauvage. Il a pagayé dans le delta du Danube, emmené ses enfants au-delà du cercle polaire en Laponie, ou encore couru cinq fois l’Iron man d’Embrun. Jean-François Caron expérimente la nature : « J’ai besoin de ce contact physique et sensoriel, affirme le nordiste. S’il y a une chose qui me passionne, c’est la course d’orientation, de nuit, dans une forêt quand il pleut ! » Un brin contemplatif, Jean-François Caron est passionné d’ornithologie. Ce qui l’a amené à découvrir des pépites sur son terril : « La découverte d’espèces rares a changé mon regard sur mon propre territoire. » Le sport lui apporte également de l’endurance. Jean-François Caron n’est pas un sprinter. Il ne fonctionne pas avec des coups. « La transition, ça fait vingt-cinq ans que je la prépare, raconte l’élu. »

Kinésithérapeute dans un centre de rééducation d’anciens mineurs, l’élu le revendique : il a le militantisme « dans les tripes ». Mais aussi dans le sang. L’écolo est issu d’une famille de mineurs socialistes très engagés. « Mon grand-père s’appelait Voltaire. Deux de ses frères, prénommés Juvénal et Danton ont été garde du corps de Léon Blum, lance-t-il, un fier sourire dans la voix. »

« Je déteste marcher sur un chemin déjà tracé »

Cet héritage a également forgé son caractère. Jean-François Caron n’est pas un suiveur : « Je déteste marcher sur un chemin déjà tracé. » L’édile assume bien volontiers son côté impertinent. Selon lui, « une innovation, c’est une désobéissance qui réussit ». Son père également, pionnier de l’autogestion dans la région, l’a précédé en tant que maire PS de Loos-en-Gohelle. Par ailleurs, la mairie n’était pas son premier mandat. Élu au conseil régional du Nord-Pas-de-Calais en 1992, il en a été vice-président de 1998 à 2004. Il était alors en charge des questions de développement durable, d’aménagement du territoire et d’environnement.

Durant ces années, il mène la Conférence permanente du bassin minier, qui l’amènera à rédiger un livre blanc sur l’après charbon1. Parallèlement à son mandat, Jean-François Caron préside également le Centre de développement des éco-entreprises (Cd2e), une structure d’aide au développement des éco-activités et des éco-entreprises : « Depuis le début, je suis absolument convaincu d’une chose : c’est l’articulation entre les questions sociales, économiques et environnementales, explique l’élu. J’ai vu de mes yeux les dégâts qu’un modèle prédateur peut avoir sur l’homme et sur l’environnement. »

Le défi de transition est encore plus fort à Loos-en-Gohelle. Le taux de chômage avoisinait les 17 % en 2015, tandis que plus de la moitié des foyers étaient non imposables. « Quand certaines familles ne paient que 150 euros de loyer par an, ça a un pouvoir de démonstration considérable, se réjouit-il. » Mais l’ambition ne s’arrête pas au territoire loossois. Depuis 2014, Jean-François Caron travaille sur la question du changement d’échelle à travers son projet intitulé la Fabrique des transitions2. Très curieux, l’homme s’intéresse à de nombreux domaines transversaux. Il réalise un véritable travail de théorisation sur la transition et sur les questions démocratiques : « Les questions de nouvelle gouvernance me passionnent. On ne changera pas la société sans des nouveaux modèles démocratiques. »

Un passage de témoin à mi-mandat

Pour le maire de Loos-en-Gohelle, la transition passe par la transmission. « J’ai été élu en annonçant que je passerai la main en milieu de mandat, explique-t-il. » Le maire écolo a présenté une liste à deux têtes. Il passera le témoin au bout de trois ans et s’assurera de la continuité de l’histoire qu’il a commencée à écrire. Mais son engagement ne s’arrêtera pas pour autant. Bien au contraire. « Je suis maintenant identifié dans le paysage des acteurs de la transition. Et la question du changement d’échelle est fondamentale. » Jean-François Caron espère s’investir davantage dans la Fabrique des transitions pour emmener la société en transition à une plus grande échelle.

« Bien sûr que la construction politique s’appuie sur des idéologies, admet-il. Mais ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment on entraîne la société vers le changement. » Et c’est ce que s’est employé à faire Jean-François Caron à Loos-en-Gohelle. « C’est parce qu’on construit ensemble que l’on sort des logiques d’intérêt particulier pour arriver à l’intérêt général. En fait, c’est la question de la démocratie ! » Cette ville « cellule souche », comme il l’appelle, crée selon lui les conditions de l’incarnation politique de ce changement. « Je suis dans une logique open source. Et mon ambition est donc d’incarner cette vision pour la faire émerger à plus grande échelle. »

  1. Mission bassin minier Nord-Pas-de-Calais, Acte II. 100 propositions pour accompagner la mutation du Bassin minier, livre blanc, 2020.
  2. Nessi J., « Julian Perdrigeat : “La transition concerne tous les acteurs, les territoires en première ligne et, bien sûr, l’État” », Horizons publics automne 2020, hors-série, p. 8 et s.
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