Julien Blanchet : «La Convention, c'est un moment d’éducation populaire»

Julien Blanchet
Julien Blanchet
Le 14 novembre 2019

Julien Blanchet est rapporteur général du comité de gouvernance de la convention citoyenne pour le climat et vice-président du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Nous l'avons interviewé sur le rôle et les enjeux de cette convention inédite en terme de participation citoyenne.

Quel est votre rôle au sein de la Convention ? Serez-vous en charge d'un rapport ?

Mon rôle est de mettre les choses en cohérence, entre les prestataires, les citoyens et le Cese. Je participe aussi à la représentation institutionnelle avec les coprésidents de la convention. Il y a beaucoup d'acteurs différents. Mon but est que les choses s’imbriquent bien et aussi de porter en interne cette convention vis-à-vis des 81 organisations du CESE. Les plus grands syndicats, ONG et associations sont représentés ici. Mon rôle est aussi de pouvoir leur expliquer, de faire en sorte que cette société civile organisée prenne le pouls de ce qu’il se passe dans le cadre de cet exercice de démocratie citoyenne. Sinon, je ne suis pas rapporteur général de la Convention mais du Comité de gouvernance. Il y aura un seul rapport qui sera celui des citoyens. Ce rapport sera composé d'éléments de description et de propositions de mesures. Il n'y en aura pas d'autre.

Quel est votre rapport d'étonnement à partir de ces deux premiers week-ends ?

Rapidement de dire que cette convention citoyenne existe notamment politiquement. Annoncée par le Président de la République, le Premier ministre est venu le premier week-end, des parlementaires sont passés, des questions au gouvernement ont porté sur la Convention citoyenne à l’Assemblée Nationale. De ce qu’on en sait, le sujet a été abordé au récent Conseil des Ministres. Donc l’objet politique existe, intéresse, interroge parfois. Et ce n'était pas gagné au départ. Ensuite il existe aussi vis-à-vis de l’opinion publique. Il y a eu un intérêt immédiat pour l'exercice. 

Nous avons maintenant un enjeu ; que cette convention sorte des murs du Cese et puisse concerner tous les citoyens. C'est pour cela que nous avons lancé le 23 octobre dernier la plate-forme de contributions individuelles ou d’organisations.

Vous êtes-vous appuyés sur les expériences islandaises et irlandaises ?

Effectivement, le cas irlandais est connu. Il a eu lieu trois fois ; une fois sur la réforme de leur Constitution, une fois sur le mariage homosexuel, une fois sur l’IVG. En Irlande, les questions étaient un peu plus précises. Il était plus facile de se faire une opinion. Cette fois-ci on est sur un sujet plus technique avec le Climat. En Irlande l’assemblée de 2012 était composée de 66 citoyens tirés au sort et de 33 élus. Celle de 2016 de 99 citoyens tirés au sort. Cette fois-ci nous sommes sur une diversité plus importante et représentative de la population française. Un autre élément de différence profond, c’est qu’en Irlande le processus s’est déroulé dans les locaux d'un hôtel. Cette fois-ci, cela a lieu dans une assemblée constitutionnellement indépendante. Il y a donc une volonté forte d’institutionnaliser la parole citoyenne, ce qui est un élément de différenciation important.

La Convention est-elle comparable avec les conférences citoyennes organisées régulièrement au niveau local ou national ?

Non. Cela va beaucoup plus loin parce qu’il faut que les citoyens produisent de la mesure de niveau législatif ou réglementaire.

Par rapport aux conférences citoyennes classiques, c’est aussi l’engagement du Président de la République qui change tout. À la fin, ce sera transmis « sans filtre » soit au parlement, soit par référendum. C’est un changement majeur, et notre méthodologie est largement impactée par cela.

Les citoyens devront identifier avec l’aide de juristes spécialisés ce qui relève de la loi, du règlement, et ce qui peut relever d’un référendum.

Quelles sont vos craintes quant au devenir de ce processus ?

L’échec de serait déjà que cette Convention citoyenne reste en vase clos et surtout que la parole du Président de la République ne soit pas tenue. Mais je n’y crois pas. Le Président de la République a fait un geste de confiance qui est inédit qui sort du cadre de lacinquième République. C’est un changement majeur dans la cinquième République sans changement de la Constitution… Pour le moment… C’est assez original. Ce geste de confiance je ne vois pas comment il pourrait être retiré. Ce sera assimilé comme une défiance vis-à-vis des citoyens et je ne crois pas que ce soit politiquement possible.

Un tel processus ne s'approche-t-il pas d'un mandat impératif contraire à la constitution ?

Les parlementaires seront tout à fait libres de faire leur travail de parlementaires. Les arguments devront être présentés aux citoyens mais finalement est-ce que ce n’est pas dans la logique quand il y a de bonnes idées ou des idées qui ne sont bonnes et ne sont pas retenues, d'expliquer les choses. Il est important alors que le politique développe sa pensée politique et dise pourquoi cela n’a pas été retenu. Pas simplement parce que ce n’est pas faisable pour des raisons techniques, mais parce que politiquement cela ne faisait pas sens par rapport au mandat qui est donné aux parlementaires par exemple. Les parlementaires feront le travail de parlementaires et ce sera un travail très politique. Le Président de la République l’a dit lui-même ce ne sera pas un « ballet dansant » et je crois que cela revalorise le Parlement dans son rôle politique.

La Convention est-elle la première grande étape vers la démocratie délibérative à la française ?

Dans la réforme constitutionnelle en préparation et dans le discours du 25 avril du Président de la République, il indique que cette Convention sur le climat est une première itération et que le CESE a vocation à être transformé en Conseil de la participation citoyenne. Pour que nous ayons une Assemblée constitutionnelle où s’entremêlent la parole des corps intermédiaires, la parole collective nourrie de la parole individuelle des citoyens tirés au sort. Car à 150 ils ont la légitimité de ce qu’ils disent de la France, de sa diversité, de sa description. On a pu entendre les syndicats se plaindre des référendums en entreprise en estimant qu’on leur enlevait une partie de leur pouvoir. On entend des parlementaires qui ne sont pas très fans des référendums en général parce qu'ils estiment c’est leur enlever une partie de leur pouvoir et prérogative, comme les accords d’entreprises par exemple. On est dans une culture où l'on estime que lorsqu’on met un peu plus de démocratie, peu importe à quel niveau, c’est forcément qu’on l’a prise à un autre. Je ne partage pas du tout ce concept. Le pouvoir n’est pas un jeu à somme nulle. Je pense que donner la parole au citoyen en premier dans un processus démocratique où chacun est respecté dans sa légitimité, c'est très bien : la légitimité du tirage au sort, des corps intermédiaires et de leur parole collective, la légitimité de l’élection. Je crois que tout cela peut s’articuler et fait sens ensemble. Pour cette raison je pense qu'il faut arrêter avec les batailles de chapelle, franchement stériles et où globalement c'est la démocratie dans son ensemble qui y perd.

Une Convention citoyenne n'est pas avant tout un moment d'éducation populaire, qui manque en général aux citoyens pour se prononcer ?

La Convention, c'est un moment d’éducation populaire mais surtout de démocratie. Mais la démocratie est-ce que ce n'est pas censé être de l’éducation populaire ? Je suis bien d’accord avec vous.

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