La Caravane des ruralités défriche les pépites des territoires

Caravane des ruralités
À bord d'un véhicule 100 % décarboné, une équipe composée de chercheurs, d'experts, de vidéastes et de designers sillonne le territoire pour s'arrêter, au rythme d'un arrêt tous les mois, dans une commune rurale.
©DR
Le 7 juin 2024

Lancée en 2023, la Caravane des ruralités est un dispositif itinérant de valorisation, de recherche et de prospective qui vise à identifier, et apprendre des initiatives rurales qui font l'avenir des territoires.

 

La Caravane a pour mission d'identifier et valoriser les bonnes pratiques dans les ruralités, faire dialoguer les territoires pour guider l'action publique et nourrir une réflexion nationale de prospective "par le bas". Avec l'aide de scientifiques, l’objectif de la Caravane des ruralités est de mettre le doigt là où les choses marchent, et là où il y a des freins et il faudrait faire évoluer un certain nombre de politiques publiques, qu’elles soient nationales ou locales.

 

Entretien avec Cécile Gallien, directrice de la Caravane des ruralités depuis mars 2024, mais aussi maire de Vorey-sur-Arzon (Haute-Loire) et coprésidente de la commission des territoires ruraux à l’AMF.

 

Cécile Gallien, directrice de la Caravane des ruralités depuis mars 2024

Cécile Gallien est directrice de la Caravane des ruralités depuis mars 2024.

Pouvez-vous revenir sur l’historique de la création de la Caravane des ruralités et son concept ?

C’est une initiative de Dominique Faure, Ministre déléguée chargée des collectivités territoriales, et auprès du Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargée de la Ruralité. Le programme a été lancé en 2023. Madame la Ministre souhaite croiser les travaux des scientifiques, les réalisations des acteurs de terrain et des administrations. Le projet de la Caravane des ruralités a ainsi pour but de faire remonter des territoires ruraux des initiatives inspirantes et de les faire connaître à d’autres territoires et au plus haut niveau. Le dispositif consiste à s’immerger pendant trois jours au cœur d’un territoire rural, avec des scientifiques, que nous faisons venir, et en réunissant l’ensemble des acteurs publics et privés qui agissent sur le territoire. Nous travaillons avec des vidéastes, des photographes, des créatifs. Le docteur en géographie de l’équipe de la Caravane écrit des journaux de bord. Nous sommes accompagnés des représentants de l’administration décentralisée, et de la Direction Générale de l’Aménagement du Logement et de la Nature (DGALN). La Caravane dépend du GIP EPAU, qui a une double tutelle avec le ministère de la Culture et le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Comment sont choisis les terrains et comment préparez-vous l’arrivée de la Caravane ?

Les partenaires qui financent La Caravane des ruralités et le ministère s’intéressent à des sujets particuliers, comme la transition écologique, l’industrialisation ou la ré-industrialisation en milieu rural, la question du logement. Nous sommes financés par la Banque des Territoires, la Direction générale des Collectivités locales (DGCL), la DGALN. Nous avons un partenariat avec le Pôle de recherche Léonard de Vinci. Nous travaillons également avec la BNF, qui nous prête des expositions récentes sur les ruralités productives, inspirantes et innovantes, que l’on met à disposition des territoires.

Nous choisissons les terrains en fonction des enjeux, des faisceaux convergents de ces différents partenaires mais aussi de ce qui nous remonte des associations d’élus comme l’AMF, l’AMRF et des sous-préfectures.

Suite à l’Agenda rural Français et à France ruralité, il a été décidé de spécialiser un sous-préfet préposé aux ruralités sur chaque département.

Quels ont été les premiers sujets abordés par la Caravane ?

Sur les premiers arrêts, nous avons beaucoup travaillé sur la question de la ré-industrialisation en milieu rural, avec Magali Talandier, professeure des Universités à Grenoble Alpes, en aménagement et Manon Loisel, politiste et enseignante à Science po. Elles nous ont accompagné à quatre reprises. Nous sommes allés voir dans ma commune à Vorey-sur-Aron (un bourg-centre), comment on maintient une revitalisation au cœur des campagnes, via une Petite ville de demain. Nous y avons visité une PME, dans le domaine du caoutchouc et du silicone et l’entreprise Lumiliite qui développe des « fermes verticales » servant à faire germer des graines rapidement grâce au système de « lighting ». Cela se passe un « univers d’armoires électriques », sans aucun pesticide et avec une utilisation d’eau très limitée.

À Laveryron, au sud de Lyon, nous avons visité des entreprises dans le domaine du papier, de la céramique, où la question de l’eau est aussi ressortie puisque dans la Drôme, c’est le Rhône qui apporte la ressource en eau, avec ici comme ailleurs, des restrictions préfectorales. Ils se sont organisés autour d’un important SCoT et ont décidé de choisir leur propre stratégie de ré-industrialisation. Il y a cette question de la métropole lyonnaise qui a été tentée par le passé d’envoyer plus au sud les industries qu’elles n’auraient pas voulu avoir sur son secteur métropolitain, mais aussi parce que la Vallée du Rhône est très attractive en terme de flux.

Dans notre passage dans les Vosges, nous avons vu que le textile a vécu des crises successives. Mais il a réussi à garder tous les métiers très nombreux de la filière textile, avec parfois des aides du Plan de relance et l’organisation des professionnels autour d’un label « Vosges, terre de textile », qui a donné lieu à « France, terre de textile » au niveau national. L’eau n’est plus l’énergie principale pour ces filatures installées dans la montagne vosgienne (dite La Montagne habitée). À présent ils utilisent l’énergie électrique, avec un souhait des industriels de mettre en place des panneaux photovoltaïques, ce qui n’est pas une chose acquise car ils rencontrent des soucis avec les assureurs. C’est un comble. Nous avons pu les mettre autour de la table et nous espérons que par le biais de la Caravane, la Préfecture, la DGALN et l’ensemble des acteurs, vont pouvoir faire progresser la question du photovoltaïque pour les industries des Vosges.

Ensuite nous sommes allés dans les Deux-Sèvres. C’est un département avec un taux de chômage très bas, à 5,2 %, une industrie assez dynamique, que ce soit dans l’agro-alimentaire, le BTP. Nous avons visité la cimenterie Calcia d’Airvault, qui a un projet de décarbonation et bénéficie d’une aide importante de l’Etat sur France 2030. La question qui se pose à ces industriels est que la ressource humaine est très limitée. Ils doivent agir en matière d’insertion et attirer les salariés d’autres départements, ce qui signifie de pouvoir les loger et qu’ils accèdent à des moyens de mobilité jusqu’aux usines.

On constate que face aux projets industriels, dans l’éolien, la méthanisation, les scieries et cimenteries, des collectifs ruraux se mobilisent souvent pour faire des recours. La question de l’acceptabilité du redéveloppement industriel en milieu rural a-t-elle été soulevée ?

Pour l’instant, sur les territoires que nous avons visités, nous avons davantage vu des cas d’industrialisation que de réindustrialisation. Dans les Vosges, l’industrie existe depuis plus de 150 ans. Ce sont des entreprises qui doivent changer de produits, de marchés, innover, trouver des niches, travailler collectivement pour s’organiser et maintenir leur activité. Dans les Deux-Sèvres, la Fromagerie de Saint-Loup qui existe depuis 130 ans change ses systèmes énergétiques pour qu’ils soient plus économes. La cimenterie Calcia d’Airvault est une entreprise familiale au départ, rachetée par un grand groupe. Et les hectares de cette cimenterie, située en plein milieu rural, sont là depuis des années. Donc c’est une bonne question que vous posez, mais nous ne l’avons pas encore rencontrée, parce que nous sommes allés voir des territoires déjà industrialisés. Après, quand on installe une industrie, il y a des règles à respecter, des enquêtes publiques à mener, et parfois la Commission nationale du Débat public (CNDP) sur des créations très importantes organise le débat public préalablement.

Qu’est-ce qui dans cette démarche vous paraît vraiment nouveau, et faire école en terme de diagnostic, de partage et de projection sur l’avenir ?

Cette démarche est nouvelle parce que cela permet de se poser, que ce soit pour les maires du secteur, les conseillers départementaux, régionaux, le Préfet. Quand des scientifiques comme Manon Loisel et Magali Talandier viennent, elles nous apportent de la matière, par exemple sur les filières économiques historiques du département ou de l’intercommunalité. Les acteurs nous l’ont dit eux-mêmes ; cela permet d’avoir une vision par rapport au plan national, de voir comment le territoire se situe, d’où viennent ses richesses ? De quoi vivent les gens ici ?

La Caravane amène une certaine neutralité, en mettant des gens autour de la table, pour parler par exemple des attentes de la jeunesse en milieu rural, de comment sauver l’industrie ? Il se dit des choses entre acteurs publics et privés, entre différents niveaux d’acteurs, que l’on n’aurait pas eu l’occasion, ou osé se dire de manière apaisée.

Par exemple pour la mobilité dans les Deux Sèvres, entreprises et collectivités se sont rendues compte qu’elles réfléchissaient chacune de leur côté à un système de mobilité pour être plus attractives. Des choses se nouent pendant ces échanges et aussi après autour de moments de convivialité.

Nous avons aussi testé des réflexions prospectives sur les marchés avec les citoyens, en présence de la ministre Dominique Faure. Nous avons demandé « en 2050, ce sera comment ici ? Comment vous vous y voyez ? ». À Saint-Orens de Gameville, dans le territoire péri-urbain de Toulouse, certains jeunes nous ont dit : « On est bien, ici, parce que nous avons encore des espaces verts et de la campagne, des crèches ou des modes de garde pour nos enfants et du travail sur la métropole ». Des personnes retraitées nous ont dit : « Nous sommes venus ici pour le calme, nous n’aimerions pas que la Commune se développe ou se construise trop ».

Quelles sont les prochains arrêts prévus et les étapes de rendus de la démarche ?

Manon Loisel et Magalie Talandier vont rendre leur rapport à la ministre et au Conseil scientifique de France ruralité cet été. L’objectif de la Caravane des ruralités est de mettre le doigt là où les choses marchent, et là où il y a des freins et il faudrait faire évoluer un certain nombre de politiques publiques, qu’elles soient nationales ou locales.

Les prochains arrêts seront plus orientés sur la transition écologique au sens large. Nous allons dans les Hautes Alpes à la fin du mois de juin, rencontrer Pierre Leroy, président du Pays du Grand Briançonnais, du Guillestrois, du Queyras et des Ecrins, pour questionner l’avenir de la montagne sous le prisme de la transition énergétique. Comment au cœur de la montagne, nous arrivons à tendre vers une autonomie énergétique et envisager la transition pour tous, à travers l’énergie du soleil, du bois, de l’eau. Nous allons aussi questionner l’accès à la santé et aux services publics pour les montagnards. Joël Giraud (député des Hautes Alpes), auteur du rapport « Pour une montagne vivante en 2030 », devrait être parmi nous. En juillet, nous irons dans la Manche à Carentan-les-Marais pour nous intéresser au lien entre l’eau salée, l’eau douce, la terre, l’agriculture, les zones humides. En septembre, nous irons à Guingamp-Paimpol en Bretagne, autour des questions du logement et de la culture. En octobre la Caravane passera à Magny-cours dans la Nièvre pour interroger l’avenir de l’automobile. En novembre, elle sera dans le bocage bourbonnais et enfin en décembre Nontron en Dordogne, avec l’ENSAD (Ecole nationale supérieure d’art déco), dont une promotion de jeunes étudiants a décidé de s’installer au cœur du territoire pour apporter leurs savoirs et les mettre à disposition des acteurs locaux. Nous souhaitons enfin être présents pour présenter la démarche, au Congrès de l’AMRF (27-29 septembre), de l’AMF (19-21 novembre), de la Fédération des Parcs, et des événements de nos partenaires.

Nous sommes actuellement en train de fixer les dates de 2025 avec les partenaires. Nous aurons des questions sur les jeunes maires ruraux : « qui sont-ils aujourd’hui, que faudrait-il faire pour en avoir demain ? ». Nous allons aussi nous pencher sur le rôle des Tiers Lieux dans les territoires ruraux : à quoi servent-ils, quel est leur rôle social et d’attractivité, quelles sont leurs difficultés, comment assurer pérennité ?

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