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ActualitésLa transition écologique, le nouveau cheval de bataille du CNFPT
Le Centre national pour la fonction publique territoriale (CNFPT) a organisé les 14 et 15 mars 2023 à Bordeaux un colloque national « Accélérer la transition écologique, quel chemin pour les collectivités territoriales ? ». 800 DGA, DGS, responsables de la transition, de l’innovation ou des ressources humaines en collectivités territoriales, ainsi que des élus locaux, ont fait le déplacement au Palais des Congrès de Bordeaux. Une première et un tournant pour le CNFPT (18 délégations régionales, 5 instituts, 2500 agents, 11 000 formateurs) qui forme plus de 2 millions d’agents territoriaux.
L’occasion de promouvoir l’approche systémique, de capitaliser sur les bonnes pratiques déjà engagées dans les collectivités grâce à un « Village des initiatives », d’ouvrir un chantier sur les nouveaux métiers et les nouvelles compétences nécessaires aux transitions dans la territoriale, et d’annoncer 10 engagements forts pour passer à la vitesse supérieure. Horizons publics était présent durant les deux jours du colloque à Bordeaux.
« Dépasser les constats, mettre en œuvre les solutions » : ce titre qui est celui du rapport annuel 2022 du Haut Conseil pour le Climat, qui soulignait notamment le manque de coordination entre l’État et les territoires, tout comme les actions régionales entre elles, pour atteindre les objectifs nationaux de neutralité carbone en 2050, résume à lui seul l’état d’esprit des participant·es venus des quatre coins de la France mais aussi de l'Outre-mer pour participer à ce colloque.
« J’ai fait le déplacement pour m’imprégner des bonnes pratiques et trouver des idées pour avancer », nous confie Joachim Houbib, chargé de mission Littoral et Biodiversité à la communauté de communes du Pays Bigouden Sud en Bretagne (38 000 habitants, 12 communes).
Il est chargé d’élaborer le Plan climat-air-énergie territorial (PCAET), l’outil de planification à l’échelle intercommunale qui engage le territoire dans l’adaptation au changement climatique. Très exposé aux risques littoraux (inondations maritimes à l'intérieur des terres, recul du trait de côte du au phénomène d'érosion, avancées de dunes…), son territoire doit se doter d’un PCAET. « Nous sommes dans la phase de diagnostic, le PCAET sera livré au mieux en juin 2024 », précise-t-il.
Sur le territoire du Var, c’est surtout la multiplication des épisodes de sécheresse, le manque d’eau et les incendies qui inquiètent. Tatiana Lambert, DGS de la mairie de Trans-en-Provence, et Thierry Dalmas, DGS à la ville de Draguignan, confient que la situation ne cesse de s’aggraver depuis plusieurs années.
« La situation est devenue très compliquée, nous sommes en alerte sécheresse depuis le mois de février 2023. La Provence s’est construite autour de l’eau. Le territoire est aujourd’hui surpeuplé : en 20 ans le département du Var est passé de moins de 1 million à 1,3 millions d’habitants, la croissance démographique n’a pas été anticipée et les infrastructures ne sont aujourd’hui plus adaptées.
Nous sommes aussi dans des injonctions paradoxales entre d’une part l’arrêté préfectoral qui restreint l’usage de l’eau et de l’autre la nécessité de créer des îlots de fraîcheur dans nos villes. Nous avons fait des relevés de température à plus de 50 degrés l’été dernier… Nous sommes ici pour trouver des solutions et repartir avec des idées pour agir », s’alarment-ils.
« Le plus difficile sur les questions de transition, c’est de dépasser la temporalité du mandat politique », confie Nathalie Abelard, vice-présidente déléguée à l'Environnement et au Développement Durable à la Communauté d'Agglomération Riom Limagne et Volcans (69 000 habitants, 31 communes).
Son agglomération est déjà engagée dans un PCAET avec la publication dès cet été d’un atlas de la biodiversité, en partenariat avec l’Office français de la biodiversité (OFB). « En publiant cet atlas, nous allons pouvoir disposer pour la première fois d’une cartographie détaillée des enjeux de biodiversité à l'échelle de notre territoire pour mieux les prendre en compte dans nos démarches d'aménagement et sensibiliser les habitants », explique-t-elle.
Laurent Badone, DGS de La Clusaz, lui est venu à Bordeaux pour partager sa démarche de transformation sur un territoire de montagne. « Comment garder des habitants alors que le foncier explose et comment on dépend moins du ski au niveau économique quand les températures augmentent plus vite dans les Alpes que dans le reste de la métropole. Voilà les deux gros enjeux auxquels nous devons rapidement répondre », explique-t-il.
Il faut aujourd’hui tout réinventer pour trouver un autre modèle que celui du ski, confie Laurent Badone, DGS de La Clusaz.
Pour préparer un futur désirable, tenter de désamorcer les conflits et embarquer habitants et usagers, il a eu notamment recours à la méthode du design fiction pour projeter la station à l’horizon 2050. « C’est un outil d’aide à la décision mais aussi de mobilisation collective et d’acceptation sociale du changement », confie-t-il. Dans le Jura, Olivier Erard, directeur du Syndicat Mixte du Mont d'Or (SMMO) et responsable de l’ingénierie de transition de la petite station de moyenne montagne de Métabief, a déjà acté la fin des activités ski à l’horizon 2030-2035.
« L’enjeu est d’avoir une approche systémique pour repenser l’économie du tourisme et des loisirs à l’échelle du territoire, pas uniquement sur le périmètre de la station », explique-t-il.
Les outils d’intelligence collective, comme le design fiction, la création d’une communauté d’acteurs, un plan directeur « un master plan », font partie des ingrédients pour embarquer les parties prenantes et transformer un système complexe, selon cet innovateur.
Un « Village des initiatives » pour impulser une nouvelle dynamique
Rencontrés sur le « village des initiatives », l’un des temps forts de ce colloque, un concentré de ce que font les collectivités locales les plus audacieuses en matière de transition écologique, ces différents responsables sont en première ligne pour gérer la transition écologique. 73 initiatives déjà mises en œuvre par des collectivités locales étaient présentées justement sur ce village représentant une diversité de territoires et d’enjeux : « En matière de transition écologique, il y a des spécificités particulières pour chaque territoire. Par exemple, les territoires d’outre-mer sont exposés aux risques cycloniques et aux sargasses, cette prolifération de macro-algues qui menace les écosystèmes marins et côtiers », explique François Meyer, directeur de l'offre numérique et événementielle au CNFPT et organisateur de l’événement, avant de rajouter :
Ce village des initiatives a pour vocation de montrer les tendances émergentes dans les collectivités autour des grands enjeux : l’administration territoriale en transition, planification et prospective post-carbone, la transition, l’affaire de tous, aménager autrement, l’alimentation durable et la santé » (voir encadré).
6 espaces thématiques au Village des initiatives
Administration territoriale en transition
Comment bâtir une administration territoriale au service de la transition écologique et de la résilience ? Des collectivités transforment l’organisation et les processus pour faciliter la conception de la stratégie de transition, sa mise en œuvre et son pilotage, en intégrant l’engagement des agents dans cette dynamique.
Planification et prospective post-carbone
Comment engager son projet de territoire dans une démarche prospective, en prenant en compte tous les effets du dérèglement climatique, pour réorienter l’économie et les activités ? Se projeter vers un futur souhaitable dans une société décarbonée où les écosystèmes sont préservés ; des projets de territoire anticipent et organisent l’avenir avec les habitants
La transition, l’affaire de tous
Quelles stratégies et quels outils pour mobiliser les habitants et acteurs locaux ? Réussir la transition écologique avec les populations ; des initiatives favorisent l’engagement citoyen et démontrent la force de l’association élus-habitants-experts au service du territoire
Aménager autrement
Comment changer les pratiques pour un urbanisme et un aménagement résilient de son territoire ? Développer la résilience des territoires ; des pratiques d’urbanisme et d’aménagement font évoluer les modes de vie, au bénéfice du climat et des habitants, en ville comme en campagne
Une alimentation durable, de qualité et accessible à tous
Comment organiser la transition vers une alimentation durable, de qualité, et accessible ? Garantir une alimentation suffisante et de qualité pour tous ; des territoires osent des solutions durables, favorisent l’entraide et jouent la solidarité villes /campagnes
Santé et bien vivre ensemble
Comment faire de la santé et du bien vivre ensemble une boussole de la transition écologique, pour un avenir désirable pour tous ? Prendre la santé du vivant comme boussole des politiques publiques de transition ; des collectivités misent sur le bien vivre ensemble et sur l’interdépendance de l’homme et de son environnement
Fabriques d’initiatives locales (FIL) à Dunkerque pour embarquer les habitants, « Smicval market, un supermarché inversé pour changer les comportements sur la gestion des déchets dans le Libournais Haute-Gironde (137 communes, 212 000 habitants, Occitanie), des plans de formation pour sensibiliser et redonner du « pouvoir d’agir » aux agents publics à Pessac (67 509 habitants, Nouvelle-Aquitaine) ou à Malaunay (6207 habitants, Normandie), un changement de l’organisation administrative pour impliquer pleinement les agents et les habitants dans les transitions à Castanet-Tolosan (15 000 habitants, Occitanie), « Je mange normand dans mon lycée », un programme de la région Normandie (3,32 millions d’habitants) pour atteindre 80% de produits normands consommés dans les restaurants scolaires des lycées normands d’ici 2027, une démarche apprenante à la métropole de Rennes (455 000 habitants, Bretagne) ou « écosystémique » à la métropole de Brest (210 000 habitants, Bretagne) pour accélérer la transition écologique, urbaine et économique ou encore des tiers-lieux solidaires autour de l’aide alimentaire pour lutter contre la précarité dans le département du Gers (190 000 habitants, Occitanie)…
Les collectivités locales sont de plus en plus nombreuses à bouger les lignes et à s’engager dans des démarches de changement. Elles intègrent progressivement l'approche systémique pour mieux prendre en compte les limites planétaires et le réchauffement climatique. Or, on le sait et on le défend souvent dans les colonnes d’Horizons publics, c’est à l’échelle locale que l’on peut commencer à changer les choses. Ce « village des initiatives » fera date car, pour la première fois, les collectivités qui font le plus se sont retrouvées au même endroit pour partager leurs bonnes pratiques et inspirer les autres. Le début d'un mouvement de fond ?
« Le colloque est une première étape pour passer à une autre échelle. L’objectif, c’est d’embarquer le CNFPT et les collectivités locales vers la transition écologique. Il faut une conduite du changement systémique, le cadre dirigeant doit être parfaitement impliqué et avoir les bons outils. Il y a aussi un enjeu de massification des formations. Parmi les choses qu’on peut faire, c’est adresser un message homogène auprès de l’ensemble des territoires sur une même séquence. En fait, on le voit dans ce village des initiatives, c’est à quel point les territoires peuvent être différents dans les solutions qu’ils inventent pour répondre aux enjeux de transition », nous confie Laurent Trijoulet, directeur de cabinet au CNFPT.
Soft skills, intelligence collective et « coopérations » pour aller plus loin
Si dans leur grande majorité, les dirigeants territoriaux se disent informés, ils manquent de méthodes et disent ne pas maîtriser pleinement les compétences nécessaires afin de conduire la transition écologique. C’est ce qui ressort d’une enquête Qualitest-CNFPT, réalisée auprès de 600 dirigeants territoriaux de collectivités de différentes tailles, et rendue publique à l’ouverture du colloque.
En termes de formation et d’accompagnement dont les dirigeants territoriaux disent avoir besoin en priorité figurent l’évolution des pratiques professionnelles (93%), la sensibilisation aux enjeux du changement climatique et de la transition écologique (84%), les écogestes (79%) et les processus managériaux et les approches transversales (72%).
Plusieurs plénières et tables-rondes se sont enchaînés durant ces deux jours pour permettre aux intervenant·es et aux participant·es de croiser leurs regards, nourrir leurs pratiques professionnelles et partager leurs retours d’expérience. Il en est ressorti des constats partagés sur l’insuffisance des formations et des compétences, malgré les premières actions mises en place. Il a été également beaucoup question des méthodes et des outils de l’intelligence collective pour faire le pas de côté nécessaire à la transition et embarquer les agents, les habitants et les élus dans le mouvement. La capacité d’animation et de facilitation, l’intelligence émotionnelle, le sens de l’analyse, la curiosité intellectuelle, l’écoute active sont aussi des qualités attendues pour manager la(les) transition(s). Ce sont les fameuses soft skills qui font partie des compétences clefs des managers de demain.
Enfin, le colloque a évoqué, le dernier jour, l’importance des coopérations publiques pour anticiper et construire les projets de territoire et conduire le(s) transition(s). « La coopération, c’est le meilleur régime pour gérer la complexité et prévenir les conflits d’usage. Qui fait quoi et comment, en situation stable, c’est facile, mais en situation de pénurie, la coopération est le régime le plus efficace pour y arriver », explique Julian Perdrigeat, directeur général de La Fabrique des transitions.
Deux ateliers en mode gamification ont permis d’expérimenter ces soft skills et ces « coopérations » : un jeu de plateau coopératif « S’engager dans la transition écologique et énergétique : quelles compétences ? », imaginé par le cabinet Oyena et un serious game sur la résilience territoriale en Seine-Saint-Denis, conçu par les équipes internes et pour les agents du département.
Faire preuve d’exemplarité dans son fonctionnement interne, développer le pouvoir d’agir des agents en tant qu’acteurs et actrices de la transformation, concevoir et déployer un plan de sobriété administratif ou encore s’engager sur des voies de ruptures – voire dissidentes !... font partie des 7 positionnements proposées par le premier jeu de plateau pour œuvrer en faveur de la transition écologique. Chaque positionnement, chaque stratégie s’accompagne d’actions spécifiques nécessitant des compétences clefs qu’il convient justement d’imaginer en mode coopératif, le jeu servant de support de discussion.
« Ingénieur carbone, « DSI vert », « conseiller en rupture juridique », « régulateur des conflits d’usages », « liquidateur d’équipement obsolète », « manager ou médiateur de la transition »… sont quelques uns des métiers de la transition écologique imaginés par les participant·es à l'issue du jeu.
Des idées qui serviront à alimenter le projet ITEEnéraire, destiné à documenter un référentiel de nouvelles compétences sur les 250 métiers de la territoriale mené par la région Région Centre-Val-de-Loire et 10 collectivités, avec l’Ademe et le CNFPT. Deuxième jeu testé par les DGS et DGA présent lors du colloque, le jeu sérieux sur la résilience territoriale en Seine-Saint-Denis, dont le premier prototype a été présenté.
« Contrairement à la Fresque du climat, qui porte sur les grandes causes du réchauffement climatique avec une approche très globale, très macro, notre serious game a l’avantage de territorialiser les enjeux du réchauffement climatique », explique Faustine Faure, chargée de mission transition écologique au département.
Le but du jeu ? Aller au bout de la manche sans dépasser le seuil des limites sociales et planétaires grâce aux bonnes décisions et aux bonnes actions. Alimentation, infrastructures, « encapacitation », climat, coopération, mobilité… font partie des politiques publiques locales sur lesquelles agir. Ces deux ateliers ont rencontré un réel succès car ils favorisent le coopératif et le travail en équipe tout en servant de supports à la confrontation des idées.
10 engagements forts pour le CNFPT
« Penser global, agir local : notre réponse doit être territorialisée et adaptée à l’échelle locale (…) Je le répète souvent : la hauteur de la marche à franchir pour accélérer la transition écologique est immense et les collectivités qui en font le plus aujourd’hui n’en font pas assez », a martelé François Deluga, le président du CNFPT, en plénière de clôture, avant d’annoncer 10 engagements en faveur de la transition écologique. Un plan d’action pour réaliser « un saut quantitatif et qualitatif ». Parmi les engagements, citons notamment : mobiliser l’ensemble des agents territoriaux (« un MOOC dédié accessible librement à tout agent territorial dès septembre 2023 »), inscrire la transition écologique dans toutes les formations d’intégration (50 000 agents), généraliser l’intégration de la transition écologique dans toutes les formations « métier », former les encadrants au management des transitions (« 100 000 d’ici 3 ans ») ou encore proposer une offre de formation spécifique pour les directions des ressources humaines (une offre spécifique « DRH en transition » dès 2024).
Ce qu’il faut retenir de ces engagements, c’est que le premier établissement public de formation en France s’attaque à l’enjeu de « massification » de la formation à la transition écologique. Il forme 1 million d’agents territoriaux par an, dont 70% des catégories d'exécution (catégorie C). « La transition écologique va impacter les 256 métiers de la territoriale. Cela demande des changements de pratiques professionnelles », avait précisé en amont lors d’une conférence de presse France Burgy, la directrice générale du CNFPT. Et même si les connaissances sur le changement climatique sont largement diffusées par les rapports du GIEC, qui vient de sortir son sixième rapport de synthèse destiné aux décideurs ce lundi 20 mars, les formations se construiront avec les usages. « Le CNFPT était attendu au tournant, il dispose d’un effet de levier important sur toute la territoriale, il était temps qu’il s’engage dans la transition écologique », a réagi un participant à ces annonces.
Regards de DGS sur la transition écologique
«Il n’y a pas une journée où je n’ai pas une réunion sur un sujet qui traite de la transition climatique»
Pour près de 9 dirigeants territoriaux sur 10, la transition écologique a déjà modifié l’action de leur collectivité. L’étude du CNFPT auprès des DGS et DGA sur la mise en œuvre de la transition écologique a commencé à apporter des réponses sur les besoins des fonctionnaires territoriaux pour répondre aux impacts du changement climatique. À Bordeaux, la posture a changé : les échanges n’ont pas tourné autour du pourquoi, mais du comment ? Horizons Publics a proposé à 4 directeurs généraux des services (DGS) de montrer sur quels chemins ils ont engagé leur collectivité pour accélérer la transition écologique.
Joel Martinet, DGS du Département du Cher :«Anticiper les risques pour gagner de précieuses minutes en cas de crise»
Laurent Fussien DGS de Malaunay :«Il faut une approche plus transversale des sujets, puis en termes de management, être plus coopératifs, ouverts et accueillants»
Florence Pelleau- Labigne, DGS de la Région Centre-Val de Loire : «Former l’ensemble des agents sur un référentiel commun est un des gages de la réussite de la massification de la transition écologique»
Benjamin Hus, DGS du Département du Nord :Une direction « administration durable » rattachée au DGS pour « avoir les coudées franches »