«Il n’y a pas une journée où je n’ai pas une réunion sur un sujet qui traite de la transition climatique»  

Le 21 mars 2023

Pour près de 9 dirigeants territoriaux sur 10, la transition écologique a déjà modifié l’action de leur collectivité. L’étude du CNFPT auprès des DGS et DGA sur la mise en œuvre de la transition écologique a commencé à apporter des réponses sur les besoins des fonctionnaires territoriaux pour répondre aux impacts du changement climatique. À Bordeaux, la posture a changé : les échanges n’ont pas tourné autour du pourquoi, mais du comment ? Horizons Publics a proposé à 4 directeurs généraux des services (DGS) de montrer sur quels chemins ils ont engagé leur collectivité pour accélérer la transition écologique.

Joel Martinet, DGS du Département du Cher : «Anticiper les risques pour gagner de précieuses minutes en cas de crise»

« On se doit de se préparer à tout type de risques. Il est nécessaire de bien visualiser l’ensemble des risques qui pèsent sur notre collectivité et sur la population. Nous avons travaillé sur les feux de forêt mais aussi sur les inondations. Il faut une liste exhaustive. Je me suis adjoint un agent en charge de la gestion des risques et des crises. Son travail a débuté il y a un an. Il doit cartographier et nous préparer. Mais aussi d’acculturer les agents. Ils n’ont pas forcément les réflexes de la gestion de risque. Il faut donc se former. Nous mettons en place des exercices pour gagner des précieuses minutes, ou précieux jours en cas de crise.

Si on prend l’exemple des coopérations, nous travaillons avec les autres acteurs pour savoir qui fait quoi. Le plus important, c’est de connaître le rôle de chacun pour que ce soit le plus fluide possible. Seul l’exercice peut nous préparer. Il faut échanger et se nourrir des retours d’expériences. Pour nous préparer, nous allons acquérir une parcelle de 20 hectares pour créer une « forêt école ». Nous souhaitons mettre en place un partenariat avec le SDIS et l’ONF pour que chacun apprenne à s’adapter aux risques climatiques. »

Laurent Fussien DGS de Malaunay : «Il faut une approche plus transversale des sujets, puis en termes de management, être plus coopératifs, ouverts et accueillants»

« Le pilotage systémique, c’est essayer à travers l’organisation d’une collectivité de prendre en charge un certain nombre d’enjeux qui spontanément ne sont pas articulés entre eux. Ce n’est pas une approche traditionnelle en termes de cadre de pensée. On sort de l’approche analytique et linéaire pour être dans une approche qui vise à tisser des liens entre les différentes dynamiques. Rien n’est écrit. Derrière, il faut des cadres d’organisation, d’actions puis d’évaluation afin d’articuler les différentes politiques publiques et d’éviter les externalités négatives. Réintroduire la question d’une valeur immatérielle en tenant compte des effets systémiques de l’action. Il faut regarder les boucles vertueuses de nos différentes actions publiques. Quand on a des actions sur le plan de la transition écologique, on voit qu’il y a des effets sur le plan sociétal, de la santé publique ou du lien social. Ces effets publics doivent être révélés. Le comment reste à inventer. Nous y allons par expérimentations. Ce qui est certain, c’est qu’il faut une approche plus transverse des sujets. Puis en termes de management, il faut être plus coopératifs, plus ouverts et accueillants. Il est nécessaire d’être à l’écoute des parties prenantes. Notamment les habitants pour co-construire avec eux des réponses qui prennent en compte leurs besoins au quotidien. Il faut aussi accepter de ne pas tout maitriser. Cela fait partie des changements de posture. Ce que l’on tire des expérimentations menées, c’est qu’il y a un pas de côté à faire. Il faut s’être transformé avant d’envisager le changement de l’organisation. Il faut capaciter les agents dans ces processus de transformation. Chacun doit prendre sa part de risque. De la direction aux agents. Il faut éviter de reproduire une forme d’injonction descendante. Nous devons nous nourrir des équipes. Cela passe par un dialogue permanent. La posture du manager évolue vers quelque chose qui ressemble plus à de la facilitation et de la mise en mouvement. Il y a des savoir-être qu’il faut avoir. Des compétences relationnelles que l’on ne mettait pas en avant. On appelle cela des soft-skills. Plus simplement c’est peut-être une capacité à lâcher prise et reconnaitre ses erreurs. Une forme de modestie. Derrière cela veut dire sortir d’une logique de contrôle pour une logique de délégation dans la confiance. L’analyse systémique n’est pas simple à comprendre. Il faut s’ouvrir vers les sciences humaines et sociales. »

Florence Pelleau- Labigne, DGS de la Région Centre-Val de Loire : «Former l’ensemble des agents sur un référentiel commun est un des gages de la réussite de la massification de la transition écologique»

Nous sommes progressivement passés de certaines directions qui animaient des politiques en lien avec le changement climatique à une approche systémique à 360 degrés. Cela nécessite que l’ensemble des agents soient acculturés aux enjeux de la transition écologique. Ils doivent intégrer l’ensemble de ces enjeux dans leur mise en oeuvre opérationnelle des politiques publiques. J’ai réorganisé les services pour avoir à mes côtés une direction chargée de l’accompagnement des autres directions à la prise en charge des transitions. Nous avons commencé à former nos propres agents. Avec le CNFPT et l’Ademe, nous avons développé un cycle de formation. Mais nous nous sommes aperçus que nous devions aller au-delà. Il nous a semblé important de former l’ensemble des agents sur un référentiel commun de ce qu’est la transition écologique. Cette acculturation commune est un des gages de la réussite de la massification de la transition écologique. Nous avons répondu à un AMI ensemble pour former 10 000 agents qui représentent une dizaine de collectivités partenaires. En 2023, nous allons construire une offre de formation qui puisse permettre de répondre aux besoins d’acculturation. En 2024, les formations se dérouleront puis en 2025, nous allons évaluer l’efficacité avant de savoir si on duplique l’initiative sur d’autres territoires à l’échelle nationale. Cette formation est difficile. Nous devons prendre les gens là où ils sont par rapport à leur acculturation à ces enjeux. Nous devons être sur de la pratique en regroupant aussi par métier.

Il est incontournable que les DGS se saisissent de la transition écologique. Il n’y a pas une journée où je n’ai pas une réunion sur un sujet qui traite à un moment de la transition climatique. Pour y arriver, les agents qui travaillent sur ces questions doivent être à mes côtés pour leur donner une légitimité pour aller vers l’ensemble des élus et des agents. Le portage de la transition doit aussi être politique.

Benjamin Hus, DGS du Département du Nord : Une direction « administration durable » rattachée au DGS pour « avoir les coudées franches »

Les DGS ont un rôle capital. Nous devons impulser à notre niveau une dynamique liée à la transition. Sinon il est trop compliqué de faire changer les pratiques. Il faut dépasser un cadre qui est parfois un peu rigide dans nos administrations publiques. J’ai créé une direction de projet « administration durable ». Elle m’est directement rattachée afin de lui  donner les coudées franches pour embarquer l’ensemble des acteurs, notamment tous les directeurs. L’ensemble des compétences d’un département sont concernées. Il est par exemple possible de travailler autour de la transition écologique tout en répondant aux questions sociales. Le Département du Nord, c’est 2,6 millions d’habitants et 18% des habitants qui vivent sous le seuil de précarité. Mais parler de difficultés à boucler la fin du mois est compatible avec la notion de zéro déchet par exemple. En consommant mieux, on fait des économies. Le zéro déchet, c’est 200 euros d’économie par an. Il faut relier social et transition. Nous avons 8000 agents dont 2600 assistants familiaux. Nous devons leur montrer qu’ils ont eu une responsabilité dans la transition écologique. Pour y arriver, nous avons embarqué nos travailleurs sociaux au travers d’un réseau d’ambassadeurs appelés « les colibris ». En tant que citoyen, ils sont déjà sensibilisés à la transition écologique. Nous avons lancé un appel à projet. Tous les agents pouvaient postuler. Je signe une lettre de mission à chacun pour que ce soit « opposable » vis-à-vis de la hiérarchie. Le fait que le DGS s’engage à favoriser l’existence d’un réseau des ambassadeurs, cela appuie la démarche. Ce sont des relais auprès de leurs collègues sur la question par exemple de la consommation d’énergie ou du papier… Ils ont un rôle de transformation des pratiques au sein des services auprès des collègues. Ce réseau s’est constitué avec des groupes de discussions Teams ou Whats’app. Désormais, il fonctionne sans nous mais grâce aux retours d’expérience.

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