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La ville durable : un objet de formation à part entière

L'Université Gustave Eiffel, France ville durable et Efficacity planchent sur une nouvelle offre de formation continue pour la ville durable, innovante dans ses contenus et ses modalités pédagogiques. Avec l'objectif de répondre aux enjeux de développement de l’expertise française pour la ville durable et structurer une communauté apprenante.
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Le 4 janvier 2023

Les besoins en formation initiale et continue sur la ville durable pour les personnels de l’État et des collectivités territoriales sont considérables pour les années à venir. Ils constituent un élément décisif de la réponse qu’il convient d’apporter au défi climatique.

Des défis de formation pour la ville durable

En 2050, les habitants des villes devrait représenter 70 % de la population mondiale. De fait, ces territoires concentrent beaucoup des défis de la transition écologique, énergétique, de la résilience, mais aussi des attentes de la société et des mutations économiques. Il est donc essentiel d’accompagner de nouvelles façons de concevoir, fabriquer et gérer des villes et des territoires.

Parmi les défis, il convient tout particulièrement de s’adapter à des conditions extrêmes (inondation, canicule, séisme, érosion, mouvements de foule, pandémie, etc.) et/ou à de nouveaux modes de vie (télétravail, consommation en ligne, etc.) et d’accompagner les tendances de la « ville à la demande » (financement par l’usage, urbanisme tactique/transitoire, urbanisme adaptable).

Une stratégie d’accélération dédiée aux problématiques des villes durables et des bâtiments innovants a été mise en place, et s’inscrit dans une volonté politique du Gouvernement de refonder le développement urbain autour des quatre défis que sont la sobriété, la résilience, l’inclusion et la production urbaine. Il s’agit également de positionner la France comme un modèle exportable en matière de ville durable en valorisant son savoir-faire via nos démonstrateurs et en structurant une communauté capable de promouvoir l’expertise française à l’étranger. Cette stratégie d’accélération juge indispensable d’accompagner tout particulièrement le développement des filières de construction de la ville durable, en adaptant la formation initiale des jeunes et continue des professionnels aux métiers émergents.

Ces enjeux de formation ont été relayés par deux rapports récents :

  • le rapport Jouzel autour des thématiques de la transition1 : préparer tous les citoyens à la transition écologique, entendue comme la transformation de la société, afin de rétablir la viabilité de la planète par la mise en œuvre des objectifs du développement durable (ODD), relève des missions de l’enseignement supérieur. La formation à la transition écologique dans l’enseignement supérieur doit donc devenir partie intégrante des parcours de formation ;
  • le rapport de France Stratégie2 et du centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) sur les compétences pour la transition. La prise en compte de ces mutations impose, dès lors, décloisonnement, transversalité et interdisciplinarité, pour bien mesurer et anticiper les transformations d’une part, former et accompagner les étudiants d’autre part. Or, la prise en compte des enjeux de la transition écologique dans l’offre de formation, certifiante ou non, est aujourd’hui particulièrement hétérogène.

Des besoins en formation initiale et continue tout au long de la vie

Si la formation initiale permet en effet d’intégrer annuellement 3 % de professionnels – qu’il convient donc de doter d’une formation permettant de répondre à des enjeux globaux et systémiques –, le changement passe également par une « re-formation » des professionnels en place, voire une formation pour des élus nouvellement en place.

Les besoins de formation des personnels actuellement en poste notamment dans les collectivités et les services déconcentrés de l’État sont donc pour les années à venir considérables, et constituent un élément décisif de la réponse qu’il convient d’apporter au défi climatique.

La formation permanente n’a été longtemps perçue que comme un vecteur de promotion sociale pour les agents3. Or, le développement de la formation tout au long de la vie représente un enjeu majeur, les pratiques professionnelles et les modalités d’action ayant besoin de s’adapter à ces enjeux nouveaux et complexes et d’intégrer les connaissances scientifiques les plus récentes.

L’Association des maires de France (AMF) fait également état de besoins de formation pour les élus : « Il n’existe aucune formation initiale des élus locaux mais, dès leur élection, ils sont censés tout maîtriser. » Les missions assurées par les responsables locaux se sont complexifiées, et la conduite des affaires publiques locales nécessite aujourd’hui des compétences vastes et de plus en plus techniques. Aussi, l’exercice d’un mandat dans une commune, un département, une intercommunalité ou une région requiert des connaissances pointues, faisant de la formation – au sens de l’actualisation constante des compétences – une condition même de bon exercice du mandat local. Le droit à la formation des élus est également une condition de démocratisation de l’accès aux fonctions politiques. En compensant les inégalités de formation initiale, la formation permanente permet de ne pas laisser aux professionnels des affaires publiques le monopole des mandats électifs. Mais la question de la formation va plus loin, et se prolonge après l’exercice du mandat, car elle est aussi une condition de bonne réinsertion professionnelle des élus locaux. Cette question de l’après-mandat devient une préoccupation essentielle pour tous les élus, au moment où la démocratie tend à prendre la voie de la limitation du cumul des mandats dans le temps4.

Des formations existantes qui ne répondent que partiellement aux besoins

Le développement d’une formation continue adaptée aux besoins, tant par le caractère systémique et global des contenus, que par les modalités pédagogiques, s’avère donc nécessaire. Les premières propositions du groupe de travail « Sobriété de l’État », d’août 2022, font ainsi ressortir, parmi les pistes opérationnelles, le besoin de développement d’une offre de formation.

Certes, des formations existent mais elles sont en effet encore très liées à des domaines d’action sectoriels (transport, logement, etc.), très techniques (visant à doter les participants d’une boîte à outils) ou dédiées à des publics spécifiques (la fonction publique territoriale via le Centre national de la fonction publique territoriale [CNFPT] et les élus via le Conseil national de la formation des élus locaux [CNFEL], par exemple).

Le contenu et le format des formations doivent donc évoluer. Sur ce point, le CNFEL relève l’importance de la pluridisciplinarité dans l’offre de formation qui doit offrir une variété de thématiques adaptées aux besoins. L’AMF indique pour sa part que « les types de formations dispensées aux élus locaux sont très variés » mais sont orientées pour leur permettre de maîtriser les compétences essentiellement techniques nécessaires au bon exercice du mandat. Il s’agit principalement de « formations en lien avec les compétences exercées par leur collectivité ou de nouvelles obligations (marchés publics, budget, urbanisme, pacte civil de solidarité [PACS], droit des sols, droit funéraire, règlement général sur la protection des données [RGPD], open data, etc.) et de celles liées au développement personnel (gestion des conflits, prise de parole en public, etc.) ».

Une consultation menée auprès des représentants des acteurs en charge de la ville durable, sous l’égide de France Ville Durable (FVD), va dans le même sens. En effet, l’une des missions de la FVD est d’accompagner la montée en compétences en faisant connaître et en développant les offres existantes de formation française sur les thématiques de la ville durable5. Dans ce cadre, il est prévu de consolider et valoriser un catalogue de l’offre de formation, faciliter les complémentarités entre les différents organismes de formation et d’identifier les manques et les besoins en compétences.

Un groupe de travail a ainsi été mis en place piloté avec la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) et l’université Gustave-Eiffel, permettant d’éclairer les besoins des quatre catégories d’acteurs représentés dans les collèges : acteurs de l’État, des collectivités territoriales, des entreprises et experts.

Dans ce cadre, les adhérents de FVD, dans leur diversité (membres des collèges État, collectivités territoriales, experts et entreprises), ont identifié les manques parmi l’offre de formation, évaluée, par ailleurs, comme étant de grande qualité. Les attentes résident ainsi dans des formations transverses sur l’aménagement de projets de villes et de territoires durables, en insistant tout particulièrement sur le panorama des nouveaux acteurs à associer, ou la résilience ; des partages d’expériences à travers des visites d’opérations, des témoignages, etc. ; une offre complète de formation (formation et services associés : ateliers, suivi, ressources mobilisables dont bases de données et logiciels, réseau, etc.) et une pédagogie active (jeux de rôle, serious game, etc.).

Un projet de développement d’une formation continue pour la ville durable, innovante dans ses contenus et ses modalités pédagogiques

Il est donc important de refonder l’offre de formation, pour permettre de répondre à ces enjeux. Un projet a dans ce cadre été conçu conjointement par l’université Gustave-Eiffel6, FVD et Efficacity. Il vise ainsi à :

  • proposer des contenus qui mettent en avant la dimension systémique et globale : les politiques publiques de la ville restent encore fortement sectorisées, chaque dimension, du logement à la voierie en passant par les services de transports, étant souvent traitée indépendamment des autres, selon des procédures différentes et par des services différents. Il en est ainsi du transport, de la mobilité, du logement, de la construction, de l’aménagement, de la gestion des ressources et des services associés (déchets, eau, énergie), de la culture, de l’architecture, de l’éducation, du développement économique, du développement social. Si les opérateurs couvrent eux-aussi parfois des champs d’intervention multiples, les services sont organisés de façon cloisonnée, y compris dans la structuration de l’entreprise en filiale. Il importe que les formations mettent en avant l’articulation entre les différents champs sectoriels à même de faire évoluer, voire de renouveler les leviers d’intervention publique ; cette dimension permet de suivre des modules individualisés, mais les modules pourront également être combinés, offrant dès lors la possibilité d’une certification selon le nombre de modules choisis ;
  • proposer des modalités qui hybrident les publics : il convient en effet que les formations proposées décloisonnent les publics et permettent de faire réseau, en écho à la diversité des acteurs impliqués dans la fabrique et la gestion de la ville. Cette pluriprofessionnalité plaide pour une prise en charge globale des problèmes, pour lesquels les professionnels doivent travailler ensemble. L’interprofessionnalité est le fait, pour des professionnels issus de professions différentes, de travailler ensemble dans le seul intérêt de leur but commun. De fait, le rapport Jouzel met en avant parmi les compétences essentielles la capacité de co-construction, qu’il convient de soutenir par une pédagogie adaptée ;
  • proposer de nouveaux formats et une pédagogie expérientielle mobilisant des équipements scientifiques, des bases de données mais aussi des visites de terrains : les sessions feront la part belle aux retours d’expérience et aux témoignages des acteurs de terrains, dans leur diversité, et mettront également en lumière les réalisations menées dans d’autres contextes, notamment internationaux. Le projet s’articulera autour de proposition de journées d’études permettant l’observation, la confrontation au réel et la mise en situation et en dialogue avec les professionnels ;
  • positionner le programme dans un cadre résolument européen et international, pour dépasser le cadre des bonnes pratiques et développer des innovations à la hauteur des enjeux. La mission Villes du programme Horizon Europe7 vise également à aider les villes à se connecter à des réseaux internationaux afin d’accélérer l’apprentissage, la reproductibilité et la transposition à plus grande échelle des solutions. Des guides de bonnes pratiques pour la ville durable fleurissent. Cette identification et ce recensement sont importants et porteurs d’idées. S’il est donc essentiel d’élargir le spectre pour considérer également les expérimentations innovantes à l’étranger, il est également impératif de les accompagner d’une lecture analytique, expliquant les raisons d’un succès ou d’un échec, et donnant à voir les caractéristiques spécifiques du territoire qui contextualisent ces expérimentations, et assurent la confrontation au réel d’un territoire et d’une population. L’internationalisation offre également aux participants la possibilité d’agir à terme de manière concertée à une plus grande échelle, via la communauté créée par la participation aux modules.

Ce projet devrait permettre, en complémentarité de l’offre de formation existante, de répondre aux enjeux de développement de l’expertise française pour la ville durable, et de structurer une communauté apprenante.

  1. Jouzel J., Sensibiliser et former aux enjeux de la transition écologique et du développement durable dans l’enseignement supérieur, rapport, 2022, Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
  2. https://www.cereq.fr/sites/default/files/2021-07/synthese_du_cycle_2020_de_webconferences_-_identifier_et_accompagner_les_competences_de_la_transition_ecologique_0.pdf
  3. Antoine D., « La formation permanente dans la fonction publique en France », RFAP 2002/4, n104.
  4. Bonhomme F., Gréaume M. et Lefèvre A., Faciliter l’exercice des mandats locaux : la formation et la reconversion, rapport, 2018, Sénat.
  5. https://francevilledurable.fr/la-boite-a-outils/formations/
  6. L’université Gustave-Eiffel a été créée le 1er janvier 2020 et rassemble l’Ifsttar, l’UPEM, ESIEE Paris, l’EAVT, l’EIVP, l’IGN (ENSG). La création de cette université est un des jalons majeurs du projet de l’initiative « Science-Innovation-Territoires-Économie » (I-Site), FUTURE (French UniversiTy on Urban Research and Education) financée par le programme des Investissements d’avenir. Le projet scientifique dédié à « l’invention des villes de demain » conduit à positionner l’université Gustave-Eiffel et le consortium comme un acteur académique majeur sur la thématique de la ville à l’échelle internationale.
  7. Nessi J., « L’Europe mise sur les villes pour accélérer la neutralité carbone du continent », p. 48-51.
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