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L’urgence environnementale au cœur des élections municipales : promesses et risques d’une approche trop techniciste de l’action publique

Le 13 février 2020

C’est désormais une évidence de le dire : l’urgence environnementale sera au cœur des campagnes municipales comme en attestent tant les enquêtes d’opinion que les dynamiques politiques dont les sondages sont le reflet. Chartes et guides de bonnes pratiques se multiplient pour ancrer la question écologique dans les programmes municipaux et ainsi la normaliser en quelque sorte. Que peut-on attendre de cette lame de fond ? Ne risque-t-elle pas de dépolitiser et d’aseptiser une question pourtant fondamentalement politique ?

 

Une normalisation très forte de l’action locale en faveur de la lutte contre le changement climatique…

La mise à l’agenda international de la question de la soutenabilité de notre modèle de développement, dont le fameux rapport Brundtland est le déclencheur a percolé de façon très progressive pour ne pas dire timide dans les collectivités locales ces 30 dernières années.

La multiplication des agendas 21 locaux a certes permis le début d’une prise de conscience mais qui se limitait trop souvent à une série de petits pas qui relevaient de l’affichage de bon aloi plutôt que d’une vision politique systémique capable d’impulser le changement.

C’est avec les élections municipales de 2014 et l’apparition de plus en plus soutenue du vocable de « transition écologique » dans le langage politique que la question climatique et environnementale a pris une place plus forte dans les débats politiques locaux et s’est trouvée propulsée au cœur des agendas politiques des grandes villes et de leurs métropoles. Une brève observation des programmes des candidats dans ces territoires montre, quel que soit leur positionnement politique estimé ou revendiqué que la question écologique fait désormais, en 2020, figure de « tête de gondole ».

Cette évolution des discours et des visions politiques est sans aucun doute le reflet d’une évolution de fond des préoccupations de l’opinion publique, à la faveur de la COP 21 et, plus récemment des nombreuses mobilisations pour le climat impulsées par la société civile à l’échelle nationale et internationale. Mais elle est aussi et surtout le fruit d’une normalisation de plus en plus forte de l’action publique pour inciter à « agir global, penser global ». La profusion d’appels à projets et de labels sur les sujets climatiques et écologiques ces dernières années en témoignent : TEPCV (Territoire à énergie positive pour la croissance verte), contrats de transitions écologiques, multiples appels à projets de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) en faveur des mobilités douces, de l’économie circulaire, etc.

Plus récemment, la publication par l'Ademe d’un guide « Demain MON TERRITOIRE» explicitement destiné à alimenter la réflexion des élus et des candidats aux élections municipales marque une étape supplémentaire dans cette normalisation de l’action publique locale en faveur de la transition écologique et énergétique (TEE). Organisé sous forme d’une vingtaine de fiches pratiques balayant tous les champs d’actions de la TEE, à l’appui de nombreux exemples locaux, ce guide dessine à la fois l’horizon politique du souhaitable (en matière de mobilité, de gestion des déchets, d’agriculture urbaine, d’achats, d’économie d’énergie, etc.) et les leviers de mise en œuvre recommandés (participation citoyenne, pilotage en mode projet, évaluation en continue, etc.)

… qui risque de sous-estimer la dimension fondamentalement politique des questions associées

Si cette normalisation de l’action publique est à bien des égards une bonne chose car elle permet de sortir des initiatives avant-gardistes mais isolées pour institutionnaliser les pratiques vertueuses, elle n’en est pas moins à questionner. En premier parce que l’approche techniciste des sujets conduit souvent à sous-estimer la part de rapport de forces ou de représentations du monde différentes qui sous-tendent une politique publique. Ainsi, derrière les questions de mobilité, la place respective des automobilistes, des cyclistes / piétons et des usagers des transports collectifs se trouve questionnée et nécessite des arbitrages qui font dans certaines mesure des gagnants et des perdants. De même, une approche trop dépolitisée de la question des écoquartiers peut conduire à en évincer les populations les plus fragiles en laissant les opérateurs privés à la manœuvre qui y voient souvent l’occasion de proposer des produits beaucoup plus rémunérateurs que l’offre de logements dite classique.

Aussi, s’il est important de disposer d’un cadre de référence partagé de ce qui peut constituer une action publique locale en faveur du changement climatique, il est tout aussi essentiel de mettre en débat ce cadre de référence, d’éclairer les visions politiques qui les sous-tendent et de réinscrire la question écologique dans la question sociale (la ville durable au service de quelle vision de la justice sociale ?) et dans la question démocratique (les biens publics locaux, gérés par qui et dans quelle finalité ?).

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