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La transformation publique : la quête collective d'un nouveau modèle d'action

La transformation publique
©Magali Barnoin
Le 5 septembre 2022

Les mutations de tous ordres s’accélèrent, la transformation des organisations s’impose. La société numérique vient réinterroger les principes fondateurs de notre service public. Comment penser l’égalité, la continuité, la mutabilité dans une époque de transition où l’ancien monde côtoie encore le nouveau, dans ce « clair-obscur » qui fait surgir des aberrations administratives, détournant l’usager de ses droits, démotivant l’agent public dans ses fonctions de proximité, chargeant le manager de trouver des solutions de court terme bien souvent caduques avant même d’être appliquées ?

 

La transformation dans le service public doit s’envisager comme une réforme profonde de nos manières de penser, de concevoir et de délivrer les services publics. Mais les démarches sont encore trop souvent enfermées dans des temporalités contraintes illusoires, les modalités sont souvent uniquement centrées sur de nouveaux outils, processus, organigrammes…

 

Pourtant ce qui se joue dans une transformation est d’abord intérieur, presque intime, même si cette vision doit devenir collective pour engager une dynamique. Partager des valeurs, des finalités, des prises de conscience que ce qui s’est fait avant n’est plus adapté au présent ni au futur. Prendre le temps de chercher et de tester de nouveaux chemins de performance, plus larges que la vision économique ou financière. Ce qui se joue est humain et collectif, ne se réduit pas à des Power Points stratégiques ni à des injonctions à innover.

La transformation se pense forcément comme une œuvre collective et représente de ce fait un nouveau défi pour les managers publics.

Dans ce nouveau monde complexe et incertain, on ne peut trouver seul les réponses, et lorsqu’on les trouve, on ne connaît pas leur longévité.

Porter un regard éclairé, c’est-à-dire pluriel, est essentiel pour espérer s’approcher de décisions pertinentes. Mais les habitudes de travail dans nos organisations publiques nous poussent pourtant au cloisonnement et à la spécialisation. La première étape dans une démarche de transformation est ainsi de réintégrer le collectif pluridisciplinaire, multi-profils pour apporter une richesse dans la compréhension des faits et phénomènes, une dynamique créative dans la recherche de solutions. Les cycles de vie des projets ont également évolué. Il n'est pas rare, au vue de nouveaux paramètres, contraintes émergentes de devoir modifier des choix initiaux. Une décentralisation dans la prise de décision est impérative pour gagner en agilité.

Or bien souvent, la démarche de transformation, lorsqu’elle existe, est portée et vécue par la seule strate de l’encadrement. C’est là un premier écueil. La démarche de transformation impose d’associer tous les membres d’une organisation, mais plus largement d’un écosystème en incluant les utilisateurs du service public porteurs d’une expertise d’usage.

Un autre écueil réside dans la temporalité affectée à la transformation, dans la domination de ce fantasme « sitôt dit, sitôt fait ». On ne peut pas concevoir de nouveaux services sans temps pour les penser et les expérimenter, ni nouvelles compétences pour les conduire (ce qui là encore impose un temps d’intégration !)

Combien de fois sommes-nous confrontés à des injonctions de faire, condamnées par avance, faute d’un alignement entre l’ambition et les moyens alloués ? 

Mettre en œuvre un collectif demande des ressources pour l’animer, du temps pour l’amener à construire une vision partagée pour trouver la fluidité de ses interactions ou développer ses connaissances, des moyens pour associer les bonnes compétences nécessaires à la réussite de ses propositions. On voit ainsi que le rôle du manager gagne à évoluer vers la capacité à fédérer, à créer les conditions d’une intelligence collective durable, à résister aux demandes impossibles à honorer, à négocier les moyens adéquats bien plus qu’organiser les activités, les planifier et les contrôler.

Face à la complexité et à l’incertitude, nos seules forces résident dans l’adaptation, l’amélioration continue, l’esprit d’ouverture et la focalisation sur des objectifs priorisés, au sein de collectifs agiles et engagés.

Un « activateur » est toujours nécessaire dans le processus de transformation.

Mais comment faire émerger ces collectifs, comment les motiver dans la durée… c’est l’œuvre de certains profils, les transformateurs. Et chaque organisation en possède forcément.
Les transformateurs sont porteurs de ce nouveau regard, ils s’attribuent naturellement des “permissions” pour faire autrement. Ils ont bien souvent un profil d’entrepreneur, de créatif ou d’animateur, parfois les trois. Leurs compétences ne sont pas toujours “techniques”, mais ils excellent dans les savoirs transversaux, ces “soft skills” qui leur permettent de maîtriser non seulement l’art de la cohésion et du leadership mais également celui de la conduite de projets partenariaux.

Les transformateurs sont curieux, aiment sortir de leurs zones de confort, vont vers des concepts qu’ils ne connaissent pas, se les approprient, les adaptent à leur contexte et remplissent, ce faisant, une fonction fondamentale de pédagogie vis-à-vis des collectifs.

Il sont les chevilles ouvrières de la transformation car ils l’incarnent factuellement, opérationnellement, qu’ils en portent les “preuves” au quotidien. Sans eux, ces démarches de changement sont condamnées à rester des ambitions théoriques qui pourront prendre fin au prochain mandat.
Dans une démarche de transformation, il est donc impératif de les repérer mais surtout de leur donner le pouvoir d’agir. Les transformateurs ont besoin de liberté, d’autonomie, ils ont besoin de se développer, de nourrir leur curiosité et leur appétit du changement. L’enjeu managérial, au-delà de l’identification, sera aussi de créer les conditions propices à leur développement. C’est là un autre point critique de la démarche de transformation. Car ne pas les reconnaître, ne pas les soutenir, c’est le risque de les voir partir, au seuil d’une lassitude voire d’un épuisement professionnel, et de priver ainsi l’organisation de son potentiel même de transformation.

Comment cultiver l’art de la transformation ?

Si la nécessité de reconnaître la légitimité des transformateurs ainsi que leurs besoins fondamentaux, le pouvoir de décision, la liberté d’entreprendre et l’accès à des nourritures intellectuelles, est déjà une première étape, le manager public n’est cependant pas le seul contributeur à l'œuvre de transformation. Deux autres dimensions sont nécessaires pour maintenir l'énergie productrice du changement : la communauté et l’espace apprenant.

La communauté peut jouer un rôle de mise en réseau, d’inspiration, de soutien, parfois aussi d’apprenance. Elle ne se décrète pas, n’est pas pilotée, impose bien au contraire un cadre ouvert autorisant des formes d’auto-gouvernance. Si le manager public a la responsabilité de permettre son émergence, ses membres porteront celle de mettre à profit son opportunité de développement, autour d’une identité et de finalités consensuelles, faisant sens. Mais encore faut-il que l’on le leur permette…

La communauté peut être externe à l’organisation, dans ce cas, le manager public n’a pas forcément d’impact, et c’est d’ailleurs principalement ce modèle, ne nécessitant aucune autorisation préalable, qui se développe au sein du secteur public. 

Parfois, néanmoins, elle peut être interne et recouvre dans ce cas différents formats. Le Département du Var et l’agglomération de Valence Romans ont par exemple choisi de développer le mécénat de compétences interne, en formant un groupe d’agents publics volontaires aux démarches d’intelligence collective et en les libérant une partie de leur temps de travail pour venir en appui des services et projets de la collectivité. Ces groupes d’agents trouvent leur cohésion et leur motivation dans les collectifs ainsi créés. La durabilité de telles démarches sera clairement conditionnée à la marge de manœuvre laissée aux  agents pour créer et maintenir des interactions libres entre eux, pour développer leurs connaissances et leurs réseaux.

Le Calvados propose un autre exemple de communauté interne. L’équipe dédiée à la transformation, au départ une cellule de quelques agents, a grandi, s’est institutionnalisée pour devenir une direction à part entière. Mais cette organisation n’a pas modifié l’esprit collectif de son équipe qui représente une sorte de “communauté” au sein de la direction. Là encore, cette évolution tient à la qualité des personnes, et le profil d’Amélie Brun, directrice, y a fortement contribué.

Au-delà de la communauté, le secteur public a besoin de repenser le rôle et la place de la formation. Car comment imaginer de nouveaux modèles de performance si le temps passé à accéder à de nouvelles connaissances est réduit par les urgences du quotidien ?

La formation mérite de retrouver toute sa légitimité alors même qu’elle se trouve enfermée dans des processus la limitant dans le temps (au moment des entretiens annuels) comme dans les périmètres (celui de la fiche de poste occupée). On ne peut imaginer changer les esprits, car c’est bien de cela dont il s’agit aussi dans tout phénomène de transformation, si l’esprit n’a pas les moyens de se développer ! En complément aux cursus de formation classiques, il est nécessaire d’autoriser le champ de l’expérimentation, car c’est aussi par l’action que l’on apprend. Parfois opposée à une vision du service public encore empreinte de perfection, l’expérimentation gagne à être valorisée dans l’oeuvre de transformation, et l’Etat envoie aujourd’hui des signaux forts sur ces questions, en affichant le principe même de cette dernière dans certains de ces noms de domaine (beta.gouv) !

“Ne vivent haut que ceux qui rêvent” (Xavier Grall) !  

Peut-être faudrait-il remettre un peu d’utopie dans les démarches de transformation plutôt que de les considérer comme un énième sujet de gestion mesurable en équivalent temps plein et en enveloppe financière. Sans doute faut-il assumer un autre cheminement que celui que nous connaissons majoritairement dans le secteur public, la maîtrise et la planification, et accepter parfois un peu de désordre et d’incertitude, pour que se dessinent d’autres perspectives. 

Notre héritage actuel est celui de la structuration du service public : la bureaucratie, pensée à l’ère de la révolution industrielle et de ses processus génériques. Or nous évoluons désormais dans une économie de la connaissance, digitalisée. Les réponses doivent ainsi être nouvelles. 

« La créativité demande du courage » (Henri Matisse). C’est sans aucun doute l’un des « soft skill » majeur que nous devons développer dans cette nouvelle époque de transformation !

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