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Action publique et développement durable

Le 3 mai 2018

Parler de développement durable et d’action publique devrait être somme toute un pléonasme ; l’action publique devrait toujours s’inscrire dans une perspective de soutenabilité de long terme prenant en compte l’ensemble des enjeux d’environnement, d’économie et de société. Et pourtant, confronter l’action publique au développement durable est souvent décevant, comme si l’argument du développement durable n’était pour bien des politiques publiques qu’un alibi derrière lequel s’abritent des compromis bâtards plutôt que des synthèses ; compromis au cœur desquels se dessine un malentendu, l’idée d’une croissance infinie dans un monde fini et le préjugé selon lequel bonheur et qualité de vie résulteraient de cette croissance constante… (comme dans la chanson : « Foule sentimentale » 1993 d’Alain Souchon : « On nous fait croire, que le bonheur c’est d’avoir, de l’avoir plein nos armoires. ») Et pourtant, en matière de développement durable, l’action publique a des répercussions sur les éléments de notre univers quotidien : l’air, l’eau, la terre… et le temps.

L’air

Affirmer que nos politiques de mobilité qui ont privilégié la voiture individuelle, la consommation d’énergies fossiles, le diesel, etc., ont des effets désastreux sur la pollution de l’air n’a rien de nouveau. Ce qui l’est, c’est peut-être l’ampleur de ces effets avec plusieurs dizaines de décès prématurés par an. Et pourtant, un urbanisme des courtes distances, des aménagements frugaux, des vitesses réduites et des espaces publics de qualité conduisent sans grands investissements à privilégier l’intermodalité avec les transports publics et les déplacements à pied et à vélo, peu coûteux et aussi bons pour l’économie présentielle que pour le lien social et la santé publique en luttant contre le surpoids et l’inactivité physique.

L’eau

Les choix qui ont été faits depuis plusieurs décennies d’une agriculture assise sur des pesticides et des engrais azotés ont abouti à fragiliser la santé des agriculteurs, ils ont conduit à leur endettement croissant et la production de denrées agricoles de mauvaise qualité environnementale et sans doute gustative et une terrible pollution des eaux tant souterraines que de surface, et des taux de résidus presque partout supérieurs aux normes de l’organisation mondiale de la santé. C’est un cercles vicieux : productions de mauvaise qualité, prix trop bas pour que les producteurs en vivent, pollution des nappes, coût majeur de dépollution, prix de l’eau élevé pour les consommateurs, intensification de la production, mauvaise qualité des produits… et la même séquence vaudrait pour la quantité consommée : subventionnement de productions très gourmandes en eau (telles le maïs) dont la demande intérieure est faible, irrigation massive, pénurie d’eau, construction de retenues, ventes à vil prix, subventionnement de cultures irriguées, etc.

La terre

Le choix d’ouvrir sans cesse à l’urbanisation de nouveaux espaces aux dépens des espaces naturels et agricoles s’est traduit par un étalement urbain qui a été source de consommation de terres et a nécessité la construction d’infrastructures de desserte, la mise en place de services de secours, etc., la faible densité ne justifiant pas l’implantation de services ou de transports collectifs performants, l’accès ne pouvant dès lors être qu’automobile et générant des pollutions atmosphériques et des émissions de gaz à effet de serre… En outre, dans ces espaces discontinus, la sectorisation fonctionnelle (habitations en banlieue lointaine, services de ville centre ou en périphérie de la ville centre…) est également source d’isolement des uns et des autres, de fragilisation du lien social, etc.

Dans son ouvrage Happy city, Charles Montgomery1 analyse comme effet induit par l’étalement urbain la perte de confiance des personnes très éloignées de leur travail dans leur environnement humain : comme elles passent plusieurs heures pour se rendre à leur travail, partant tôt et rentrant tard, elles sont peu présentes à leur domicile et entretiennent peu de liens avec leur entourage auquel elles affirment finalement ne pas pouvoir faire confiance. À l’inverse, un bénéfice inespéré observé du service civique chez les jeunes engagés est qu’ils affirmaient faire davantage confiance aux autres que la population de référence.

À la source de ces dysfonctionnements, un dénominateur un peu inattendu : la valeur qu’on attribue au temps

À titre d’illustration, l’évaluation socio-économique qui précède la programmation et la réalisation des infrastructures de transports est supposée mettre en balance la somme des gains individuels et des coûts de réalisation projetés ainsi que l’ensemble des externalités positives ou négatives induites par l’infrastructure, en intégrant un coût d’opportunité des fonds publics (qui ne peuvent être employés simultanément à deux objets distincts).

Cette analyse, qui fait intervenir des valeurs standards (tutélaires), est très détaillée sur certains aspects – pollution, émissions de gaz à effet de serre (avec un coût conventionnel identifié de la tonne de CO² évitée ou générée) et muette sur des aspects plus complexes : consommation d’espaces agricoles ou naturels, perte de biodiversité, étalement urbain, et fracture sociale, etc. En outre, elle donne une valeur bien supérieure au temps perdu ou « gagné » des personnes à hauts revenus en l’absence de l’infrastructure ou du fait de l’infrastructure (notamment au travers des coûts de congestion), ce qui conduit à justifier des infrastructures qui bénéficient aux individus favorisés plutôt qu’aux populations reléguées aux franges et dépendantes de la desserte. On met en balance ce temps supposé gagné ou perdu avec les vies humaines préservées quand on envisage une baisse de la vitesse maximale autorisée.

En somme, inscrire le développement durable au cœur de l’action publique, c’est rappeler que le bien commun est le fruit d’une vision stratégique avec le long terme comme horizon, dessinant la trajectoire de l’action à partir du futur souhaité pour la société, sans imaginer que la réponse à nos impasses actuelles sera apportée par un progrès technique. Fixer à l’action publique l’horizon du long terme, c’est mettre l’être humain au centre du système et non les fonctions rendues par les structures, proposer une vision à co-construire et à partager, donner sa place à l’imagination collective pour poser les questions différemment et inventer des réponses ensemble.

Mettre le développement durable comme horizon de l’action publique, c’est justement mettre ces signaux faibles de construction d’un capital social mieux réparti au centre des objectifs pour s’attacher à réparer le tissu social, faire société en somme, tout en préservant un capital environnemental, un patrimoine d’urbanité et une gestion économe des ressources avec en fin de compte une efficacité économique accrue à long terme et de réels bénéfices sanitaires par surcroît.

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