Revue
DossierMieux répondre aux besoins de sécurité de nos concitoyens
Le sujet est d’importance en raison des enjeux politiques qu’il sous-tend mais surtout des menaces et des changements auxquels nous sommes confrontés. Il devient urgent de déterminer les priorités et les moyens que nous souhaitons dédier à la sécurité. Même si la notion de sécurité globale est communément admise, reconnaissant que les domaines militaires et civils sont étroitement liés, ce propos se concentrera sur l’aspect sociétal et civil de la question.
La bonne nouvelle : nous disposons d’études et de recherches de qualité réalisées par des experts qui nous fournissent un état des lieux et des préconisations sur lesquels s’appuyer.
L’état des lieux
Qu’il s’agisse des statistiques et analyses de l’Observatoire national de la délinquance (OND) ou plus largement des études de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), des recherches et parutions du Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), du Centre national de la recherche scientifique, des études réalisées par l’Inspection générale de l’administration ou produites par les think tank, ce sont autant de données permettant d’appréhender la situation sécuritaire de notre pays tout en suggérant des solutions. Ainsi, le CNRS travaillait sur le phénomène de la radicalisation bien avant qu’il n’apparaisse en première page des journaux et dans nos préoccupations. Pourtant, des problématiques récurrentes telles que la délinquance juvénile, le trafic de stupéfiants, les violences urbaines continuent à se développer sans que l’on soit en mesure d’évaluer les politiques publiques mises en place pour les endiguer, de partager les bonnes pratiques identifiées. C’est un mal endémique de la société française mais c’est encore plus vrai pour les services de sécurité qui redoutent l’évaluation l’assimilant à un jugement de valeur pouvant fragiliser l’autorité régalienne qui leur est confiée. Heureusement les mentalités évoluent mais trop lentement.
Les forces de sécurité
Il a été délibérément retenu le concept générique de forces de sécurité qui réunirait la police et la gendarmerie nationales et les polices municipales, ce qui correspond à la vision de nos concitoyens qui, souvent, ne distinguent pas les unes des autres. D’ailleurs la répartition géographique, celle des compétences ont varié selon les époques : la police nationale (sûreté nationale) est née de la fusion des polices municipales (décrets-lois de 1934 et 1935), que la police parisienne n’a été rattachée à la police nationale qu’en 1966. La nécessité de réfléchir de manière globale et efficace préconise d’éviter de prendre en compte des éléments susceptibles de réduire le débat à des considérations corporatistes. Une réflexion a été menée par l’Inspection générale de l’administration pour mutualiser les formations de tous les services chargés de la sécurité, y compris la sécurité privée. Elle n’a pas abouti en raison de contraintes financières mais il est probable que la volonté de rassembler toutes les forces de sécurité s’imposera pour les formations comme pour l’opérationnel, à la fois pour des raisons de cohérence, de rationalisation et économiques. L’organisation et le fonctionnement des forces de sécurité constituent de vraies pistes d’amélioration du service public de la sécurité.
L’urgence d’un débat de fond sur la sécurité
Si la sécurité est devenue une priorité de nos concitoyens, ce débat se heurte à de nombreuses difficultés : l’exigence de transparence n’est pas dans la tradition des services de sécurité qui ont trouvé confortable la pratique du secret et le refus d’explications « pour des raisons de sécurité ».
Pour l’heure, la sécurité est pour les Français une exigence, mais à l’instar des recommandations de l’Institut Montaigne dans sa publication de septembre 2016 « refonder la sécurité nationale », on ne peut que souhaiter que « la sécurité devienne le bien commun des citoyens » par une implication plus grande dans les instances locales de décisions (Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance – CLSPD) ou par le biais de la réserve citoyenne. Jusqu’à présent, ces dispositifs n’ont pas réussi à établir une relation de confiance entre la police et la population. Les CLSPD n’ont pas résolu, du moins de manière évidente, les problématiques locales de sécurité. La question de la confiance touche de nombreux services publics mais les critiques et notamment le reproche concernant le manque de bienveillance ressenti dans le comportement des forces de sécurité à l’endroit de nos concitoyens, est trop souvent exprimé, y compris par des victimes. Pour preuve, la dernière parution de l’INHESJ en septembre 2017 qui porte le titre « Police et population : du conflit à la confiance ». Le chercheur Sébastien Roché étudie depuis des années la défiance qui caractérise cette relation ; les récents débats sur les contrôles d’identité en attestent. Cette même défiance caractérise les relations des forces de sécurité avec les politiques. Les options prises par les politiques, y compris celles qui étaient motivées par les meilleures intentions, qu’elles soient de gauche ou de droite, n’ont jamais rencontré l’adhésion totale des forces de sécurité (police de proximité, tolérance zéro, etc.).
Les risques de « récupération », d’instrumentalisation des thèmes de la sécurité
S’il est souhaitable que la sécurité soit l’expression de choix politiques assumés, force est de constater que l’instrumentalisation de sujets sociétaux ayant des incidences sécuritaires, est dangereuse. Il n’est pas question ici de prétendre que la sécurité est une chose trop sérieuse pour la confier à des néophytes. Bien au contraire, la sécurité n’est qu’un corollaire d’un choix de société. Il est donc urgent pour les Français de procéder aux choix qui se présentent, en toute connaissance de cause. L’exemple de la police de proximité crée en 1995 et abandonnée en 2007, est le type même de politique publique aux objectifs louables, respectueux de notre logique républicaine mais dont la mise en place, soumise au calendrier et aux exigences des politiciens, s’est révélée un fiasco total.
A posteriori, on peut affirmer que le terme même de police de proximité constituait une évidence : comment la police ne pouvait-elle ne pas être proche et par conséquent, bien connaître, un territoire et ses habitants ? N’est-ce pas un élément intrinsèque de la mission sécuritaire ? En revanche, comment obtenir l’adhésion des policiers, en mettant en place des formations de masse qui ressemblaient tant en de l’endoctrinement. La simple référence à une « doctrine » de la police de proximité déterminait par avance, son échec. Comment convaincre, des policiers, par définition pragmatiques et concrets que la doctrine qui leur était « infusée » devrait leur permettre de mieux maîtriser la situation ? Laquelle dans le même temps se détériorait : des insultes proférées lors des interventions à l’encontre des forces de l’ordre, on assistait à des jets de pierres puis de machines à laver !
La mise en place de la police de proximité a été accélérée sans attendre le retour des premières expérimentations et appliquée sur l’ensemble du territoire sans que les effectifs qui auraient dû lui être dédiés, le soient. Inutile de dire que les forces de sécurité sont inquiètes en 2017 d’entendre le ministre de l’Intérieur annoncer la mise en place d’une police de la sécurité du quotidien comportant une doctrine et une expérimentation prévue pour la fin de l’année. Il est évident que les Français aspirent à une sécurité du quotidien ! Pourrait-on renoncer pour une fois aux idéologies et adopter une attitude pragmatique et constructive face à la réalité ?
La lutte contre le terrorisme connaît malheureusement les mêmes instrumentalisations. Si nous nous accordons tous pour déclarer que les méthodes employées par les terroristes sont intolérables, il est complexe de déterminer quelles solutions sécuritaires sont les plus appropriées. Là encore, manipulation des faits, interprétations, finissent par convaincre le citoyen français qu’il est plus prudent de renoncer à certaines de ses libertés pour ne pas compromettre l’atteinte des objectifs.
Mais quels sont les objectifs : identifier et neutraliser le terroriste avéré ? Potentiels ? Comment le faire ? Jusqu’où aller dans les atteintes à leurs libertés, aux nôtres ? Pour ce faire, faut-il éradiquer les intégristes religieux ? Défendre la laïcité ? Inculquer la tolérance dans nos écoles ? Ou bien, faut-il développer les outils de prévention ? Plan Vigipirate, renforcement des lois anti-terroristes ? Périmètres de sécurité renforcés et matérialisés par des protections infranchissables ? Vidéo surveillance développée ? Mise en détention préventive de tout suspect ?
La solution réside sans doute dans la combinaison de ces mesures, là encore, variant selon l’évaluation de la menace, de la réalité locale, des enjeux à un temps donné. Le pathos, on le comprend, n’est pas de bon conseil. Le sujet est complexe et exige une réflexion dépassionnée et réaliste sur la base d’informations avérées. La lutte contre l’immigration illégale bénéficie de même traitement « affectif » des médias et des politiques pour aboutir, in fine, à des analyses dont on ignore si elles sont objectives ou biaisées afin d’obtenir la conclusion politique à laquelle on souhaite arriver. Nos concitoyens, nos forces de l’ordre ne sont pas dupes ; ils sont capables de comprendre la situation, de l’analyser et de prendre parti pour une orientation ou une autre en toute connaissance de cause. Une information honnête et complète leur est due car les enjeux vont, sur ces sujets, au-delà du simple aspect technique de la sécurité, raison pour
laquelle les « experts » ne peuvent être les décideurs.
Des solutions existent
Oui : trouver le bon niveau pour prendre en compte la problématique de sécurité.
Trouver une réponse au terrorisme, à la cybercriminalité ou aux trafics internationaux ne peut se placer sur le même plan que la lutte contre les incivilités, les cambriolages ou les agressions physiques. La lutte contre certains grands trafics, contre la cybercriminalité dépasse déjà notre cadre national ; seule une réponse internationale, au minimum européenne sera efficace. C’est à la fois une question de compétences et de responsabilité : le terrorisme vise l’État même si la prévention exige une prise en compte locale voire la vigilance de chacun d’entre nous. La cible première des terroristes est de fragiliser le gouvernement des États en s’attaquant à leur crédibilité, en démontrant leur impuissance. L’objectif d’un cambriolage est un enrichissement frauduleux, il touche une personne, une famille mais ne concerne qu’un quartier, une ville tout au plus une région. La responsabilité et la maîtrise des moyens de la lutte contre le terrorisme, la cybercriminalité, des grands trafics internationaux incombent à ceux qui ont les bonnes informations et la meilleure vision : ce sont nos gouvernants informés par les responsables des services de renseignement ou de sécurité.
En revanche, les questions locales seront mieux appréhendées et traitées à l’échelon local. Ce sont nos élus, les responsables locaux de la sécurité qui sont à même de faire le meilleur état des lieux, identifier les solutions, les mettre en place. L’empilement des priorités ministérielles, parfois en contradiction avec la situation locale, consomme inutilement les énergies et les savoir-faire. Que chacun se concentre sur les sujets qu’il maîtrise. Préférons l’efficacité, l’efficience à de pseudo-enjeux de pouvoir. Le temps n’est plus à cette mosaïque de pouvoirs et d’ego mais à la résolution des problèmes qui empoisonnent la vie de nos concitoyens. Le choix des priorités mais aussi, les moyens qui leur seront dédiés, les compétences et l’organisation des services chargés de travailler sur ces questions, sont autant de paramètres à intégrer dans la réflexion. Le recrutement national généraliste est-il adapté ? N’aurait-on pas intérêt à recruter un pourcentage de spécialistes, à recruter régionalement ? L’organisation des cycles de travail doit-elle impérativement être la même à Paris ou à Brest ? Le simple bon sens permet d’affirmer qu’on ne fait pas la police de la même manière à Lille ou à Marseille, dans une grande ville ou dans un village de 500 habitants.
La sécurité et la justice sont indissociables
Impossible d’évoquer la question de la sécurité sans référence à celle de la Justice. S’il n’est nullement question de remettre en cause l’indépendance de la Justice et son rôle majeur dans le respect des libertés publiques et individuelles, il faut reconnaître que « dire le droit » ne suffit plus.
Plusieurs axes de réflexion s’imposent :
• l’engorgement des juridictions, provoquant des délais de traitement trop longs qui encouragent la contraventionnalisation de certains délits. Si le chèque sans provision a déjà bénéficié de cette « adaptation », quels délits seront désormais contraventionnalisés ? L’usage de stupéfiants par exemple ? Quelles seront les conséquences en termes de santé publique ? C’est une mesure attendue des policiers qui croulent sous les exigences de la procédure pénale.
• la procédure pénale de notre pays n’est plus adaptée : la France reste parmi les derniers États à appliquer une procédure de type inquisitoire alors que la majorité des Pays et la Cour internationale de justice appliquent une procédure de type accusatoire (à l’anglo-saxonne).
• la procédure est devenue si complexe que les avocats fondent essentiellement leurs actions sur une annulation pour vice de forme.
• la justice ne peut plus être « hors-sol » ; elle est dans la cité et à ce titre impliquée dans la vie de notre société. Des évolutions sont en cours mais le tempo est trop lent.
On l’aura compris : il s’agit ici d’évoquer quelques pistes d’actions susceptibles d’améliorer la réponse aux attentes de nos concitoyens en matière de sécurité. Les changements sont nécessaires pour garantir une réponse démocratique aux enjeux sécuritaires. Chaque sujet mérite une réponse approfondie et éclairée.
Point de vue :
La sécurité du quotidien, une utopie réaliste ?
Par Dominique Dalmas, Inspectrice générale de l'admnistration (h.), ancienne professeure associée des universités
Les faits sont têtus. La demande de sécurité ne faiblit pas. Elle occupe les premières places des différents sondages qui s’efforcent de classer les attentes et besoins des citoyens. Et même si l’apparition de la menace terroriste, en bouleversant la hiérarchie des priorités l’a fait reculer, le reflux n’est que relatif. En réalité, l’aspiration à une sécurité du quotidien que trouble la petite délinquance, se trouve, bel et bien, renforcée par l’arrivée du terrorisme. Présente aussi bien dans les métropoles que dans les territoires ruraux, elle transcende couches sociales et logiques géographiques. Avec l’annonce, pour la fin de l’année, d’une nouvelle police de la sécurité du quotidien, elle se réinstalle au cœur de l’actualité.
Revenons, sans s’y attarder, sur les statistiques de cette petite délinquance qui empoisonne les relations sociales. En 2016, plus de 700 000 vols simples, sans violence, contre les personnes ont été constatés : vols à la tire survenus le plus souvent dans la rue, les transports en commun, les restaurants. Cette même année, on a recensé 243 500 cambriolages de logement et 262 900 vols dans les véhicules et 103 000 vols d’accessoires sur les véhicules. À ce stade et, pour ce type de méfaits, on sait que ces chiffres ne reflètent qu’une part de la réalité, les victimes estimant inutile de se déplacer notamment lorsqu’il s’agit de tentatives avortées ou que l’assurance ne jouera pas. Quant au registre des insultes et menaces diverses, on sait qu’à peine 5 % des faits sont recensés.
S’y ajoute le long cortège d’incivilités, notion floue et de nature sociologique qui renvoie à une gamme élargie de comportements qui ne tombent pas tous sous le coup de la loi pénale : biens public ou privés cassés ou tagués, crachats, insultes, nuisances sonores, fraudes dans les transports publics. Aux remarques timides, répondent trop souvent injures grossières, voire menaces dans l’indifférence apparente d’un environnement impuissant qui n’en pense pas moins.
Ces constats fabriquent le subtil « sentiment d’insécurité » compliqué à quantifier. Selon l’enquête 2016 « cadre de vie et sécurité », 15 % des personnes de plus 14 ans ont déclaré se sentir en insécurité à leur domicile et près de 20 % dans leur quartier ou leur village. Sans surprise, ce sont les femmes seules, les personnes âgées, les adolescents et les habitants des quartiers sensibles qui se sentent les plus vulnérables.
Les sources en sont connues : être victime ou témoin direct ou indirect des faits et, pour tous, le relais alarmiste des médias, friands de faits divers. S’est ainsi durablement installée dans l’opinion publique la perception d’une société, traversée de tensions et de violences où priment individualisme et impunité. Face à ce diagnostic partagé, les pouvoirs publics sont jugés impuissants à prendre en charge cette délinquance du quotidien. Ils se sont progressivement enfermés dans des postures idéologiques au détriment d’une stratégie de long terme. Ainsi, depuis les années 2000, les débats sont récurrents. Pour atteindre l’objectif visé, faut-il réprimer avec sévérité toutes les infractions si mineures soient-elles au nom du principe de tolérance zéro ? Faut-il au contraire mettre l’accent sur la prévention et la bienveillance. Les deux écoles continuent de s’affronter avec la même rhétorique rebattue.
La tolérance zéro qui rencontre toujours un écho indéniable dans une partie de la population nous vient des États-Unis et de la politique mise en œuvre par le maire de New-York. Dans son sillage, un rapport de l’Institut Montaigne de novembre 2001 préconisait de « faire de la tolérance zéro le principe fondateur de la doctrine d’emploi des forces de l’ordre : à tout délit constaté doit correspondre une réponse répressive ». Par la suite, différentes études ont contesté le lien de causalité entre la baisse de criminalité aux États-Unis et la mise en œuvre de la doctrine de la tolérance zéro ». Les risques découlant d’une sécurité publique, orientée et vécue comme uniquement répressive, ont également été identifiés : ripostes, menaces et agressions contre les policiers ou leurs proches et évaporation du lien de confiance police-population sans cesse mis en avant.
En contrepoint à cette doctrine, est avancée une autre forme de sécurité publique, immergée dans le tissu local, attentive aux besoins des habitants. La référence étant la police de proximité, mise en œuvre par Jean-Pierre Chevènement entre 1999 et 2003 et depuis, caricaturée à l’excès. La lecture des écrits de l’époque démontre qu’il n’a jamais été dit que le policier de proximité se mue en « travailleur social ou en « agent d’ambiance ». Il s’agissait de dégager la police de la référence traditionnelle du « flic répressif », de l’intégrer au quartier ou à la commune. Par une présence active et visible, il devait gagner la confiance, l’estime et la reconnaissance de la population, propices à la remontée d’informations et à l’instauration de partenariats efficaces. Cette police de proximité « à la française » prenait corps dans la territorialisation des services de police avec la création d’implantations immobilières, l’allocation d’effectifs et de moyens complémentaires pour patrouiller sur le terrain. Elle s’accompagnait de formations lourdes pour faire accepter le changement et acclimater les nouveaux modes d’actions. La police de proximité devenait polyvalente et sortait du clivage prévention/interpellation. Sa vocation répressive, sous l’angle verbalisation, interpellation et procédure judiciaire, n’était pas niée mais intégrée à une mission élargie. Elle devait à terme modifier en profondeur les façons d’être et de faire de la police en charge de la sécurité publique.
Son déploiement s’est brutalement interrompu pour de multiples raisons. Ce qui a suivi, guidé par la pression syndicale et politique, n’a guère été ni cohérent ni probant en termes de méthodes et de résultats. Dans les zones sensibles, les unités territoriales de quartier « UTeQ » créées en 2008 par Michèle Alliot-Marie, ont été remplacées par Brice Hortefeux en 2011 par les brigades spéciales de terrain « BST », censé être plus musclées. En 2011, Claude Guéant annonçait le dispositif de « patrouilleurs ». À l’automne 2012, apparaissaient les zones de sécurité prioritaires dans le but d’assurer une sécurité de proximité dans les quartiers les plus sensibles. Le terme de « proximité » était soigneusement écarté de ces réformes successives alors même que le Code de la sécurité intérieure n’hésite pas à affirmer que « l’extension à l’ensemble du territoire d’une police de proximité répondant aux attentes et aux besoins des personnes » constitue une des orientations permanentes de la politique de sécurité publique (CSI, art. L. 111-2).
Est annoncée l’arrivée de « la police de sécurité du quotidien » dont les contours sont encore flous, mais qui prend soin, elle aussi de se définir comme différente de la police de proximité. Il est permis d’être perplexe sur sa réussite si les débats restent cantonnés aux questions d’effectifs et de moyens et si les réponses apportées se limitent à des ajustements de tâches ou à la modernisation des outils existants. Parvenir à assurer la sécurité de tous les jours appelle une stratégie plus ambitieuse au soutien d’une réforme en profondeur du dispositif de sécurité publique.
Quelles missions pour quels acteurs ?
La sécurité quotidienne, « celle du sommeil » est indissociable de la proximité. Elle nécessite une présence humaine et identifiée sur le terrain au contact de l’habitant pour tisser, sur le long terme, une relation intime. Ce constat renvoie à l’essence même des polices municipales. Celles-ci sont devenues incontournables. Elles ont grandi en termes d’effectifs, se sont professionnalisées et légitimées. Elles accueillent dans leur rang d’anciens policiers et militaires d’expérience dont la formation initiale a été assurée par l’État. Les pouvoirs publics, sous la pression budgétaire et la montée de la délinquance, ont continûment élargi leurs compétences et leur champ d’action. L’état d’urgence a encore accru leurs prérogatives. Il est temps d’en tirer les enseignements en réévaluant les prérogatives des maires dont la mission reste d’assurer « ordre, sûreté, sécurité et salubrité », en définissant de nouvelles règles du jeu qui tiennent compte des intercommunalités et en renforçant leurs moyens. Par un clin d’œil de l’histoire, ce serait revenir à la situation d’avant la loi du 23 avril 1941. Une analyse du même type devrait être menée avec les acteurs de la sécurité privée.
Il serait en revanche irréaliste de confier aux polices municipales la charge de la sécurité du quotidien dans les zones urbaines sensibles ou prospère une délinquance complexe connectée à la grande criminalité et à ses réseaux organisés. Le retour de la légalité et de la tranquillité sur ces territoires est de la responsabilité de l’État et de la police nationale dans une action concertée pour démanteler les filières criminelles, prévenir les violences urbaines et assurer l’ordre public. Les polices municipales ne sont pas outillées pour assurer ces missions, ce qui ne signifie en rien pas qu’elles doivent rester à l’écart de l’action de la police nationale.
Comment accroître l’efficacité des forces de sécurité intérieure ?
La modernisation des outils et la simplification des tâches sont incontournables mais insuffisantes au regard de l’enjeu. Il convient d’envisager une nouvelle organisation au sein de l’État, orientée vers une intégration plus poussée entre police et gendarmerie. Sur la table, se posent les questions de la définition des zones de compétences de chacun, le renoncement à la duplication des outils et des structures, la création d’états-majors communs. Il ne s’agit pas d’aborder le sujet sous le seul angle budgétaire de la mutualisation mais de gagner en efficacité grâce à l’interpénétration des cultures, source d’enrichissement mutuel et à la mise en synergie des hommes, des compétences et les missions.
L’autre défi, qu’il est urgent de relever, porte sur la chaîne pénale du « petit judiciaire ». Lente, complexe, inadaptée au volume et aux formes de la délinquance de proximité, elle nourrit la démotivation des forces de sécurité, la perte de confiance voire l’exaspération des citoyens et conforte, à juste titre, le sentiment d’impunité chez les coupables.