Revue

Cartoscopie

La culture préparerait-elle sa révolution naturelle ?

Le 27 juin 2022

Comment mettre en carte la culture sans risquer de vider de sa substance une dimension aussi ubiquitaire que complexe à cerner ?

Est-ce en répertoriant – conformément à la tradition géographique – des paysages, des coutumes, des savoir-faire locaux révélant l’atmosphère d’un lieu, le lien intime entre une population et un milieu ? Ou en représentant des équipements culturels et leur distribution, l’offre et son accessibilité, la fréquentation et sa diversité sociale dans une logique d’éducation, d’intégration et de cohésion sociale ? Ou encore, en recensant les grands équipements d’excellence, le nombre d’emplois et d’entreprises « culturelles », les investissements, autrement dit en caractérisant la filière économique « créative » qui contribue à l’attractivité, au rayonnement et à la croissance du territoire ? Les trois perspectives, non exclusives, marquent des époques et des « spécialisations » territoriales. La dominance de l’une ou de l’autre teinte les récits en résultant : dans le premier cas, la culture devient marqueur de singularité et de développement local, voire d’identité territoriale ; dans le deuxième, elle est promesse d’émancipation individuelle, de lien social et de lutte contre les inégalités ; dans le troisième, elle est agent de la globalisation économique et de la métropolisation.

Les investissements culturels des agglomérations françaises

À l’heure du changement global et de l’avènement anthropocène, ne faut-il pas imaginer la culture dans les territoires à l’aune d’un nouveau prisme, cette fois comme contributrice à l’adaptation et à la redirection écologique ? Si l’on admet que ceux-ci ne peuvent pas relever que du volontarisme politique et du génie scientifico-technique moderne, mais d’une réinvention généralisée de notre rapport au monde, y compris sensible, et de nos manières d’habiter nos territoires, alors c’est bien la culture dans toute son épaisseur anthropologique qui doit être convoquée. Ainsi, il est intéressant de considérer les projets en cours d’élaboration des villes françaises candidates au titre de capitale européenne de la culture en 2028. Au-delà de s’inscrire dans le cadre du rayonnement et de l’attractivité, ce dispositif consacre un territoire qui active le levier culturel pour se relever d’un choc – hier la désindustrialisation, demain l’épreuve anthropocène ? – et transformer son modèle de développement..

Si le basculement écologique ne constitue pas encore la norme parmi la dizaine de candidatures identifiées, on détecte néanmoins certains signaux faibles. Rouen fait de la Seine un acteur clé du projet et franchit finalement la coupure spéciste en personnifiant le fleuve : « Et si c’était finalement plutôt la Seine normande qui candidatait ? » Clermont-Ferrand met au centre de sa candidature l’entité naturo-culturelle « massif central » – hier espace sous-développé, aujourd’hui actant environnemental majeur – en ajoutant une proposition artistique de proto-habitat, pont entre archéologie et prospective, donnant à voir un « habiter » réconciliant nature et culture. De là à y voir l’avant-garde d’une révolution naturelle de la culture…

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