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Olivier Bianchi : « La révolution écologique est aussi culturelle ! »

Olivier Bianchi
Olivier Bianchi, maire de Clermont-Ferrand au Congrès de l'Association des Bibliothécaires de France (ABF) en 2016 à Clermont-Ferrand.
©CC BY-SA 2.0
Le 4 juillet 2023

Olivier Bianchi est maire de Clermont-Ferrand et président de Clermont Auvergne métropole depuis avril 2014. Il a précédemment été adjoint en charge de la culture, président de la commission culture de l’Assemblée des communautés de France (AdCF) et siégé au conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC). Dans cet entretien accordé à Horizons publics, il invite à penser la place de la culture dans la transition écologique des métropoles. Olivier Bianchi porte aussi la candidature de Clermont-Ferrand Massif central 2028 pour que le territoire devienne la prochaine capitale européenne de la culture française.

Si nous commencions cet entretien, Olivier Bianchi, par des éléments de présentation, nous mentionnerions vos mandats de maire de Clermont-Ferrand et de président de la métropole Clermont Auvergne métropole ; nous mettrions en avant votre appartenance de longue date à la famille socialiste ; vos études de sciences politiques ainsi que votre goût pour l’histoire. Toutefois, il faudrait aussi souligner un aspect plus singulier de votre trajectoire politique, à savoir votre intérêt pour la culture et votre investissement dans les politiques afférentes. Cet intérêt change-t-il, selon vous, la manière de penser et de construire le territoire métropolitain dont vous avez la charge ?

En 2001, lorsque je deviens adjoint à la culture, Clermont est une ville industrielle engagée dans une profonde mutation où la production, en particulier chez Michelin, cède peu à peu la place à la recherche et développement (R&D), à l’ingénierie, aux « cols blancs » et aux emplois à haute valeur ajoutée. La métropolisation aux sens géographique, économique et social du terme est à l’œuvre. La structure de l’emploi évolue et la ville est en train de changer : émerge une société métropolitaine avec de nouvelles attentes qu’il faut satisfaire. Je prends alors conscience que la culture est à la fois une de ces attentes et un des facteurs déterminants de la transformation métropolitaine elle-même. La ville ne cherchait pas encore à mettre en valeur les industries créatives. Elle n’était pas dotée des équipements et des aménités qui jouent un rôle important dans l’attractivité et le rayonnement urbain. C’est dans les vingt dernières années que ce tournant a été pris. Un tournant qui constitue en soi une vraie mutation culturelle et auquel par mes fonctions j’ai pu contribuer.

Notre politique culturelle est une traduction de la métropolisation géographique puis de la métropolisation institutionnelle et politique.

La transformation communautaire et l’acquisition du statut de métropole interviennent plus tard, en 2016, deux ans après mon élection comme maire et président de la communauté d’agglomération. La création de la région Auvergne-Rhône-Alpes et la perte du statut de capitale auvergnate sont compensées par l’obtention de celui de métropole. Mais factuellement ce nouveau statut correspond bien à la réalité géographique émergente. Il m’apparaissait évident que l’avenir de Clermont était d’assumer pleinement ce rôle géostratégique de flotteurs ouest dans la grande région, et d’intégration dans l’ossature urbaine de Grenoble, Lyon, Saint-Étienne.

La transformation de Clermont intervient tardivement dans le processus d’urbanisation et de métropolisation français. Vous dites d’ailleurs que cela pourrait être une chance pour la métropole de ne pas être autant engagée que les autres dans cette trajectoire alors même que le changement global et la nécessité de la réorientation écologique viennent rebattre les cartes des modèles urbains et territoriaux.

Nous sommes effectivement en train de conduire la mutation métropolitaine que certains ont connue dans les années 1990 et 2000. Mais, dans le même temps, nous sommes obligés de penser l’adaptation de notre espace urbain pour assurer sa résilience face au changement climatique. Il faut donc conduire concomitamment deux transitions lourdes, dures à mener et parfois contradictoires. D’un côté, il y a le développement, la croissance, de l’autre, il y a la sobriété et la vigilance à ne pas surconsommer. Cette tension vaut dans tous les secteurs, de l’économie à l’habitat en passant par la démographie. Inventer la manière de rendre compatibles ces deux transitions tiendrait d’une vraie marque d’intelligence. Plus humblement, il faut déjà trouver des points d’accroche, éviter les confrontations qui pourraient déboucher sur des échecs et trouver le meilleur chemin pour une ville qui, de surcroit, n’est pas très riche. Cela va nécessiter beaucoup d’arbitrages, en choisissant les leviers les plus efficients. J’ai choisi, par exemple, de traiter prioritairement la question des transports publics parce que je pense que c’est un enjeu central pour accompagner la densification des villes et offrir des solutions aux habitants des territoires périurbains qui dépendent des déplacements pendulaires.

Le développement oblige à disposer de moyens de transport quand la recherche de résilience et la transition écologique obligent à diminuer la place de la voiture en ville et à décarboner les mobilités. Il faut parvenir à faire ce genre d’exercice d’équilibriste sur tous les sujets métropolitains.

C’est ce que l’on tente aussi de faire sur l’énergie avec la production du biogaz et la mise en place de réseaux de chaleur alimentés par l’incinérateur. Ce sont des projets coûteux et des travaux lourds à réaliser qui ont une incidence sur la qualité de la vie urbaine. Toutefois, je suis intimement convaincu que dans une petite décennie, les citoyens reconnaîtront le bien-fondé de cette approche et le courage politique qu’il y avait à l’initier.

Tenir ces deux bouts de la stratégie, c’est échapper aux défauts du développement non contrôlé des grandes villes des années 2000 tout en tentant de se soucier de résilience sans pour autant se cantonner à un rôle de territoire d’expérimentation, certes intéressant, mais qui n’aurait pas la force et ni la puissance d’inventer son nouveau modèle, de contribuer au nouveau paradigme urbain.

Vous vous inscrivez dans une tradition politique sociale-démocrate qui a fait des questions sociales une priorité en considérant que le développement et la croissance économique devaient, par le jeu de l’éducation, de la redistribution et de l’émancipation, profiter au plus grand nombre. Cette tension entre ces deux transitions à mener ne bouscule-t-elle pas vos repères idéologiques ? A-t-elle fait évoluer votre vision politique ?

Je crois qu’il faut retenir de notre situation son incroyable complexité. Les transformations auxquelles nous assistons ont une telle ampleur qu’on ne peut y être indifférent. Elles entraînent évidemment des conséquences sur ma pensée politique. Je suis plutôt un homme de la complexité, sensible à la nuance des choses plutôt qu’aux dogmes. Nous assistons dans le monde des idées à l’arrivée massive de l’écologie. On ne peut pas faire comme si elle n’existait pas. Je suis au contraire attaché à ce qu’elle vienne corriger en quelque sorte le substrat socialiste. Toutefois, je ne crois cependant pas que la question écologique serait une sorte de fin de l’histoire qui se traduirait par la disparition de questions plus anciennes, comme celles de la concurrence, voire de la compétition entre les territoires.

Je ne crois pas non plus que la question écologique épuise nos besoins de récits, de productions imaginaires. D’ailleurs, c’est sans doute une des fragilités de la transition écologique en cours que la pauvreté de ses aspects culturels et imaginaires.

Et, évidemment, il y aura toujours la question sociale. Je ne partage pas la posture des théoriciens de l’effondrement, mais plutôt de ceux qui voient dans la révolution écologique une formidable opportunité pour reposer les questions sociales et économiques. Il y a eu la révolution de Gutenberg, puis industrielle, il me semble aujourd’hui que la révolution écologique va transformer la production, l’organisation du travail, l’alimentation, nos déplacements, et tout notre quotidien. Je suis en quelque sorte devenu un social écologiste qui croit pouvoir trouver dans la complexité de la situation un troisième modèle qui allierait ces deux traditions politiques.

Un des défis de la réorientation écologique relève du symbolique et du sensible. Vous mentionnez la nécessité de créer de nouveaux récits et de nouveaux imaginaires pour s’adapter à la situation. La question est donc fondamentalement culturelle.

C’est effectivement une révolution aussi en matière culturelle qui n’est pas sans risque : celui de voir se renforcer une culture qui serait strictement communautaire au détriment d’une approche plus ouverte sur l’altérité et les autres nationalités. Le souci de ma communauté, au sens de ma paroisse, de mon village, de ma ville ne saurait être opposé à la dimension universelle de la culture, à l’émerveillement pour des musiques des Andes, pour de la peinture océanienne, pour du théâtre japonais. Le souci du local que l’on trouve dans les circuits courts ne doit pas conduire à un rétrécissement, à une fermeture des mondes de la culture et de l’imaginaire sur eux-mêmes. C’est un enjeu majeur à avoir en tête si l’on veut passer nos imaginaires au crible de la révolution écologique de manière vertueuse.

Un autre enjeu reste celui des inégalités et de l’accès à tous à la culture. Il faut continuer de donner les moyens aux gens de sortir des rails de l’assignation sociale par l’accès à la culture. Ainsi le chantier de la bibliothèque métropolitaine de l’Hôtel-Dieu en cours est évidemment un grand programme urbain. C’est un grand projet d’architecture qui valorise un patrimoine pour les cent prochaines années ainsi que l’outil central de la démocratisation culturelle qui donne accès aux livres, aux disques pour tous, quels que soient ses moyens… Les médiathèques sont les premiers lieux culturels fréquentés par le public, la première brique d’un projet culturel ambitieux, la première rencontre avec le monde de la culture qui ouvre vers d’autres pratiques : expositions, spectacles vivants, concerts, etc. Le grand projet de bibliothèque de l’Hôtel-Dieu est ainsi emblématique de la place que la culture doit prendre dans le plan métropolitain à venir.

À ce propos, les bibliothèques ne sont pas que des lieux où l’on accède à des supports culturels. Dans une enquête menée récemment1, les utilisateurs et personnels interviewés de ces équipements les décrivaient comme de véritables refuges, où l’on peut s’abriter du monde, de son bruit et de sa fureur, où l’on peut se ressourcer, où les savoirs convoqués sont aussi savants que populaires, livresques que pratiques avec des ateliers artisanaux, des échanges sur l’alimentation et la cuisine, des partages de graines pour jardiner, la transmission de savoirs vernaculaires, etc. Des lieux importants donc, dans l’optique de forger une culture écologique commune.

Les grandes bibliothèques sont emblématiques parce qu’elles contribuent au rayonnement métropolitain tout en soutenant les dynamiques sociales, et bientôt écologiques dont vous parlez. La grande bibliothèque de l’Hôtel-Dieu est symbolique de la métropole que l’on veut construire : d’un côté intelligence, rayonnement, valeur ajoutée et, de l’autre, transition écologique, proximité et attention sociale. D’ailleurs, plus qu’une bibliothèque, c’est un véritable tiers-lieu qui donnera accès à un vaste fonds documentaire, mais aussi à de la convivialité, des rencontres, des expositions, des concerts, de la réflexion collective, etc. Un lieu hybride, encyclopédique, qui crée du lien social et articule les savoirs.

La grande bibliothèque de l’Hôtel-Dieu sera notre vaisseau amiral en matière culturelle, la tête d’un réseau associant à l’échelle métropolitaine les établissements de proximité des 21 communes, mais aussi le learning center également en construction et autres lieux de lecture universitaire.

Nous nous inscrivons ainsi pleinement dans la mutation métropolitaine avec un réseau structuré à l’échelle communautaire qui contribue avec ses aménagements à la fabrique du territoire et de ses solidarités. Notre stratégie articule le développement des compétences, de l’employabilité, de la valeur ajoutée par la recherche, la créativité, l’intelligence tout en travaillant à la résilience territoriale avec des lieux où l’on pourra travailler les imaginaires de la transition, dans la proximité et le quotidien.

Comme l’on parlait d’une « atmosphère industrielle » – on en parle encore d’ailleurs pour Clermont avec la forte présence du groupe Michelin dans la ville –, peut-on imaginer que la métropole soit en train de façonner une sorte d’atmosphère culturelle ? Une atmosphère qui ne s’arrêterait pas aux limites administratives métropolitaines, si l’on considère un autre projet auquel vous tenez particulièrement, celui de capitale européenne de la culture qui se joue à l’échelle cette fois du Massif central. Est-ce à cette échelle – celle d’une bio-région en quelque sorte – que doit se penser la résilience territoriale ?

La capitale européenne s’inscrit dans les grilles d’analyse de la compétitivité qui ont émergé dans les années 1980, c’est-à-dire de la compétition territoriale, de l’attractivité, du rayonnement. Ce projet est donc un accélérateur de développement territorial qui va favoriser l’essor touristique, la visibilité internationale, etc. Nous sommes là au cœur de ce qu’on pourrait appeler le « discours métropolitain ». C’est aussi aujourd’hui un dispositif qui est interrogé à l’aune du changement climatique et de la crise environnementale. L’Europe fait maintenant de la durabilité un point clé d’une manifestation qui ne saurait se cantonner à une année festive.

La capitale européenne doit être un levier qui permet non seulement de renforcer une dynamique économique, mais aussi la résilience du territoire. Dans un monde en tension, avec des ressources qui diminuent, des territoires plus vulnérables, dont certains mêmes pourraient devenir invivables parce que trop exposés aux aléas et trop abîmés.

Songeons, par exemple, aux espaces littoraux qui sont menacés par les risques d’érosion et de submersion. Quand on regarde la carte de France, ce sont des hectares et des hectares sur l’ensemble de nos côtes, des millions de personnes potentiellement menacés. On entend souvent parler des migrations internationales que le changement climatique va causer, et on néglige le fait que le même phénomène pourrait valoir à l’échelle nationale ou régionale. L’hypothèse selon laquelle il faudra faire face à des déplacements de population et accueillir des habitants de territoires devenus inhabitables dans notre pays ne relève pas que de la science-fiction.

Nous allons devoir beaucoup mieux gérer l’espace, réinterroger le lointain et le proche, travailler la relation entre l’urbain et le rural, les liens et les coopérations entre nos territoires, être attentifs aux paysages, traiter les questions d’autonomie alimentaires, etc. La capitale européenne doit aussi être l’occasion de repenser tout cela à l’échelle du Massif central, non pour se préparer à vivre en autarcie, mais au contraire pour mieux utiliser nos ressources, dont notre espace « habitable » qui est peut-être le pétrole de demain et fabriquer une intelligence collective qui nous relie et nous permet adapter au monde qui vient.

  1. Zappi S., « Les bibliothèques municipales parisiennes, refuge des sans-abri », Le Monde 4 janv. 2023.
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