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LaboMobiles : quand un dispositif d’innovation publique se nourrit de la R&D sociale

L’organisation des acteurs dans le cadre des LaboMobiles.
Le 16 novembre 2021

En seulement cinq années, le dispositif des LaboMobiles a muté d’un instrument d’action publique vers une démarche de la recherche et développement (R&D) qui expérimente un cadre et des méthodes pour faire émerger des dynamiques territoriales portant sur des innovations sociales et écologiques radicales. Mené conjointement par le département de la Gironde et la société coopérative et participative (SCOP) Ellyx, il réunit une communauté d’acteurs portés par une ambition commune d’intérêt général et les accompagne pour une meilleure structuration et organisation de leur démarche. Entre réflexion théorique et modulation pratique, les LaboMobiles sont tout à la fois sujet et objet car ils évoluent autant qu’ils influent sur leur écosystème. Description d’un concept hybride et dans l’air du temps.

Résumé

Lancés en 2017 par le département de la Gironde dans le cadre de sa mission Agenda 21, les LaboMobiles sont une démarche qui montrent bien comment des activités de R&D peuvent se mettre au service d’innovations sociales et écologiques radicales. Au départ, les LaboMobiles sont une offre d’animation territoriale dont l’objectif est l’émergence d’innovations sociales et écologiques radicales. Avec leur approche « hors les murs », ils complètent un panel plus large d’instruments destinés à diffuser un nouveau modèle d’action publique et de fabrication de l’intérêt général.

L’expérimentation des LaboMobiles renvoie à un ensemble d’interrogations autour de la faisabilité, de l’effectivité et de l’impact des démarches de coopération qu’elle promeut et valorise : comment la radicalité est-elle appréhendée par un collectif d’acteurs varié et appelé à s’ouvrir et à évoluer ? Quelles sont les préalables nécessaires à la mise en place de démarches territoriales innovantes pouvant générer des transformations à la hauteur des enjeux sociaux, environnementaux, économiques et démocratiques ? Comment passer d’une innovation incrémentale à une innovation de rupture dans le contexte socio-politique actuel ? Comment les acteurs sociaux peuvent-il saisir un dispositif de politiques publiques pour changer leurs cadres d’action ? Dans quelle mesure ces interactions entre démarches territorialisées et cadres institutionnels permettent-elles des trajectoires d’innovation distinctes, porteuses de transformation en capacité de faire face aux défis auxquels le développement durable et la résilience territoriale entendent répondre ?

Dispositif expérimental qui renvoie à une démarche de transformation sociale, les LaboMobiles s’inscrivent dans un processus de R&D sociale en quatre étapes clés. C’est aussi un dispositif qui influence les démarches d’innovation sociale autant qu’il s’en nourrit. L’innovation parcourt à la fois la collectivité territoriale qui porte les LaboMobiles, ici le département de Gironde, mais aussi et concrètement les collectifs mobilisés et leurs parties prenantes.

Les LaboMobiles, un nouveau modèle d’action publique, hors standard et hors les murs

Les LaboMobiles désignent un dispositif de politiques publiques initié par le département de Gironde à travers sa mission Agenda 21. Ce dispositif est d’abord un instrument d’action publique destiné à enrichir la politique de la collectivité territoriale en matière de développement durable et à accroître sa capacité d’intervention, particulièrement auprès des communes et des associations. Ils renvoient aussi, via la contraction des termes « laboratoire » et « mobile », à un mode opératoire volontairement ancré sur les territoires et porteur d’approches et de méthodes basé sur le triptyque « innovation publique, approche participative et démarche expérimentale ».

Lancés en 2017 en Gironde grâce à la publication d’un appel à manifestation d’intérêt, les LaboMobiles se présentent initialement comme une offre d’animation territoriale dont l’objectif est l’émergence d’innovations sociales et écologiques radicales. Plus concrètement, ils visent à réunir des acteurs animés par une ambition commune et d’ampleur (« devenir un territoire zéro déchet » ; « pour un territoire 100 % alimentation bio et locale »), à les mettre en mouvement, à définir avec eux un futur souhaité et, à partir de cet horizon, à structurer les étapes de la démarche de transformation, à responsabiliser les parties prenantes sur l’effectivité de leur contribution, puis à mobiliser les ressources humaines, matérielles et financières.

Cette projection en « mode labo » dépasse les standards de l’action publique traditionnelle et s’ancre dans les pratiques de la mission Agenda 21 girondine avec une activité de production de connaissances et de référentiels, de développement de méthodes et d’outillage, de démarches apprenantes et de mobilisation de réseaux d’acteurs. Les Labo-Mobiles, avec leur approche « hors les murs », complète ainsi un panel plus large d’instruments destinés à diffuser un nouveau modèle d’action publique et de fabrication de l’intérêt général.

Un cas pratique qui nourrit la R&D sociale

La première édition des LaboMobiles a appuyé au total neuf projets, portés majoritairement par des collectivités territoriales sur près d’une année. Si le dispositif a permis d’organiser un cadre de débat et de projection autour des enjeux du développement durable, de fédérer des acteurs locaux animés par une volonté d’action commune et de structurer des capacités nouvelles, il n’a pu totalement aboutir essentiellement en raison de sa conception et de ses modalités de mise en œuvre. Il a de plus soulevé un certain nombre de questions quant à l’implication des acteurs territoriaux investis dans des projets d’innovation de rupture.

L’innovation sociale se dessine grâce à une dynamique de changements cumulés, sur des effets leviers, selon des échelles et des temporalités variables et concourant à l’évolution des représentations, des règles et des normes, à la transformation de pratiques sociales et des cadres institutionnels.

La nouvelle version qui s’est construite à partir de 2019 a permis de corriger les faiblesses du programme initial tout en fixant un cadre qui maintiendrait le caractère radical et majeur des transformations envisagées. Ces éléments sont entrés en résonnance avec les recherches menées par la SCOP Ellyx sur le sujet de l’institutionnalisation de l’innovation sociale en France. À ce stade, les réflexions ont questionné et consolidé les terminologies employées, les représentations des relations instituées, la nature des innovations accompagnées, etc. En tant qu’objet de recherche, le dispositif a défini différents postulats qui entendent renouveler la configuration des modalités d’appui à l’innovation sociale et qui sont testés depuis 2020 dans une nouvelle version des LaboMobiles.

L’innovation sociale apparaît ainsi comme la résultante d’une combinaison nécessaire d’innovations variées, objet d’un travail politique stimulé par la réunion au sein d’un collectif d’acteurs de la société civile, de représentants de collectivités territoriales, d’institutions publiques et de structures privées. Ce faisant, l’innovation sociale se dessine grâce à une dynamique de changements cumulés, sur des effets leviers, selon des échelles et des temporalités variables et concourant à l’évolution des représentations, des règles et des normes, à la transformation de pratiques sociales et des cadres institutionnels. Les traductions pratiques portent alors sur la recherche d’une alternative à la traditionnelle approche « porteur-projet » et intègrent la dimension collective et coopérative. Elles s’incarnent aussi dans une nouvelle manière de choisir les collectifs, en revisitant les cadres d’appel à projet ou dans la pré-sélection de groupes d’acteurs en capacité a priori de s’inscrire dans une dynamique de long terme.

Enfin, l’expérimentation des LaboMobiles renvoie à un ensemble d’interrogations autour de la faisabilité, de l’effectivité et de l’impact des démarches de coopération qu’elle promeut et valorise : comment la radicalité est-elle appréhendée par un collectif d’acteurs varié et appelé à s’ouvrir et à évoluer ? Quels sont les préalables nécessaires à la mise en place de démarches territoriales innovantes pouvant générer des transformations à la hauteur des enjeux sociaux, environnementaux, économiques et démocratiques ? Comment passer d’une innovation incrémentale à une innovation de rupture dans le contexte socio-politique actuel ? Comment les acteurs sociaux peuvent-il saisir un dispositif de politiques publiques pour changer leurs cadres d’action ? Dans quelle mesure ces interactions entre démarches territorialisées et cadres institutionnels permettent-elles des trajectoires d’innovation distinctes, porteuses de transformation en capacité de faire face aux défis auxquels le développement durable et la résilience territoriale entendent répondre ?

L’organisation des acteurs dans le cadre des LaboMobiles.

Un processus de R&D sociale en quatre étapes clés

Dans le cadre des LaboMobiles, l’effort de R&D est mené conjointement par le département de Gironde et la SCOP Ellyx, qui partagent leurs réflexions technique et scientifique. Cette collaboration s’appuie sur une convention adossée au programme du laboratoire commun (LabCom) Destins1 sur les conditions d’émergence des innovations sociales de rupture. L’inscription des LaboMobiles dans un cadre de R&D n’est pas anodine. En effet, il traduit mieux la réalité d’un dispositif expérimental et assume plus facilement la part de questions et d’incertitudes auxquelles renvoie une démarche de transformation sociale.

Sur un plan plus opérationnel, ce cadre enrichit le dispositif initial avec un apport plus étroit des acteurs de la recherche et de leurs ressources scientifiques associé à un cadre d’analyse in itinere. Il en découle une mobilisation des acquis d’une thèse de sciences politiques soutenue en décembre 2019 à l’université de Bordeaux2, et une expertise croisée des agents de la mission Agenda 21, des consultants de la SCOP Ellyx et de jeunes chercheurs en économie, géographie et sciences politiques.

Une partie des rencontres a également lieu au sein de LaBase, laboratoire d’innovation publique territoriale porté par le secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR), la direction régionale de l’environnement de l’aménagement et du logement (DREAL) et le département de la Gironde. LaBase est située dans les locaux du département de Gironde et à côté des bureaux de la mission Agenda 21. Elle permet notamment de réunir les usagers et les agents et constitue ainsi un terrain fertile à la maturation.

Le dispositif influence tout autant le cadre des démarches qu’il soutient qu’il est lui-même nourri de l’avancée des expérimentations. L’innovation parcourt ainsi à la fois la collectivité territoriale qui porte les LaboMobiles, ici le département de Gironde, mais aussi et concrètement les collectifs mobilisés et leurs parties prenantes.

Le phasage de la démarche présente quatre étapes principales, échelonnées sur une durée de trente mois :

  1. la modélisation du dispositif LaboMobiles, ses outils et ses méthodes ;
  2. la validation du cadre expérimental via l’identification de collectifs d’acteurs engagés autour de démarches ambitieuses et radicales, leur formation et leur sélection définitive ;
  3. le test de la méthode et des outils in situ in vivo à partir de l’accompagnement des collectifs, celui-ci intégrant le développement de nouvelles approches au cours de la phase d’expérimentation ;
  4. le bilan.

À l’issue de la deuxième phase, trois collectifs d’acteurs, constituant les terrains d’application du dispositif sont sélectionnés. Institutions publiques, structures de la société civile et entreprises privées, le trio porte une ambition de transformation radicale en matière de pratiques démocratiques, d’appréhension et de gestion de la fin de vie, de gestion circulaire et citoyenne des déchets organiques.

Un dispositif qui influence les démarches d’innovation sociale autant qu’il s’en nourrit

La deuxième version des LaboMobiles propose des modifications importantes par rapport à la première notamment dans les règles de sélection des démarches et les modalités d’accompagnement. Cette mutation s’inscrit dans un changement de perspective avec, en ligne de mire, la structuration des dynamiques d’acteurs engagés sur des expérimentations locales en lien avec des transformations de société. La version augmentée influe ainsi à la fois sur la typologie des lauréats (issus de collectifs réunissant plusieurs personnes morales et ouverts aux acteurs privés, comme les entreprises commerciales), les modalités de sélection, la formalisation des engagements et la nature des démarches. Au total, le renversement des perspectives est lié au caractère intrinsèquement collectif et pluriel des démarches soutenues, ainsi qu’à la combinaison des innovations qu’il induit en termes de nouvelles approches, services, modèles économiques et organisationnels, normes ou politiques publiques. Ce repositionnement a guidé un changement d’orientations (voir tableau, p. 49) dont l’application en conditions réelles amène inévitablement à de nouvelles problématiques et le besoin de nouvelles connaissances : comment associer acteurs publics et privés dans une même dynamique de coopération ? Comment organiser l’articulation des soutiens politiques et financiers ? Comment projeter un partage de la valeur sociale et environnementale générée dès lors que le collectif se construit sur la base d’entités juridiques très distinctes ? Quels mécanismes de politiques publiques permettent d’appuyer la coopération et l’innovation entre des acteurs aux profils variés ? Comment se construit la légitimation de démarches de transformation radicale à partir d’expérimentations situées et localisées ?

L’exploration des solutions au cours de la démarche conduit à la rédaction de chartes et de conventions formalisant les engagements volontaires des individus et structures impliqués, à l’identification de nouveaux cadres d’action réunissant collectivités territoriales et acteurs privés et la possibilité de recourir aux partenariats d’innovation appliqués à l’innovation sociale.

Le dispositif influence tout autant le cadre des démarches qu’il soutient qu’il est lui-même nourri de l’avancée des avancées des expérimentations.

C’est ce que nous appelons une démarche de R&D, celle-ci recouvrant un ensemble d’activités inscrites dans une démarche scientifique alliant recherche fondamentale et développement expérimental, déterminé par une finalité de transformation sociale, écologique et démocratique et visant à mettre au point de nouveaux services, méthodes, produits, politiques publiques, modes d’organisations ou modèles économiques Cette démarche se conçoit et se mène dans un débat démocratique. Dans le cas des LaboMobiles, ce prolongement démocratique se construit dans une démarche associant les habitants, prend conscience des limites planétaires et se développe dans le respect de celles-ci.

Dans le cadre des LaboMobiles, la réflexion scientifique ne porte donc pas seulement sur la constitution d’une nouvelle politique publique, en l’occurrence la traduction d’une volonté politique en un dispositif d’action publique. Le dispositif influence tout autant le cadre des démarches qu’il soutient qu’il est lui-même nourri de l’avancée des expérimentations. L’innovation parcourt ainsi à la fois la collectivité territoriale qui porte les LaboMobiles, ici le département de Gironde, mais aussi et concrètement les collectifs mobilisés et leurs parties prenantes.

Les évolutions des LaboMobiles.

  1. Le LabCom Destins est un cadre de coopération entre la SCOP Ellyx et la maison des sciences de l’Homme et de la société (MSHS) de Poitiers, sous tutelle de l’université de Poitiers et du Centre national pour la recherche scientifique (CNRS). Il porte le programme PRISM soutenu par le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine et l’Agence nationale pour la recherche (ANR).
  2. Douchet L., « Être une entreprise et servir la société, analyse du processus d’institutionnalisation de l’innovation sociale en France au début du xxie siècle », op. cit.
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