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Le mouvement Licoornes, une troisième voie pour répondre de manière adaptée aux besoins des territoires ?

Le 20 avril 2023

Jean-Baptiste Schmider est le président directeur-général (PDG) de Citiz, une coopérative qui travaille autour de l’auto-partage. Avec huit autres sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC), dont Enercoop ou Railcoop, il est à l’origine du mouvement Licoornes1. Objectif : proposer un nouveau modèle de coopération au service des territoires au sein duquel l’ensemble des parties prend part aux décisions. Interview à l’occasion des Entretiens territoriaux de Strasbourg (ETS) 2022.

Où se situe le modèle coopératif entre les entreprises privées et le service public ?

Citiz est un groupe coopératif. Nous sommes un réseau qui regroupe quatorze opérateurs -locaux présents sur différents territoires. Nous travaillons autour de l’auto-partage dont le principe est d’avoir des voitures en libre-service, accessibles à tous, qui permettent de se passer de la première ou seconde voiture, en complément de la marche, du vélo et des transports en commun. Nous sommes une solution de mobilité complémentaire qui s’inscrit dans le paysage local. En tant que coopérative, nous nous positionnons comme une troisième voie entre le service public et des opérateurs privés purs qui peuvent être soit des grands groupes, soit des start-up. Le mouvement Licoornes correspond à cette dynamique. C’est un réseau de coopératives, dont neuf SCIC, qui se sont regroupées derrière une idée simple : offrir une alternative pour répondre à tous les besoins de consommation courante des -habitants, aux vrais besoins sur nos territoires.

En quoi vous assimilez-vous à un service public ?

Nous sommes une partie de la solution aux enjeux de mobilité. Face aux défis de la transition, il est impératif de passer d’une économie classique à une économie du partage. Cela inscrit notre projet dans l’économie circulaire. Notre idée : plus de liens, moins de biens. Il faut savoir qu’une voiture partagée remplace entre cinq à dix voitures particulières, selon les études. Nous nous inscrivons dans la démarche de la ville du quart d’heure, il s’agit d’une ville où il y a plus de place pour les piétons, pour le logement, et donc pour la qualité de vie. Notre mouvement contribue à reverdir les villes ou à développer l’agriculture urbaine. Nous participons à aider les collectivités à répondre aux défis de demain.

Le format coopératif permet-il de changer de regard ?

La coopérative d’intérêt collectif associe toutes les parties prenantes sur un territoire. D’abord les usagers puis les salariés producteurs qui contribuent à réaliser le service, les collectivités et tous les autres partenaires. Par exemple, Citiz a comme partenaires les acteurs du transport public, comme les sociétés de parking ou les sociétés liées au vélo. Nous cherchons un modèle pertinent adapté à chaque territoire. La problématique de l’auto-partage n’est pas la même dans une métropole d’un million d’habitants que dans une ville moyenne de 50 000 habitants. Pour chaque territoire, nous allons essayer de trouver la réponse adaptée en partenariat avec toutes les parties prenantes.

Comment décide-t-on dans une coopérative ?

Le principe de la SCIC c’est qu’aucune des parties prenantes n’est majoritaire. Cela impose de devoir coopérer et se mettre d’accord. Cela étant, cela reste des sociétés commerciales et donc il y a une assemblée générale qui est décisionnaire. Elle définit les grandes orientations et valide les comptes. Il y a également un conseil d’administration qui va suivre et contrôler -l’action des dirigeants. Enfin, il y a un directeur général qui a quand même les pouvoirs exécutifs. Une partie des décisions lui sont déléguées. Mais pour les grandes orientations, cela va se faire collectivement. Par exemple, si nous avons de bons résultats, devons-nous décider de baisser les prix ou de nous développer dans des territoires moins denses ou plus sensibles ?

Quels rôles peut jouer la collectivité ?

Ce qui fait la différence, c’est la co-construction. Une coopérative reste une initiative privée dans laquelle la collectivité est une partie prenante parmi d’autres, elle peut donc avoir des sièges au conseil d’administration. C’est une position assez nouvelle et ce n’est pas forcément facile pour une collectivité. Habituellement, soit c’est le domaine privé et elle ne s’en occupe pas, soit c’est le secteur public et elle décide de tout. Cette nouvelle posture demande encore de la formation et de la sensibilisation. Le statut SCIC n’a que vingt ans, il a mis du temps à démarrer, mais il est en train d’exploser. C’est une forme de démocratie citoyenne locale appliquée à l’entreprise. Chacun reprend sa part de pouvoir et ainsi sa place.

Avec quels arguments arrivez-vous vers les pouvoirs publics locaux ?

Ce n’est plus qu’on laisse toute la charge au privé en définissant tout dans une délégation de service public. Nous sommes dans un temps où nous recherchons l’efficience des finances publiques. Le modèle coopératif va chercher une optimisation. On va chercher un modèle économique qui répond au besoin tout en étant soucieux des finances publiques. Il faut donc que les cadres territoriaux et les élus des collectivités comprennent bien ces enjeux. C’est une co-construction. Nous ne sommes pas dans cette idée du privé qui cherche à gagner beaucoup d’argent puisque nous ne rémunérons pas d’actionnaires. Nous sommes non revendables, non délocalisables, et nous avons une finalité d’intérêt général.

Avez-vous de bons exemples de coopération ?

Aujourd’hui, nous gérons une délégation de service public à La Rochelle. La ville a investi depuis très longtemps sur les mobilités douces. L’auto-partage est un autre modèle. Nous pouvons citer notamment l’Eurométropole de Strasbourg avec qui nous travaillons depuis vingt ans, ainsi que des villes moyennes comme Tours ou Besançon. Souvent, cela va être plutôt des modèles qui vont se faire autour d’appel à manifestation d’intérêt (AMI), plutôt que des appels d’offres ou des marchés publics. Peut-être aussi que des modèles de type service d’intérêt économique général (SIEG) peuvent être des nouveaux modèles qui répondent vraiment à ces besoins tout en étant respectueux des finances publiques.

  1. https://www.licoornes.coop/

Qui sont les neuf licoornes ?

  • Citiz : premier réseau coopératif d’auto-partage. Des voitures en libre-service 24 h/24 dans plus de 150 villes en France ;
  • Commown : fournisseur militant d’appareils électroniques éco-conçus et de services pour lutter contre l’obsolescence prématurée ;
  • Coopcircuits : plateforme coopérative open source pour vendre et acheter en circuit court des produits locaux, artisanaux, directs, producteurs, biologiques et éthiques ;
  • Enercoop : premier fournisseur d’électricité vraiment verte organisé en un réseau de onze coopératives permettant de concrétiser l’ambition d’une transition énergétique locale et citoyenne ;
  • Label Emmaüs : premier site de e-commerce français dont le catalogue est exclusivement alimenté par les acteurs du mouvement Emmaüs et ses partenaires de l’économie sociale et solidaire ;
  • Mobicoop : coopérative pour une mobilité partagée, plus solidaire et écologique dans les territoires (covoiturage, mobilité solidaire, auto-stop et gestion de flotte) ;
  • La Nef : coopérative bancaire éthique finançant exclusivement des projets ayant une utilité sociale, écologique et/ou culturelle ;
  • Railcoop : opérateur ferroviaire de passagers et de marchandises pour tous les territoires. Lancement du premier service fret fin 2021 et de la première ligne de voyageurs sur la transversale Bordeaux-Lyon en 2022 ;
  • Télécoop : premier opérateur télécom coopératif engagé dans la transition écologique et solidaire pour permettre à tous de se réapproprier ses usages numériques.
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