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DossierLe plan Méribel 2038 ou l'installation de la transition écologique à pas de fourmi
Comment les grandes stations de ski françaises se préparent-elles au changement climatique ? Julie Molinier est responsable du projet de transition écologique Méribel 2038 pour la mairie des Allues, dans la vallée de Méribel. Elle évoque l’intérêt d’être accompagnée par la chercheuse Dominique Kreziak, de l’université Savoie Mont Blanc, dans l’analyse des processus de transition et de changement progressif de modèle. Un moyen de saisir l’intérêt pour les territoires en transition de se faire accompagner par un chercheur. Plongée dans la réflexion d’une démarche complexe à mener et dont l'aboutissement est parfois incertain, voire inconnu.
Le plan Méribel 2038 ou l’installation de la transition écologique à pas de fourmi
Quels sont les grands impératifs lorsqu’on lance un grand plan de transition écologique sur un territoire comme celui de la vallée de Méribel ?
Les démarches de transition écologique doivent embarquer toutes les parties prenantes, y compris la population locale, et dégager des paliers d’évolution claire. C’est pourquoi l’évaluation continue de nos actions et le rapportage de nos données auprès du public sont importants pour nous. Notre évaluation annuelle nous permet de comprendre ce qui a fonctionné, ce que nous avons raté ou sur quels plans nous devons accélérer.
Où en est votre plan Méribel 2038 dans son calendrier ?
Aujourd’hui, nous entrons dans la dernière année de notre premier plan d’action 2021-2025. Cela va nous porter vers un bilan d’étape dans les prochains mois, qui concorde aussi avec la construction du prochain plan d’action 2026-2032. Nous avons aussi obtenu en fin d’année 2024 une première labellisation Flocon vert de notre destination, avec l’attribution de deux flocons sur un label qui en compte trois.
Qu’est-ce que le label Flocon vert signifie pour vous et sur l’avancée de vos actions de transition ?
En fait, ce label constitue une démarche supplémentaire de confrontation avec le quotidien d’autres stations. Il est très utile d’avoir un regard extérieur sur ce que l’on fait et d'intégrer de nouvelles personnes dans notre tour de table réflexif. Cela permet de jauger nos problématiques de base, de comparer nos avancées en se disant qu’on n’est pas mal sur tel point ou, à l’inverse, qu’on n’est pas vraiment en avance par rapport aux autres.
Enfin, cette labellisation représente un enjeu de reconnaissance extérieure à propos du travail que nous menons sur le plan national. C’est toujours gratifiant pour les équipes et susceptible de favoriser l’adhésion des acteurs locaux au processus de transition.
Quel est le positionnement adéquat pour une grande station de sports d’hiver à propos des questions de transition écologique ? Comment évitez-vous d’être assimilés au greenwashing ?
Le risque d’être accusé de greenwashing est réel et constant. C’est pourquoi l’objectif de labellisation n’a pas été prioritaire au début de la démarche. Il était essentiel tout d’abord de bien se structurer et d’obtenir des premiers points concrets avant de rendre publiques les avancées de nos actions. Les questions d’évaluation et de rapportage évoquées plus haut, la transparence de la démarche sont aussi essentielles dans ce contexte.
En tant que grande station touristique, nos accélérateurs notables sont les moyens financiers, techniques et humains dont nous disposons. Des ressources, ou en tout cas une quantité de ressources, que n’ont pas forcément les plus petites stations de ski.
Je dirais aussi que la notion d’urgence n’est pas la même, nous sommes moins au pied du mur que des stations de plus faible altitude. Cela nous donne donc plus de temps pour réfléchir et pour porter les projets de transition. En revanche, cela peut aussi être un piège. Il faut être vigilant sur ces questions de temporalité, car notre responsabilité et les enjeux à relever ne sont pas moindres pour autant. En tant que grande station, l’un des freins de notre démarche peut ainsi être la tentation de reporter les réflexions nécessaires et de se positionner dans un certain confort, au motif que notre activité va perdurer plus que d’autres stations… Mais non. Il faut agir maintenant pour anticiper les choses et ne pas subir.
Comment gérez-vous le tâtonnement que vous expérimentez au cours de votre travail de transition écologique ?
Tout d’abord, il nous faut prendre les questions de transition d’un point de vue très transversal. Il est impensable, par exemple, de nous occuper exclusivement des aspects économiques de la station ou d’enjeux de biodiversité sans traiter la question sociale ni la vie des riverains tout au long de l’année. Ça ne marche pas car tous ces volets sont intrinsèquement liés entre eux. Pour autant, la capacité à agir de manière efficace et rapide est très variable selon les sujets et leur complexité.
Sur certains sujets, nous avons des solutions très concrètes qui sont déjà engagées. Tandis que, sur d’autres points, nous identifions bien les problématiques en jeu sans toutefois avoir de solutions immédiates et efficaces à apporter. Cela peut être lié à l’absence de solution technique, à la complexité de la gouvernance du sujet, à des freins politiques ou financiers, à des contradictions à arbitrer entre différentes finalités ou encore à la dimension des chantiers à mener, etc. Cela explique que notre plan d’action comporte des actions d’échelles très variées. Du concret de court terme mais aussi des actions plus stratégiques. Et ces dernières nécessiteront parfois plusieurs années avant d’envisager une traduction opérationnelle.
L’important est qu’on essaye d’avancer sur tous les sujets de la transition écologique pour aller vers une évolution globale et totale. Voilà pourquoi il faut parfois se contenter de l’avancée ou de la réussite de petites actions. Mais chaque action a son importance car elle donne de la confiance au collectif.
Dominique Kreziak appelle cela les « quick wins », qui ne sont pas pour autant des réussites faciles. Si nous nous concentrions uniquement sur les plus gros et les plus longs travaux à concrétiser, le risque de démobilisation des équipes et de perte de la confiance citoyenne serait réel face à des objectifs qui pourraient sembler insurmontables.
La recherche universitaire pour désacraliser le travail à long terme et capitaliser sur les bonnes méthodes
Comment définissez-vous les liens de travail de la mairie des Allues avec la chercheuse Dominique Kreziak ?
Dominique Kreziak, via la chaire Tourisme durable qu’elle dirige, est partenaire de notre démarche de transition. Son travail la conduit à travailler sur de nombreux territoires en transition et à réaliser bon nombre de réunions avec des acteurs du secteur touristique à l’échelle nationale. De quoi nous apporter une expertise précieuse et éviter d’être dans l'entre soi au sein de notre station. Son regard nous challenge et nous bouscule parfois.
C’est la même idée que pour la démarche Flocon vert. Son travail questionne nos forces vives, nos problèmes, nos échecs. Il ajoute un regard extérieur scientifique pour nourrir nos réflexions et, éventuellement, aller dans des directions que nous n’aurions pas imaginées au démarrage du projet.
Dans le plan Méribel 2038, il y a cette volonté d’aller chercher de nouvelles ressources technologiques, économiques et sociales, etc. L’objectif est de nous ouvrir sur l’extérieur pour prendre les bonnes idées çà et là. Car c’est en faisant entrer ces ressources dans notre système de travail que nous pourrons être capables d’avancer avec plus d’efficacité sur certains sujets.
Quels partenariats avez-vous noués avec le domaine de la recherche scientifique ?
Nous travaillons avec des partenaires scientifiques diversifiés. Nous sommes engagés dans un partenariat autour des questions d’évaluation de l’impact des domaines skiables sur la faune patrimoniale, en particulier le tétras lyre. Ce partenariat, qui réunit les exploitants des domaines skiables, le Parc national de la Vanoise, l’Office national des forêts, les collectivités et des chercheurs naturalistes, est exemplaire, car il réunit à l’échelle des trois vallées autour des enjeux de protection de la biodiversité les acteurs économiques, les gestionnaires d’espaces naturels et des scientifiques pour proposer, à terme, des actions concrètes de gestion.
Par ailleurs, nous finançons la chaire du Tourisme durable, lancée en 2023 avec l’université Savoie Mont Blanc. Ce partenariat traite plus des sciences sociales, et Méribel y est à la fois partenaire financier et territoire d’étude et d’expérimentation.
Ce partenariat est né lors de l’organisation des Championnats du monde de ski de 2023.
La chaire s’est ainsi intéressée à l’impact de l’organisation de tels gros évènements, et des démarches en responsabilité sociétale des entreprises (RSE) qui leur sont liées sur les dynamiques de transitions écologiques des territoires. Nous y avons greffé l’étude de la dynamique Méribel 2038 qui s’engageait simultanément. La convention stipule que nous devrons remettre des livrables le plus opérationnels possible.
Dominique Kreziak nous apporte son regard social sur notre démarche de transition avec un recul dont nous ne disposons pas toujours. Quand on est dans le feu de l’action quotidienne, il n’est pas chose aisée de faire ce pas de côté. Pourtant, il est primordial de se détacher autant que possible de cette posture du nez dans le guidon. Sur la base de l’analyse des situations, des conditions, des interviews des parties prenantes, Dominique Kreziak tâche de tirer des enseignements généraux des démarches étudiées.
Ce qui est précieux, c’est ainsi la diversité de son panel d’entretiens. Elle a interrogé des élus, des agents, les organisateurs des Championnats du monde de ski, le grand public, des acteurs socio-économiques, etc. C’est essentiel pour comprendre au mieux tous les paramètres qui participent au bon déroulé – ou non – de nos actions liées à la transition écologique du territoire.
D’un cas particulier, elle cherche à tirer des modèles et des éléments clés reproductibles sur d’autres territoires. Elle utilise pour cela des outils théoriques sur la transition et le changement comportemental. La finalité est de comprendre, via des mécanismes identifiés, pourquoi certaines de nos mesures ont fonctionné ou au contraire échoué.
C’est un outil éclairant pour les autres mais aussi très précieux pour nous, en particulier pour les étapes à venir. Car notre projet Méribel 2038 est un projet de long terme.
Ce théâtre d’expérimentation, de tâtonnement et de temps long n’est-il pas le terreau idéal pour nouer des liens entre collectivités publiques et le secteur de la recherche ?
C’est encore une question d’équilibre. Le temps de la recherche se fait souvent sur le long terme. Ce n’est pas toujours compatible avec les solutions concrètes à apporter rapidement sur le plan politique ou face à une urgence technique, économique, environnementale ou sociale. Tout l’enjeu est donc de concilier le calendrier des premiers résultats des études scientifiques, les besoins opérationnels de terrain et aussi le besoin de concret pour justifier nos engagements auprès de la population et des acteurs locaux.
La science pour conscientiser les actions intuitives et apprécier les petites avancées
Quel premier bilan tirez-vous de votre travail avec la chercheuse Dominique Kreziak ?
Dans nos actions de terrain, nous faisons parfois les choses intuitivement et au gré de nos expériences sur des projets déjà menés dans le passé. Il nous arrive donc parfois de lancer des actions à l’instinct, sans forcément les « conscientiser » ni analyser les clés théoriques de ces démarches.
C’est là que Dominique Kreziak apporte un œil précis sur la méthodologie que nous employons machinalement. Son travail nous fournit une capacité à identifier les paramètres fondamentaux qu’il nous faut maintenir pour que la démarche engagée tienne dans le temps. A contrario, nous décelons aussi les éléments justifiant certains freins.
À ce sujet, les modèles proposés permettent de comprendre que certains points de blocage risquent de perdurer, et qu’il est inutile, parfois, d’y perdre de l’énergie tant que certains éléments ne seront pas réunis. Ces analyses évoluent dans le temps du projet, mais aussi en fonction des objectifs fixés et de leur niveau d’ambition. L’idée globale est que nous puissions, à terme, utiliser nos leviers d’action au moment où les freins conjoncturels constatés seront effacés.
Comment concrétiser cette analyse scientifique en une restitution utile pour d’autres territoires ?
Nous avons établi des schémas logiques à différents stades du projet. Des points de restitution ont été organisés à différentes étapes du projet et auprès de nos partenaires. Nous avons aussi partagé notre expérience en externe, lors de journées du Cluster montagne ou du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) par exemple. Nous avons enfin demandé une synthèse des méthodologies employées et des conclusions de l’étude, avec une analyse qui puisse servir à d’autres territoires et qui soit didactique.
De son côté, Dominique Kreziak prévoit des publications dans différentes revues scientifiques pour que cette logique infuse ailleurs que chez nous.
Les premiers éléments d’analyse de cette phase de recherche convergent-ils vers une « bonne recette unique » de la transition écologique en station de ski ?
Dominique Kreziak a mené sa réflexion sur trois terrains d’étude : le plan Méribel 2038, les Championnats du monde de ski 2023 et la démarche de transition engagée à Courchevel. Malgré des objectifs pouvant paraître similaires, ces trois projets aboutissent à des schémas d’analyse méthodologique spécifiques, confirmant une fois de plus que chaque territoire présente ses particularités. Il y a donc des éléments clés méthodologiques utiles pour tous, mais qui se traduisent spécifiquement sur chaque territoire. Car si une recette unique existait, elle serait déployée depuis bien longtemps !
Un point essentiel à prendre en compte est le volet humain. Certains sujets sont ainsi totalement viscéraux. Dans un territoire comme Méribel, les gens sont nés et ont vécu depuis toujours dans le ski et grâce au ski. Au-delà d’un modèle économique et de territoire, c’est un élément identitaire essentiel pour chacun ici. Envisager d’enclencher un changement de modèle radical sans prendre en compte ces questions culturelles et de sensibilité de la population, des élus et des acteurs locaux, serait voué à l’échec, au-delà de la pertinence des données techniques, des chiffres et des faits qui peuvent être présentés.
Comment ce partenariat avec la chercheuse de l’université Savoie Mont Blanc a-t-il agi sur vos méthodes de travail ?
Au lancement du plan Méribel 2038, avant même d’engager le partenariat avec l’université Savoie Mont Blanc, nous avons amené des méthodes de travail peu habituelles sur notre territoire. Le travail en mode projet s’est développé. La réflexion a aussi conduit à engager de la concertation citoyenne en amont du lancement et au cours du projet, ce qui n’était pas courant ici. Petit à petit, ces méthodes deviennent classiques alors que ce n’était pas vraiment le cas à notre arrivée. Dominique Kreziak appelle cela « le nouveau normal ». La transition concerne ainsi en premier lieu la gouvernance et la manière de travailler collectivement. La traduction concrète de notre collaboration avec Dominique Kreziak se verra principalement lors de la construction du deuxième plan d’action 2026-2032. Car ce dernier devra dépasser les premiers aboutissements, qui étaient les plus rapides à obtenir, et s’atteler à des objectifs parfois plus ardus. C’est là que les méthodes de travail déployées lors des premières phases nous serviront, grâce au travail d’analyse scientifique, à bâtir de vraies clés du succès durable.