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Les grands événements sportifs internationaux, leviers d’évolution de l’action publique ?

Illustration des célébrations des Jeux Olympiques de Paris 2024
©Paris 2024 - Florian Hulleu
Le 19 janvier 2024

Les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) 2024 constituent un défi managérial conséquent pour la collectivité de Seine-Saint-Denis et ont ouvert une « fenêtre d’opportunité » vers la mise en œuvre de coopérations innovantes au niveau local.

Résumé

Cette contribution interroge les effets des JOP sur les dynamiques d’évolution de l’action publique. À partir du cas de la Seine-Saint-Denis, elle présente les enjeux de l’intégration d’un projet complexe au sein du conseil départemental. En décrivant les conditions de pilotage instituées par la collectivité, il s’agit de mettre en lumière les leviers et les freins à la structuration d’un travail transversal avec l’ensemble des directions, pour concevoir et mettre en œuvre une stratégie dédiée.

Le propos démontrera ainsi comment l’événement et son environnement organisationnel ont ouvert des fenêtres d’opportunité vers la mise en œuvre de nouveaux dispositifs d’action publique.

L’article se focalisera, dans un second temps, sur la question des retombées économiques des Jeux et leurs effets sur l’insertion professionnelle. Il expliquera comment les acteurs locaux ont engagé de nouveaux partenariats en réponse à l’événement afin de renforcer l’efficience de l’action publique dans ce secteur.

La candidature de Paris 2024 a placé les questions d’impact et d’héritage au cœur de sa stratégie, en souhaitant faire des Jeux un levier de rattrapage économique et social de la Seine-Saint-Denis.

Cela répondait notamment aux attentes du Comité international olympique (CIO), qui en a fait un enjeu central de son cahier des charges dans un contexte de remise en question de la durabilité économique, sociale et écologique de l’événement1. Collectivité-hôte des JOP 2024, le conseil départemental du 93 (CD93) accueille sur son territoire le village olympique2, le village des médias3, ainsi que de nombreuses épreuves olympiques et paralympiques4 qui ont nécessité un certain nombre d’aménagements5 dans une logique de développement urbain.

L’un des enjeux de l’héritage réside en effet dans la capacité des acteurs locaux à mettre cette expérience au service de leurs politiques publiques dans le futur.

Développée par le CIO, la notion « d’héritage » est assez floue en cela qu’elle renvoie à ce que l’événement « peut léguer » de matériel et d’immatériel sur différents territoires, dans différents domaines et à différentes temporalités6. À ce propos, la littérature sur les grands événements sportifs internationaux (GESI) a montré qu’ils pouvaient en premier lieu servir d’accélérateurs de politiques publiques. Étant donné leur envergure médiatique et financière, l’ingénierie qu’ils nécessitent et le nombre de parties prenantes qu’ils impliquent, ils peuvent ouvrir des fenêtres pour mettre à l’agenda politique des projets plus ou moins anciens. Les cas les plus visibles concernent l’investissement dans des infrastructures (notamment sportives) impliquant des co-financements, mais cet « effet de levier » peut concerner l’ensemble des politiques publiques, la nécessité de « réussir les Jeux » justifiant fréquemment de nouveaux projets. L’un des autres leviers souvent mis en avant tient dans les questions de gouvernance : la tenue de l’événement justifierait une montée en capacité politique et organisationnelle par la mise en relation d’acteurs qui n’auraient pas travaillé ensemble sans le projet, au point parfois d’engager des partenariats durables7. Cependant, ces effets ne sont pas naturels et dépendent en premier lieu des relations initiales entre organisations et des configurations d’acteurs au sein de celles-ci. Cette diversité de parties prenantes aux ressources, représentations et intérêts propres, induit en effet des enjeux de pouvoir inhérents à la négociation des modalités d’organisation légitime de l’événement.

En ce sens, le présent article se propose d’ouvrir la réflexion sur l’effet levier des JOP en matière de transformation de l’action publique à partir du cas de la Seine-Saint-Denis. Il s’agit dans un premier temps de montrer comment le CD93 s’est adapté à ce qui constitue un défi managérial au sein d’une collectivité territoriale. La seconde partie s’intéresse aux effets de l’événement sur l’action publique locale en s’appuyant sur l’exemple de ses retombées économiques.

Un « défi managérial » autour du projet JOP 2024

L’innovation managériale est devenue une réponse plébiscitée par les collectivités locales face à un contexte financier de plus en plus contraint. Elle consiste à introduire des pratiques de management nouvelles au sein d’une organisation dans le but d’atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés8. Cela renvoie à l’idée d’efficience de l’action publique, appréhendée comme la recherche de moyens permettant de satisfaire la demande sociale à moindre coût.

L’accueil du plus grand événement sportif au monde sur son territoire pose alors la question du pilotage opérationnel d’un projet dont la particularité est de présenter à la fois un très haut degré de complexité et un caractère éphémère, le temps de l’événement se limitant à quelques semaines durant l’été 2024. L’organisation des grands événements sportifs internationaux (GESI) nécessite la mise en place d’un mode opératoire particulièrement transversal, impliquant une grande diversité de directions et services dans une temporalité contrainte, qui peut venir télescoper le fonctionnement habituel des collectivités locales.

Dans ce contexte, les dirigeants locaux ont tendance à se doter d’une mission ou délégation dédiée, le plus souvent rattachée à la direction générale et travaillant en lien étroit avec le cabinet. Si le service des sports et des loisirs du CD93 disposait d’une certaine expérience en matière d’accueil de GESI9, les JOP 2024 représentent un changement d’échelle conséquent par leur dimension multisport et l’émergence d’un écosystème nouveau (comité d’organisation des JOP [COJOP], société de livraison des ouvrages olympiques [SOLIDEO], Agence nationale du sport [ANS], société du Grand Paris, etc.) impliquant un nombre bien plus important d’interlocuteurs. Aussi, les attentes extrêmement fortes du département en termes de mobilisation des publics et d’héritage ont justifié la mise en œuvre d’une délégation aux JOP (DJOP), chargée dès la phase de candidature d’accompagner techniquement la mobilisation politique10.

À la suite de l’annonce du succès de la candidature parisienne le 13 septembre 2017, la délégation s’est organisée selon des modalités qui peuvent être regroupées en deux phases.

Une construction du modèle en transversalité renforcée (2018-2021)

La première phase (2018-2021) réside dans la définition d’une organisation managériale pour construire un plan dédié, afin de faire de l’événement un levier de politiques publiques dans un contexte où le CD93 a des obligations liées aux épreuves (sites d’entraînement dans des équipements, etc.). Le choix s’est porté sur la constitution d’une équipe projet resserrée (une direction, un secrétariat et entre deux à quatre chefs de projet) au sein de la DJOP, coordonnant des référents JOP désignés au sein des directions. Pour chaque domaine géré par la collectivité (sport, voirie et déplacements, eau et assainissement, éducation et jeunesse, autonomie, emploi et insertion, enfance et famille, Europe et international, etc.), la DJOP a la charge de travailler – dans le cadre de réunions hebdomadaires – en transversalité avec les directions pour mobiliser leurs compétences au service du projet olympique. Ce travail de pilotage avait un double objectif de :

  • structuration interne : co-construire un « plan de mobilisation » déclinant les objectifs et actions engagés par la collectivité à partir de ses domaines d’intervention (voir le tableau, p. 48) ;
  • structuration externe : exploiter les opportunités liées à l’écosystème olympique (notamment les financements du fonds de dotation de Paris 2024) en montant des projets partenariaux dans différents domaines.

Développée par le CIO, la notion « d’héritage » est assez floue en cela qu’elle renvoie à ce que l’événement « peut léguer » de matériel et d’immatériel sur différents territoires, dans différents domaines et à différentes temporalités.

Ce travail de structuration a permis de générer de nouvelles collaborations entre services dans le cadre de projets réunissant des professionnels issus de secteurs qui n’avaient pas pour habitude de travailler ensemble. À titre d’exemple, des actions de développement de l’activité physique au sein des crèches ou dans les structures de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ont été montées en réponse à des appels à projets départementaux. Parallèlement, la conception d’une stratégie paralympique, la réflexion sur les usages futurs du pôle de référence inclusif et sportif métropolitain (PRISME) et l’accompagnement de nouvelles associations sportives ont favorisé le décloisonnement des champs du sport et de l’inclusion. Au niveau inter-institutionnel, le CD93 a souhaité associer, dans une logique d’« assemblier », les quatre établissements publics territoriaux (EPT)11, pour que les effets de l’événement aillent au-delà des sites de compétition. Surtout, la collectivité s’est engagée dans des partenariats formels par le biais, par exemple, de la signature d’une convention de coopération avec Paris afin de co-construire et co-financer des projets de mobilisation liés aux Jeux. Le CD93 a, par exemple, capitalisé sur la dynamique engagée par Paris 2024 autour du « savoir nager » pour renforcer son « plan piscine » et accompagner de nouveaux projets d’apprentissage de la natation, dans un département où près d’un enfant sur deux ne sait pas nager à la sortie de l’école primaire.

C’est également le cas du projet « 130 pays pour 130 collèges » qui a permis à une cinquantaine de collèges du territoire d’engager des actions de coopération internationale autour du sport et de la culture. Financé sur plusieurs années par le COJOP, ce programme implique transversalement l’Éducation nationale, le CD93 (DJOP, direction éducation et jeunesse, direction Europe et international), ainsi que les professionnels des établissements scolaires, dont certains se sont rapprochés de nouveaux acteurs (le mouvement sportif notamment) dans le cadre du projet.

Les enjeux de la mise en œuvre d’un plan d’accompagnement (2021-2024)

La phase de mise en œuvre du plan d’accompagnement constituait un moyen d’expérimenter ce fonctionnement innovant au sein de la collectivité. L’approche de l’événement a conduit à l’abandon des réunions « référents » en 2022 pour les remplacer par des réunions de suivi de projet (sport et loisir, éducation et jeunesse, emploi et insertion, maîtrises d’ouvrages départementales, PRISME, etc.) en associant l’ensemble des acteurs concernés. Cette nouvelle forme de pilotage renvoie à une phase plus opérationnelle, qui a par ailleurs vu la DJOP doubler en effectif en 2023 pour absorber la charge de travail liée à l’événement. Un an avant le début des Jeux, la délégation était ainsi composée de 16 agents dont la majorité occupait un poste de chef de projet associé à une thématique précise (maîtrise d’ouvrage, événementiel, communication, billetterie, héritage et mobilisation, stratégie paralympique, etc.).

Les travaux de science de gestion ont toutefois montré que ces innovations managériales peinaient à s’implanter durablement au sein des organisations, d’autant plus lorsqu’elles visent des objectifs performatifs12. Cette tension entre objectif et moyen est d’autant plus visible dans le sport que ce secteur est une variable d’ajustement des politiques locales : les élus l’investissent avant tout quand ils y voient un intérêt en matière de rayonnement, alors qu’ils s’en servent le reste du temps comme un moyen de faire des économies budgétaires. Le projet des Jeux ne fait pas exception, le CD93 ayant rencontré un certain nombre de difficultés face à l’implémentation de nouveaux modes de fonctionnement :

  • freins professionnels par des logiques de résistance à ce qui peut être perçu comme une charge de travail supplémentaire, et le sentiment d’une inadéquation entre les moyens associés (notamment humains, puisque la majorité des directions ont dû désigner et non recruter leur référent) et les objectifs à réaliser ;
  • freins organisationnels dans un contexte où la création de la DJOP induit l’existence d’un nouvel acteur interne chargé de piloter un projet prioritaire pour la collectivité, qui peut être perçu par les services comme une autorité hiérarchique illégitime ;
  • freins idéologiques liés au clavage existant dans l’opinion publique entre promotion et opposition aux JOP ;
  • freins temporels par la nécessité de faire aboutir des projets complexes en un temps record, comme la programmation du PRISME, arrivée à l’agenda par effet d’entraînement, mais dont le pilotage nécessite une variété de compétences (gestion des différents types d’incapacité, management des équipements structurants, aspects juridiques et financiers, etc.).

Ainsi l’accueil d’un tel projet pose-t-il un double défi managérial à la collectivité : celui de réussir l’organisation de l’événement tout en en faisant un levier d’évolution de l’action publique locale. À ce titre, les JOP 2024 ont ouvert de nouvelles perspectives de travail partenarial dans certains secteurs, comme celui des retombées économiques et de l’insertion professionnelle.

PRINCIPAUX AXES DU PLAN DE MOBILISATION

Un effet levier visible sur l’action publique locale : l’exemple des retombées économiques et de l’insertion

La complexité de l’entreprise olympique nécessite la mise en œuvre d’une action publique partenariale. Il s’agit de mutualiser les moyens et les compétences (co-financements, plans d’action concertés, etc.) pour faire de l’événement un levier de politiques publiques. En Seine-Saint-Denis, l’une des collaborations les plus intégrées autour du projet des Jeux concerne ses retombées économiques. Les JOP 2024 ont ouvert une « fenêtre d’opportunité » vers la mise en œuvre de coopérations innovantes au niveau local, dont il convient de faire la genèse pour mettre en lumière leur impact.

Le flux des problèmes : le rattrapage économique et social de la Seine-Saint-Denis

La mise en place de politiques publiques répond généralement à la convergence entre l’existence d’un problème, de solutions existantes pour le traiter et, surtout, d’un contexte politique et organisationnel favorable à sa mise à l’agenda. En Seine-Saint-Denis, la principale problématique que pose l’accueil des Jeux est celle du rattrapage économique et social d’un département post-industriel dont l’essor économique récent ne profite que marginalement à la population résidente. Le territoire concentre un nombre important de difficultés comme le chômage (12 %), des taux élevés de pauvreté (28 %), niveau de vie médian (11 %) de la population touchant le revenu solidaire active (RSA) et taux d’habitants en logement social (32 %) qui sont les plus élevés de France. De plus, si l’existence de nombreux marchés associés à l’accueil des JOP 2024 pouvait a priori constituer une opportunité, les besoins étaient assez peu adaptés à la réalité de l’emploi en Seine-Saint-Denis avec des secteurs en tension comme la sécurité privée, l’hôtellerie, la restauration ou encore le nettoyage/ramassage des déchets.

Par ailleurs, de nombreuses entreprises du territoire ne bénéficiaient pas du niveau d’information ou d’ingénierie pour en profiter, tandis que la population locale se heurtait à un manque de formation et l’existence de freins périphériques à l’emploi (mobilité, santé, cohésion familiale, habitat, etc.). Se posait alors la question du « comment » faire en sorte que cette opportunité économique bénéficie aux Séquano-Dyonisiens, dans un contexte de fragmentation de l’action publique locale dans le champ de l’emploi et du développement économique.

Le flux des politiques publiques : la Fabrique « retombées économiques » comme solution

Pour faire face à cette situation, les acteurs locaux de l’emploi et de l’insertion du 93 (État, département, EPT, Pôle emploi, Cap emploi, missions locales, etc.) se sont mobilisés en créant une instance de travail collaborative dans le but de rendre l’action publique plus efficiente. Cette initiative a abouti à la création du dispositif « facilitateurs d’emploi », qui consiste en des binômes composés d’une personne de Pôle emploi et d’un « facilitateur » issu d’une autre organisation pour faire le lien entre chaque marché olympique et les demandeurs d’emploi.

Ces binômes permettent de faire l’interface entre employeurs et demandeurs dans quatre filières déterminées : la sécurité événementielle, la restauration, le nettoyage/collecte des déchets et le transport logistique. Les acteurs se sont appuyés sur l’existence initiale d’un comité de pilotage « Emploi 93 » piloté par la direction régionale interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) et ont travaillé à mettre cette dynamique au service de la population locale. Le CD93 a, de son côté, joué un rôle déterminant en s’engageant dans un travail de recensement des offres de Paris 2024, avec des volumes allant jusqu’à 20 000 postes dans la sécurité. Cela a permis d’avoir un taux de bénéficiaires séquano-dyonisiens des clauses d’insertion dans le cadre des opérations JOP de plus de 50 % à l’été 202313. Cette initiative s’est, enfin, étendue à l’échelle de la région Île-de-France en novembre 2022, permettant de structurer un écosystème favorable autour des retombées économiques des Jeux, consacré par l’organisation d’un job dating d’envergure à la Cité du cinéma de Saint-Denis le 26 septembre 2023.

Parallèlement, le CD93 a créé une instance de concertation appelée « Fabrique des Jeux » 14, dont les acteurs de l’économie se sont saisis pour monter un outil d’information et d’accompagnement aux entreprises locales. L’objectif était, une nouvelle fois, de faire en sorte qu’elles bénéficient au maximum des marchés liés aux Jeux. Ce groupement coordonné par le département intègre la chambre de commerce et d’industrie (CCI), la chambre des métiers de l’artisanat (CMA), ESS 2024 (une filiale des Canaux, qui fédère les entreprises de l’économie sociale et solidaire), et Inser’Eco 93 (organisme qui fédère 110 structures en Seine-Saint-Denis) sous la forme d’un comité de pilotage hebdomadaire destiné à identifier des leviers d’action concertée pour répondre à cet objectif.

Leurs principales réalisations sont l’organisation de webinaires mensuels d’information sur les marchés en cours (détails, dates, ressources nécessaires, etc.) et le développement d’une activité de formation (réponse aux marchés publics, montage de groupement d’entreprises, etc.) à l’échelle de chaque EPT, qui ont récupéré la compétence « développement économique » en 2016. Ce travail collaboratif a permis de toucher un nombre important d’entreprises (jusqu’à 200 présentes en webinaire, 15 personnes en moyenne lors des formations) par la mobilisation des réseaux propres à chaque partenaire, et obtenu des résultats puisque 330 entreprises locales (dont certaines sont issues du dispositif) avaient obtenu au moins un marché à la fin de l’année 2023.

Le flux de la politique : profiter d’un contexte favorable

La mise en œuvre de ces actions particulièrement intégrées est le résultat de configurations favorables. À l’échelle nationale, la question du rattrapage économique et social de la Seine-Saint-Denis est d’autant plus défendue que le président du département, Stéphane Troussel, occupe des positions stratégiques au conseil d’administration de Paris 2024 et à la vice-présidence de la SOLIDEO. Aussi les engagements de candidature ont-ils toujours été « en ligne de mire » des instances de décision. Cela s’ajoute à une attention grandissante portée à la question de l’emploi et l’insertion – d’abord à travers les polémiques autour du droit des travailleurs pendant les GESI – qui a conduit Paris 2024 à se doter d’une charte sociale pour ces JOP 2024. Ce document est le fruit d’un travail de réflexion intégrant les parties prenantes de l’organisation des Jeux et les syndicats, et a abouti à réévaluer le pourcentage de clause d’insertion initialement prévu dans les opérations olympiques de 5 à 10 % des heures travaillées.

« Moi j’appelle ça la magie des Jeux !, s’enthousiasme un référent JOP 2024 de la direction de l’emploi et l’insertion du CD93. Tu avais les quatre EPT, le département, la ville de Paris, les représentants des entreprises… tout le monde était d’accord pour travailler sur l’emploi. On s’est dit que les clauses d’insertion étaient à 5 %, mais que, allez, c’étaient les Jeux donc il fallait se mettre un défi à la hauteur et quelqu’un a dit : “Et pourquoi pas 10 % ?” Tout le monde était d’accord pour que l’on réclame cela. »

Ici, l’ampleur de l’événement a bien renforcé la capacité des acteurs à se doter d’objectifs ambitieux impactant les modes d’organisation à l’échelon local. Portée par des « entrepreneurs olympiques » – c’est-à-dire des individus convaincus de l’impact des Jeux sur leurs activités au point de s’investir dans le projet – cette structuration de l’action publique autour des retombées économiques de l’événement démontre comment ce dernier peut favoriser l’engagement dans de nouvelles pratiques professionnelles vertueuses.

Un défi qui repose sur un paradoxe complexe

Pour conclure, cette contribution a démontré dans quelle mesure faire des JOP 2024 un outil d’évolution de l’action publique départementale constituait un défi. Sur le plan managérial, ce défi repose sur un paradoxe complexe puisque l’accueil des Jeux nécessite, pour une collectivité-hôte, d’en absorber la charge organisationnelle tout en préfigurant « l’après ». L’un des enjeux de l’héritage réside en effet dans la capacité des acteurs locaux à mettre cette expérience au service de leurs politiques publiques dans le futur. À l’échelle du CD93, la disparition de la DJOP prévue pour décembre 2024 ouvrira nécessairement une nouvelle phase, dans un contexte où la collectivité s’est dotée d’une direction de l’innovation et de la transformation en juin 2023. À une échelle plus large, il y a fort à parier que les moyens alloués aux questions sportives baissent drastiquement une fois l’événement terminé – à commencer par les crédits issus du fonds de dotation de Paris 2024 – et l’une des formes « d’héritage » pourrait résider dans la structuration de nouvelles formes d’action publique afin de faire face à ce contexte.

À ce titre, la question des retombées économiques peut constituer un laboratoire intéressant à évaluer, en questionnant ses effets et sa durabilité. Concernant ses effets, il conviendra en premier lieu de mettre la dynamique engagée en perspective avec la demande sociale. Au-delà de la seule structuration des organisations et des données de bilan, cette dynamique peut-elle améliorer les pratiques de recrutement et pourvoir les besoins des entreprises locales positionnées sur des secteurs en tension ? Peut-elle contribuer à réduire les inégalités d’accès à l’emploi ?

Ces interrogations renvoient directement à la durabilité des coopérations engagées. Pourront-elles subsister à l’événement et selon quelles conditions ? Cela pose la question du devenir des différents dispositifs – à commencer par la « Fabrique des retombées économiques » et son travail d’information et de qualification des entreprises postulant à des marchés structurants.

  1. Bourbillères H. et Koebel M., « Les processus de contestation dans le cadre des candidatures des villes européennes aux Jeux olympiques et paralympiques 2024 », Movement & Sport Sciences 2020/1, no 107, p. 17-29.
  2. Installés sur les communes de Saint-Denis, L’Île-Saint-Denis et Saint-Ouen-sur-Seine, auquel succèderont des écoquartiers avec 2 200 logements familiaux, 900 logements étudiants, des activités et équipements publics de proximité.
  3. Situé sur les communes du Bourget, de La Courneuve et de Dugny.
  4. L’athlétisme, le para-athlétisme et le rugby à sept au Stade de France ; la natation artistique, le plongeon et le water-polo au Centre aquatique olympique ; les épreuves préliminaires de boxe, d’escrime en pentathlon moderne et le volley-ball assis à l’Arena Paris nord de Villepinte ; l’escalade au Bourget ; le paracyclisme à Clichy-sous-Bois, et le paramarathon à La Courneuve.
  5. Huit opérations liées aux Jeux sont réalisées en maîtrise d’ouvrage du conseil départemental : le franchissement de L’Île-Saint-Denis ; le PRISME ; la rénovation du terrain des essences, des terrains de rugby et de la piscine de Marville, ainsi que de certaines routes départementales.
  6. Preuss H., “Event Legacy Framework and Measurement”, International journal of sport policy and politics 2019, no 11(1), p. 103-118.
  7. Lopez C., Djaballah M. et Charrier D., « Les projets olympiques au service des politiques sportives partenariales. Le cas de la Fédération française de cyclisme et de la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines », Management et organisations du sport 2023, vol. 5.
  8. Le Roy F., Robert M. et Giuliani P., « L’innovation managériale. Généalogie, défis et perspectives », Revue française de gestion 2013/6, no 235, p. 77-90.
  9. Coupe du monde de football 1998, Championnat du monde d’athlétisme 2003, Coupe du monde de rugby 2007, Euro 2016 de football, Coupe du monde de rugby 2023, etc.
  10. Cette proximité quotidienne au cabinet du président du conseil départemental s’est poursuivie tout au long du projet.
  11. Est-Ensemble, Grand Paris Grand Est, Paris Terre d’envol et Plaine commune.
  12. Carassus D., Marin P., Maurel C., Queyroi Y. et Favoreu C., « L’innovation managériale dans les collectivités locales : analyse empirique de leur caractérisation et de leurs effets », Gestion et management public 2021/2, vol. 9, no 2, p. 57-77.
  13. Chiffres SOLIDEO.
  14. Il s’agit d’un label les initiatives concertées autour du projet olympique en Seine-Saint-Denis. Ce dernier a permis d’impulser des actions collaboratives entre acteurs locaux dans différents secteurs comme l’aménagement du territoire, la culture ou encore le partage d’informations entre différents niveaux de collectivités.
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