Forum des Interconnectés : les collectivités affichent leurs ambitions d'un numérique «responsable»

Le 6 avril 2021

Soucieuses de partager leurs initiatives et leur vision en matière de développement numérique sur leurs territoires, les collectivités membres de l’AdCF, de France Urbaine et de l’association Les Interconnectés se sont réunies au sein d’une commission numérique commune. À l'occasion du Forum 2021 des Interconnectés, qui s'est tenu les 17 et 18 mars en format 100% digital, il a beaucoup été question de numérique socialement et écologiquement durable. Un manifeste pour des territoires numériques responsables, issu de ces deux jours de travaux, a été présenté à Cédric O, secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications. Objectif : rendre visible à la fois leurs ambitions en matière de développement numérique et leur préoccupation que cette technologie n’engendre pas de nouveaux déséquilibres écologiques et sociaux.

Innovation et responsabilité environnementale : l’accord parfait ?

Qu’est-ce qu’une « transformation numérique innovante et responsable » ? Les participant·es à la plénière du jeudi 18 mars au matin ont présenté chacun·e leur vision. Certains points font consensus et sont évoqués spontanément par tou·tes. En revanche, les priorités varient en fonction de la nature du territoire, de ses atouts et de ses faiblesses, et de la vision des élu·es. Car le numérique est aussi politique.

À Toulouse, territoire d’industries, on entend orienter la transition digitale de la métropole par l’« innovation responsable », c’est-à-dire des projets à impact positif alliés à une consommation raisonnée. Dans la mesure où « il ne faut pas contraindre l’innovation », déclare le vice-président métropolitain Bertand Serp, on encourage la responsabilité sociétale des entrepreneurs et on accompagne les citoyens à travers les changements.

Les projets ne manquent pas : la métropole toulousaine est engagée dans les mobilités du futur pour décarboner le territoire ; la ville « agile » utilise et met à disposition des start-ups les données et l’intelligence artificielle, nouveaux carburants de la création de valeur. La 5G, installée sans moratoire, est vue comme une ressource indispensable aux enjeux industriels locaux.

Dans la communauté de communes de Creuse-Grand-Sud, les préoccupations sont relativement éloignées. Pour commencer, on s’occupe de déployer la fibre. Sur ce territoire composé de quatre pôles aux cultures économiques contrastées, l’enjeu du numérique est d’abord de favoriser son appropriation par les agents territoriaux au-delà de la bureautique et des réseaux sociaux. Il s’agit donc de les former à l’accompagnement des habitants, mais aussi à la gestion et à l’utilisation des données issues des services publics numériques. La « responsabilité », on la conçoit ici sous plusieurs aspects : c’est favoriser la réutilisation des produits numériques (via une ressourcerie) et les usages logiciels ; et parce que l’innovation est aussi sociale, on s’attache à offrir une égalité d’accès et à élargir les compétences des usagers, tout en réduisant l’impact environnemental de ces usages.

Retour dans le Sud, à Nice. La métropole niçoise, située entre mer et montagne, connaît les problématiques rurales ainsi que les désordres environnementaux – la tempête Alex l’a rappelé récemment, explique Magali Altounian, adjointe au maire et conseillère métropolitaine.

Une future « bulle Internet » permettra de maintenir une connexion de secours en cas de catastrophe naturelle. Une agence de gestion du risque sanitaire et environnemental est également en cours de création.

La montée en compétences numériques des agents et des habitants va de paire avec la transition écologique, à travers la gestion des données, le déploiement de la 5G, les nouvelles mobilités, l’intelligence artificielle. « On a tous conscience ici que notre économie se digitalise, que certains métiers vont tendre vers une automatisation », souligne-t-elle. Cela implique en priorité « d’armer » les agents – elle prône pour une formation à la « data » en interne, en même temps qu’aux problématiques du changement climatique et du développement durable. La formation au numérique est une pierre angulaire d’inclusion sociale et « d’employabilité » pour l’ensemble de la population, notamment féminine. « 50% des métiers occupés par des femmes tendent vers une automatisation », indique Magali Altounian. Anticiper c’est prévoir, d’autant que les filles se dirigent volontiers vers des études scientifiques mais ne choisissent pas volontiers les métiers numériques.

Au détour de la discussion émerge la question de la confiance citoyenne envers l’utilisation des données et de la souveraineté numérique. Pour Magali Altounian, l’exploitation des données génère une appréhension chez les citoyens. La réponse est dans la formation : l’usage éclairé du numérique est facteur à la fois de confiance et d’émancipation. À la collectivité revient la responsabilité de s’adapter aux nouveaux usages et de produire les données, crucial pour retrouver une indépendance.

Le plan de relance européen comprenant un volet numérique incluant la cybersécurité, la métropole niçoise va ainsi mobiliser 117 millions d’euros issus du programme « REACT-EU », pour la protection des données et l’inclusion numérique à travers, entre autres, une plateforme collaborative associant les acteurs de ce secteur.

Les Interconnectés, un réseau pour accompagner la transformation numérique des territoires

Créé en 2009 par l’Assemblée des Communautés de France (AdCF) et France urbaine, le réseau des Interconnectés a pour mission d’accompagner la transformation numérique des collectivités à travers des solutions concrètes fondées sur le partage, l’intelligence collective, la proximité de l’usager. Première association nationale de diffusion des usages et innovations numériques au service des territoires, interlocuteur de référence de l’État, il est à la fois plateforme d’échanges, centre de ressources et espace de partages physiques et numériques.
Proposant des rendez-vous nationaux et régionaux : le Forum annuel, les sessions de formation Territoir’Prod, l’IntercoTOUR, le réseau est également un catalyseur et un révélateur des projets à l’oeuvre dans les territoires, à travers son Label « Territoire innovant » et son concours « Start-up interconnectée ».

Les chiffres clés du Forum 17&18 mars 2021

  • 4 250 connexions sur 2 jours
  • 1 433 participants aux travaux d’élaboration du manifeste
  • 892 participants au parcours bonnes pratiques
  • 25 Labels Territoire Innovants
  • 9 start-up Interconnectés
  • 1 étude exclusive : Les compétences numériques des agents territoriaux,
  • 1 manifeste "Pour des territoires numériques responsables"

De ces échanges, l’édile creusoise Céline Collet-Dufay retient qu’encourager la responsabilité des agents sur la collecte des données dont ils ont la charge, c’est faire émerger la possibilité d’imaginer de nouveaux services, publics ou privés. L’hybridation du travail, ajoute-t-elle, permet de transférer le produit de ce travail d’une structure à l’autre et d’augmenter le niveau de compétence générale. Un point d’une importance toute particulière pour anticiper l’automatisation et donc, la disparition à terme de certains métiers, particulièrement ceux assumés en majorité par des femmes. En attendant, dit-elle, ici on travaille encore avec des fichiers Excel et on aimerait bien passer au niveau supérieur ! Ce qui fait dire à Céline Colucci, en mot de la fin, que la commission numérique des Interconnectés souhaite travailler avec les acteurs du numérique pour faire naître des plateformes de travail, afin d’aider collectivités et entreprises à faire cause commune autour du développement numérique.

Numérique et climat à l’échelle des territoires : les collectivités en cheville ouvrière ?

La discussion se poursuit. « Comment voyez-vous la question du numérique et du climat à l’échelle du territoire ? » demande la déléguée des Interconnectés aux nouveaux intervenants, qui ont pris place dans la salle virtuelle.

Pour Émeline Baume, vice-présidente de la métropole lyonnaise, les usages numériques évoluent et s’intensifient, tandis que la jeune génération interpelle nos gouvernants sur l’impact climatique des activités humaines. Par conséquent, envisager ensemble le climat et le numérique, ce n’est pas seulement faire évoluer les comportements individuels vers plus de sobriété, c’est aussi agir sur l’activité industrielle. Un levier existe pour cela : la commande publique. La métropole lyonnaise l’utilise pour pousser les opérateurs à intégrer à leur offre la sobriété, l’innovation, mais aussi l’interopérabilité. Enfin, ajoute l’élue, il n’y a pas que les gaz à effet de serre : il ne faut pas oublier la biodiversité, et « amener dans le débat la place du vivant dans le numérique ».

Francky Trichet, vice-président de la métropole nantaise, abonde : le rôle fédérateur des collectivités est crucial, en particulier dans l’« industriabilité » des nouvelles filières. Le réemploi, le recyclage, la collecte et traitement des déchets ont besoin de l’effet d’entraînement des collectivités pour accélérer leur développement industriel.

Le grand public, observe-t-il, a tendance à opposer le numérique au climat. Pour enrayer cette défiance, il convient de veiller à ce que le numérique soit bien au service du climat.

Les collectivités se doivent d’accompagner l’innovation utile et se montrer intransigeantes sur les axes d’innovation : certaines doivent être refusées. On peut inciter les jeunes entrepreneurs qui viennent toper à la porte du soutien public à ne pas considérer que la création de valeur marchande, et les sensibiliser à l’impact du numérique sur le climat.

La discussion s’engage sur l’articulation des échelles nationale et locale. Le sénateur de l’Ain Patrick Chaize, rapporteur d’un projet de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France et issu d’une mission d’information, développe les conditions dans lesquelles ces travaux se sont déroulés. Des premières auditions de cette mission lancée avant la crise sanitaire, raconte-t-il, ressortait la notion de sobriété numérique. Puis le 15 mars 2020 est arrivé, et cette idée a volé en éclats sous les effets de la crise. Éducation numérique, télétravail, usages récréatifs… Le trafic sur les réseaux a été multiplié par deux en l’espace de quarante-huit heures. Les travaux de la mission s’en sont trouvés modifiés.

Quatre axes apparaissent dans le projet de loi : la prise de conscience de l’impact environnemental du numérique par les utilisateurs ; la limitation du renouvellement des terminaux, en favorisant l’intégration de la sobriété dès la phase de conception, la réparabilité et le réemploi ; la promotion du développement d’usages du numérique écologiquement vertueux ; enfin, le développement de centres de données et réseaux moins énergivores.

Le projet de loi, s’il est inscrit à l’ordre du jour parlementaire, inclura des mesures destinées aux collectivités en leur permettant d’agir directement, par exemple via la faculté d’intégrer aux appels d’offre l’utilisation de matériels reconditionnés.

Au-delà de l’aspect réglementaire de la transition écologique, c’est dans la concertation citoyenne que les collectivités peuvent développer la confiance du public, affirme Francky Trichet. Pour ce faire, des chartes d’usages peuvent être rédigées tant avec les industriels qu’avec les citoyens, sous l’impulsion des collectivités, dont l’exemplarité et l’effet d’entraînement ont prouvé leur efficacité. Il s’agit de « changer d’échelle, aller vers les gros volumes et changer l’image du réemploi », ajoute-t-il. « Il faut lancer le premier geste, il n’y a que nous, les collectivités, qui pouvons faire ça, avec les commerçants et des points de collecte pour rendre efficiente la logistique associée à cette filière ‘’360’’, et pour créer de l’emploi. (…) Notre rôle, c’est de faire comprendre qu’une nouvelle ère s’ouvre. »

Une ère résolument « éco-numérique sociale », donc. Le manifeste publié le jour même par les Interconnectés embrasse tous ces enjeux.

Manifeste pour des territoires numériques responsables

Manifeste pour des territoires numériques responsables

Le numérique s’est imposé comme un outil indispensable à la vie quotidienne. Cette généralisation des usages du numérique a des impacts majeurs qui doivent être pleinement pris en compte par les décideurs publics. Conscients de l’importance de l’action locale pour faire face à ces défis, les collectivités réunies au sein de la commission numérique commune à l’AdCF, France urbaine et Les Interconnectés s’engagent. Elles affirment leur volonté de construire et porter avec les acteurs des territoires une transformation numérique ambitieuse, socialement et écologiquement durable.

Télécharger le manifeste

 

 

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